Conseil constitutionnel

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Commentaire de la décision 2023-1052 QPC

13/06/2023

Conformité - réserve

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 7 avril 2023 par le Conseil d’État (décision n° 467467 du même jour) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Frédéric L. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 2143–6 du code de la santé publique (CSP), dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.

 

Dans sa décision n° 2023-1052 QPC du 9 juin 2023, le Conseil constitutionnel a, sous une réserve d’interprétation, déclaré conforme à la Constitution la première phrase du 6° de l’article L. 2143–6 du code de la santé publique, dans cette rédaction.

 

I. – Les dispositions contestées

 

A. – Historique et objet des dispositions contestées

 

1. – Le principe d’anonymat des tiers donneurs de gamètes ou d’embryons dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation

 

L’assistance médicale à la procréation (AMP) s’est dans un premier temps développée sans autre encadrement juridique que les dispositions réglementaires relatives au contrôle de l’activité des praticiens organisé dans les années 1970 sous forme de centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS)1.

 

Ce sont les premières lois de bioéthique du 29 juillet 19942 qui ont reconnu l’AMP3 et fixé les principes fondamentaux en encadrant la pratique, au nombre desquels figure la règle de l’anonymat des donneurs et receveurs.

 

* Le don de gamètes et d’embryons a d’abord été soumis, comme tous les éléments et produits du corps humain, aux dispositions d’ordre public, prévues dans des termes voisins aux articles 16-8 du code civil et L. 1211-5 du code de la santé publique4, selon lesquelles, d’une part, « Aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée »5 et, d’autre part, « Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur et le receveur celle du donneur ».

 

Le principe de l’anonymat du donneur et du receveur a été conçu comme le corollaire des principes de gratuité6 et de non-patrimonialité des éléments et produits du corps humain7, également inscrits dans le code civil en 1994. Il vise à assurer le caractère altruiste et volontaire du don, en permettant d’écarter les risques de pression sur le donneur et de lutter contre le trafic de gamètes, par ailleurs pénalement réprimés8.

 

En matière de dons de gamètes et d’embryons, la protection de l’anonymat du donneur et du receveur répond également à des motifs spécifiques au regard de la particularité de ces dons, qui ne concernent pas uniquement le donneur et le receveur. Ces dons étaient par ailleurs initialement conçus comme ceux d’un couple fertile à un couple infertile9

 

En consacrant le principe d’anonymat, le législateur entendait à la fois protéger le choix de la famille légale de révéler ou non l’origine de la conception de l’enfant, préserver le donneur de toute reconnaissance ou recherche en paternité et préserver l’intérêt de l’enfant. Selon les termes du rapporteur de la commission spéciale chargée de l’examen du premier projet de loi relatif à la bioéthique à l’Assemblée nationale, M. Bernard Bioulac, l’anonymat correspondait à « la moins mauvaise des solutions » et visait à éviter de « créer une névrose de choix d’identité, l’enfant étant écartelé entre un père biologique et un père social »10.

 

* Si le principe d’anonymat a initialement été pensé comme absolu à l’égard du couple infertile et de l’enfant11, il connaît, depuis les premières lois de bioéthique, un tempérament à l’égard du corps médical en cas de nécessité thérapeutique. 

 

Le second alinéa de l’article 16-8 du code civil dispose en ce sens qu’« En cas de nécessité thérapeutique, seuls les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès aux informations permettant l’identification de ceux-ci »12.

 

Traduisant cette dérogation, l’article L. 1244-6 du CSP a prévu qu’un médecin peut accéder aux informations médicales non identifiantes (telles que les caractéristiques physiques du donneur, sa situation familiale et professionnelle, son pays de naissance et son âge au moment du don), en cas de nécessité médicale, au bénéfice d’une personne conçue à partir de gamètes issus d’un don ou au bénéfice d’un donneur de gamètes.

 

Dans un avis contentieux du 13 juin 2013, le Conseil d’État a jugé que le régime législatif organisant ainsi l’anonymat du donneur de gamètes était compatible avec l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH), eu égard notamment à la marge d’appréciation que ces stipulations réservent au législateur national, s’agissant des règles d’accès aux données non identifiantes de nature médicale13 comme de l’interdiction de la divulgation de toute information sur les données identifiantes14. Il a par la suite confirmé cette position dans une décision du 12 novembre 2015, approuvant le refus d’accueillir une demande de levée d’anonymat d’un don de gamètes ayant présidé à la naissance de la requérante, qui souhaitait s’assurer qu’elle n’était pas issue des mêmes gamètes que son mari lui-même issu d’un autre don, tout en interprétant la condition de « nécessité thérapeutique » comme permettant au médecin d’accéder aux informations médicales non identifiantes afin notamment de prévenir un risque de consanguinité15.

 

Lors de la deuxième révision des lois de bioéthique, opérée par la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011, le législateur a ajouté un autre motif de dérogation à l’interdiction de communiquer toute information sur le donneur et sur le receveur, afin de permettre, en cas de diagnostic d’une anomalie génétique grave dont les conséquences sont susceptibles de mesures de prévention ou de soins chez un donneur de gamètes ayant abouti à la conception d’un ou plusieurs enfants ou chez l’un des membres d’un couple ayant effectué un don d’embryon, au médecin prescripteur, avec l’accord de l’intéressé, de saisir le centre d’assistance médicale à la procréation pour qu’il en informe les personnes issues du don ou leurs parents16.

 

* Si le principe d’anonymat a été maintenu et réaffirmé par le législateur à l’occasion des deux premières révisions des lois de bioéthique opérées en 200417 et 2011, l’exclusion de toute possibilité pour les personnes nées d’une AMP avec tiers donneur d’accéder aux informations sur leurs origines biologiques, a donné lieu à un contentieux et à des débats grandissants.

 

Des associations ont notamment été créées pour revendiquer la reconnaissance d’un droit d’accès aux origines et certaines personnes nées d’un don ont demandé la levée de l’anonymat du donneur à l’origine de leur naissance devant la Commission d’accès aux documents administratifs, puis devant les juridictions administratives18 et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

 

Les décisions rendues dans ces affaires ont été l’occasion de souligner les limites  du cadre juridique applicable au don de gamètes et d’embryons, initialement aligné sur celui applicable au don d’organes19, tandis que des études de sociologie et de psychologie ont fait état des troubles vécus par les personnes issus d’AMP20. Dans son étude parue en 2009 sur la révision des lois de bioéthique, le Conseil d’État affirmait, à ce sujet, que « cette demande [d’accès à leurs origines biologiques] se double de recherches de sociologues ou de psychologues montrant que l’application radicale du principe d’anonymat édicté en 1994 comporte à long terme des effets préjudiciables à l’enfant, essentiellement parce que ce dernier est privé d’une dimension de son histoire »21.

 

Le Conseil d’État s’était alors interrogé sur la proportionnalité de l’atteinte que porte l’anonymat au droit à la connaissance des origines au regard de la « préoccupation plus fondamentale de l’intérêt de l’enfant »22 et proposait, en conséquence, la mise en place progressive d’un système combinant le maintien de l’anonymat et un droit d’accès aux informations sur le donneur pour les personnes nées par AMP avec tiers donneur, sur le modèle du système de réversibilité du secret institué par la loi du 22 janvier 2002 en faveur de la mère accouchant sous X23.

 

Cette proposition du Conseil d’État avait été reprise dans le projet de loi procédant à la deuxième révision des lois de bioéthique déposé en 2010, mais avait été écartée en première lecture à l’Assemblée nationale, puis au Sénat, en raison principalement de « la crainte d’une confusion entre filiation biologique et filiation par le droit et l’éducation ; la crainte d’une baisse du nombre de donneurs ; la crainte que les parents n’informent pas, ou plus, l’enfant des circonstances de sa conception », selon les mots du rapporteur de la commission des affaires sociales du Sénat24.

 

Le Conseil d’État a, par la suite, jugé à plusieurs reprises le principe d’anonymat conforme aux exigences conventionnelles du droit au respect de la vie privée et familiale25.

 

2. – La reconnaissance d’un droit d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur par la loi du 2 août 2021

 

Les travaux préparatoires à la troisième révision des lois de bioéthique, engagée en 2019, ont conduit à revenir sur la pertinence de l’anonymat absolu, notamment au regard de l’évolution des modèles familiaux, des législations des pays voisins26, et du développement des tests génétiques27.

