Conseil d'Etat

Décision du 27 janvier 2023 n° 466225

27/01/2023

Renvoi partiel

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 novembre 2022 et 4 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'ordonnance n° 2022-839 du 1er juin 2022 relative aux agents de l'Office national des forêts, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions, d'une part, du 1° du I de l'article 79 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique et, d'autre part, des articles L. 161-4, L. 161-7, L. 161-8, L. 161-10, L. 161-12, L. 174-9, L. 222-6 et L. 363-4 du code forestier, des articles L. 216-3, L. 231-5, L. 341-20, L. 362-5, L. 415-1, L. 428-20, L. 437-1 et L. 541-44 du code de l'environnement et de l'article L. 1324-1 du code de la santé publique, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 1er juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 38, 61-1 et 66 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'environnement ;

- le code forestier ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,

- les conclusions de M. A B de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat du Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 janvier 2023, présentée par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Les dispositions du 1° du I de l'article 79 de la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique ont autorisé le Gouvernement, pendant dix-huit mois, à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour " modifier les dispositions du code forestier relatives à l'Office national des forêts afin d'élargir les possibilités de recrutement d'agents contractuels de droit privé et de leur permettre de concourir à l'exercice de l'ensemble des missions confiées à l'office, y compris la constatation de certaines infractions et à l'exclusion de leur recherche, par certains d'entre eux commissionnés et assermentés à cet effet ".

3. Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement a pris l'ordonnance du 1er juin 2022 relative aux agents de l'Office national des forêts, qui modifie diverses dispositions du code forestier, du code de l'environnement et du code de la santé publique concernant les missions des agents de cet établissement. Un projet de loi de ratification de cette ordonnance, laquelle n'a pas été ratifiée à la date de la présente décision, a été déposé au Sénat le 20 juillet 2022. Le délai d'habilitation fixé par les dispositions citées au point 2, qui était de dix-huit mois à compter de la publication de la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique, est expiré à la date de la présente décision.

4. La question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel est dirigée contre les dispositions du 1° du I de l'article 79 de la loi du 7 décembre 2020 mentionnées au point 2 et contre différentes dispositions issues de l'ordonnance du 1er juin 2022.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre les dispositions du 1° du I de l'article 79 de la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique :

5. Le Conseil constitutionnel ne saurait être saisi, sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, que de griefs tirés de ce que les dispositions d'une loi d'habilitation portent atteinte, par elles-mêmes ou par les conséquences qui en découlent nécessairement, aux droits et libertés que la Constitution garantit.

6. En se bornant à habiliter le Gouvernement à modifier les dispositions du code forestier relatives à l'Office national des forêts afin d'élargir les possibilités de recrutement d'agents contractuels de droit privé et de leur permettre de concourir à l'exercice de l'ensemble des missions confiées à l'office, y compris la constatation de certaines infractions et à l'exclusion de leur recherche, par certains d'entre eux commissionnés et assermentés à cet effet, les dispositions contestées de la loi du 7 décembre 2020 ne portent pas atteinte, par elles-mêmes ou par les conséquences qui en découlent nécessairement, aux droits et libertés que la Constitution garantit. Par suite, la question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre ces dispositions, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre diverses dispositions du code forestier, du code de l'environnement et du code de la santé publique dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 1er juin 2022 relative aux agents de l'Office national des forêts :

7. Eu égard aux griefs soulevés par le syndicat requérant, la question prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme dirigée contre les dispositions suivantes du code forestier, du code de l'environnement et du code de la santé publique, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 1er juin 2022, qui sont relatives aux missions confiées aux agents de droit privé de l'Office national des forêts :

- le II de l'article L. 161-4 du code forestier ;

- la dernière phrase du second alinéa de l'article L. 161-7 du même code ;

- les mots : " et ceux habilités à les constater, sans les rechercher, " au II de l'article L. 161-8 du même code ;

- les mots : " et les agents de l'Office national des forêts habilités à constater, sans les rechercher, des infractions " à l'article L. 161-10 du même code ;

- les mots : " et au II " au premier alinéa de l'article L. 161-12 du même code ;

- à l'article L. 174-9 du même code, la seconde phrase de l'article L. 161-7 dans sa rédaction applicable à La Réunion ;

- le 2° de l'article L. 222-6 du même code ;

- les mots : " ou au II " au premier alinéa de l'article L. 363-4 du même code ;

- les mots : " et, pour leur seule constatation, les agents mentionnés au II du même article, " au 2° des articles L. 216-3, L. 341-20, L. 362-5, L. 415-1, L. 428-20 et L. 437-1, au 3° de l'article L. 231-5 et au 6° de l'article L. 541-44 du code de l'environnement ;

- la dernière phrase du 2° de l'article L. 1324-1 du code de la santé publique.

8. Les dispositions citées au point 7 sont applicables au litige et relèvent du domaine de la loi. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le grief tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment à l'article 66 de la Constitution au regard de l'étendue des pouvoirs de police judiciaire conférés aux agents de droit privé de l'Office national des forêts et des modalités de leur contrôle par l'autorité judiciaire, soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre ces dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel dirigée contre les dispositions du 1° du I de l'article 79 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique.

Article 2 : La question de la conformité à la Constitution des dispositions citées au point 7 de la présente décision, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2022-839 du 1er juin 2022 relative aux agents de l'Office national des forêts, est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 3 : Il est sursis à statuer sur la requête de Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel, à la Première ministre, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera adressée au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à l'Office national des forêts.

Code publication

C