Conseil constitutionnel

Décision n° 2023-1052 QPC du 9 juin 2023

09/06/2023

Conformité - réserve

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 7 avril 2023 par le Conseil d’État (décision n° 467467 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Frédéric L. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023–1052 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 2143-6 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.

Au vu des textes suivants :

– la Constitution ;

– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

– le code civil ;

– le code de la santé publique ;

– la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique ;

– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

– les observations en intervention présentées pour l’association PMAnonyme par Me Laurent Bézie, avocat au barreau d’Angers, enregistrées le 25 avril 2023 ;

– les observations présentées pour le requérant par la SARL Corlay, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 28 avril 2023 ;

– les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;

– les observations en intervention présentées par Mme Audrey F. et l’association Origines, enregistrées le même jour ;

– les secondes observations présentées pour le requérant par la SARL Corlay, enregistrées le 12 mai 2023 ;

– la lettre du 26 mai 2023 par laquelle le Conseil constitutionnel a communiqué aux parties un grief susceptible d’être relevé d’office ;

– les observations en réponse présentées par Mme Audrey F. et l’association Origines, enregistrées les 28 et 30 mai 2023 ;

– les observations en réponse présentées pour l’association PMAnonyme par Me Bézie, enregistrées le 30 mai 2023 ;

– les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Pauline Rémy-Corlay, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Bézie, pour l’association PMAnonyme, Me Mariama Soiby, avocate au barreau de l’Essonne, pour Mme Audrey F. et l’association Origines, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 30 mai 2023 ;

Au vu des pièces suivantes :

– la note en délibéré présentée par la Première ministre, enregistrée le 2 juin 2023 ;

– la note en délibéré présentée par Mme Audrey F. et l’association Origines, enregistrée le 2 juin 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article L. 2143-6 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 2 août 2021 mentionnée ci-dessus, prévoit :

« Une commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur est placée auprès du ministre chargé de la santé. Elle est chargée :

« 1° De faire droit aux demandes d’accès à des données non identifiantes relatives aux tiers donneurs conformes aux modalités définies par le décret en Conseil d’État pris en application du 3° de l’article L. 2143-9 ;

« 2° De faire droit aux demandes d’accès à l’identité des tiers donneurs conformes aux modalités définies par le décret en Conseil d’État pris en application du même 3° ;

« 3° De demander à l’Agence de la biomédecine la communication des données non identifiantes et de l’identité des tiers donneurs ;

« 4° De se prononcer, à la demande d’un médecin, sur le caractère non identifiant de certaines données préalablement à leur transmission au responsable du traitement de données mentionné à l’article L. 2143-4 ;

« 5° De recueillir et d’enregistrer l’accord des tiers donneurs qui n’étaient pas soumis aux dispositions du présent chapitre au moment de leur don pour autoriser l’accès à leurs données non identifiantes et à leur identité ainsi que la transmission de ces données à l’Agence de la biomédecine, qui les conserve conformément au même article L. 2143-4 ;

« 6° De contacter les tiers donneurs qui n’étaient pas soumis aux dispositions du présent chapitre au moment de leur don, lorsqu’elle est saisie de demandes au titre de l’article L. 2143-5, afin de solliciter et de recueillir leur consentement à la communication de leurs données non identifiantes et de leur identité ainsi qu’à la transmission de ces données à l’Agence de la biomédecine. Afin d’assurer cette mission, la commission peut utiliser le numéro d’inscription des personnes au répertoire national d’identification des personnes physiques et consulter ce répertoire. Les conditions de cette utilisation et de cette consultation sont fixées par un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. La commission est également autorisée à consulter le répertoire national inter-régimes des bénéficiaires de l’assurance maladie afin d’obtenir, par l’intermédiaire des organismes servant les prestations d’assurance maladie, l’adresse des tiers donneurs susmentionnés ;

« 7° D’informer et d’accompagner les demandeurs et les tiers donneurs.