 

Il ressort en particulier de l’étude d’impact jointe au projet de loi que le souci de maintenir l’unité de la famille légale, en laissant aux seuls parents ayant eu recours à l’AMP la faculté de révéler à leur enfant les circonstances de sa naissance, a été remis en cause à la lumière de « la diversification des modèles familiaux [qui] tend à banaliser la dissociation entre filiation juridique et biologique et atténue aujourd’hui la dimension potentiellement déstabilisante de la revendication de l’accès aux origines »28. De la même façon, il a été admis que la revendication d’accès aux origines personnelles était bien distincte d’une quelconque demande d’établir un lien de filiation, laquelle a été exclue du débat sur l’accès aux origines29.

 

Au regard de ces éléments, la mission d’information de la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale sur la révision de la loi relative à la bioéthique concluait que « le temps semble venu de permettre une levée de l’anonymat, dans des conditions encadrées, à l’initiative des personnes issues d’AMP, pour leur permettre d’accéder à la totalité de leur histoire »30.

 

* Sans revenir sur le principe d’anonymat entre donneurs et receveurs31, la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 a reconnu le droit pour la personne majeure née d’une AMP avec tiers donneur d’accéder, à sa majorité, à des données non identifiantes ou à l’identité du tiers donneur.

 

Ce droit figure désormais aux articles 16–8–1 du code civil et L. 2143–2 du CSP.

 

Le premier de ces articles énonce, en son second alinéa, que « Le principe d’anonymat du don ne fait pas obstacle à l’accès de la personne majeure née d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, sur sa demande, à des données non identifiantes ou à l’identité du tiers donneur, dans les conditions prévues au chapitre III du titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique ».

 

Le premier alinéa de l’article L. 2143-2 du CSP affirme, quant à lui, que « Toute personne conçue par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur peut, si elle le souhaite, accéder à sa majorité à l’identité et aux données non identifiantes du tiers donneur définies à l’article L. 2143-332 ».

 

Son deuxième alinéa précise, à l’attention des tiers donneurs, que « Les personnes qui souhaitent procéder à un don de gamètes ou proposer leur embryon à l’accueil consentent expressément et au préalable à la communication de ces données et de leur identité, dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article. En cas de refus, ces personnes ne peuvent procéder à ce don ou proposer cet accueil ».

 

En conditionnant ainsi le don de gamètes ou d’embryons au consentement préalable et irrévocable du tiers donneur à l’accès possible, à la majorité de l’enfant, à ses données non identifiantes comme à son identité, le législateur a fait le choix de retenir une solution qui vise à « placer tous les enfants issus de don sur un pied d’égalité »33 au regard d’une telle faculté d’accès qui dépendra donc de leur seule initiative – et non, comme l’avaient initialement envisagé le Conseil d’État et le Sénat, de l’accord exprès du donneur lors de la demande d’accès à son identité34.

 

Le consentement du tiers donneur est recueilli par écrit et peut être révoqué à tout moment jusqu’à l’utilisation des gamètes35.

 

* Pour accueillir et traiter les demandes d’accès aux origines des personnes nées d’une AMP avec tiers donneur, l’article L. 2143-6 du CSP a institué une commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur (dénommée « CAPADD » depuis le décret n° 2022-1187 du 25 août 2022 pris en application de l’article 5 de la loi du 2 août 202136).

 

Cette commission, placée auprès du ministre chargé de la santé, est présidée par un magistrat de l’ordre judiciaire et composée d’un magistrat administratif et de quatorze personnalités37.

 

Elle constitue l’interlocuteur nécessaire de toute personne qui, à sa majorité, souhaite accéder aux données non identifiantes relatives au tiers donneur ou à l’identité du tiers donneur38.

 

* Conformément au A du paragraphe VIII de l’article 5 de la loi du 2 août 2021, le droit d’accès aux données non identifiantes et à l’identité s’applique, sous cette forme nouvelle, uniquement aux personnes conçues par AMP à compter de la date prévue par le décret du 25 août 2022 précité, laquelle a été fixée au 1er septembre 2022.

 

Ce même article a par ailleurs mis en place un régime permettant aux enfants nés de dons réalisés avant cette date de présenter, à défaut de droit d’accès direct à l’identité et aux données non identifiantes du tiers donneur, une demande tendant à obtenir un tel accès avec le consentement de l’intéressé.

 

3. – La possibilité d’une demande d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur ouverte aux personnes majeures issues d’AMP réalisées sous l’empire de la législation antérieure (les dispositions objet de la décision commentée)

 

* La reconnaissance d’un droit « inconditionnel »39 pour les personnes majeures issues d’une AMP d’accéder à l’identité du tiers donneur posait nécessairement la question de son applicabilité aux personnes nées de dons effectués avant l’entrée en vigueur du nouveau dispositif, pour lesquelles une telle perspective était catégoriquement exclue par la loi40

 

Le projet de loi à l’origine des dispositions contestées prévoyait la possibilité, pour les tiers donneurs ayant effectué un don sous l’empire de la législation antérieure, de manifester auprès de la commission ad hoc leur consentement à la communication de leurs données non identifiantes et de leur identité en cas de demande émanant d’une personne née de ce don. Cette possibilité a été inscrite au 5° de l’article L. 2143-6 du CSP.

 

Corrélativement, il prévoyait, pour les personnes majeures nées des dons des « anciens » donneurs, la possibilité de se manifester auprès de la commission en vue de demander l’accès aux données non identifiantes du tiers donneur et, le cas échéant, à l’identité de ce tiers donneur. Cette demande d’accès était toutefois conditionnée au constat que le tiers donneur s’était préalablement manifesté en ce sens auprès de la commission.

 

Le Conseil d’État, qui avait souligné dans son étude sur la troisième révision de la loi relative à la bioéthique qu’« il n’est constitutionnellement envisageable de porter une atteinte aux situations nées antérieurement que si la révélation de l’identité du donneur est subordonnée à son consentement exprès »41, a estimé, dans son avis sur le projet de loi, que le dispositif ainsi proposé préservait le droit au respect de la vie privée des anciens donneurs, tout en ménageant une possibilité pour les enfants issus de leurs dons de connaître leurs origines et en a conclu que l’équilibre ainsi atteint ne soulevait pas de difficulté juridique42.

 

Lors de l’examen en commission du projet de loi, la rapporteure Mme Coralie Dubost a proposé de prévoir que l’accord des anciens donneurs à la communication de leurs données puisse être sollicité par la commission directement à la demande d’une personne conçue par AMP, sans attendre donc que le tiers donneur se manifeste spontanément43.

 

Si le Gouvernement s’est opposé à cette initiative, au nom du respect du « contrat moral » conclu entre l’État et les donneurs au moment de leur don44, celle-ci a été réintroduite en première lecture au Sénat, à l’initiative du président et de l’une des rapporteures de la commission spéciale45, puis approuvée lors de l’adoption du texte dans ses différentes lectures, au 6° de l’article L. 2143-646.

 

Le 6° de l’article L. 2143-6 du CSP prévoit ainsi que la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur est chargée « de contacter les tiers donneurs qui n’étaient pas soumis aux dispositions du présent chapitre au moment de leur don, lorsqu’elle est saisie de demandes au titre de l’article L. 2143-5, afin de solliciter et de recueillir leur consentement à la communication de leurs données non identifiantes et de leur identité ainsi qu’à la transmission de ces données à l’Agence de la biomédecine … ».

 

Il résulte des termes même de ce texte que la mission confiée à la CAPADD pour la sollicitation et le recueil du consentement des anciens donneurs à la communication de leurs données est conditionnée à la demande faite en ce sens par la personne née du don47.

 

Le texte ajoute que, pour assurer cette mission, la commission peut consulter le répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP) et le répertoire national inter-régimes des bénéficiaires de l’assurance maladie (RNIAM)48.

 

* Les modalités de prise de contact avec les anciens donneurs ont été précisées par le décret du 25 août 2022 précité.

 

En application de l’article R. 2143-7 du CSP, les tiers donneurs relevant de la législation antérieure peuvent, à tout moment, prendre l’initiative de s’adresser à la CAPADD, afin de consentir auprès de celle-ci à la communication de leur identité et de leurs données non identifiantes.

 

Ils peuvent également exprimer ce consentement auprès de la commission lorsque celle-ci les contacte après avoir été saisie d’une demande d’accès à leurs données d’identité ou non identifiantes.

