Cour d'Appel de Lyon

Arrêt du 14 décembre 2021

14/12/2021

Renvoi

2021/02176 - [S-E O]

LA CHAMBRE DE L’INSTRUCTION DE LA COUR D’APPEL DE LYON,

réunie le mardi quatorze décembre deux mil vingt et un en chambre du conseil,

composée lors des débats et du délibéré de :

- Monsieur GOUTON, Président,

- Monsieur PODEVIN et Madame FOUCHÉ, conseillers,

et du prononcé de l'arrêt de:

- Monsieur GOUTON, Président,

tous trois désignés, en application des dispositions de l’article 191 du code de procédure pénale,

en présence lors des débats

- de Madame BROSSIER, greffier,

- de Madame BOISGIBAULT, Avocat général,

et du prononcé de l'arrêt :

- de Madame DAUTREY, greffier,

- d’un magistrat du Parquet général représentant madame la procureure générale,

Vu la procédure d'information suivie au Tribunal judiciaire de LYON, cabinet de Madame PARGUEL, Juge d'instruction contre :

[O S-E]

né le [DateNaissance 1] 1988 à [LOCALITE 2] ([LOCALITE 3])

de [S-H Y] et [D E F]

de nationalité Française

Célibataire

Sans profession

demeurant [adresse 4] - [LOCALITE 5]

- DETENU à la [LOCALITE 6]

- Mandat d'arrêt du vingt quatre décembre deux mil vingt, Mandat de dépôt à durée déterminée du treize janvier deux mil vingt et un, Mandat de dépôt du dix huit janvier deux mil vingt et un - NON COMPARANT -

- Ayant pour conseils Maître BOUAOU Avocat au barreau de PARIS - Maître CHICHE Avocat au barreau de PARIS

des chefs de recel en bande organisée de bien provenant d'un vol en bande organisée en récidive - vols en bande organisée en récidive - vol en bande organisée avec arme en récidive - tentative de vol en bande organisée avec arme en récidive - destruction en bande organisée du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes en récidive - “destruction en bande organisée du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes en récidive - blanchiment : concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion du produit d'un vol commis en bande organisée en récidive - participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime en récidive - obtention frauduleuse de document administratif constatant un droit, une identité ou une qualité ou accordant une autorisation - usage de faux document administratif constatant un droit, une identité ou une qualité ou accordant une autorisation

[N G H]

né le [DateNaissance 7] 1984 à [LOCALITE 8] ([LOCALITE 9])

de [G H I] et [OO PP]

de nationalité: Française

Concubin

Sans profession

demeurant [adresse 10] - [LOCALITE 11]

- DETENU au Centre pénitentiaire de [LOCALITE 12]

- Mandat de dépôt à durée déterminée du huit octobre deux mil vingt, Mandat de dépôt du treize octobre deux mil vingt

- NON COMPARANT …

- Ayant pour conseil Maître SCREVE Avocat au barreau de LYON

des chefs de recel en bande organisée de bien provenant d'un vol en bande organisée - vols en bande organisée - vol en bande organisée avec arme - tentative de vol en bande organisée avec arme - destruction en bande organisée du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes - blanchiment : concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion du produit d'un vol commis en bande organisée - recel de bien provenant d'un vol avec arme - participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime - détention non autorisée d'arme, munition ou de leurs éléments de catégorie B

[A-B C]

né le [DateNaissance 13] 1986 à [LOCALITE 14] ([LOCALITE 15])

de [C W] et [BB CC]

de nationalité Française

Concubin

Sans profession

demeurant [adresse 16] - [LOCALITE 17]

- DETENU au [LOCALITE 18]

- Mandat de dépôt à durée déterminée du huit octobre deux mil vingt, Mandat de dépôt du treize octobre deux mil vingt

- NON COMPARANT -

- Ayant pour conseils Maître VINCENT Avocat au barreau de LYON - Maître BOUAOU Avocat au barreau de PARIS

des chefs de recel en bande organisée de bien provenant d'un vol en bande organisée en récidive- vol en bande organisée en récidive - vol en bande organisée avec arme en récidive - tentative de vol en bande organisée avec arme en récidive - destruction en bande organisée du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes en récidive - blanchiment : concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion du produit d'un vol commis en bande organisée en récidive - participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime en récidive - recel de bien provenant d'un vol aggravé par deux circonstances en récidive

