Conseil constitutionnel

Décision n° 2023-1055 QPC du 16 juin 2023

16/06/2023

Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 avril 2023 par le Conseil d’État (décision n° 466929 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l’association interprofessionnelle des fruits et légumes frais par Mes Yelena Trifounovitch, Arthur Helfer et Guillaume Léonard, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1055 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 80 de la loi n° 2020–105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.

Au vu des textes suivants :

– la Constitution ;

– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

– la loi n° 2020–105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire ;

– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

– les observations présentées pour l’association requérante par Mes Trifounovitch, Helfer et Léonard, enregistrées le 10 mai 2023 ;

– les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;

– les observations en intervention présentées par l’association France nature environnement, enregistrées le même jour ;

– les secondes observations présentées pour l’association requérante par Mes Trifounovitch, Helfer et Léonard, enregistrées le 25 mai 2023 ;

– les secondes observations en intervention présentées par l’association France nature environnement, enregistrées le même jour ;

– les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Mes Helfer et Léonard, pour l’association requérante, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 6 juin 2023 ;

Au vu de la note en délibéré présentée par la Première ministre, enregistrée le 9 juin 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article 80 de la loi du 10 février 2020 mentionnée ci-dessus prévoit :

« Au plus tard le 1er janvier 2022, il est mis fin à l’apposition d’étiquettes directement sur les fruits ou les légumes, à l’exception des étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en tout ou partie de matières biosourcées ».

 

2. L’association requérante reproche à ces dispositions de limiter la faculté pour tout opérateur économique d’apposer des étiquettes sur les fruits et légumes aux seules fins de faciliter le compostage domestique, alors qu’existeraient d’autres moyens moins contraignants pour y parvenir. Elles porteraient ainsi une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre.

3. Elle leur reproche également d’instituer une double différence de traitement injustifiée, d’une part, entre opérateurs selon que les fruits et légumes sont produits en France ou importés et, d’autre part, entre les exportateurs français et leurs concurrents à l’étranger. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

4. En outre, faute de définir en des termes suffisamment clairs et précis l’interdiction édictée, alors que sa méconnaissance serait punie d’une amende contraventionnelle, ces dispositions seraient contraires au principe de légalité des délits et des peines.

5. Ces dispositions seraient enfin entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant les exigences constitutionnelles précitées, et méconnaîtraient l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

6. En premier lieu, il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.

7. Les dispositions contestées prévoient que, au plus tard au 1er janvier 2022, il est mis fin à l’apposition de certaines étiquettes sur les fruits ou les légumes.

8. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires, l’interdiction de mettre en vente en France des fruits et légumes sur lesquels sont apposées des étiquettes non compostables.

9. D’une part, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu favoriser le compostage des biodéchets et la réduction des déchets plastiques pour mettre en œuvre les objectifs de réduction et de valorisation des déchets ménagers. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé.

10. D’autre part, l’interdiction édictée par ces dispositions porte sur l’apposition des seules étiquettes qui ne sont pas compostables et constituées en tout ou partie de matières biosourcées. En déterminant ainsi la portée de cette interdiction, le législateur a apporté aux conditions d’exercice de l’activité économique des entreprises commercialisant des fruits et légumes une restriction qui n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi.

11. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’entreprendre doit être écarté.

12. En deuxième lieu, les dispositions contestées, qui interdisent de mettre en vente en France des fruits et légumes sur lesquels sont apposées des étiquettes non compostables, n’instituent aucune différence de traitement selon qu’ils sont produits en France ou importés. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté.

13. En dernier lieu, les dispositions contestées n’ont, par elles-mêmes, pour objet ni d’instituer une sanction ayant le caractère d’une punition ni de définir les éléments constitutifs d’une infraction. La circonstance que le pouvoir réglementaire ait sanctionné d’une contravention le manquement à l’interdiction prévue par les dispositions contestées ne saurait leur conférer un tel objet.

14. Il appartient au demeurant au pouvoir réglementaire, dans l’exercice de la compétence qu’il tient de l’article 37 de la Constitution et sous le contrôle des juridictions compétentes, de définir les éléments constitutifs des contraventions en des termes suffisamment clairs et précis.

15. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines ne peut qu’être écarté comme inopérant.

16. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

 

Article 1er. – L’article 80 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire est conforme à la Constitution.

 

Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 juin 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

 

Rendu public le 16 juin 2023.

 

Abstracts

3.7.3.1.1

Autorité compétente en matière de contraventions

Le Conseil constitutionnel est saisi de l’article 80 de la loi n° 2020–105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire qui prévoit que, au plus tard au 1er janvier 2022, il est mis fin à l’apposition de certaines étiquettes sur les fruits ou les légumes. Les dispositions contestées n’ont, par elles-mêmes, pour objet ni d’instituer une sanction ayant le caractère d’une punition ni de définir les éléments constitutifs d’une infraction. La circonstance que le pouvoir réglementaire ait sanctionné d’une contravention le manquement à l’interdiction prévue par les dispositions contestées ne saurait leur conférer un tel objet. Il appartient au demeurant au pouvoir réglementaire, dans l’exercice de la compétence qu’il tient de l’article 37 de la Constitution et sous le contrôle des juridictions compétentes, de définir les éléments constitutifs des contraventions en des termes suffisamment clairs et précis. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines ne peut qu’être écarté comme inopérant.