 

Le tiers donneur est informé que son consentement, qui est recueilli au moyen d’un formulaire, vaut pour l’ensemble des demandes d’accès formulées par les personnes majeures conçues à partir de ses gamètes ou embryons et qu’il n’est pas révocable49.

 

L’article R. 2143-8 du même code prévoit par ailleurs que les tiers donneurs qui font part à la commission de leur refus de consentir à la communication de leurs données d’identité et de leurs données non identifiantes ou qui ne répondent pas à la sollicitation de la commission « gardent la possibilité d’y consentir ultérieurement en s’adressant à celle-ci ».

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

M. Frédéric L. avait saisi le Conseil d’État d’un recours en annulation partielle du décret n° 2022–1187 du 25 août 2022, pris en application de l’article 5 de la loi du 2 août 2021 précitée.

 

À l’occasion de ce recours, il avait soulevé une QPC portant sur l’article L. 2143–6 du code de la santé publique, issu de cette loi.

 

Dans sa décision précitée du 7 avril 2023, le Conseil d’État avait jugé que « Le moyen tiré de ce [que ces dispositions] portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale, en prévoyant que la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’accès à ses origines par l’enfant né d’un don, puisse contacter les tiers donneurs ayant réalisé un don avant l’entrée en vigueur de la loi, à une époque où leur anonymat était garanti vis-à-vis de l’enfant né du don, afin de solliciter et de recueillir leur consentement à la communication de leurs données non identifiantes et de leur identité, soulève une question nouvelle au sens de l’article 23–5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 ». Il avait donc renvoyé cette question au Conseil constitutionnel.

 

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions renvoyées

 

* Le requérant reprochait aux dispositions renvoyées de prévoir qu’un tiers donneur, ayant effectué un don de gamètes ou d’embryons à une époque où la loi garantissait son anonymat, peut être contacté par la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur afin de recueillir son consentement à la communication de ces données, sans lui permettre de refuser préventivement d’être contacté ni garantir qu’il ne soit pas exposé à des demandes répétées. Il en résultait selon lui une méconnaissance du droit au respect de la vie privée.

 

Au regard de ces griefs, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait uniquement sur la première phrase du 6° de l’article L. 2143-6 du CSP (paragr. 3).

 

* Par ailleurs, les parties avaient été avisées que le Conseil constitutionnel était susceptible de relever d’office le grief tiré de ce que, en remettant en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire de textes antérieurs, ces dispositions méconnaissaient la garantie des droits découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (paragr. 4).

 

A. – Le grief tiré de la méconnaissance de la garantie des droits

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle

 

* Aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

 

De cette disposition, le Conseil a tiré un principe de garantie des droits sur le fondement duquel il protège à la fois les situations légalement acquises et les effets qui peuvent être légitimement attendus des situations légalement acquises. Ce principe est désormais formulé de la façon suivante : « Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire de textes antérieurs »50.

 

Ainsi, depuis sa décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, le Conseil considère que les situations légalement acquises doivent être protégées, sauf s’il est justifié d’un motif d’intérêt général suffisant51. Cette jurisprudence a ensuite évolué, le Conseil faisant également porter son contrôle sur les effets qui peuvent être légitimement attendus des situations légalement acquises52.

 

Cette jurisprudence a particulièrement trouvé à s’appliquer dans le domaine fiscal53. Mais elle a également prospéré en dehors de ce domaine.

 

Le contrôle opéré par le Conseil constitutionnel en la matière s’applique, tout d’abord, à caractériser l’existence ou non de l’une des deux situations visées et, dans l’affirmative, à établir si l’atteinte ainsi portée aux intérêts lésés est justifiée par un motif d’intérêt général suffisant.

 

* Une atteinte à une situation légalement acquise est constituée lorsque la loi nouvelle s’applique à des situations juridiques constituées avant son entrée en vigueur. Il s’agit donc d’un contrôle de la rétroactivité de la loi54.

 

Il en va ainsi, par exemple, de la réduction rétroactive de la durée pour laquelle une autorisation d’émettre a été accordée55.

 

À l’inverse, des dispositions qui ne jouent que pour l’avenir ne sauraient porter atteinte à une situation légalement acquise56. Ainsi, la modification des conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de sa nationalité, qui ne vaut que pour l’avenir, ne porte pas atteinte à une situation légalement acquise57. Il en va de même de la création d’une nouvelle faculté de résiliation, en ce qu’elle s’applique aux contrats conclus après son entrée en vigueur58.

 

De la même manière, pour que l’atteinte à une situation légalement acquise puisse être établie, il faut qu’un droit ait pu valablement se constituer. Le Conseil a par exemple jugé que l’inaliénabilité du domaine public interdisant la constitution d’un tel droit sur un bien en relevant, aucune prescription acquisitive n’est invocable et aucune situation légalement acquise ne peut en découler59.

 

* La remise en cause des effets qui pouvaient être légitimement attendus de situation nées sous l’empire de textes antérieurs se distingue du cas précédent en ce que le contrôle du Conseil constitutionnel ne s’attache pas au caractère rétroactif de la mesure mais à la possibilité que la loi ait déjoué des attentes légitimes que les justiciables avaient pu former à partir de la situation légale dans laquelle ils étaient placés, sans que cette situation soit elle-même remise en cause. Ce sont donc les conséquences futures de la loi sur l’anticipation légitime formée à partir d’une situation juridique née dans le passé qui sont examinées par le Conseil.

 

À cette fin, le Conseil constitutionnel s’assure tout d’abord de l’existence d’une telle situation juridique, puis du caractère légitime ou non de l’attente qu’elle a pu faire naître.

 

En l’absence d’une situation juridique initiale sur laquelle pourrait se fonder une attente légitime, le Conseil constitutionnel rejette le grief. Le Conseil a par exemple jugé, dans sa décision n° 2018-743 QPC du 26 octobre 2018, qu’aucune attente légitime ne peut résulter de la seule possession d’un bien, insusceptible d’évoluer en propriété juridique de ce bien60.

 

De la même manière, en l’absence de remise en cause des effets attendus, le grief est rejeté. Tel est le cas lorsque le législateur se borne à ouvrir une option entre le maintien du régime antérieur ou le basculement dans un nouveau régime : le justiciable peut donc choisir de continuer de bénéficier du régime antérieur, ce qui lui évite de voir sa situation remise en cause61.

 

En distinguant, dans sa formulation de principe, la situation légalement acquise en application du droit antérieur et la remise en cause, par la disposition législative contestée, des effets qui pouvaient être légitimement attendus d’une situation seulement née sous l’empire de ce droit, le Conseil constitutionnel vise le cas où une situation juridique n’a pas produit entièrement tous ses effets de droit62, ceux-ci étant encore en cours de réalisation ou susceptibles d’intervenir dans le futur. Il y a donc une dissociation temporelle entre la situation d’origine et celle escomptée à l’arrivée, la loi contestée intervenant entre ces deux moments.

 

Dans cette perspective, ce qui fonde le caractère légitime de l’attente, c’est la plus ou moins grande certitude juridique que les effets attendus découlent nécessairement de la situation initiale.

 

Les cas où le Conseil constitutionnel a reconnu une telle attente légitime ne sont pas nombreux. Hors de la matière fiscale où il a reconnu à deux occasions l’existence d’une attente légitime63, le Conseil n’a admis une telle attente que dans sa décision n° 2015-718 DC du 13 août 2015. Il s’agissait du cas des entreprises de production d’électricité nucléaire qui avaient reçu une autorisation de production d’électricité jusqu’à un certain plafond de gigawatt mais ne l’avaient pas encore atteint. Saisi d’une loi abaissant le plafond de capacité totale autorisée d’électricité nucléaire, le Conseil constitutionnel a relevé que « le total des capacités de production d’électricité d’origine nucléaire aujourd’hui utilisées s’élève à ce [nouveau] montant » et que, ce faisant, dans la mesure où « la somme des capacités de production utilisées et des capacités relatives à des installations ayant déjà fait l’objet d’une autorisation de création sans être encore mises en service excède ce plafond [d’un certain montant], […] il en résulte une atteinte aux effets qui peuvent légitimement être attendus de situations légalement acquises »64. Les entreprises en cause disposaient d’un droit, qu’elles n’avaient pas encore mis en œuvre et dont la portée risquait d’être réduite par la nouvelle loi.

