Tribunal administratif d'Orléans

Jugement du 13 avril 2023 n° 2103448

13/04/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 30 septembre 2021, et un mémoire enregistré le 3 novembre 2022, Mme E A, représentée par Me Mazardo, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 15 septembre 2021 par laquelle la directrice du centre hospitalier Jacques Cœur de Bourges l'a suspendue de ses fonctions, sans rémunération, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Bourges le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente ;

- cette décision constitue une sanction disciplinaire, laquelle n'a pas été précédée des garanties de nature à assurer les droits de la défense et notamment, de la mise en place d'une procédure contradictoire préalable ;

- la décision contestée porte une atteinte disproportionnée au droit à l'emploi garanti par l'article 23 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, l'article 6 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, l'article 1er de la charte sociale européenne de 1961, l'article 10 de la convention n° 168 de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur la promotion de l'emploi et la protection contre le chômage de 1988 et les articles 5 et 10 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; la disproportion est établie par le caractère indéterminé de la durée de la suspension alors qu'il existait d'autres mesures propres à enrayer la transmission du virus ;

- elle méconnaît son droit d'obtenir les moyens d'assurer sa subsistance, garanti par l'article 10 de la convention n° 168 de l'OIT sur la promotion de l'emploi et la protection contre le chômage du 21 juin 1988 ;

- la mesure contestée ne répond pas au principe de proportionnalité rappelé par les arrêts " Glor " du 30 avril 2009 et " Association Rhino et autres " du 11 octobre 2011 de la Cour européenne des droits de l'homme ;

- la décision attaquée méconnaît son droit au respect de sa vie privée garanti par l'article 10 de la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine (convention sur les droits de l'homme et de la biomédecine d'Oviedo du 4 avril 1997), par l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, par l'article 9 du code civil et par l'article L. 1110-4 du code de la santé publique :

- elle va à l'encontre de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière de vaccination obligatoire (arrêts " Salvetti " du 9 juillet 2002, " Matter " du 5 juillet 1999 et " Pretty " du 29 avril 2002) ;

- la mesure de suspension des personnels et agents publics travaillant au sein des établissements de santé qui ne justifient pas d'un certificat de vaccination, n'est plus appropriée à l'objectif poursuivi dans un contexte épidémiologique considérablement amélioré et alors que la couverture vaccinale des agents est comprise entre 84 et 90 % ;

- elle méconnaît le principe de non-discrimination consacré en particulier par l'article 1er de la Déclaration universelle des droits de l'homme, par l'article 14 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, par la déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail du 18 juin 1988, par la convention n° 111 de l'OIT concernant la discrimination (emploi et profession) du 25 juin 1958, par les dispositions de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, par l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, par le règlement (UE) n° 2021-953 du 14 juin 2021, par l'article 21 de la charte des droits fondamentaux ;

- elle est de nature à créer une rupture d'égalité entre les personnes concernées par l'article 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 selon qu'elles sont vaccinées ou non vaccinées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 janvier 2022, le centre hospitalier Jacques Cœur de Bourges, représenté par Me Marcantoni, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme A la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision attaquée a été prise par une autorité compétente ;

- elle ne constitue pas une sanction disciplinaire ;

- il a suivi la procédure prévue par la loi du 5 août 2021 ;

- la décision contestée est proportionnée au regard du droit à l'emploi, du droit au respect de la vie privée de la requérante et de la situation épidémiologique actuelle ;

- elle ne méconnaît pas le principe de non-discrimination et n'est pas de nature à créer une rupture d'égalité injustifiée entre le personnel vacciné et le personnel non vacciné.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 ;

- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;

- la convention sur les droits de l'homme et la biomédecine d'Oviedo ;

- la convention de l'Organisation internationale du travail n° 111 du 25 juin 1958 ;

- la convention de l'Organisation internationale du travail n° 168 du 21 juin 1988 ;

- la déclaration de l'Organisation internationale du travail relative aux principes et droits fondamentaux au travail du 18 juin 1988 ;

- la charte des droits fondamentaux ;

- la charte sociale européenne ;

- le règlement (UE) n° 2021-953 du 14 juin 2021 ;

