Conseil constitutionnel

Décision n° 2023-1054 QPC du 16 juin 2023

16/06/2023

Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 avril 2023 par le Conseil d’État (décision n° 470761 du 14 avril 2023), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Angelini Filliat par Mes Lionel Weller et Alexandre Noirot, avocats au barreau d’Aix-en-Provence. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1054 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe II de l’article 1737 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l’harmonisation et l’aménagement du régime des pénalités.

Au vu des textes suivants :

– la Constitution ;

– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

– le code général des impôts ;

– l’ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l’harmonisation et l’aménagement du régime des pénalités ;

– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

– les observations présentées pour la société requérante par Mes Weller et Noirot, enregistrées le 5 mai 2023 ;

– les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le 8 mai 2023 ;

– les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Weller, pour la société requérante, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 6 juin 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le paragraphe II de l’article 1737 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 7 décembre 2005 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Toute omission ou inexactitude constatée dans les factures ou documents en tenant lieu mentionnés aux articles 289 et 290 quinquies donne lieu à l’application d’une amende de 15 €. Toutefois, le montant total des amendes dues au titre de chaque facture ou document ne peut excéder le quart du montant qui y est ou aurait dû y être mentionné »

2. Selon la société requérante, ces dispositions méconnaîtraient le principe de proportionnalité des peines. Au soutien de ce grief, elle fait valoir que l’amende de 15 euros réprimant toute omission ou inexactitude constatée dans une facture peut, en l’absence de plafond annuel et dans le cas où une même omission ou inexactitude affecte un grand nombre de factures, s’appliquer de manière cumulative, alors même que le manquement ne serait pas intentionnel et qu’il n’en résulterait aucun préjudice financier pour le Trésor public. En outre, pour les factures d’un montant individuel inférieur à 60 euros, le plafonnement de l’amende au quart de leur montant conduirait à l’application d’une sanction d’une particulière sévérité et dont l’assiette n’aurait aucun lien avec la nature de l’infraction.

3. Selon l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes énoncés par cet article s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue.

4. Selon l’article 289 du code général des impôts, tout assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée est tenu de s’assurer qu’une facture est émise pour les opérations qu’il énumère. Cette facture doit comporter certaines mentions portant sur les éléments d’identification des parties, les données concernant les biens livrés ou les services rendus, et celles relatives à la détermination de la taxe. Pour les prestations de services comprenant l’exécution de travaux immobiliers fournie à des particuliers, l’article 290 quinquies du même code prévoit qu’elles font l’objet d’une note qui mentionne le nom et l’adresse des parties, la nature et la date de l’opération effectuée ainsi que le montant de son prix et celui de la taxe.

5. Les dispositions contestées sanctionnent d’une amende fiscale chaque omission ou inexactitude constatée dans une facture ou un document en tenant lieu dont l’établissement est exigé par les articles 289 et 290 quinquies du code général des impôts.

6. En premier lieu, en sanctionnant d’une amende fiscale les manquements aux règles de facturation, le législateur a entendu réprimer des comportements visant à faire obstacle, d’une part, au contrôle des comptabilités tant du vendeur que de l’acquéreur d’un produit ou d’une prestation de services et, d’autre part, au recouvrement des prélèvements auxquels ils sont assujettis. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale.

7. En second lieu, d’une part, les dispositions contestées punissent d’une amende forfaitaire d’un montant de 15 euros chaque omission ou inexactitude constatée dans une facture et prévoient, en cas de pluralité d’omissions ou inexactitudes affectant la même facture, un plafonnement du montant total des amendes égal à 25 % du montant qui y est ou aurait dû y être mentionné. L’assiette du plafond est en lien avec la nature de l’infraction. Le législateur a, ce faisant, instauré une sanction qui n’est pas manifestement disproportionnée au regard de la gravité des manquements qu’il a entendu réprimer.

8. D’autre part, si, dans le cas où la facture inexacte ou incomplète est d’un montant individuel inférieur à 60 euros, l’amende encourue est nécessairement égale à 25 % du montant de cette facture, l’assiette de la sanction est en lien avec la nature de l’infraction et le taux retenu n’est pas manifestement disproportionné au regard de la gravité du manquement réprimé.

9. Il résulte de ce qui précède que, même en cas de cumul d’amendes sanctionnant des manquements affectant plusieurs factures, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe de proportionnalité des peines.

10. Le grief tiré de la méconnaissance de ce principe doit donc être écarté.

11. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

 

Article 1er. – Le paragraphe II de l’article 1737 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l’harmonisation et l’aménagement du régime des pénalités, est conforme à la Constitution.

 

Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 juin 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

 

Rendu public le 16 juin 2023.

 

Abstracts

4.23.3.2.1

Détermination des infractions et des peines

Selon l’article 289 du code général des impôts, tout assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée est tenu de s’assurer qu’une facture est émise pour les opérations qu’il énumère. Cette facture doit comporter certaines mentions portant sur les éléments d’identification des parties, les données concernant les biens livrés ou les services rendus, et celles relatives à la détermination de la taxe. Pour les prestations de services comprenant l’exécution de travaux immobiliers fournie à des particuliers, l’article 290 quinquies du même code prévoit qu’elles font l’objet d’une note qui mentionne le nom et l’adresse des parties, la nature et la date de l’opération effectuée ainsi que le montant de son prix et celui de la taxe. Les dispositions contestées sanctionnent d’une amende fiscale chaque omission ou inexactitude constatée dans une facture ou un document en tenant lieu dont l’établissement est exigé par les articles 289 et 290 quinquies du code général des impôts. En premier lieu, en sanctionnant d’une amende fiscale les manquements aux règles de facturation, le législateur a entendu réprimer des comportements visant à faire obstacle, d’une part, au contrôle des comptabilités tant du vendeur que de l’acquéreur d’un produit ou d’une prestation de services et, d’autre part, au recouvrement des prélèvements auxquels ils sont assujettis. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale. En second lieu, d’une part, les dispositions contestées punissent d’une amende forfaitaire d’un montant de 15 euros chaque omission ou inexactitude constatée dans une facture et prévoient, en cas de pluralité d’omissions ou inexactitudes affectant la même facture, un plafonnement du montant total des amendes égal à 25 % du montant qui y est ou aurait dû y être mentionné. L’assiette du plafond est en lien avec la nature de l’infraction. Le législateur a, ce faisant, instauré une sanction qui n’est pas manifestement disproportionnée au regard de la gravité des manquements qu’il a entendu réprimer. D’autre part, si, dans le cas où la facture inexacte ou incomplète est d’un montant individuel inférieur à 60 euros, l’amende encourue est nécessairement égale à 25 % du montant de cette facture, l’assiette de la sanction est en lien avec la nature de l’infraction et le taux retenu n’est pas manifestement disproportionné au regard de la gravité du manquement réprimé. Il résulte de ce qui précède que, même en cas de cumul d’amendes sanctionnant des manquements affectant plusieurs factures, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe de proportionnalité des peines. Le grief tiré de la méconnaissance de ce principe doit donc être écarté.

2023-1054 QPC, 16 juin 2023, paragr. 4 5 6 7 8 9 10