 

En revanche, le Conseil constitutionnel a refusé de reconnaître cette qualité d’attente légitime à de nombreuses reprises.

 

Cela tient notamment au fait que le Conseil s’assure bien de la portée des attentes qu’une situation est susceptible d’engendrer. Ainsi, saisi d’une modification du dispositif « Jeune entreprise innovante » qui permettait à une entreprise qui investissait dans la recherche et recourait à certaines modalités de détention de son capital de bénéficier d’une exonération de cotisations chaque année pendant sept ans, le Conseil a estimé que, dans la mesure où le bénéfice de cette exonération n’est acquis que pour chaque période de décompte des cotisations au cours de laquelle ces conditions sont remplies, il ne pouvait en résulter d’attente légitime que le législateur ne modifierait pas les conditions de cette exonération pour l’avenir, y compris pour le temps restant à courir jusqu’à la septième et dernière année65.

 

De la même manière, ayant constaté qu’aucun effet libératoire n’était attaché par la loi à l’acquittement de la contribution sociale généralisée et de la contribution au remboursement de la dette sociale sur les revenus du patrimoine pour 2013, le Conseil a estimé que le législateur pouvait, sans remettre en cause les effets qui pouvaient être légitimement attendus de ces deux premières impositions, prévoir une nouvelle imposition de ces mêmes revenus au titre de revenus d’activités66.

 

Dans la décision n° 2017-685 QPC du 12 janvier 2018, le Conseil constitutionnel était confronté à un grief d’un requérant qui tirait du contexte économique des contrats d’assurance emprunteur un argument pour fonder l’attente légitime que les conditions de leur résiliation ne changent pas. En effet, la fédération bancaire française faisait valoir que les contrats d’assurance fonctionnent sur la base de la mutualisation des tarifs de risques et qu’il est donc nécessaire que, quelle que soit leur ancienneté, ces contrats répondent aux mêmes conditions juridiques. Toutefois, le Conseil a relevé qu’aucune disposition du droit antérieur à la loi contestée n’avait « fai[t] naître une attente légitime des établissements bancaires et des sociétés d’assurances proposant ces contrats quant à la pérennité des conditions de résiliation de ces derniers ». Au contraire, les évolutions successives apportées à ce droit par les lois précédentes avaient élargi les possibilités de résiliation de ces contrats par les assurés, rapprochant ainsi les règles qui leur sont applicables de celles communes aux contrats d’assurance. Elles avaient également élargi les possibilités de souscription de contrats alternatifs. Le Conseil a souligné que « la seule circonstance que ces établissements bancaires et les sociétés d’assurance aient choisi d’établir l’équilibre économique de leur activité à travers une mutualisation de ces contrats, en se fondant sur les conditions restrictives de résiliation alors en vigueur, n’a pas non plus pu faire naître une attente légitime à leur profit »67

 

Plus récemment, dans la décision n° 2020-871 QPC du 15 janvier 2021, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de se prononcer sur le caractère légitime ou non d’une attente formée en matière de prestation compensatoire. Le législateur avait décidé d’appliquer à certaines prestations compensatoires versées sous forme de rente viagère, sous l’empire de la loi de 1975, de nouvelles conditions de révision. Le Conseil constitutionnel a, d’une part, constaté qu’au moment de leur prononcé, ces rentes étaient déjà soumises à certaines conditions de révision, d’ordre public. D’autre part, il a relevé que « l’objet de la prestation compensatoire, qui a notamment une nature alimentaire, est de compenser, pour l’avenir, la disparité que la rupture du mariage crée dans leurs conditions de vie respectives. Son montant est fixé selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. Or cette prévision peut se trouver démentie par l’évolution ultérieure de la situation des époux et conduire à des déséquilibres contraires à l’objet de la prestation compensatoire, que l’édiction de règles de révision permet de corriger ». Il en a conclu que les justiciables ne pouvaient légitimement s’attendre à ce que ne s’appliquent pas à eux, pour l’avenir, les nouvelles règles de révision des prestations compensatoires destinées à remédier à de tels déséquilibres68.

 

Dans la décision n° 2020-880 QPC du 29 janvier 2021, il était reproché à la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, en ce qu’elle supprimait la révocation automatique des avantages matrimoniaux reçus en cas de divorce aux torts exclusifs de l’un des époux, de remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus des avantages matrimoniaux consentis sous l’empire du droit antérieur.

 

Le Conseil a d’abord observé que l’évolution légale de la révocation des avantages matrimoniaux ne remettait pas en cause leur objet, qui est d’organiser la vie commune pendant le mariage. Puis, il a relevé que les règles de révocation des avantages matrimoniaux relèvent du régime juridique attaché aux effets patrimoniaux du divorce et que les justiciables pouvaient donc s’attendre à ce qu’elles suivent les évolutions générales du droit du divorce. Il a, au demeurant, souligné que, même en l’état du droit antérieur, le sort des avantages matrimoniaux était marqué par des incertitudes tenant à l’initiative du divorce ou aux fondements sur lesquels il était prononcé. Enfin, il a constaté que les époux pouvaient fixer par convention les motifs et modalités de révocation de ces avantages.

 

Il en a déduit que les époux qui avaient consenti un avantage matrimonial sous l’empire du droit antérieur ne pouvaient légitimement s’attendre à ce que le régime matrimonial, au moment du divorce, obéissent aux anciennes conditions et échappent à l’application du droit nouveau69.

 

* Dans les cas où il constate qu’il est porté atteinte à une situation acquise ou que les effets légitimement attendus d’une situation juridique en cours ou à venir sont remis en cause, le Conseil constitutionnel examine si un motif d’intérêt général suffisant est susceptible de justifier cette atteinte ou cette remise en cause.

 

La seule volonté du législateur d’augmenter les recettes fiscales ne constitue pas nécessairement un motif d’intérêt général suffisant pour remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus d’une imposition à laquelle le législateur avait conféré un caractère libératoire70 ou de la conservation de titres ouvrant droit à des taux « historiques » de prélèvements sociaux71.

 

En revanche, le Conseil a jugé que constituent bien un tel motif d’intérêt général suffisant :

 

-  la promotion de la diversification des sources d’énergie et la réduction de la part d’électricité d’origine nucléaire, à propos d’une disposition législative réduisant des plafonds d’autorisation de production d’électricité nucléaire72 ;

 

- la volonté de mettre le droit national en conformité avec le droit européen et de favoriser la libre concurrence et la liberté d’entreprendre, à propos d’une loi supprimant le privilège professionnel des courtiers interprètes et conducteurs de navire73 ;

 

- la volonté de remédier aux difficultés de fonctionnement causées par l’abstention d’une part trop importante des membres d’une section de commune, à propos d’une disposition modifiant les règles relatives aux transferts des biens de ces sections74 ;

 

- la préservation du « milieu aquatique » et la protection de la sécurité et de la salubrité publiques, à propos de dispositions prévoyant la modification ou le retrait, sans indemnité, d’autorisations délivrées au titre de la police des eaux, en cas d’inondation, de menace pour la sécurité publique ou les milieux aquatiques ou d’abandon d’une installation75 ;

 

- la volonté de garantir l’effectivité et la pérennité de la couverture des salariés, tout en évitant une hausse brutale des cotisations versées par les autres souscripteurs, à propos d’une disposition imposant une indemnité de résiliation ou de non-renouvellement du contrat de prévoyance pendant la période transitoire76.

 

2. – L’application à l’espèce

 

* Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a commencé par examiner le grief, relevé d’office, tiré de la méconnaissance de la garantie des droits (paragr. 5), en rappelant sa formulation de principe en matière de protection des situations légalement acquises et des effets pouvant légitimement être attendus de situations juridiques nées sous l’empire d’une ancienne législation (paragr. 6).

 

La question posée ici était celle de savoir si le régime applicable antérieurement à la loi du 2 août 2021 aux dons de gamètes ou d’embryons, sous l’empire duquel de tels dons étaient soumis au principe de l’anonymat, avait pu faire naître chez les tiers donneurs une attente légitime susceptible d’être remise en cause par les dispositions contestées, en ce qu’elles reconnaissent à la personne issue du don une possibilité d’obtenir communication des données non identifiantes et de l’identité du tiers donneur.