[JJ G H]

né le [DateNaissance 19] 1979 à [LOCALITE 20] ([LOCALITE 21])

de [G H I] et [OO PP]

de nationalité Française

Célibataire

Sans profession

demeurant [adresse 22] - [LOCALITE 23]

- DETENU à la [LOCALITE 24]

- Mandat de dépôt à durée déterminée du huit octobre deux mil vingt, Mandat de dépôt du treize ocobre deux mil vingt

— NON COMPARANT -

- Ayant pour conseil Maître SCREVE Avocat au a barreau de LYON

des chefs de blanchiment : concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion du produit d'un vol commis en bande organisée en récidive - participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime en récidive - détention frauduleuse de faux document administratif constatant un droit, une identité ou une qualité, ou accordant une autorisation

[II Q]

né le [DateNaissance 25] 1989 à [LOCALITE 26])

dé [Q A-R] et [GG HH]

de nationalité Française

Concubin

Sans profession

demeurant [adresse 27] - [LOCALITE 28]

- DETENU au Centre pénitentiaire de [LOCALITE 29]

- Mandat de dépôt à durée déterminée du huit-octobre deux mil vingt, Mandat de dépôt du treize octobre deux mil vingt

- NON COMPARANT -

- Ayant pour conseil Maître SCREVE Avocat au barreau de LYON

des chefs de recel en bande organisée de bien provenant d'un vol en bande organisée en récidive - vols en bande organisée en récidive - vol en bande organisée avec arme en récidive - tentative de vol en bande organisée avec arme en récidive - destruction en bande organisée du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes en récidive - participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime en récidive

[FF D]

né le [DateNaissance 30] 1984 à [LOCALITE 31])

de [D K] et [AAA BBB]

de nationalité Française

Célibataire

Sans emploi

demeurant [adresse 32] - [LOCALITE 33]

- DETENU au Centre pénitentiaire de [LOCALITE 34]

- Mandat de dépôt du huit octobre deux mil vingt

- NON COMPARANT -

- Ayant pour avocats Me VINCENT Avocat au barreau de LYON - Me PASCAL Avocat au barreau de LYON

des chefs de vol en bande organisée en récidive - blanchiment : concours à une opération de placement, dissimulation où conversion du produit d'un vol commis en bande organisée en récidive - participation à une association de malfaiteurs en vue de [a préparation d'un crime en récidive - recel de bien provenant d'un vol par effraction dans un local d'habitation ou un lieu d'entrepôt en récidive - détention non autorisée d'arme, munition ou de leurs éléments de catégorie B en récidive

[TT]

né le [DateNaissance 35] 1980 à [LOCALITE 36] ([LOCALITE 37])

de [TT UU] et [U V]

de nationalité Française

Célibataire

Sans profession

demeurant [adresse 38] - [LOCALITE 39]

- LIBRE SOUS CONTROLE JUDICIAIRE

- Ordonnance de placement sous contrôle judiciaire du dix sept novembre deux mil vingt

- NON COMPARANT. -

- Ayant pour conseil Maître DAMIANO Avocat au barreau de LYON

des chefs de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime en récidive

[KK DD]

né le [DateNaissance 40] 1981 à [LOCALITE 41] ([LOCALITE 42])

de [DD EE] et [YY ZZ]

de nationalité Française

Célibataire

Sans profession

demeurant [LOCALITE 43] - [LOCALITE 44]

- LIBRE

- Ordonnance de placement sous contrôle judiciaire du huit octobre deux mil vingt

- NON COMPARANT -

- Ayant pour conseils Maître HEYRAUD Avocat au barreau de LYON - Maître BOUVATIER Avocat au barreau de LYON

des chefs de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime en récidive - détention non autorisée d'arme, munition ou de leurs éléments de catégorie B

