Conseil constitutionnel

Décision n° 2023-1059 QPC du 14 septembre 2023

14/09/2023

Conformité - réserve

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 14 juin 2023 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 890 du 13 juin 2023) dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Franck G. par Me Éric Plouvier, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023–1059 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 272-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels.

Au vu des textes suivants :

– la Constitution ;

– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

– le code de procédure pénale ;

– le code de la sécurité intérieure ;

– la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis ;

– la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs–pompiers et les sapeurs–pompiers professionnels ;

– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

– les observations présentées pour le requérant par Me Plouvier, enregistrées le 28 juin 2023 ;

– les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le 30 juin 2023 ;

– les secondes observations présentées pour le requérant par Me Plouvier, enregistrées le 17 juillet 2023 ;

– les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Mme Véronique Malbec ayant estimé devoir s’abstenir de siéger ;

Après avoir entendu Me Plouvier, pour le requérant, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 28 juillet 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article L. 272-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction résultant de la loi du 25 novembre 2021 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Les propriétaires ou les exploitants d’immeubles à usage d’habitation ou leurs représentants s’assurent que les services de police et de gendarmerie nationales ainsi que les services d’incendie et de secours sont en mesure d’accéder aux parties communes de ces immeubles aux fins d’intervention.

« Ils peuvent accorder à la police municipale une autorisation permanente de pénétrer dans ces mêmes parties communes ». 

2. Le requérant reproche à ces dispositions de reconnaître aux services de police et de gendarmerie nationales un droit d’accès permanent aux parties communes des immeubles d’habitation, alors qu’il s’agit de lieux privés qui pourraient constituer une partie d’un domicile. Or, selon lui, ce droit d’accès, qui pourrait s’exercer y compris dans le cadre d’une enquête préliminaire, ne serait subordonné ni à l’autorisation des propriétaires ni au contrôle effectif d’un magistrat. Il critique par ailleurs l’imprécision de la notion d’« intervention » et l’absence d’encadrement des conditions dans lesquelles les propriétaires sont tenus d’assurer cet accès aux parties communes. Ces dispositions méconnaîtraient dès lors le droit au respect de la vie privée ainsi que le droit de propriété et seraient entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant ces droits.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l’article L. 272-1 du code de la sécurité intérieure.

4. Selon l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». La liberté proclamée par cet article implique le droit au respect de la vie privée.

5. En vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Il lui incombe d’assurer la conciliation entre, d’une part, les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée.

6. Les dispositions contestées imposent aux propriétaires ou aux exploitants d’immeubles à usage d’habitation de garantir notamment aux services de police et de gendarmerie nationales un accès aux parties communes de leurs immeubles aux fins d’intervention. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu’elle ressort de la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que cette obligation s’applique à l’ensemble des parties communes, y compris à celles qui ne sont pas librement accessibles.

7. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu permettre aux forces de l’ordre d’accéder en permanence aux parties communes des immeubles à usage d’habitation dans le cadre de leurs missions d’urgence et de protection des personnes et des biens. Il a ainsi poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions.

8. En deuxième lieu, si les dispositions contestées reconnaissent aux forces de l’ordre un droit d’accès à ces parties communes aux fins d’intervention, elles n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de leur permettre d’accéder à ces lieux pour d’autres fins que la réalisation des seuls actes que la loi les autorise à accomplir pour l’exercice de leurs missions.

9. En troisième lieu, ce n’est que dans le cas où les services de police et de gendarmerie nationales interviennent dans le cadre d’une opération de police judiciaire, notamment lors d’une enquête préliminaire, que les actes d’investigation prévus par le code de procédure pénale peuvent, le cas échéant, être mis en œuvre et ils ne peuvent l’être que sous le contrôle d’un magistrat du parquet auquel il revient, en application de l’article 39-3 du code de procédure pénale, d’en contrôler la proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits. En outre, l’article 706-95-12 du même code subordonne la mise en œuvre de certaines techniques spéciales d’enquête à une autorisation d’un magistrat du siège.

10. En dernier lieu, les services de police et de gendarmerie nationales sont autorisés à accéder uniquement aux parties communes des immeubles à usage d’habitation, qui, en vertu de l’article 3 de la loi du 10 juillet 1965 mentionnée ci-dessus, sont constituées des bâtiments et terrains affectés à l’usage et à l’utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d’entre eux. Les dispositions contestées ne leur permettent donc pas d’accéder à des lieux susceptibles de constituer un domicile.

11. Il résulte de ce qui précède que, sous la réserve mentionnée au paragraphe 8 et compte tenu de la nature des lieux auxquels les forces de l’ordre peuvent accéder, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.

12. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent pas non plus le droit de propriété ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent, sous la même réserve, être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

 

Article 1er. – Sous la réserve énoncée au paragraphe 8, le premier alinéa de l’article L. 272-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, est conforme à la Constitution.

 

Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 septembre 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

 

Rendu public le 14 septembre 2023.