 

* À cette aune, le Conseil a d’abord rappelé qu’avant la loi du 2 août 2021, « les articles 16-8 du code civil et L. 1211-5 du code de la santé publique faisaient obstacle à toute communication des informations permettant d’identifier le tiers donneur en cas d’assistance médicale à la procréation » (paragr. 7).

 

Il a ensuite constaté que l’article L. 2143-6 du code de la santé publique, créé par la loi du 2 août 2021, permet désormais aux personnes majeures nées d’un don de gamètes ou d’embryons, réalisé avant une date fixée par décret au 1er septembre 2022, d’adresser à la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur une demande d’accès à ces informations (paragr. 8).

 

S’attachant aux dispositions contestées, le Conseil a relevé qu’elles prévoient que, dans le cas où une telle demande lui est adressée, la commission contacte le tiers donneur afin de solliciter et de recueillir son consentement à la communication de ses données non identifiantes et de son identité (paragr. 9).

 

Le Conseil a alors observé que « Si ces dispositions permettent ainsi à la personne issue du don d’obtenir communication des données non identifiantes et de l’identité du tiers donneur, cette communication est subordonnée au consentement de ce dernier » (paragr. 10).

 

Le Conseil en a dès lors conclu que les dispositions contestées « ne remettent pas en cause la préservation de l’anonymat qui pouvait légitimement être attendue par le tiers donneur ayant effectué un don sous le régime antérieur à la loi du 2 août 2021 » (paragr. 11).

Il résulte en effet des termes mêmes du 6° de l’article L. 2143-6 du code de la santé publique que ces informations ne peuvent en aucun cas être communiquées sans le consentement du donneur. Ce faisant, le législateur a garanti aux anciens donneurs la protection de leur anonymat, nonobstant la possibilité reconnue à la personne issue d’un don d’en solliciter la levée.

 

Il a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration de 1789 (paragr. 12).

B. – Le grief tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle

 

* Le Conseil constitutionnel juge de manière constante que la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration de 1789 implique le droit au respect de la vie privée, dont il admet l’invocation en matière de QPC77.

 

Comme le soulignent régulièrement les commentaires de décisions du Conseil en la matière78, celui-ci retient une conception classique du droit au respect de la vie privée, entendu comme la sphère d’intimité de chacun. À ce titre, le Conseil a notamment admis qu’entrent dans ce champ :

– les données à caractère personnel faisant l’objet de traitements automatisés tels que les fichiers de police et de justice, le casier judiciaire, ou encore les traitements de données médicales79 ;

– les données de connexion80 ;

– les documents et informations couverts par le secret médical, fiscal et professionnel81 ;

– les informations utiles à l’accomplissement des missions des services de renseignement82.

 

* Lorsqu’il constate que les dispositions soumises à son examen sont susceptibles de porter atteinte au droit au respect de la vie privée, le Conseil constitutionnel se livre à un contrôle de conciliation d’autant plus vigilant que sont en cause des données particulièrement sensibles, telles que les données à caractère personnel de nature médicale83.

 

Selon sa formule de principe, il estime alors que, « Pour être conformes à la Constitution, les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et mises en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif »84.

 

Il a pu, à ce titre, reconnaître divers motifs d’intérêt général ou procéder à une conciliation du droit au respect de la vie privée avec des objectifs de valeur constitutionnelle. Par exemple :

 

dans sa décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999, le Conseil a jugé que le droit au respect de la vie privée des assurés sociaux, dont les informations nominatives à caractère médical pouvaient être transmises par les médecins prescripteurs d’arrêts de travail à l’assurance maladie, devait être concilié avec l’exigence de valeur constitutionnelle qui s’attache à l’équilibre financier de la sécurité sociale85 ;

 

– dans sa décision n° 2021-917 QPC du 11 juin 2021, saisi de dispositions qui autorisaient des services administratifs à se faire communiquer par des tiers les données médicales d’un agent sollicitant l’octroi d’un congé pour invalidité temporaire imputable au service, afin de s’assurer que l’agent public remplit les conditions fixées par la loi pour l’octroi de ce congé, le Conseil a rattaché le but poursuivi par l’instauration de ce droit de communication à l’objectif de valeur constitutionnelle de bon usage des deniers publics et admis qu’un tel objectif pouvait justifier un droit d’accès de l’administration à des données sensibles, sous réserve que ce droit soit assorti de garanties suffisantes86 ;

 

– dans sa décision n° 2021-828 DC du 9 novembre 2021, il a considéré que les dispositions permettant aux directeurs des établissements d’enseignement scolaire d’accéder à des informations médicales relatives aux élèves et de procéder à leur traitement à des fins de prévention des risques de propagation de l’épidémie de covid-19 poursuivaient l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé87.

 

Après avoir identifié le motif d’intérêt général ou l’objectif de valeur constitutionnelle susceptible de justifier l’atteinte au droit au respect de la vie privée, le Conseil s’assure que les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. 

 

* Jusqu’à la décision commentée, le Conseil n’avait pas été amené à examiner, sur le fondement spécifique du droit au respect de la vie privée, les dispositions du code de la santé publique relatives au régime applicable au don de gamètes ou d’embryons.

 

Si, lors de l’examen des premières lois de bioéthique, il avait été saisi des dispositions prévoyant la possibilité d’études sur les embryons conçus in vitro dans le cadre de l’AMP, les règles relatives à l’anonymat des dons de gamètes ou d’embryons étaient contestées au regard du droit à la protection de la santé de l’enfant. Il a jugé « qu’aucune disposition du Préambule de la Constitution de 1946 ne fait obstacle à ce que les conditions du développement de la famille soient assurées par des dons de gamètes ou d’embryons dans les conditions prévues par la loi » et que « l’interdiction de donner les moyens aux enfants ainsi conçus de connaître l’identité des donneurs ne saurait être regardée comme portant atteinte à la protection de la santé »88.

 

Dans cette même décision, le Conseil constitutionnel a également jugé conforme à la Constitution l'article 311-19 du code civil selon lequel, en cas d’AMP avec un tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l'auteur du don et l'enfant issu de la procréation, et aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l'encontre du donneur. Le Conseil a estimé « qu'aucune disposition ni aucun principe à valeur constitutionnelle ne prohibe les interdictions » ainsi prescrites par le législateur89.

 

* Par deux décisions plus récentes portant sur des dispositions applicables en matière de filiation et d’accouchement sous X, le Conseil a eu l’occasion de se prononcer sur la question de l’accès d’une personne à ses origines biologiques sous l’angle du droit au respect de la vie privée.

 

– Dans sa décision n° 2011-173 QPC du 30 septembre 2011, le Conseil était saisi des dispositions de l’article 16-11 du code civil relatives aux conditions de réalisation des expertises génétiques sur une personne décédée à des fins d’actions en matière de filiation.

 

Cet article énumère les cas dans lesquels l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques peut être recherchée. Son cinquième alinéa dispose qu’en matière civile, cette identification ne peut être recherchée qu’en exécution d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge saisi d’une action tendant soit à l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation, soit à l’obtention ou la suppression de subsides. Il précise en outre que le consentement de l’intéressé doit être préalablement et expressément recueilli. Aux termes de la dernière phrase de ce cinquième alinéa : « Sauf accord exprès de la personne manifesté de son vivant, aucune identification par empreintes génétiques ne peut être réalisée après sa mort ».

 

Les requérants soutenaient principalement que l’interdiction de recourir à l’identification par les empreintes génétiques sur une personne décédée, dans une procédure civile en matière de filiation, portait atteinte au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale.

 

Le Conseil a toutefois écarté ces griefs après avoir considéré « qu’en disposant que les personnes décédées sont présumées ne pas avoir consenti à une identification par empreintes génétiques, le législateur a entendu faire obstacle aux exhumations afin d’assurer le respect dû aux morts ; qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, du respect dû au corps humain ; que, par suite, les griefs tirés de la méconnaissance du respect dû à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale doivent être écartés »90.

 

– Dans sa décision n° 2012-248 QPC du 16 mai 2012, le Conseil était saisi des dispositions du code de l’action sociale et des familles relatives à l’accès aux origines personnelles des enfants nés sous X.

 

Le requérant soutenait qu’en autorisant l’accouchement sous X et en ne permettant la levée du secret de l’identité de la personne ayant accouché qu’avec son accord ou, en cas de décès, dans le seul cas où elle n’avait pas préalablement exprimé son opposition, les dispositions contestées méconnaissaient le droit au respect de la vie privée et de mener une vie familiale normale.