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C,

- les conclusions de Mme Palis De Koninck, rapporteure publique,

- et les observations de Me Mazardo, représentant Mme A.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E A est assistante médico-administratif titulaire au sein du centre hospitalier Jacques Cœur de Bourges. Par une décision du 15 septembre 2021, la directrice de cet établissement l'a suspendue de ses fonctions sans rémunération à compter du 15 septembre 2021 jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination. Mme A sollicite, par la requête ci-dessus analysée, l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, la décision attaquée a été signée par M. B, directeur adjoint des ressources humaines. Par une décision du 1er juillet 2021, régulièrement publiée, Mme F, directrice du centre hospitalier Jacques Cœur de Bourges, a délégué sa signature à M. B, en cas d'absence de M. D, directeur adjoint chargé de la direction des affaires financières et de la stratégie, pour exercer l'autorité hiérarchique sur l'ensemble du personnel. La requérante n'établit ni même n'allègue que M. D n'aurait pas été empêché ou absent. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision contestée manque en fait et doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique () ".

4. Aux termes du I de l'article 13 de cette même loi : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : / 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. Avant la fin de validité de ce certificat, les personnes concernées présentent le justificatif prévu au premier alinéa du présent 1°. / () 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication. Ce certificat peut, le cas échéant, comprendre une date de validité ".

5. Et aux termes du III de l'article 14 de la même loi : " Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit () ".

6. La mesure de suspension sans rémunération que l'employeur met en œuvre lorsqu'il constate que l'agent public concerné ne peut plus exercer son activité en application du I de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, s'analyse comme une mesure de gestion des agents publics prise dans l'intérêt de la santé publique et destinée à lutter contre la propagation de l'épidémie de Covid-19 dans un objectif de maîtrise de la situation sanitaire, et n'a pas vocation à sanctionner un éventuel manquement ou agissement fautif commis par cet agent, qui demeure par ailleurs soumis aux dispositions relatives aux droits et obligations conférés aux agents publics. Par suite, lorsque l'autorité administrative suspend de ses fonctions un agent public qui ne satisfait pas à cette obligation et interrompt, en conséquence, le versement de son traitement, elle ne prononce pas une sanction mais se borne à constater que l'agent ne remplit plus les conditions légales pour exercer son activité.

7. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. ". Si la requérante a entendu soutenir que la décision en cause doit être soumise à une procédure contradictoire préalable, cette argumentation doit être écartée dès lors qu'aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " () Les dispositions de l'article L. 121-1, en tant qu'elles concernent les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ne sont pas applicables aux relations entre l'administration et ses agents. ". Le moyen tiré de ce que la décision prononce une sanction qui n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire préalable doit, par suite, être écarté dans ses deux branches.

8. En troisième lieu, la requérante soutient que la mesure de suspension de fonction assortie de l'interruption de sa rémunération est disproportionnée au regard de son droit à l'emploi et de son droit d'obtenir les moyens d'assurer sa subsistance. Elle se prévaut, à cet égard, d'une violation de ces droits garantis par l'article 23 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, par l'article 6 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, par l'article 1er de la charte sociale européenne de 1961, par l'article 10 de la convention n° 168 de l'Organisation internationale du travail sur la promotion de l'emploi et la protection contre le chômage de 1988 et par les alinéas 5 et 10 du Préambule de la Constitution de 1946.

9. Cependant, d'une part, si tout traité ou accord en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi, ses stipulations ne peuvent toutefois être utilement invoquées que si ce traité ou cet accord remplit les conditions posées à son application dans l'ordre juridique interne par l'article 55 de la Constitution et crée des droits dont les particuliers peuvent directement se prévaloir. Il s'ensuit que la requérante ne peut utilement se prévaloir des stipulations de l'article 23 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui ne figure pas au nombre des traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés dans les conditions fixées par l'article 55 de la Constitution. De même, la requérante ne peut utilement se prévaloir des stipulations de l'article 23 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ainsi que de celles de l'article 1er de la charte sociale européenne et de l'article 10 de la convention n° 168 de l'Organisation internationale du travail sur la promotion de l'emploi et la protection contre le chômage de 1988, qui sont dépourvues d'effet direct dans l'ordre juridique interne.

