Conseil constitutionnel

Décision n° 2023-1057 QPC du 7 juillet 2023

07/07/2023

Non conformité totale - effet différé

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 12 mai 2023 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 709 du 11 mai 2023), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. José M. par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023–1057 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l’article 702–1 du code de procédure pénale et du quatrième alinéa de l’article 703 du même code.

Au vu des textes suivants :

– la Constitution ;

– l’ordonnance n° 58–1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

– le code de procédure pénale ;

– la loi n° 93–2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale ;

– la loi n° 2009–1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;

– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

– les observations présentées pour le requérant par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, enregistrées le 31 mai 2023 ;

– les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;

– les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 27 juin 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du premier alinéa de l’article 702–1 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 24 novembre 2009 mentionnée ci-dessus et du quatrième alinéa de l’article 703 du même code dans sa rédaction résultant de la loi du 4 janvier 1993 mentionnée ci-dessus.

2. Le premier alinéa de l’article 702–1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 24 novembre 2009, prévoit :« Toute personne frappée d’une interdiction, déchéance ou incapacité ou d’une mesure de publication quelconque résultant de plein droit d’une condamnation pénale ou prononcée dans le jugement de condamnation à titre de peine complémentaire peut demander à la juridiction qui a prononcé la condamnation ou, en cas de pluralité de condamnations, à la dernière juridiction qui a statué, de la relever, en tout ou partie, y compris en ce qui concerne la durée, de cette interdiction, déchéance ou incapacité. Si la condamnation a été prononcée par une cour d’assises, la juridiction compétente pour statuer sur la demande est la chambre de l’instruction dans le ressort de laquelle la cour d’assises a son siège »

3. Le quatrième alinéa de l’article 703 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 4 janvier 1993, prévoit, à propos de la décision statuant sur une demande de relèvement d’une mesure d’interdiction, de déchéance, d’incapacité ou de publication : « La décision est signifiée à la requête du ministère public lorsqu’elle est rendue hors de la présence du requérant ou de son conseil. Elle peut être, selon le cas, frappée d’appel ou déférée à la Cour de cassation »

4. Le requérant reproche à ces dispositions de ne permettre à une personne d’interjeter appel de la décision statuant sur sa demande de relèvement que lorsque cette mesure a été prononcée par une juridiction correctionnelle de première instance ou, en cas de pluralité de condamnations, lorsque cette juridiction s’est prononcée en dernier. Selon lui, en revanche, lorsque la peine dont elle demande le relèvement a été prononcée par une juridiction correctionnelle d’appel ou une cour d’assises ou lorsque, en cas de pluralité de condamnations, l’une de ces juridictions a statué en dernier, la personne est privée de la faculté d’interjeter appel de la décision. Il en résulterait une distinction injustifiée contraire au principe d’égalité devant la justice ainsi qu’une méconnaissance de la garantie des droits.

5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l’article 702–1 du code de procédure pénale et sur la seconde phrase du quatrième alinéa de l’article 703 du même code.

– Sur le fond :

6. Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.

7. Les personnes reconnues coupables de certains crimes et délits peuvent être frappées d’une mesure d’interdiction, de déchéance, d’incapacité ou de publication résultant de plein droit de leur condamnation pénale ou prononcée dans le jugement de condamnation à titre de peine complémentaire.

8. En application des dispositions contestées, le relèvement de ces mesures peut être demandé à la juridiction qui a prononcé la condamnation ou, en cas de pluralité de condamnations, à la juridiction qui a statué en dernier. Lorsque la condamnation a été prononcée par une cour d’assises, la juridiction compétente pour statuer sur cette demande est la chambre de l’instruction. La décision peut être, selon le cas, frappée d’appel ou déférée à la Cour de cassation.

9. Les arrêts de la chambre de l’instruction et des juridictions correctionnelles d’appel étant rendus en dernier ressort en application de l’article 567 du code de procédure pénale, il résulte des dispositions contestées que, lorsque la mesure dont le relèvement est demandé a été prononcée par l’une de ces juridictions ou, en cas de pluralité de condamnations, par une telle juridiction statuant en dernier, la personne condamnée porte sa demande devant une juridiction dont la décision est insusceptible d’appel. En revanche, lorsque cette mesure a été prononcée par une juridiction correctionnelle de première instance ou, en cas de pluralité de condamnations, par une telle juridiction statuant en dernier, la personne condamnée porte sa demande devant une juridiction dont la décision est susceptible d’appel.