 

Se situant dans la droite ligne de la décision n° 2011-173 QPC précitée, le Conseil a écarté ce grief après avoir considéré « qu’en permettant à la mère de s’opposer à la révélation de son identité même après son décès, les dispositions contestées visent à assurer le respect de manière effective, à des fins de protection de la santé, de la volonté exprimée par celle-ci de préserver le secret de son admission et de son identité lors de l’accouchement tout en ménageant, dans la mesure du possible, par des mesures appropriées, l’accès de l’enfant à la connaissance de ses origines personnelles ; qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, de substituer son appréciation à celle du législateur sur l’équilibre ainsi défini entre les intérêts de la mère de naissance et ceux de l’enfant ; que les dispositions contestées n’ont pas privé de garanties légales les exigences constitutionnelles de protection de la santé ; qu’elles n’ont pas davantage porté atteinte au respect dû à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale »91.

 

Le commentaire de la décision souligne à cet égard que « le Conseil s’est référé simplement aux "intérêts de la mère de naissance et ceux de l’enfant" (cons. 8). En évoquant les "intérêts" et non les "droits", le Conseil constitutionnel a souligné que les dispositions relatives au droit de la femme d’accoucher sous X et celles relatives au droit de l’enfant de connaître ses origines personnelles ne résultent pas d’exigences constitutionnelles »

 

2. – L’application à l’espèce

 

* Après avoir rappelé les termes de l’article 2 de la Déclaration de 1789 qui en constitue le fondement, le Conseil a contrôlé les dispositions contestées au regard du droit au respect de la vie privée (paragr. 13).

 

S’attachant, en premier lieu, à déterminer la portée de l’atteinte à la vie privée résultant de ces dispositions, il a d’abord constaté qu’elles « se bornent à prévoir que le tiers donneur peut être contacté par la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur en vue de recueillir son consentement à la communication de ces informations » (paragr. 14).

 

Tout en relevant que ces dispositions n’ont pas pour objet de déterminer les conditions dans lesquelles est donné le consentement, le Conseil a ensuite précisé, par une réserve d’interprétation, qu’elles « ne sauraient avoir pour effet, en cas de refus, de soumettre le tiers donneur à des demandes répétées émanant d’une même personne » (même paragr.).

 

En second lieu, dans le prolongement de ses précédentes décisions où était également en cause la conciliation à opérer entre des intérêts privés susceptibles d’entrer en contradiction, notamment la décision n° 2012-248 QPC précitée, le Conseil a relevé que, « en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer le respect de la vie privée du donneur, tout en ménageant, dans la mesure du possible et par des mesures appropriées, l’accès de la personne issue du don à la connaissance de ses origines personnelles ». Le Conseil a souligné qu’il ne lui appartient pas « de substituer son appréciation à celle du législateur sur l’équilibre ainsi défini entre les intérêts du tiers donneur et ceux de la personne née d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur » (paragr. 15).

 

Sous la réserve précitée, visant à exclure que le tiers donneur puisse être l’objet de demandes répétées émanant d’une même personne, le Conseil a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée (paragr. 16).

 

Les dispositions contestées ne méconnaissant aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel les a donc déclarées, sous cette réserve, conformes à la Constitution (paragr. 17).

_______________________________________

1 Les deux premiers CECOS ont été fondés en 1973, en même temps que les deux premières banques françaises de sperme étaient créées à l’hôpital Necker et à l’hôpital Bicêtre à Paris, à l’initiative d’Albert Netter pour la première et de Georges David pour la seconde.

2 Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain et loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal. Quelques années auparavant, l’article 13 de la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 portant diverses dispositions d'ordre social avait aménagé un cadre spécifique pour réglementer les opérations de recueil, traitement, conservation et cession du sperme provenant de dons, tout en interdisant l’insémination de ce sperme.

3 De nos jours, l’article L. 2141-1 du CSP énonce que « L’assistance médicale à la procréation s'entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle ».

4 Qui a repris les dispositions de l’ancien article L. 665-14.

5 Le non-respect de cette interdiction est pénalement sanctionné (article 511-10 du code pénal, reproduit à l’article L. 1273-3 du CSP).

6 Selon l’article 16-6 du code civil, « Aucune rémunération ne peut être allouée à celui qui se prête à une expérimentation sur sa personne, au prélèvement d'éléments de son corps ou à la collecte de produits de celui-ci ».

7 Principe affirmé au dernier alinéa de l’article 16-1 et qui se prolonge à l’article 16-5 du même code, prévoyant la nullité des conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits.

8 Voir notamment les articles 511-9 et 511-13 du code pénal.

9 Afin d’élargir le champ des donneurs de gamètes, revenant sur la condition de couple pour effectuer un don de gamètes, la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique a posé comme seule condition que « le donneur doit avoir procréé ». Puis la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 a partiellement levé la condition de procréation préalable en prévoyant que le donneur n’ayant pas déjà procréé se voyait proposer le recueil et la conservation d’une partie de ses gamètes et tissus germinaux. La loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 a, enfin, supprimé la condition de procréation préalable et le mécanisme de conservation des gamètes.

10 Rapport n° 2871 (Assemblée nationale – Xe législature) fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de la loi relatif à la bioéthique et présenté par M. Bernard Bioulac, 30 juin 1992.

11 Conseil d’État, La révision des lois bioéthiques, coll. Les études du Conseil d’État, 9 avril 2009, p. 40.

12 Ces dispositions sont reprises en des termes proches par le second alinéa de l’article L. 1211-5 du CSP.

13 CE, 10e et 9e sous-sections réunies, 13 juin 2013, n° 362981, point 6 : « Par ces dispositions, le législateur a entendu assurer, au moyen tant de mesures de prévention que de soins, la protection de la santé des personnes issues d'un don de gamètes, tout en garantissant le respect des droits et libertés d'autrui. S'il est vrai qu'ainsi la plupart de ces données médicales ne sont accessibles qu'au médecin et non à la personne elle-même, la conciliation des intérêts en cause ainsi opérée et la différence de traitement entre le médecin et toute autre personne relèvent de la marge d'appréciation que les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales réservent au législateur national, eu égard notamment aux inconvénients que présenterait la transmission de ces données aux intéressés eux-mêmes par rapport aux objectifs de protection de la santé, de préservation de la vie privée et de secret médical. Par suite, les règles d'accès aux données non identifiantes de nature médicale fixées par le code la santé publique et le code civil ne sont pas, en l'état des connaissances médicales et des nécessités thérapeutiques, incompatibles avec les stipulations de l'article 8 de cette convention ».

14 Ibidem, points 10 à 12 : « S’agissant de la personne issue d’un don de gamètes, même si la règle de l’anonymat s’oppose à la satisfaction de certaines demandes d’information, cette règle, qui s’applique à tous les dons d’un élément ou d’un produit du corps, n’implique par elle-même aucune atteinte à la vie privée et familiale de la personne ainsi conçue, d’autant qu’il appartient au demeurant aux seuls parents de décider de lever ou non le secret sur la conception de cette personne. / Ainsi qu’il résulte notamment des récents débats sur la loi du 7 juillet 2011, plusieurs considérations d’intérêt général ont conduit le législateur à écarter toute modification de la règle de l’anonymat, notamment la sauvegarde de l’équilibre des familles et le risque majeur de remettre en cause le caractère social et affectif de la filiation, le risque d’une baisse substantielle des dons de gamètes, ainsi que celui d’une remise en cause de l’éthique qui s’attache à toute démarche de don d’éléments ou de produits du corps. En la matière, il n’appartient qu’au seul législateur de porter, le cas échéant, une nouvelle appréciation sur les considérations d’intérêt général à prendre en compte et sur les conséquences à en tirer. / Il résulte de ce qui précède qu’en interdisant la divulgation de toute information sur les données personnelles d’un donneur de gamètes, le législateur a établi un juste équilibre entre les intérêts en présence et que, dès lors, cette interdiction n’est pas incompatible avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

15 CE, 12 novembre 2015, n° 372121, point 5 : « les dispositions de l’article L. 1244-6 selon lesquelles un médecin peut accéder aux informations médicales non identifiantes en cas de nécessité thérapeutique doivent s’entendre comme ne faisant pas obstacle à ce que de telles informations soient obtenues à des fins de prévention, en particulier dans le cas d’un couple de personnes issues l’une et l’autre de dons de gamètes ».