[XX QQ]

né le [DateNaissance 45] 1986 à [LOCALITE 46])

de [QQ SS] et [LL M]

de nationalité Française

Célibataire

Sans profession

demeurant [adresse 47] - [LOCALITE 48]

- LIBRE SOUS CONTROLE JUDICIAIRE

- Ordonnance de placement sous contrôle judiciaire du neuf novembre deux mil vingt

- NON COMPARANT -

- Ayant pour conseil Maître VINCENT Avocat au barreau de LYON

non justification de ressources ou de l'origine d'un bien par une personne en relation habituelle avec une personne participant à à une association de malfaiteurs

[SS LL]

né le [DateNaissance 49] 1982 à [LOCALITE 50] ([LOCALITE 51])

de [LL MM] et [LL A]

de nationalité tunisienne

Célibataire

Sans profession

demeurant [adresse 52] - [LOCALITE 53]

- LIBRE SOUS CONTROLE JUDICIAIRE

- Ordonnance de placement sous contrôle judiciaire du neuf novembre deux mil vingt

- NON COMPARANT -

- Ayant pour conseil Maître SCREVE Avocat au barreau de LYON

blanchiment : concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion du produit d’un vol commis en bande organisée - non justification de ressources ou de l’origine d’un bien par une personne en relation habituelle avec une personne participant à une association de malfaiteurs

PARTIES CIVILES

[VV WW]

demeurant [adresse 54] - [LOCALITE 55]

- sans avocat

- START AUTO

demeurant [LOCALITE 56] - [LOCALITE 57]

- Ayant pour conseil Maître LAMBERT Avocat au barreau de LYON

- RMS SICHERHEITS-ANSTALT

domicile élu chez Me JEFREMOVA Olga - Clyde & Co LLP - [adresse 58] - [LOCALITE 59]

- Ayant pour conseil Maître JEFREMOVA Avocat au barreau de Paris

Vu la demande d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par un écrit distinct et motivé par Maître CHICHE et Maître BOUAOU, conseil de [O S-E] en date du 13 juillet 2021

Vu les observations écrites de madame la procureure générale en date du 24 août 2021

et les notifications et lettres recommandées par elle expédiées, conformément aux dispositions de l’article 197 du code de la procédure pénale, le 23 août 2021

Vu le dépôt du dossier de la procédure au greffe de la chambre de l’instruction et sa mise à la disposition des conseils des parties jusqu’au jour de l’audience dans les formes et délais prévus à l’article 197 alinéas 2 et 3 du code de procédure pénale,

Vu le mémoire régulièrement déposé le 06 septembre 2021 au greffe de la Chambre de l'instruction par Maître CHICHE, pour la défense de [S-H],

- Ayant entendu en audience du mardi 07 septembre 2021 tenue en chambre du conseil,

- Monsieur GOUTON, Président, en son rapport,

- Maître CHICHE, avocat, en ses observations pour [O S-E],

- Maître CHICHE substituant Maître BOUAOU, avocat, en ses observations pour [O S-E],

- Le ministère public en ses réquisitions,

Le conseil de la personne mise en examen ayant eu la parole le dernier,

Après en avoir délibéré conformément aux dispositions de l’article 200 du code de Procédure Pénale, lé délibéré initialement fixé au 05 octobre 2021 a été prorogé au 16 novembre 2021 puis au 14 décembre 2021,

À STATUE AINSI QU'IL SUIT

[O S E] a été mis en examen des chefs de vols en bande organisée commis en état de récidive légale, tentative de vol en bande organisée avec arme commis en état de récidive légale, vol en bande organisée avec arme commis en état de récidive légale, destruction en bande organisée par un moyen dangereux commise en état de récidive légale, recel en bande organisée de vol en bande organisée commis en état de récidive légale, association de malfaiteurs en état de récidive légale, blanchiment de vol en bande organisée avec arme en état de récidive légale, obtention frauduleuse et usage de faux documents administratifs.

Concomitamment au dépôt régulier d’une requête en nullité le 13 juillet 2021 au greffe de la chambre de l'instruction, Maître CHICHE, le conseil de [O S E], a présenté le même jour devant la chambre de l'instruction une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 60-1 et 60-2 du code de procédure pénale.