10. Or, une telle distinction, qui n’est au demeurant pas fondée sur la nature criminelle ou correctionnelle de la peine, est sans lien avec l’objet des dispositions contestées, qui est de permettre à une personne condamnée de demander le relèvement d’une mesure d’interdiction, de déchéance, d’incapacité ou de publicité prononcée à son encontre.

11. Dès lors, les dispositions contestées procèdent à une distinction injustifiée entre les personnes condamnées qui demandent le relèvement d’une telle mesure. Elles méconnaissent donc le principe d’égalité devant la justice.

12. Par conséquent, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre grief, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution.

– Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :

13. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières.

14. En l’espèce, l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait pour effet de priver les justiciables de la possibilité de demander le relèvement d’une mesure d’interdiction, de déchéance, d’interdiction ou de publicité. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31 mars 2024 la date de l’abrogation des dispositions contestées. Les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

 

Article 1er. – Le premier alinéa de l’article 702–1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009–1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, et la seconde phrase du quatrième alinéa de l’article 703 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 93–2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale, sont contraires à la Constitution.

 

Article 2. – La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 14 de cette décision.

 

Article 3. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23–11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 juillet 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

 

Rendu public le 7 juillet 2023.

 

Abstracts

5.2.2.2.8

Divers

Les personnes reconnues coupables de certains crimes et délits peuvent être frappées d’une mesure d’interdiction, de déchéance, d’incapacité ou de publication résultant de plein droit de leur condamnation pénale ou prononcée dans le jugement de condamnation à titre de peine complémentaire. En application des dispositions contestées, le relèvement de ces mesures peut être demandé à la juridiction qui a prononcé la condamnation ou, en cas de pluralité de condamnations, à la juridiction qui a statué en dernier. Lorsque la condamnation a été prononcée par une cour d’assises, la juridiction compétente pour statuer sur cette demande est la chambre de l’instruction. La décision peut être, selon le cas, frappée d’appel ou déférée à la Cour de cassation. Les arrêts de la chambre de l’instruction et des juridictions correctionnelles d’appel étant rendus en dernier ressort en application de l’article 567 du code de procédure pénale, il résulte des dispositions contestées que, lorsque la mesure dont le relèvement est demandé a été prononcée par l’une de ces juridictions ou, en cas de pluralité de condamnations, par une telle juridiction statuant en dernier, la personne condamnée porte sa demande devant une juridiction dont la décision est insusceptible d’appel. En revanche, lorsque cette mesure a été prononcée par une juridiction correctionnelle de première instance ou, en cas de pluralité de condamnations, par une telle juridiction statuant en dernier, la personne condamnée porte sa demande devant une juridiction dont la décision est susceptible d’appel. Or, une telle distinction, qui n’est au demeurant pas fondée sur la nature criminelle ou correctionnelle de la peine, est sans lien avec l’objet des dispositions contestées, qui est de permettre à une personne condamnée de demander le relèvement d’une mesure d’interdiction, de déchéance, d’incapacité ou de publicité prononcée à son encontre. Dès lors, les dispositions contestées procèdent à une distinction injustifiée entre les personnes condamnées qui demandent le relèvement d’une telle mesure. Elles méconnaissent donc le principe d’égalité devant la justice. Censure.

2023-1057 QPC, 7 juillet 2023, paragr. 7 8 9 10 11

11.6.3.5.1

Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.

2023-1057 QPC, 7 juillet 2023, paragr. 5

11.6.3.5.2

Détermination de la version de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La rédaction de la disposition renvoyée n'ayant pas été déterminée, le Conseil constitutionnel y procède en déterminant la rédaction applicable au litige.

2023-1057 QPC, 7 juillet 2023, paragr. 1

11.8.6.2.2.2

Abrogation reportée dans le temps

Après avoir déclaré inconstitutionnelles des dispositions limitant les cas dans lesquels il peut être fait appel d'une décision relative au relèvement d'une interdiction, d'une déchéance, d'une incapacité ou d'une mesure de publicité, le Conseil constitutionnel juge que l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait pour effet de priver les justiciables de la possibilité de formuler une telle demande. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31 mars 2024 la date de l’abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles.

2023-1057 QPC, 7 juillet 2023, paragr. 14

11.8.6.2.4.1

Maintien des effets

Les mesures prises avant la date d'abrogation fixée par la décision du Conseil constitutionnel en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution, en vertu desquelles le relèvement d'une interdiction, d'une déchéance, d'une incapacité ou d'une mesure de publicité peut être demandé à la juridiction qui a prononcé la condamnation ou, en cas de pluralité de condamnations, à la juridiction qui a statué en dernier, ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

2023-1057 QPC, 7 juillet 2023, paragr. 14