16 Dernier alinéa de l’article L. 1131-1-2 du CSP, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique. Ces dispositions figurent désormais au paragraphe I de l’article L. 1131-1-1 du même code, qui ne subordonne plus l’information des receveurs ou de leurs représentants légaux à l’autorisation du tiers donneur.

17 Voir le second alinéa de l’article L. 1244-7 du CSP, relatif au don d’ovocytes, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004–800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique.

18 Voir notamment la décision précitée du Conseil d’État du 12 novembre 2015 et celle du 28 décembre 2017, n° 396571.

19 Voir sur ce point les conclusions d’Edouard Crépey sous l’avis contentieux précité du 13 juin 2013, « Anonymat du donneur de gamètes et respect de la vie privée », RFDA, 2013, p. 1051.

20 Dans son étude sur la filiation, les origines et la parentalité menée à la demande du ministère délégué chargé de la famille, le groupe de travail présidé par Mme Irène Théry a ainsi souligné la « détresse chez les jeunes adultes nés de dons en quête de leurs origines », causée par le malentendu à l’égard de leurs demandes. Soulignant que les professionnels, qui conseillaient initialement aux parents de « ne rien dire » aux enfants quant aux conditions de leur conception, les mettaient désormais « en garde contre les effets délétères du secret », cette étude estimait que la question de l’anonymisation définitive des dons, mis en place pour conforter ce secret, devait être posée (Filiation, origines, parentalité : le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, Rapport du groupe de travail Filiation, origines, parentalité présidé par Mme Irène Théry [rapporteure Mme Anne-Marie Leroyer], ministère délégué chargé de la famille, 8 avril 2014, p. 204 et 205).

21 CE, étude précitée, p. 41.

22 Ibid., p. 42.

23 L’article L. 222-6 du code de l’action sociale et des familles, issu de la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et aux pupilles de l’État, prévoit ainsi que toute femme demandant la préservation du secret de son admission et de son identité lors de son accouchement est invitée à laisser si elle l’accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité. Elle est également informée de la possibilité qu’elle a de lever à tout moment le secret de son identité et, qu’à défaut, son identité ne pourra être communiquée que dans les conditions prévues à l’article L. 147-6 du même code par l’intermédiaire du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles.

24 Rapport n° 388 (Sénat – 2010-2011) de M. Alain Milon, fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat sur le projet de loi relatif à la bioéthique, déposé le 30 mars 2011.

25 Outre l’avis et la décision précités rendus en 2013 et 2015, il peut être relevé que, dans sa décision du 28 décembre 2017, le Conseil d’État a également rejeté le grief tiré d’une atteinte disproportionnée aux droits du requérant, aux motifs qu’« aucune circonstance particulière propre à la situation d'un demandeur ne saurait conduire à regarder la mise en œuvre des dispositions législatives relatives à l'anonymat du don de gamètes, qui ne pouvait conduire qu'au rejet des demandes en litige, comme portant une atteinte excessive aux droits et libertés protégés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

26 L’étude d’impact du projet de loi de bioéthique souligne que plusieurs pays européens reconnaissent le droit d’accès aux origines des personnes conçues par don, selon des modalités variées : Suède, Suisse, Autriche, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Finlande, Irlande, Allemagne, Portugal (p. 131 et suivantes).

27 Le rapport de synthèse du comité consultatif national d’éthique (CCNE) relevait que « les participants semblent s’accorder sur le fait que l’on puisse accéder à ses origines aujourd’hui, via des tests ADN commercialisés sur internet » (Opinions du comité citoyen, « expression sur le site web des États généraux », p. 127). De même, l’étude d’impact du projet de loi souligne la « difficulté apparue » avec « le développement et l’accès facilité aux tests génétiques », constatant que « le contournement du cadre national est aisé puisqu’il suffit de commander de tels test via Internet à des sociétés implantées à l’étranger pour recevoir un kit discret à domicile » (p. 143).

28 Suivant les termes de l’étude du Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, coll. Études du Conseil d’État, 28 juin 2018, p. 97.

29 Pour rappel, il a été prévu dès 1994 dans le code civil qu’aucun lien de filiation ne peut être établi entre l'auteur du don et l'enfant issu de la procréation (ancien article 311-19, repris à droit constant en 2021 par l’article 342-9).

30 Rapport d’information n° 1572 déposé par la mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique de la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale le 15 janvier 2019.

31 Les receveurs sont désormais expressément entendus par le premier alinéa de l’article 16-8-1 du code civil comme « les personnes qui ont donné leur consentement à l’assistance médicale à la procréation », ce qui exclut donc les enfants issus d’une AMP avec tiers donneur. Selon l’article L. 2143-1 du CSP, la notion de tiers donneur s'entend quant à elle de « la personne dont les gamètes ont été recueillis ou prélevés en application du chapitre IV du titre IV du livre II de la première partie du présent code ainsi que du couple, du membre survivant ou de la femme non mariée ayant consenti à ce qu'un ou plusieurs de ses embryons soient accueillis par un autre couple ou une autre femme en application de l'article L. 2141-5 ».

32 Les données non identifiantes collectées auprès des tiers donneurs lors du recueil de leur consentement au don sont : leur âge ; leur état général tel qu'ils le décrivent au moment du don ; leurs caractéristiques physiques ; leur situation familiale et professionnelle ; leur pays de naissance ; les motivations de leur don, rédigées par leurs soins.

33 Selon l’expression du secrétaire d’État chargé de la protection de l'enfance et des familles, M. Adrien Taquet, in compte-rendu des débats, séance du 23 janvier 2020.

34 L’étude d’impact du projet de loi faisait état de plusieurs options pour assurer l’effectivité du droit d’accès aux données non identifiantes ou à l’identité : une première option, privilégiée par le Gouvernement, consistait à subordonner l’accès à l’identité du donneur et à ses données non identifiantes à son consentement exprimé préalablement au don, sans toutefois conditionner le don à cet accord ; une seconde option, privilégiée par le Conseil d’État, consistait à subordonner seulement l’accès aux données non identifiantes au consentement préalable du donneur et à l’informer de la possibilité d’une demande ultérieure d’accès à son identité, laquelle aurait été conditionnée à son consentement au moment où l’enfant en aurait fait la demande.

35 Article L. 1244-2, alinéa 3, du CSP. L’article L. 2143-4 du même code prévoit que les données relatives aux tiers donneurs, à leurs dons et aux personnes nées à la suite de ces dons ainsi que l'identité des personnes ou des couples receveurs sont conservées par l'Agence de la biomédecine dans un traitement de données dont elle est responsable, pour une durée maximale de cent vingt ans.

36 Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (article R. 2143-2 du CSP).

37 À savoir quatre représentants du ministre de la justice et des ministres chargés de l'action sociale et de la santé ; quatre personnalités qualifiées choisies en raison de leurs connaissances ou de leur expérience dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation ou des sciences humaines et sociales ; six représentants d'associations dont l'objet relève du champ d'intervention de la commission (article L. 2143-7 du CSP).

38 Article L. 2143-5 du CSP.

39 Selon les termes du rapport (Assemblée nationale – XVe législature) fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique par M. Philippe Berta, Mme Coralie Dubost, M. Jean-François Éliaou, Mme Laëtitia Romeiro Dias, M. Hervé Saulignac et M. Jean-Louis Touraine, tome I, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 14 septembre 2019.

40 Voir la formulation des articles 16-8 du code civil et L. 1211-5 du CSP précités.

41 Étude précitée du Conseil d’État, p. 98.

42 Avis du Conseil d’État du 18 juillet 2019, n° 397.993.

43 Amendements nos 2296 et 2297 déposés le 11 septembre 2019 par Mme Coralie Dubost.

44 En ce sens, la ministre de la santé, Mme Agnès Buzyn, a déclaré en séance publique, le 2 octobre 2019, que « Les discussions ont montré qu’il était compliqué de recontacter systématiquement les donneurs antérieurs. La loi n’étant pas rétroactive, nous nous placerions en porte-à-faux avec le contrat moral passé avec ceux qui ont donné leurs gamètes sous un régime spécifique de non-consentement pour l’accès aux origines. Vous contournez cette difficulté en proposant d’agir au cas par cas. Lors d’une demande spécifique, formulée par un enfant issu d’un don auprès de la commission d’accès aux données, celle-ci contacterait le CECOS, qui à son tour se mettrait directement en relation avec le donneur pour lui demander son accord. Plus de 30 000 enfants sont nés de dons depuis les années 1990. J’essaye de connaître le chiffre exact ; il se situe entre 30 000 et 50 000 enfants. Sommes-nous capables de prendre ces demandes en considération ? Vous évoquez des cas individuels, mais si la totalité des enfants concernés, ou la moitié seulement, entament une telle démarche, il sera difficile de faire face ; or les demandes ne peuvent être traitées différemment. L’amendement contourne la règle de non-rétroactivité de la loi ».