Cette question prioritaire de constitutionnalité est ainsi libellée :

“Les dispositions des articles 60-1 et 60-2 du Code de procédure pénale - qui permettent aux enquêteurs de police, en flagrance, d'accéder aux données de trafic et de localisation, par biais de réquisitions faites aux opérateurs de télécommunication, sous le seul contrôle du procureur de la République et sans nulle décision préalable délivrée par une juridiction indépendante - sont-elles inconstitutionnelles, en ce qu'elles violent le droit au respect de la vie privée, qui découle de l'article 2 de la Déclaration des droits de 1'hommme et du citoyen, ainsi que l'article 16 de ce texte qui garantit l’ensemble des droits et libertés proclamés par la Constitution ?".

Le requérant rappelle les termes des articles concernés desquels résulte que les autorités policières peuvent spontanément et de leur propre initiative dans le cadre d’une enquête de flagrance, visant la recherche d’une infraction, accéder à l’ensemble dès données téléphoniques :

- article 60-1 du Code de procédure pénale :

“Le procureur de la République ou l'officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de ce dernier, l'agent de police judiciaire peut, par tout moyen, requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des informations intéressant l'enquête, y compris celles issues d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives, de lui remettre ces informations, notamment sous forme numérique, le cas échéant selon des normes fixées par voie réglementaire, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l'obligation au secret professionnel. Lorsque les réquisitions concernent des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-5, la remise des informations ne peut intervenir qu'avec leur accord.

A l'exception des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-5, le fait de s'abstenir de répondre à réquisition dans les meilleurs délais et s'il y a lieu selon les normes exigées est puni d'une amende de 3 750 euros.

A peine de nullité, ne peuvent être versés au dossier les éléments obtenus par une réquisition prise en violation de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse”.

- article 60-2 du Code de procédure pénale :

“Sur demande de l'officier de police judiciaire, ou sous le contrôle de ce dernier, de l'agent de police judiciaire, intervenant par voie télématique ou informatique, les organismes publics ou les personnes morales de droit privé, à l'exception de ceux visés au d du 2 de l'article 9 du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 précité et au 2° de l'article 80 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, mettent à sa disposition les informations utiles à la manifestation de la vérité, à l'exception de celles protégées par un secret prévu par la loi, contenues dans le ou les systèmes informatiques ou traitements de données nominatives qu'ils administrent.

L'officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de ce dernier, de l'agent de police judiciaire, intervenant sur réquisition du procureur de la République préalablement autorisé par ordonnance du juge des libertés et de la détention, peut requérir des opérateurs de télécommunications et notamment de ceux mentionnés au 1 du I de l'article 6 de la loi 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, de prendre, sans délai, toutes mesures propres à assurer la préservation pour une durée ne pouvant excéder un an, du contenu des informations consultées par les personnes utilisatrices des services fournis par les opérateurs.

Les organismes du personnes visés au présent article mettent à disposition les informations requises par voie télématique ou informatique dans les meilleurs délais.

Le fait de refuser de répondre sans motif légitime à ces réquisitions est puni d'une amende de 3 750 euros.

Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, détermine le catégories d'organismes visés au premier alinéa ainsi que les modalités d'interrogation, de transmission et de traitement des informations requises”.

Il indique que ces dispositions sont effectivement applicables au litige et à la procédure au sens de l’article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dès lors que c’est en exécution de telles réquisitions que les enquêteurs ont obtenu l’accès à diverses données de téléphonie concernant [O S E], dont l’exploitation a permis d'établir des éléments de preuve essentiels.

Il observe que si ces dispositions ont été déclarées partiellement conformes à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 2019 n° 2019-778 DC, l'arrêt HK/Prokuratuur rendu le 2 mars 2021 par la Cour de justice de l'Union européenne constitue un changement de circonstance:

La CJUE a en effet jugé que le droit de l'Union s’opposait à une réglementation, nationale donnant compétence au ministère public pour autoriser l'accès aux données relative au trafic et aux données de localisation dès lors que un tel accès doit être soumis à l'approbation préalable d’une autorité indépendante, cette “exigence d'indépendance impliquant que l'autorité chargée de ce contrôle préalable, d'une part, ne soit pas impliquée. dans la conduite de l'enquête pénale en cause et, d'autre part, ait une position de neutralité vis à vis des parties à la procédure pénale”, “tel n'[étant] pas le cas d'un ministère public qui dirige la procédure d'enquête et exerce, le cas échéant, l'action publique”.

