Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 7 décembre 2021, N° Dossier : 2021/02818

07/12/2021

Renvoi

COUR D’APPEL DE PARIS

6, boulevard du Palais

75055 PARIS Cedex 01

N° Dossier : 2021/02818

N° BO : X18352000055

Chambre 3 - Pôle 7

ARRÊT DE TRANSMISSION PARTIELLE DE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

N° de minute :

Le 07 décembre 2021,

La Cour,

composée lors des débats, du délibéré et du prononcé de l'arrêt de :

M. LECAT, Président

Mme PUIG-COURAGE, Conseiller

M. FAVRE, Conseiller

tous trois désignés en application des dispositions de l'article 191 du code de procédure pénale

GREFFIER :

Mme MAURICE, Greffier, lors des débats et du prononcé de l'arrêt

MINISTÈRE PUBLIC :

Mme ALIMI-UZAN, Avocat Général, lors des débats et lors du prononcé de l'arrêt ;

Vu les articles 23-1 et suivants de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu les articles R. 49-25 et suivants du Code de Procédure Pénale ;

Vu la demande d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par un écrit distinct et motivé le 26 avril 2021 par Monsieur [A B] représenté par Maître Raphaël CHICHE ;

Vu les observations formulées le 10 septembre 2021 par Me CHICHE ; Vu l'avis du ministère public en date du 5 août 2021 ;

M. [A B] est mis en examen depuis le 12 mars 2021 des chefs de transport, détention, offre ou cession, emploi et importation de produits stupéfiants sur la période du 14 mai 2019 au 13 décembre 2019.

Au soutien d’une requête en annulation de procédure Monsieur [A B] représenté par Maître Raphaël CHICHE demande que soit transmise à la Cour de cassation la question suivante:

“Les dispositions - de l’article 34-1 II et III du code des postes et des communications électroniques - qui prévoient la conservation généralisée et indifférenciée pendant un an des données à caractère personnel listées à l’article R10-1 du même code pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales - et des articles 60-1, 60-2, 99-3 et 99-4 du code de procédure pénale - qui permettent aux enquêteurs de police, en flagrance, ou au magistrat instructeur, dans le cadre d’une information judiciaire d accéder à ces données par le biais de réquisitions faites aux opérateurs de télécommunication - sont-elles inconstitutionnelles en ce qu’elles violent le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ?”.

Il fait valoir que c’est la mise en oeuvre de ces dispositions qui a permis l’obtention par les enquêteurs, de leur propre initiative et sans décision n1 contrôle préalable d’un magistrat ou d’une autre autorité indépendante, la facturation détaillée, de la ligne téléphonique du domicile de sa famille puis celle de son téléphone portable ce qui a permis de tirer des conclusions très précises concernant sa vie privée.

IL s'appuie dans sa requête et ses observations complémentaires sur la directive 2002/58/CE et sur différentes décisions de la Cour de justice de l’Union européenne du 21 décembre 2016, TELE2 SVERIGE AB, Ministerio fiscal du 2 octobre 2018 et sur question préjudicielle du Conseil d'Etat français du 6 octobre 2020, mais aussi des Cours constitutionnelles belge et allemande pour établir le caractère sérieux de sa question. Il considère en effet que ces décisions de la CJUE attestent que les dispositions litigieuses portent atteinte à la vie privée par la conservation indifférenciée des données de connexion et la possibilité donnée aux enquêteurs d’y accéder, sans contrôle effectif d’un juge ou d’une autorité indépendante.

Le ministère public soutient que la question si elle est recevable en la forme et si le conseil constitutionnel n’a pas examiné à ce jour la conformité de ces dispositions, est dépourvue de sérieux puisque celles-ci sont conformes à la directive 2002/58/CE.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la recevabilité de la demande d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité :

Cette question prioritaire de constitutionnalité est régulièrement formulée par un écrit distinct et motivé déposé au greffe de la chambre de l’instruction le 26 avril 2021 conformément aux dispositions de l’article 23-1 de l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel,

Les dispositions de l’article 34-1 IT et III du code des postes et des communications électroniques et des articles 99-3 et 99-4 1er alinéa du Code de procédure pénale, sont applicables au litige, dès lors que ces dispositions qui permettent l’accès aux données conservées ont été mises en oeuvre pour identifier un numéro de téléphone de M. [B] puis identifier ses trajets et l’associer à différentes personnes et différents véhicules pour en tirer des indications quant à sa participation à un trafic de stupéfiants.