« Les données relatives aux demandes mentionnées à l’article L. 2143-5 sont conservées par la commission dans un traitement de données dont elle est responsable, dans des conditions garantissant strictement leur sécurité, leur intégrité et leur confidentialité, pour une durée limitée et adéquate tenant compte des nécessités résultant de l’usage auquel ces données sont destinées, fixée par un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui ne peut être supérieure à cent vingt ans ».

 

2. Le requérant reproche à ces dispositions de prévoir qu’un tiers donneur, ayant effectué un don de gamètes ou d’embryons à une époque où la loi garantissait son anonymat, peut être contacté par la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur afin de recueillir son consentement à la communication de ces données, sans lui permettre de refuser préventivement d’être contacté ni garantir qu’il ne soit pas exposé à des demandes répétées. Il en résulterait une méconnaissance du droit au respect de la vie privée.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la première phrase du 6° de l’article L. 2143-6 du code de la santé publique.

4. Le Conseil constitutionnel a relevé d’office le grief tiré de ce que, en remettant en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire de textes antérieurs, ces dispositions méconnaîtraient la garantie des droits.

– Sur le grief tiré de la méconnaissance de la garantie des droits :

5. Aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

6. Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire de textes antérieurs.

7. Avant la loi du 2 août 2021, les articles 16-8 du code civil et L. 1211-5 du code de la santé publique faisaient obstacle à toute communication des informations permettant d’identifier le tiers donneur en cas d’assistance médicale à la procréation.

8. L’article L. 2143-6 du code de la santé publique, créé par la loi du 2 août 2021, prévoit désormais qu’une personne majeure née à la suite d’un don de gamètes ou d’embryons réalisé avant une date fixée par décret au 1er septembre 2022 peut saisir la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur d’une demande d’accès à ces informations.

9. Les dispositions contestées de cet article prévoient que, dans ce cas, la commission contacte le tiers donneur afin de solliciter et de recueillir son consentement à la communication de ses données non identifiantes et de son identité ainsi qu’à la transmission de ces informations à l’Agence de la biomédecine.

10. Si ces dispositions permettent ainsi à la personne issue du don d’obtenir communication des données non identifiantes et de l’identité du tiers donneur, cette communication est subordonnée au consentement de ce dernier.

11. Dès lors, elles ne remettent pas en cause la préservation de l’anonymat qui pouvait légitimement être attendue par le tiers donneur ayant effectué un don sous le régime antérieur à la loi du 2 août 2021.

12. Le grief tiré de la méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.

– Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée :

13. Selon l’article 2 de la Déclaration de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». La liberté proclamée par cet article implique le droit au respect de la vie privée.

14. En premier lieu, les dispositions contestées se bornent à prévoir que le tiers donneur peut être contacté par la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur en vue de recueillir son consentement à la communication de ces informations. Elles n’ont pas pour objet de déterminer les conditions dans lesquelles est donné le consentement et ne sauraient avoir pour effet, en cas de refus, de soumettre le tiers donneur à des demandes répétées émanant d’une même personne.

15. En second lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer le respect de la vie privée du donneur, tout en ménageant, dans la mesure du possible et par des mesures appropriées, l’accès de la personne issue du don à la connaissance de ses origines personnelles. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur l’équilibre ainsi défini entre les intérêts du tiers donneur et ceux de la personne née d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur.

16. Sous la réserve mentionnée au paragraphe 14, le grief tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée doit donc être écarté.

17. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

 

Article 1er. – Sous la réserve mentionnée au paragraphe 14, la première phrase du 6° de l’article L. 2143-6 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, est déclarée conforme à la Constitution.

 

Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 juin 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

 

Rendu public le 9 juin 2023 .

