La QPC devant le premier juge du filtre (13)

12/12/2022

L’expression "premier juge d’une QPC" désigne le juge en charge du litige à l’occasion duquel une QPC est déposée. Lorsqu’un juge est saisi d’une QPC, son rôle n’est pas de trancher au fond cette question (cela est de la seule compétence du Conseil constitutionnel), mais seulement d’examiner si sont bien réunies les conditions légales de sa transmission à la cour suprême dont il relève (selon le cas, le Conseil d’État ou le Cour de cassation). C’est ce qu’on appelle le premier "filtre" de la QPC.

Ces conditions légales sont des conditions de forme et des conditions de fond.

Bien entendu, lorsque le premier juge saisi d’une QPC est le Conseil d’État ou la Cour de cassation eux-mêmes, son rôle de filtre est différent : "La QPC devant le Conseil d’État et la Cour de cassation".

 

Quelles sont les conditions de forme à respecter pour déposer une QPC devant le juge de son litige ?

La QPC doit être posée par écrit, dans un mémoire distinct et motivé.

Le caractère distinct du mémoire permet d’isoler la QPC du reste de la procédure juridictionnelle à l’occasion de laquelle cette QPC est posée, ce qui facilite son traitement rapide et prioritaire.

L’exigence de motivation du mémoire permet au juge saisi d’une QPC d’exercer son rôle de filtre, notamment d’apprécier le caractère sérieux de la question posée. Le requérant doit donc indiquer en quoi la disposition législative qu’il conteste est, selon lui, contraire à un droit ou à une liberté garantis par la Constitution.

 

Quelles sont les conditions de fond examinées par le premier juge pour transmettre la QPC à sa cour suprême ?

Ces conditions sont au nombre de 4 :

  • 1) Le juge s’assure tout d’abord que la disposition contestée par la QPC est bien une disposition législative dont le Conseil constitutionnel peut connaître.
    Plus de précisions sur cette condition : "Quelles dispositions législatives peuvent être contestées par une QPC ?".
     
  • 2) Le juge s’assure ensuite soit que la disposition législative contestée par la QPC est applicable au litige ou à la procédure dont il a à connaître, soit qu’elle constitue le fondement des poursuites dont il est saisi. Cette condition évite qu’une QPC soit posée "hors sol", indépendamment d’un litige dont elle pourrait déterminer la solution. Plus de précisions sur cette condition : "Qu’est-ce qu’une disposition applicable au litige ou à la procédure ou qui constitue le fondement des poursuites ?".
     
  • 3) Le juge vérifie ensuite que la disposition législative contestée par la QPC n’a pas déjà fait l’objet par le Conseil constitutionnel d’une précédente déclaration de conformité à la Constitution ou, si c’est le cas, qu’un changement dans les circonstances de droit ou de fait intervenu depuis cette déclaration de conformité, peut justifier que la question de sa constitutionnalité soit à nouveau posée.
    Plus de précisions sur cette condition  "Qu’est-ce qu’une disposition qui n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution ?".
     
  • 4) Enfin, le juge examine si la QPC n’est pas "dépourvue de caractère sérieux". Ceci signifie que l’interrogation sur la constitutionnalité de la disposition législative ne doit pas être fantaisiste, dilatoire ou manifestement infondée. Cette condition, "négative" (non dépourvue) est moins exigeante que celle applicable devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation auxquels une QPC est renvoyée puisqu’il leur appartient de s’assurer que la QPC présente un caractère sérieux, ce qui constitue une condition "positive".

 

Quelle décision rend le premier juge ?

S’il estime que les conditions de fond et de forme de la QPC sont réunies, le premier juge décide sa transmission à la cour supérieure dont il dépend : le Conseil d’État pour les juridictions administratives, la Cour de cassation pour les juridictions judiciaires.

Si, en revanche, une de ces conditions manque, il refuse la transmission.

Dans les deux cas, sa décision est motivée. Elle doit être rendue "sans délai", c’est-à-dire le plus rapidement possible.

 

Que se passe-t-il après la décision du premier juge ?

Si le juge décide de ne pas transmettre la QPC au Conseil d’État ou à la Cour de cassation, le procès reprend son cours normal et la disposition législative visée par la QPC peut y être appliquée.

En revanche, s’il décide la transmission de la QPC, celle-ci est adressée, dans les 8 jours de son prononcé, au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. Sont joints à cet envoi les mémoires ou les conclusions des parties à la QPC.

La transmission de la QPC a un effet important sur le procès en cours. Il est en principe suspendu : la juridiction sursoit à statuer, c’est-à-dire suspend ses travaux, dans l’attente de la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation puis, s’il en est saisi, du Conseil constitutionnel.

Toutefois, il existe des exceptions à cette règle de suspension du procès en cours. En particulier, l’instance principale continue à se dérouler (parallèlement donc à la procédure QPC) lorsqu’une personne est privée de liberté à raison de cette instance ou lorsque cette instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté. En outre, la juridiction peut statuer sans attendre l’issue de la procédure QPC dans deux cas : lorsque la loi ou le règlement lui impose, dans certains contentieux, de se prononcer dans un délai déterminé ou en urgence ; lorsque le sursis à statuer risquerait d’entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d’une partie.

Dans le cas où, du fait de ces exceptions au sursis à statuer, une décision définitive a été rendue dans le cadre du procès initial sans attendre que le Conseil constitutionnel se soit prononcé sur la QPC, le justiciable peut introduire une nouvelle instance devant le juge administratif ou judiciaire afin qu’il puisse être tenu compte de la décision du Conseil constitutionnel.

 

Quels sont les recours contre la décision du premier juge de transmettre ou de refuser de transmettre la QPC ?

La décision de transmettre la QPC au Conseil d’État ou à la Cour de cassation n’est susceptible d’aucun recours. L’adversaire de l’auteur de la QPC ne peut donc s’opposer à cette transmission.

En revanche, le refus de transmettre la QPC peut être contesté, mais seulement à l’occasion d’un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige préexistant à la QPC. Il n’est donc pas possible, tant que le premier juge n’a pas statué sur ce litige, de contester ce refus. Il faut attendre la décision du juge sur ce litige et déposer un recours contre elle (par exemple, faire appel de cette décision) pour avoir l’opportunité, à cette occasion, de contester son refus de transmettre la QPC.