10. D'autre part, aux termes de l'article R*771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité " ". Aux termes de l'article R*771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 (en vertu duquel le président de la formation de jugement doit informer les parties sur les moyens susceptibles d'être relevés d'office) et R. 612-1 (en vertu duquel, lorsque des conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser) ".

11. Le moyen tiré de ce que l'obligation vaccinale instaurée par les dispositions de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire méconnaît les cinquième et dixième alinéas du Préambule de la Constitution ne peut être soulevé qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée dans les formes prescrites par l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et l'article R*771-3 du code de justice administrative. Faute d'être soulevé à l'appui d'une telle question présentée dans un mémoire distinct et motivé, ce moyen ne peut qu'être écarté.

12. Il s'ensuit que le moyen invoqué par la requérante, tiré de la disproportion de la mesure au regard de son droit à l'emploi et de son droit d'obtenir les moyens d'assurer sa subsistance, doit être écarté dans toutes ses branches.

13. En quatrième lieu, la requérante soutient que la mesure de suspension de fonction assortie de l'interruption de sa rémunération est disproportionnée au regard de son droit au respect de la vie privée et familiale tel que protégé par les stipulations de l'article 10 de la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine du 4 avril 1997, par celles de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme, par l'article 9 du code civil et par l'article L. 1110-4 du code de la santé publique.

14. Aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 10 de la convention sur les droits de l'homme et la biomédecine du 4 avril 1997 dite convention d'Oviedo : " toute personne a droit au respect de sa vie privée s'agissant des informations relatives à sa santé. () ".

15. Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens de ces stipulations, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

16. L'article 12 de la loi du 5 août 2021 a défini le champ de l'obligation de vaccination contre la covid-19 en retenant, notamment, un critère géographique pour y inclure les personnes exerçant leur activité dans un certain nombre d'établissements, principalement les établissements de santé et les établissements sociaux et médico-sociaux, ainsi qu'un critère professionnel pour y inclure les professionnels de santé afin, à la fois, de protéger les personnes accueillies par ces établissements qui présentent une vulnérabilité particulière au virus de la covid-19 et d'éviter la propagation du virus par les professionnels de la santé dans l'exercice de leur activité qui, par nature, peut les conduire à soigner des personnes vulnérables ou ayant de telles personnes dans leur entourage. Il s'ensuit que, eu égard à l'objectif de santé publique poursuivi et alors même qu'aucune dérogation personnelle à l'obligation de vaccination n'est prévue en dehors des cas de contre-indication, l'obligation vaccinale pesant sur le personnel exerçant dans un établissement de santé, qui ne saurait être regardée comme incohérente et disproportionnée au regard de l'objectif de santé publique poursuivi, ne porte pas d'atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'intégrité physique garanti par la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par la convention d'Oviedo.

17. L'article 13 de la même loi du 5 août 2021 prévoit que l'obligation de vaccination ne s'applique pas aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement. Le champ de cette obligation apparaît ainsi cohérent et proportionné au regard de l'objectif de santé publique poursuivi, alors même que l'obligation ne concerne pas l'ensemble de la population mais seulement les professionnels qui se trouvent dans une situation qui les expose particulièrement au virus et au risque de le transmettre aux personnes les plus vulnérables à ce virus.

18. Le III de l'article 14 précité de la loi du 5 août 2021 prévoit qu'un agent public ne satisfaisant pas à son obligation vaccinale fait l'objet d'une interdiction d'exercer et peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit. L'interruption du versement de la rémunération prend fin dès que l'agent public satisfait à son obligation vaccinale. La période de suspension, à laquelle il est loisible à l'agent de mettre fin, n'est donc pas indéfinie et le préjudice financier en résultant n'est pas, à lui seul, suffisamment grave pour caractériser une méconnaissance par les dispositions du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des stipulations de la convention d'Oviedo.

19. Ainsi les dispositions critiquées, dont la décision fait application, ont apporté au droit au respect de la vie privée une restriction justifiée par l'objectif d'amélioration de la couverture vaccinale en vue de la protection de la santé publique et proportionnée à ce but. Par suite, le moyen tiré de l'incompatibilité des articles 12, 13 et 14 de la loi du 5 août 2021 avec l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 10 de la convention d'Oviedo doit être écarté.