2023-1055 QPC, 16 juin 2023, paragr. 13 14 15

4.21.2.5.4

Avec des règles, principes ou objectifs de valeur constitutionnelle

Le Conseil constitutionnel est saisi de l’article 80 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire qui prévoit que, au plus tard au 1er janvier 2022, il est mis fin à l’apposition de certaines étiquettes sur les fruits ou les légumes. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires, l’interdiction de mettre en vente en France des fruits et légumes sur lesquels sont apposées des étiquettes non compostables. D’une part, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu favoriser le compostage des biodéchets et la réduction des déchets plastiques pour mettre en œuvre les objectifs de réduction et de valorisation des déchets ménagers. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé. D’autre part, l’interdiction édictée par ces dispositions porte sur l’apposition des seules étiquettes qui ne sont pas compostables et constituées en tout ou partie de matières biosourcées. En déterminant ainsi la portée de cette interdiction, le législateur a apporté aux conditions d’exercice de l’activité économique des entreprises commercialisant des fruits et légumes une restriction qui n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. Rejet du grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’entreprendre.

2023-1055 QPC, 16 juin 2023, paragr. 6 7 8 9 10 11

4.23.3.2.1

Détermination des infractions et des peines

Le Conseil constitutionnel est saisi de l’article 80 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire qui prévoient que, au plus tard au 1er janvier 2022, il est mis fin à l’apposition de certaines étiquettes sur les fruits ou les légumes. Les dispositions contestées n’ont, par elles-mêmes, pour objet ni d’instituer une sanction ayant le caractère d’une punition ni de définir les éléments constitutifs d’une infraction. La circonstance que le pouvoir réglementaire ait sanctionné d’une contravention le manquement à l’interdiction prévue par les dispositions contestées ne saurait leur conférer un tel objet. Il appartient au demeurant au pouvoir réglementaire, dans l’exercice de la compétence qu’il tient de l’article 37 de la Constitution et sous le contrôle des juridictions compétentes, de définir les éléments constitutifs des contraventions en des termes suffisamment clairs et précis. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines ne peut qu’être écarté comme inopérant.

2023-1055 QPC, 16 juin 2023, paragr. 13 14 15

5.1.3.6

Droit de l'environnement

Le Conseil constitutionnel est saisi de l’article 80 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire qui dispose : « Au plus tard le 1er janvier 2022, il est mis fin à l’apposition d’étiquettes directement sur les fruits ou les légumes, à l’exception des étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en tout ou partie de matières biosourcées ». Les dispositions contestées, qui interdisent de mettre en vente en France des fruits et légumes sur lesquels sont apposées des étiquettes non compostables, n’instituent aucune différence de traitement selon qu’ils sont produits en France ou importés. Rejet du grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

2023-1055 QPC, 16 juin 2023, paragr. 12

11.6.3.3

Grief inopérant

Le Conseil constitutionnel est saisi de l’article 80 de la loi n° 2020–105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire qui prévoit que, au plus tard au 1er janvier 2022, il est mis fin à l’apposition de certaines étiquettes sur les fruits ou les légumes. Les dispositions contestées n’ont, par elles-mêmes, pour objet ni d’instituer une sanction ayant le caractère d’une punition ni de définir les éléments constitutifs d’une infraction. La circonstance que le pouvoir réglementaire ait sanctionné d’une contravention le manquement à l’interdiction prévue par les dispositions contestées ne saurait leur conférer un tel objet. Il appartient au demeurant au pouvoir réglementaire, dans l’exercice de la compétence qu’il tient de l’article 37 de la Constitution et sous le contrôle des juridictions compétentes, de définir les éléments constitutifs des contraventions en des termes suffisamment clairs et précis. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines ne peut qu’être écarté comme inopérant.

2023-1055 QPC, 16 juin 2023, paragr. 13 14 15

11.7.2.2.3

Référence aux travaux préparatoires de la loi déférée

Saisi de l’article 80 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire qui dispose : « Au plus tard le 1er janvier 2022, il est mis fin à l’apposition d’étiquettes directement sur les fruits ou les légumes, à l’exception des étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en tout ou partie de matières biosourcées », le Conseil constitutionnel juge qu'il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires, l’interdiction de mettre en vente en France des fruits et légumes sur lesquels sont apposées des étiquettes non compostables.

2023-1055 QPC, 16 juin 2023, paragr. 8