45 Amendements COM-252 et COM-265 déposés par M. Alain Milon et Mme Muriel Jourda.

46 En ce sens, Mme Dubost a notamment fait valoir, en séance publique le 30 juillet 2020, la difficulté à consacrer un droit des enfants à venir de connaître l’identité des donneurs tout en en privant les enfants nés auparavant, alors même que certains d’entre eux avaient engagé des démarches à l’origine de la consécration de ce nouveau droit. Elle a également indiqué qu’il n’en résultait aucune rupture du « contrat moral » évoqué par le Gouvernement, dès lors que la communication des informations restait soumise à un accord exprès des donneurs.

47 Le D du paragraphe VIII de l’article 5 de la loi du 2 août 2021 vise, plus précisément, la demande d’accès exprimée par les personnes majeures conçues par AMP avec tiers donneur à partir des embryons ou des gamètes utilisés jusqu’à la date fixée par le décret pris pour son application (à savoir le 1er septembre 2022).

48 Le 6° renvoie à un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, le soin de fixer les conditions de l’utilisation et de la consultation du RNIPP.

49 En cas de consentement du tiers donneur, les données non identifiantes et son identité sont transmises à l’enfant. En revanche, il n’est pas informé de l’identité de l’enfant à l’origine de la demande ni de celle des éventuels autres enfants nés du don.

50 Décision n° 2019-812 QPC du 15 novembre 2019, M. Sébastien M. et autre (Suppression de l’abattement pour durée de détention sur les gains nets retirés des cessions d’actions et de parts sociales), paragr. 5. Voir également, dans le même sens, la décision n° 2020-882 QPC du 5 février 2021, Société Bouygues télécom et autre (Autorisation administrative préalable à l’exploitation des équipements de réseaux 5G), paragr. 30.

51 Décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2006, cons. 45.

52 Décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, cons. 14.

53 Pour une présentation de cette jurisprudence, dans ce cadre, v. le commentaire précité de la décision n° 2019–812 QPC.

54 Le Conseil opère un contrôle plus spécifique en présence de dispositions modifiant rétroactivement une règle de droit ou validant un acte administratif ou de droit privé. Voir dernièrement la décision n° 2021-955 QPC du 10 décembre 2021, Mme Martine B. (Application rétroactive des nouvelles modalités de renversement de la présomption de causalité dans le cadre de l’indemnisation des victimes d’essais nucléaires).

55 Décision n° 2007-550 DC du 27 février 2007, Loi relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, cons. 10.

56 Décision n° 2017-673 QPC du 24 novembre 2017, Société Neomades (Régime d’exonération de cotisations sociales des jeunes entreprises innovantes), paragr. 15.

57 Décision n° 2014-439 QPC du 23 janvier 2015, M. Ahmed S. (Déchéance de nationalité), cons. 21.

58 Décision n° 2017-685 QPC du 12 janvier 2018, Fédération bancaire française (Droit de résiliation annuel des contrats assurance-emprunteur), paragr. 12.

59 Décision n° 2018-743 QPC du 26 octobre 2018, Société Brimo de Laroussilhe (Inaliénabilité et imprescriptibilité des biens du domaine public), paragr. 7.

60 Même décision.

61 Décision n° 2017-756 DC du 21 décembre 2017, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, paragr. 52.

62 Si elle l’avait fait, le problème serait celui d’une atteinte rétroactive à la situation légale en cause.

63 Décisions n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, cons. 17 et n° 2014-435 QPC du 5 décembre 2014, M. Jean-François V. (Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus), cons. 9.

64 Décision n° 2015-718 DC du 13 août 2015, Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, cons. 57.

65 Décision n° 2017-673 QPC du 24 novembre 2017, Société Neomades (Régime d’exonération de cotisations sociales des jeunes entreprises innovantes), paragr. 16.

66 Décision n° 2017-656 QPC du 29 septembre 2017, M. Jean-Marie B. (Contributions sociales sur certains revenus de capitaux mobiliers perçus par des personnes non salariées des professions agricoles), paragr. 7.

67 Décision n° 2017-685 QPC du 12 janvier 2018, Fédération bancaire française (Droit de résiliation annuel des contrats assurance-emprunteur), paragr. 13.

68 Décision n° 2020–871 QPC du 15 janvier 2021, Mme Vered K. (Conditions de révision d’une prestation compensatoire fixée sous forme de rente), paragr. 5 à 9.

69 Décision n° 2020-880 QPC du 29 janvier 2021, M. Pascal J. (Révocation d’un avantage matrimonial en cas de divorce), paragr. 7 à 11.

70 Décision n° 2014-435 QPC précitée, cons. 10.

71 Décision n° 2013-682 DC, précitée, cons. 17

72 Décision n° 2015-718 DC, précitée, cons. 58.

73 Décision n° 2010-102 QPC, précitée, cons. 4 et 5.

74 Décision n° 2011-118 QPC du 8 avril 2011, M. Lucien M. (Biens des sections de commune), cons. 6 et 8.

75 Décision n° 2011-141 QPC du 24 juin 2011, Société Électricité de France (Police de l’eau : retrait ou modification d’une autorisation), cons. 6

76 Décision n° 2018-728 QPC du 13 juillet 2018, Association hospitalière Nord Artois clinique (Indemnité de résiliation ou de non-renouvellement du contrat de prévoyance pendant la période transitoire), paragr. 12.

77 Voir, récemment, décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022, M. Mounir S. (Droit de visite des agents des douanes), paragr. 4.

78 Voir, par exemple, le commentaire de la décision n° 2018-696 QPC du 30 mars 2018, M. Malek B. (Pénalisation du refus de remettre aux autorités judiciaires la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie).

79 Voir récemment, s’agissant du dispositif de collecte, de traitement et de partage d’informations mis en place par l’article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire, la décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, Loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, paragr. 63 et s.

80 Par exemple, décision n° 2022-1000 QPC du 17 juin 2022, M. Ibrahim K. (Réquisition de données informatiques dans le cadre d’une information judiciaire), paragr. 11.

81 Décision n° 2022-1030 QPC du 19 janvier 2023, Ordre des avocats au barreau de Paris et autre (Perquisitions dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile), paragr. 14.

82 Décision n° 2021-924 QPC du 9 juillet 2021, La Quadrature du Net (Communication d’informations entre services de renseignement et à destination de ces services).

83 Voir par exemple la décision n° 2004-504 DC du 12 août 2004, Loi relative à l’assurance maladie, cons. 5. Dernièrement, le Conseil a jugé, de la même manière, que doit être observée une particulière vigilance dans l’analyse et le traitement des données génétiques d’une personne (décision n° 2023-850 DC du 17 mai 2023, Loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions, paragr. 5).

84 Décision n° 2021-831 DC du 23 décembre 2021, Loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, paragr. 90 ; décision n° 2018-696 QPC du 30 mars 2018 précitée, paragr. 4.

85 Décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, cons. 52.

86 Décision n° 2021-917 QPC du 11 juin 2021, Union nationale des syndicats autonomes de la fonction publique (Accès aux données médicales des fonctionnaires lors de l’instruction des demandes de congé pour incapacité temporaire imputable au service), paragr. 7.

87 Décision n° 2021-828 DC du 9 novembre 2021, Loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, paragr. 37.

88 Décision n° 94–343/344 DC du 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, cons. 11.

89 Ibid., cons. 17.

90 Décision n° 2011-173 QPC du 30 septembre 2011, M. Louis C. et autres (Conditions de réalisation des expertises génétiques sur une personne décédée à des fins d'actions en matière de filiation), cons. 6.

91 Décision n° 2012-248 QPC du 16 mai 2012, M. Mathieu E. (Accès aux origines personnelles), cons. 8.