Cour administrative d'appel de Marseille

Ordonannce du 15 décembre 2022 n° 22MA00126

15/12/2022

Renvoi

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société de fait Angelini Filliat a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, de constater qu'elle n'a pas commis d'acte anormal de gestion et d'admettre en conséquence la déductibilité de charges du résultat imposable des exercices 2015 et 2016, et, d'autre part, de prononcer la décharge des amendes qui lui ont été infligées au titre des années 2015 et 2016 sur le fondement du II de l'article 1737 du code général des impôts.

Par jugement n° 1910800 du 19 novembre 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 12 janvier 2022, la société Angelini Filliat, représentée par Me Weller, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1910800 du 19 novembre 2021 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de prononcer la décharge des amendes qui lui ont été infligées au titre des années 2015 et 2016 sur le fondement du II de l'article 1737 du code général des impôts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 26 août 2022, la société Angelini Filliat demande à la Cour, à l'appui de sa requête enregistrée le 12 janvier 2022, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article 1737 du code général des impôts, dans leur rédaction issue de l'article 13 de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005.

La société Angelini Filliat soutient que :

- le II de l'article 1737 du code général des impôts est applicable au litige ;

- si ces dispositions ont fait l'objet de la décision du 29 décembre 1999, n° 99-424 DC, la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, notamment la décision n° 2021-908 QPC du 26 mai 2021 relative au 3° du I de l'article 1737 du code général des impôts, et les modifications législatives ultérieures apportées à cet article prévoyant à ses I, III et IV des plafonds constituent un changement de circonstances ;

- la question présente un caractère sérieux au regard du principe de proportionnalité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, tel qu'il a été appliqué par le Conseil constitutionnel dans ses décisions du 26 mai 2021, n° 2021-908 QPC, et du 21 octobre 2021, n° 2021-942 QPC, dès lors que le II de l'article 1737 du code général des impôts ne prend pas en compte le préjudice éventuellement subi par le Trésor, ainsi que le caractère intentionnel de l'infraction et ne prévoit pas de plafond annuel ; l'amende encourue apparait ainsi manifestement disproportionnée au regard de la gravité du manquement et de l'avantage qui a pu en être retiré.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 octobre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour de ne pas faire droit à la transmission demandée.

Il fait valoir que si le II de l'article 1737 du code général des impôts est applicable au litige et n'a pas été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, la question posée ne présente pas un caractère sérieux, dès lors que ces dispositions prévoient une sanction forfaitaire qui n'est pas manifestement disproportionnée et non pas une sanction procédant de l'application d'un taux, ainsi qu'un mécanisme de plafonnement ; l'absence de prise en compte du préjudice subi par le Trésor et de plafond annuel ne révèle pas une atteinte au principe de proportionnalité ; l'exigence d'un élément intentionnel est sans objet, dès lors que l'amende en litige sanctionne une infraction objective.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, notamment son article 8 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

- le code général des impôts et notamment le II de l'article 1737 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

3. Aux termes de l'article 1737 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 13 de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 : " () II. Toute omission ou inexactitude constatée dans les factures ou documents en tenant lieu mentionnés aux articles 289 et 290 quinquies donne lieu à l'application d'une amende de 15 euros. Toutefois, le montant total des amendes dues au titre de chaque facture ou document ne peut excéder le quart du montant qui y est ou aurait dû y être mentionné ". Aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ".

4. La société de fait Angelini Filliat a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle lui a été infligée l'amende pour manquement aux règles de facturation prévue par les dispositions du II de l'article 1737 du code général des impôts. A l'occasion de l'appel interjeté contre le jugement du tribunal administratif de Marseille, ayant rejeté sa demande de décharge des impositions litigieuses, elle demande, par un mémoire distinct, que soit transmise au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au regard de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dont découle le principe de proportionnalité des peines, de ces dispositions applicables au litige. Lesdites dispositions reprennent les termes du premier alinéa de l'article 1740 ter A inséré par le I de l'article 106 de la loi de finances pour 2000 dans le code général des impôts, qui n'a pas été déclaré conforme dans le dispositif de la décision n° 99-424 DC du 29 décembre 1999 du Conseil constitutionnel.

5. Si le II de l'article 1737 du code général des impôts prévoit une amende forfaitaire de 15 euros plafonnée au quart du montant de chaque facture, qui n'est ainsi pas manifestement disproportionnée à la gravité des manquements constatés au titre de chacune des factures, la société Angelini Filliat fait valoir que, nonobstant son montant unitaire, la sanction peut se répéter, le cumul entraînant des conséquences disproportionnées au regard de la gravité des manquements réprimés en l'absence de plafonnement global des amendes encourues, et que cette sanction ne tient pas compte de l'absence d'élément intentionnel et de l'incidence des manquements en matière d'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée. Le moyen tiré de ce que les dispositions du II de l'article 1737 du code général des impôts portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe de proportionnalité des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, pose ainsi une question qui n'est pas dépourvue de caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

O R D O N N E :

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du II de l'article 1737 du code général des impôts est transmise au Conseil d'Etat.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la société Angelini Filliat, jusqu'à la réception de la décision du Conseil d'Etat ou, s'il a été saisi, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Angelini Filliat et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Fait à Marseille, le 15 décembre 2022.

2 QPC

Code publication

D