Conseil d'Etat

Décision du 14 avril 2023 n° 470761

14/04/2023

Renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

La société Angelini Filliat, à l'appui de sa requête d'appel tendant à l'annulation du jugement du 19 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande visant à admettre la déductibilité de charges du résultat imposable au titre des exercices clos en 2015 et 2016 et à prononcer la décharge des amendes qui lui ont été infligées sur le fondement du II de l'article 1737 du code général des impôts, a produit un mémoire, enregistré le 26 août 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulevait une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article 1737 du code général des impôts.

Par une ordonnance du 15 décembre 2022, enregistrée le 23 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la 3ème chambre de la cour administrative d'appel de Marseille a décidé, avant qu'il soit statué sur la requête d'appel de la société Angelini Filliat, de transmettre au Conseil d'Etat, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1957, cette question de constitutionnalité.

Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise et par un mémoire en réplique enregistré le 27 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Angelini Filliat soutient que les dispositions du II de l'article 1737 du code général des impôts, dans leur rédaction issue de l'article 13 de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005, applicables au litige, méconnaissent le principe de proportionnalité des peines résultant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par un mémoire, enregistré le 13 février 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à ce que la question prioritaire de constitutionnalité ne soit pas renvoyée au Conseil constitutionnel. Il soutient que la question posée n'est pas sérieuse.

La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée à la Première ministre, qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts ;

- la loi n° 99-1172 du 30 décembre 1999 ;

- la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 ;

- l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agathe Lieffroy, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP

Buk Lament - Robillot, avocat de la société Angelini Filliat ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes du II de l'article 1737 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 13 de l'ordonnance du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités : " II. - Toute omission ou inexactitude constatée dans les factures ou documents en tenant lieu mentionnés aux articles 289 et 290 quinquies donne lieu à l'application d'une amende de 15 euros. Toutefois, le montant total des amendes dues au titre de chaque facture ou document ne peut excéder le quart du montant qui y est ou aurait dû y être mentionné ". Aux termes de l'article 289 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " II. - Un décret en Conseil d'Etat fixe les mentions obligatoires qui doivent figurer sur les factures. Ce décret détermine notamment les éléments d'identification des parties, les données concernant les biens livrés ou les services rendus et celles relatives à la détermination de la taxe sur la valeur ajoutée ".

3. Les dispositions du II de l'article 1737 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 13 de l'ordonnance du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités, sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe de proportionnalité des peines résultant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, soulève une question présentant un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions du II de l'article 1737 du code général des impôts dans sa rédaction issue de l'article 13 de l'ordonnance du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Angelini Filliat et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre ainsi qu'à la cour administrative d'appel de Marseille.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2023 où siégeaient :

M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat, et Mme Agathe Lieffroy, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 14 avril 2023.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Agathe Lieffroy

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :

Code publication

C