20. Enfin, si Mme A invoque par ailleurs la contrariété de la décision en litige au regard de divers articles du code de la santé publique et du code civil, il ressort de ses écritures qu'elle conteste, en réalité, l'obligation vaccinale prévue par les dispositions de la loi du 5 août 2021, dans son principe même. Ainsi, Mme A ne peut invoquer la contrariété de cette loi aux articles précités qui n'ont pas un rang inférieur au sien dans la hiérarchie des normes, dès lors qu'il n'appartient pas au juge administratif de contrôler la conformité des dispositions législatives entre elles ni de se prononcer sur l'opportunité de leur contenu.

21. En cinquième lieu, la requérante fait valoir que la mesure de suspension est disproportionnée au regard des objectifs poursuivis et de l'évolution de la situation épidémiologique. Cependant, en adoptant par l'article 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021, pour l'ensemble des personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique, à l'exception de celles y effectuant une tâche ponctuelle, le principe d'une obligation vaccinale à compter du 15 septembre 2021, le législateur a entendu, dans un contexte de progression rapide de l'épidémie de Covid-19 accompagnée de l'émergence de nouveaux variants et compte tenu d'un niveau encore incomplet de la couverture vaccinale de certains professionnels de santé, garantir le bon fonctionnement des services hospitaliers publics grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles et protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des malades qui y étaient hospitalisés. Par ailleurs, l'article 12 donne compétence, en son IV, au pouvoir réglementaire, compte tenu de l'évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicales et scientifiques et après avis de la Haute Autorité de santé (HAS), pour suspendre cette obligation pour tout ou partie des catégories de personnes qu'elle concerne. Il s'ensuit que le moyen invoqué par la requérante ne peut être qu'écarté comme étant inopérant dès lors qu'elle ne conteste pas le refus du pouvoir réglementaire d'adapter la réglementation existante à l'évolution de la situation épidémiologique.

22. En sixième, et dernier lieu, la requérante soutient que la décision contestée porte atteinte au principe d'égalité et d'interdiction des discriminations tel que protégé par les stipulations des articles 1er et 14 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, par la déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail de 1998, par la convention n° 111 de l'Organisation internationale du travail, par la loi du 27 mai 2008, par l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 et par le règlement UE 2021/953 du 14 juin 2021. Elle fait valoir que le fait de justifier d'un schéma de vaccination complet ne garantit pas d'une absence de contagiosité de l'agent en cause. Elle en déduit qu'en l'absence de dispositif permettant de vérifier le statut viral de l'agent, la décision contestée applique une réglementation qui crée une situation de discrimination entre agents.

23. Cependant, la décision par laquelle la directrice du centre hospitalier Jacques Cœur de Bourges a suspendu Mme A de ses fonctions sans traitement jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination n'est pas fondée sur l'état de santé de l'intéressée mais sur le non-respect de l'obligation vaccinale imposée par les dispositions de la loi visée ci-dessus du 5 août 2021. En outre, à la date de la décision contestée, les mesures sanitaires en cas de dépistage positif à la covid-19 chez les soignants vaccinés préconisaient un isolement pour tous les agents autorisés à exercer leurs fonctions. Enfin, la réglementation issue de la loi du 5 août 2021 s'applique de manière identique à l'ensemble des personnes qui exercent leur activité professionnelle au sein des établissements de santé, qu'elles fassent ou non partie du personnel soignant. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité et du caractère discriminatoire de la décision contestée doit être écarté.

24. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de la décision du 15 septembre 2021 de la directrice du centre hospitalier Jacques Cœur de Bourges présentées par Mme A doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier Jacques Cœur de Bourges, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont Mme A sollicite le versement au titre des frais engagés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le centre hospitalier Jacques Cœur de Bourges tendant à l'application de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du centre hospitalier Jacques Cœur de Bourges présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme E A et au centre hospitalier Jacques Cœur de Bourges.

Délibéré après l'audience du 30 mars 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Rouault-Chalier, présidente,

M. Viéville, premier conseiller,

Mme Bernard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2023.

Le rapporteur,

Sébastien VIEVILLE

La présidente,

Patricia ROUAULT-CHALIER

La greffière,

Nadine REUBRECHT

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C