 

Abstracts

4.5.17

Divers

Les dispositions contestées de l'article L. 272-1 du code de la sécurité intérieure imposent aux propriétaires ou aux exploitants d’immeubles à usage d’habitation de garantir notamment aux services de police et de gendarmerie nationales un accès aux parties communes de leurs immeubles aux fins d’intervention. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu’elle ressort de la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que cette obligation s’applique à l’ensemble des parties communes, y compris à celles qui ne sont pas librement accessibles.En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu permettre aux forces de l’ordre d’accéder en permanence aux parties communes des immeubles à usage d’habitation dans le cadre de leurs missions d’urgence et de protection des personnes et des biens. Il a ainsi poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions. En deuxième lieu, si les dispositions contestées reconnaissent aux forces de l’ordre un droit d’accès à ces parties communes aux fins d’intervention, elles n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de leur permettre d’accéder à ces lieux pour d’autres fins que la réalisation des seuls actes que la loi les autorise à accomplir pour l’exercice de leurs missions. En troisième lieu, ce n’est que dans le cas où les services de police et de gendarmerie nationales interviennent dans le cadre d’une opération de police judiciaire, notamment lors d’une enquête préliminaire, que les actes d’investigation prévus par le code de procédure pénale peuvent, le cas échéant, être mis en œuvre et ils ne peuvent l’être que sous le contrôle d’un magistrat du parquet auquel il revient, en application de l’article 39-3 du code de procédure pénale, d’en contrôler la proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits. En outre, l’article 706-95-12 du même code subordonne la mise en œuvre de certaines techniques spéciales d’enquête à une autorisation d’un magistrat du siège. En dernier lieu, les services de police et de gendarmerie nationales sont autorisés à accéder uniquement aux parties communes des immeubles à usage d’habitation, qui, en vertu de l’article 3 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, sont constituées des bâtiments et terrains affectés à l’usage et à l’utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d’entre eux. Les dispositions contestées ne leur permettent donc pas d’accéder à des lieux susceptibles de constituer un domicile. Il résulte de ce qui précède que, sous la réserve précédemment énoncée et compte tenu de la nature des lieux auxquels les forces de l’ordre peuvent accéder, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.

2023-1059 QPC, 14 septembre 2023, paragr. 6 7 8 9 10 11

11.6.3.5.1

Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que les dispositions renvoyées.

2023-1059 QPC, 14 septembre 2023, paragr. 3

16.20.19.10

Article L. 272-1 (accès aux parties communes des immeubles d'habitation)

Le premier alinéa de l'article L. 272-1 du code de la sécurité intérieure impose aux propriétaires ou aux exploitants d’immeubles à usage d’habitation de garantir notamment aux services de police et de gendarmerie nationales un accès aux parties communes de leurs immeubles aux fins d’intervention. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu’elle ressort de la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que cette obligation s’applique à l’ensemble des parties communes, y compris à celles qui ne sont pas librement accessibles. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu permettre aux forces de l’ordre d’accéder en permanence aux parties communes des immeubles à usage d’habitation dans le cadre de leurs missions d’urgence et de protection des personnes et des biens. Il a ainsi poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions. En deuxième lieu, si les dispositions contestées reconnaissent aux forces de l’ordre un droit d’accès à ces parties communes aux fins d’intervention, elles n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de leur permettre d’accéder à ces lieux pour d’autres fins que la réalisation des seuls actes que la loi les autorise à accomplir pour l’exercice de leurs missions.En troisième lieu, ce n’est que dans le cas où les services de police et de gendarmerie nationales interviennent dans le cadre d’une opération de police judiciaire, notamment lors d’une enquête préliminaire, que les actes d’investigation prévus par le code de procédure pénale peuvent, le cas échéant, être mis en œuvre et ils ne peuvent l’être que sous le contrôle d’un magistrat du parquet auquel il revient, en application de l’article 39-3 du code de procédure pénale, d’en contrôler la proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits. En outre, l’article 706-95-12 du même code subordonne la mise en œuvre de certaines techniques spéciales d’enquête à une autorisation d’un magistrat du siège. En dernier lieu, les services de police et de gendarmerie nationales sont autorisés à accéder uniquement aux parties communes des immeubles à usage d’habitation, qui, en vertu de l’article 3 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, sont constituées des bâtiments et terrains affectés à l’usage et à l’utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d’entre eux. Les dispositions contestées ne leur permettent donc pas d’accéder à des lieux susceptibles de constituer un domicile. Il résulte de ce qui précède que, sous la réserve précédemment énoncée et compte tenu de la nature des lieux auxquels les forces de l’ordre peuvent accéder, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.

2023-1059 QPC, 14 septembre 2023, paragr. 6 7 8 9 10 11

Références doctrinales

  • Avvenire, Hugo, Knock knock, who is it ?, Actualité juridique. Droit administratif, 11 décembre 2023, n°42, p. 2299.
  • Buisson, Jacques, Droit de pénétration des policiers et gendarmes dans les parties communes d'un immeuble d'habitation, Procédures, novembre 2023, n°11, p. 31-32.