Le requérant évoque également un arrêt rendu le 9 juin 2021 par la chambre criminelle de la Cour de cassation ayant décidé la transmission au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 230-32 et 230-33 qui autorisent le recours à une mesure de géolocalisation en temps réel par décision du seul procureur de la République et sans contrôle préalable d’une juridiction indépendante.

Il indique que la Cour de cassation a considéré, alors que les articles en cause avaient déjà été déclarés conformes à la Constitution, que “l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, rendu en grande chambre le 2 mars 2021 (H K./Prokuratuur, C- 746/18), dans lequel celle-ci a estimé qu'une décision autorisant une mesure de géolocalisation devait être prise par une autorité distincte de celle assurant la direction de l'enquête -et l'engagement des poursuites dans. la suite de la procédure, est susceptible de constituer un changement de circonstances” .

Il rappelle les dispositions de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon lesquelles "Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de 1'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance a l'oppression”. Il précise que le Conseil constitutionnel a été amené à juger que “la liberté proclamée par cet article implique le respect de la vie privée”.

Le Conseil constitutionnel a considéré que la façon dont le législateur autorise “la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel [doit être justifiée] par un motif d'intérêt général et mis en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif”.

Il vérifie notamment que les catégories de personnes susceptibles d’être soumises à une mesure de surveillance ont bien été définies et si les possibilités d’accès aux données de connexion sont entourées de garanties suffisantes “propres à assurer une conciliation équilibrée entre d'une part le droit au respect de la vie privée et, d'autre part la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions”.

Le Conseil constitutionnel n’a pas encore été amené à se prononcer sur la question de la conservation des données de trafic ni sur celle de l’accès auxdites données par les autorités judiciaires.

Le requérant rappelle les dispositions des articles 7 et 87 de la Charte des droits fondamentaux de Union européenne qui affirment le droit de toute personne au respect de sa vie privée et à la protection de ses données à caractère personnel.

“Les articles 5,6 et 15 de la directive 2002/58/CE disposent que les Etats garantissent la confidentialité des Communications et des données relatives au trafic, lesquelles doivent être effacées ou, anonymisées lorsqu'elles ne sont plus nécessaires à la transmission d’une communication. Des mesures législatives peuvent imiter ces droits et obligations lorsqu'une telle limitation est nécessaire, appropriée et proportionnée; au sein d’une société démocratique! pour sauvegarder la sécurité nationale, c’est à dire 1h sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, ou assurer la prévention: la recherche, la détection, et la poursuite d’infractions pénales, et prévoir ainsi et pour ces raisons, que lesdites données seront conservées pour une durée limitée.

Le requérant rappelle la jurisprudence de la CJUE en la matière selon laquelle :

- seules la sauvegarde de la sécurité nationale et la lutte contre la criminalité grave sont susceptibles de justifier la conservation des données de trafic et de localisation eu égard à la gravité de l'ingérence dans les droits fondamentaux en cause ;

- une réglementation nationale prévoyant une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation, excède le strict nécessaire et ne saurait être justifiée dans une société démocratique, même au regard des objectifs de lutte contre la criminalité grave et de prévention des menaces graves contre la sécurité publique ;

- reste possible toutefois à titre préventif une conservation ciblée des données, aux fins de lutte contre la criminalité grave, s’agissant notamment de personnes préalablement identifiées sur la base d'éléments objectifs comme présentant une menace pour la sécurité publique ou la sécurité nationale ;

- l'accès des autorités nationales compétentes aux données conservées doit être subordonnée au contrôle préalable d’une juridiction ou d’une autorité administrative indépendante, sur demande motivée des autorités en question ;