 

Abstracts

4.2.2.4.1

Atteinte à un acte ou à une situation légalement acquise

Avant la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021, les articles 16-8 du code civil et L. 1211-5 du code de la santé publique faisaient obstacle à toute communication des informations permettant d’identifier le tiers donneur en cas d’assistance médicale à la procréation. L’article L. 2143-6 du code de la santé publique, créé par la loi du 2 août 2021, prévoit désormais qu’une personne majeure née à la suite d’un don de gamètes ou d’embryons réalisé avant une date fixée par décret au 1er septembre 2022 peut saisir la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur d’une demande d’accès à ces informations. Les dispositions contestées de cet article prévoient que, dans ce cas, la commission contacte le tiers donneur afin de solliciter et de recueillir son consentement à la communication de ses données non identifiantes et de son identité ainsi qu’à la transmission de ces informations à l’Agence de la biomédecine. Si ces dispositions permettent ainsi à la personne issue du don d’obtenir communication des données non identifiantes et de l’identité du tiers donneur, cette communication est subordonnée au consentement de ce dernier. Dès lors, elles ne remettent pas en cause la préservation de l’anonymat qui pouvait légitimement être attendue par le tiers donneur ayant effectué un don sous le régime antérieur à la loi du 2 août 2021. Rejet du grief tiré de la méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

2023-1052 QPC, 9 juin 2023, paragr. 7 8 9 10 11 12

4.5.10

Accès aux origines personnelles

Saisi de certaines dispositions du 6° de l’article L. 2143-6 du code de la santé publique permettant à une personne majeure née à la suite d’un don de gamètes ou d’embryons réalisé avant une date fixée par décret au 1er septembre 2022 de saisir la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur d’une demande d’accès à ces informations, le Conseil juge, en premier lieu, que les dispositions contestées se bornent à prévoir que le tiers donneur peut être contacté par la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur en vue de recueillir son consentement à la communication de ces informations. Elles n’ont pas pour objet de déterminer les conditions dans lesquelles est donné le consentement et ne sauraient avoir pour effet, en cas de refus, de soumettre le tiers donneur à des demandes répétées émanant d’une même personne. En second lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer le respect de la vie privée du donneur, tout en ménageant, dans la mesure du possible et par des mesures appropriées, l’accès de la personne issue du don à la connaissance de ses origines personnelles. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur l’équilibre ainsi défini entre les intérêts du tiers donneur et ceux de la personne née d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur. Conformité sous réserve.

2023-1052 QPC, 9 juin 2023, paragr. 14 15 16

11.6.3.2

Grief soulevé d'office par le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a relevé d’office le grief tiré de ce que, en remettant en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire de textes antérieurs, les dispositions de la première phrase du 6° de l’article L. 2143-6 du code de la santé publique, ouvrant droit à la possibilité pour les personnes nées d'une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur réalisée sous le régime antérieur à la loi du 2 août 2021 d'accéder à leurs origines, méconnaîtraient la garantie des droits.

2023-1052 QPC, 9 juin 2023, paragr. 4

11.6.3.5.1

Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.

2023-1052 QPC, 9 juin 2023, paragr. 3

16.2

DROIT CIVIL

Saisi de certaines dispositions du 6° de l’article L. 2143-6 du code de la santé publique permettant à une personne majeure née à la suite d’un don de gamètes ou d’embryons réalisé avant une date fixée par décret au 1er septembre 2022 de saisir la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur d’une demande d’accès à ces informations, le Conseil juge, en premier lieu, que les dispositions contestées se bornent à prévoir que le tiers donneur peut être contacté par la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur en vue de recueillir son consentement à la communication de ces informations. Elles n’ont pas pour objet de déterminer les conditions dans lesquelles est donné le consentement et ne sauraient avoir pour effet, en cas de refus, de soumettre le tiers donneur à des demandes répétées émanant d’une même personne. En second lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer le respect de la vie privée du donneur, tout en ménageant, dans la mesure du possible et par des mesures appropriées, l’accès de la personne issue du don à la connaissance de ses origines personnelles. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur l’équilibre ainsi défini entre les intérêts du tiers donneur et ceux de la personne née d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur. Conformité sous réserve.

2023-1052 QPC, 9 juin 2023, paragr. 14 15 16

Références doctrinales

  • Dionisi-Peyrusse, Amélie, Accès aux origines personnelles : le consentement nécessaire, mais non répété, du donneur, Actualité juridique. Famille, juillet 2023, n°7, p. 408.