- l'autorité chargée de ce contrôle ne doit pas être impliquée dans la conduite de l'enquête pénale et doit avoir une position de neutralité, ce que n’est pas et ce que n’a pas un ministère public qui dirige la procédure d’enquête et exerce, le cas échéant. l’action publique ;

- le droit de l'Union s’oppose dès lors à une réglementation nationale donnant compétence au ministère public, dont la mission est de diriger la procédure d'instruction pénale et d'exercer, le cas échéant, l’action publique lors d’une procédure ultérieure, pour autoriser l’accès d’une autorité publique aux données relatives au trafic et aux données de localisation aux finis d’une instruction pénale ;

Le requérant considère ainsi que la possibilité offerte aux autorités policières par les articles 60-1 et 60-2 du Code de procédure pénale d’accéder aux données à caractère personnel sans autorisation préalable constitue une atteinte au droit au respect de la vie privée constitutionnellement garanti, alors même que ne peut suffire le contrôle exercé sur les investigations menées en flagrance par le procureur de la République, lequel ne présente pas les garanties d'indépendance et) d’impartialité exigées par le droit de l'Union.

*

Dans ses réquisitions écrites du 24 août 2021, le parquet général demande que le mémoire soit déclaré recevable en la forme et qu’il soit constaté qu’il est relatif à une question applicable à [a procédure.

Il requiert toutefois un non-lieu à transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au motif qu’elle est dépourvue de caractère sérieux dès lors que trois rédactions - successives: des articles 60-1 et 60-2 ont été soumises au Conseil constitutionnel qui les a validées et que les dispositions de ces articles qui n’ont pas été soumises au Conseil constitutionnel ne portent pas atteinte à l’intimité de la vie privée ou limitent le pouvoir de réquisition des officiers de police judiciaire.

*

Maître CHICHE, conseil de [O S E], a régulièrement fait parvenir un mémoire au greffe de la chambre de l'instruction le 6 septembre 2021, aux termes duquel il entend répliquer aux réquisitions du ministère public.

Il maintient que la récente jurisprudence de la CJUE (arrêt HK/Proküratuur en date du 2 mars 2021) constitue un changement de circonstances et donne un caractère sérieux à la question posée dès lors que le procurent de la République ne peut, en raison de son statut et de ses missions, être l’autorité tierce et neutre chargée d’autoriser et de contrôle l’accès aux données à caractère personnel.

*

A l'audience, les parties présentes ont développé leurs observations orales dans l’ordre visé en en-tête du présent arrêt, Maître CHICHE ayant eu la parole en dernier.

Le délibéré fixé au 5 octobre 2021 a été prorogé au 16 novembre 2021 puis au 14 décembre 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En la forme,

Concomitamment au dépôt régulier d’une requête eh nullité le 13 juillet 2021, le conseil de [O S E] a fait parvenir au greffe de la chambre de l'instruction un mémoire distinct et motivé demandant la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité.

En cet état, il y a lieu de constater que cette demande est recevable en la forme.

Au fond,

Sur l’applicabilité de la disposition contestée à la procédure.

La disposition législative dont la conformité aux règles constitutionnelles est contestée détermine les conditions dans lesquelles ont été obtenues les données de téléphonie à caractère personnel de trafic et de localisation dont il est demandé l'annulation de la communication et de l'exploitation. Elle est par conséquent applicable à la procédure.

Sur le caractère nouveau de la question

Dans son arrêt HK/Prokuratuur rendu en grande chambre le 2 mars.2021, la Cour de justice de l'Union européenne a d’une part subordonné l'accès des. auto publiques aux données relative au trafic et à sa localisation à des procédures visant à la lutte contre la criminalité grave ou à la prévention de menaces graves contre la sécurité publique, a d'autre part rappelé que cet accès devait être préalablement contrôlé par une juridiction ou une entité administrative indépendante susceptibles d’assurer un juste équilibre entre les intérêts de l’enquête et Les droits fondamentaux, jouissant d'un statut lui permettant d'agir à l'abri de toute influence extérieure, de manière objective et impartiale, et considéré qu’un ministère public dont la mission est de diriger la procédure d'instruction pénale et d’exercer, le cas échéant, l’action publique lors d’une procédure ultérieure, ne pouvait avoir compétence pour autoriser l'accès auxdites données.

Cet arrêt duquel résulte que l'accès aux données téléphoniques de trafic et de localisation doit être préalablement autorisé par une autorité distincte de celle assurant la direction de l'enquête et l'engagement des poursuites dans la suite de la procédure, est susceptible de constituer un changement de circonstances.

Sur le caractère sérieux de la question

Les articles 60-1 et 60-2 du code de procédure pénale applicables aux enquêtes de flagrance, autorisent le procureur de la République, chargé diriger l'enquête et d'engager les poursuites, l’ officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de ce dernier, l'agent de police oc de requérir la communication de données à caractère personnel de trafic et de localisation, sans le contrôle préalable d'une autorité extérieure.

- Au regard des circonstances nouvelles susceptibles de tente rer /Prokuratuur

rendu en grande chambre le 2 mars 2021 par la CJUE, ces dispositions sont susceptibles de porter une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

En conséquence, il y aura lieu de transmettre a question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

Sur Le sursis à statuer

Il résulte de l’article 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 que lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel sauf, notamment, lorsqu'une personne est privée de liberté à raison de l’instance.

Il convient en l’espèce de constater que les nommés [O S E], [A-B C], [JJ G H], [N G H] et [FF D] sont en état de détention provisoire dans le cadre du présent dossier.

Il n’y aura donc pas lieu de surseoir à statuer sur la requête en nullité présentée par [O S E].

PAR CES MOTIFS

LA CHAMBRE DE L'INSTRUCTION DE LA COUR D'APPEL DE LYON,

statuant en chambre du conseil, par décision ne pouvant être contestée qu’à l'occasion d’un recours formé contre une décision ayant statué sur la demande au cours de la procédure,

Vu l'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958,

Vu l'article LO 630,

Vu les articles 23-1 et suivants de l’Ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel modifié par la Loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009,

Vu les articles 194 et suivants et R.49-21 à R 49-29 du code de procédure pénale,

EN LA FORME

CONSTATE que le moyen soulevé par le conseil de [O S E] tiré de l'atteinte qu’une disposition législative porterait aux droits et libertés garantis par la Constitution est recevable.

AU FOND

DIT qu'il y a lieu de transmettre à la Cour de cassation la question: prioritaire de constitutionnalité suivante :

“Les dispositions des articles 60-1 et 60-2 du Code de procédure pénale - qui permettent aux enquêteurs de police, en flagrance, d'accéder aux données de trafic et de localisation, par le biais de réquisitions faites aux opérateurs de télécommunication, sous le seul contrôle du procureur de la République et sans nulle décision préalable délivrée par une juridiction indépendante - sont-elles inconstitutionnelles, en ce qu'elles violent le droit au respect de la vie privée, qui découle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ainsi que l’article 16 de ce texte, qui garantit -l'ensemble des droits et libertés proclamés par la Constitution ?".

Les parties et leurs conseils sont avisés de ce que la présente décision n'est susceptible d'aucun recours et que les parties qui entendent présenter des observations devant la Cour de cassation doivent se conformer aux dispositions de l'article R. 49-30 et sont informées des dispositions du premier alinéa de l'article KR. 49-32 du code de procédure pénale. .

Article R. 49-30 du code de procédure pénale : Les parties disposent d'un délai d'un mois à compter de la décision de transmission de la question de constitutionnalité à la Cour de cassation pour faire connaître leurs éventuelles observations devant la Cour. Elles sont signées par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conformément aux règles prévues par l'article 585, sauf lorsqu'elles émanent de la personne condamnée, de la partie civile en matière d'infraction à la loi sur la presse ou du demandeur en cassation lorsque la chambre criminelle est saisie d'un pourvoi en application des articles 567-2, 574-1 et 574-2.

Article R. 49-32, premier alinéa, du code de procédure pénale : Le président de la formation à laquelle l'affaire est distribuée ou son délégué, à la demande d'une des parties ou d'office, peut, en cas d'urgence, réduire le délai prévu aux articles R. 49-30 et R. 49-31.

Le présent arrêt a été signé par le président et le greffier.