Le deuxième alinéa de l’article 99-4 qui concerne les réquisitions de conservation de données n’a pas été mis en oeuvre et n’est donc pas applicable à la procédure, non plus que le 1% alinéa de l’article 60-1 et les deuxième et troisième alinéas de l’article 60-2 du CPP.

L’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen visé par la question, fait partie des dispositions constitutionnelles qui garantissent les droits et libertés qui auraient été atteintes, en l’espèce le droit à la protection de la vie privée.

Les dispositions de l’article L 34-1 II et III dans sa version antérieure au 31 juillet 2021 n’ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel.

Les dispositions des articles 99-3 et 99-4 1er alinéa du CPP n’ont pas été soumises à celui-ci.

La question est donc recevable.

***

Sur le fond

Sur le caractère sérieux de la Question :

La question est sérieuse en ce qui concerne l’article L34-1 du code des postes et télécommunications, compte tenu de l’intervention du législateur pour modifier ce texte par la Loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 en vue d’une mise en conformité avec les exigences de la CJUE qui ne sont pas sans rapport avec le contenu de l’article 2 de la DDH.

S’agissant des dispositions combinées des articles 60-1, 60-2, 99-3 et 99-4 alinéa 1er du Code de procédure pénale qui concernent les pouvoirs de réquisition d'officiers de police judiciaire détenteurs d’une commission rogatoire du juge d’instruction, il y a lieu de prendre en compte le prononcé d une décision 2021-952 QPC du 3 décembre 2021 par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré non conformes à la Constitution, les dispositions des articles 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale qui donnent au procureur de la République et, sur son autorisation aux officiers et agents de police judiciaire, l’accès aux données de connexion détenues par les opérateurs.

La question de l’accès aux données de connexion conservées par les opérateurs, apparaît comme une question sérieuse en ce que les articles 99-3 et 99-4 alinéa 1 du CPP donnent à l'officier de police judiciaire détenteur d’une commission rogatoire l’accès à tous documents et données intéressant l'instruction, sous le contrôle mais sans autorisation préalable du juge d’instruction et sans restriction quant à la gravité des infractions concernées.

Sur la saisine actuelle de la Cour de cassation d’une question prioritaire de Constitutionnalité mettant en cause par les mêmes motifs, les mêmes dispositions du code des postes et communications électroniques.

Le conseil de M. [B] a avisé la cour, par courrier télécopié du 12 novembre 2021 de ce que la Cour de cassation était saisie d’une semblable question et a sollicité une prorogation de délibéré en attente de la décision.

La cour de cassation est effectivement saisie par la voie de deux pourvois interjetés le 31 mai 2021 contre deux arrêts de la septième section de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris visant les mêmes dispositions de l’article L 34-1 II et III du CPCE dans sa version antérieure au 31 juillet 2021.

Le libellé de la question initialement soumise à la chambre de l’instruction et dont la transmission a été refusée était le suivant :

“Les dispositions de l’article L34-1 II et III du code des Postes et Communications électroniques - qui prévoit la conservation généralisée et indifférenciée pendant un an des données à caractère personnel listées à l’article R 10-1 du même code pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales - et des articles 60-1, 60-2, 99-3 et 99-4 du code de procédure pénale, qui permettent aux enquêteurs de police, en flagrance, ou à un magistrat instructeur dans le cadre d’une information judiciaire, d'accéder à ces données par le biais de réquisitions faites aux opérateurs de télécommunication - sont-elles inconstitutionnelles en ce qu'elles violent le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen?”

La question dont est saisie la chambre criminelle depuis le 15 octobre 2021 et dont le libellé figure sur le site dédié de la cour de cassation, porte sur la constitutionnalité du seul article L34-1 II et III du code des Postes et Communications électroniques au regard de l’article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme mais également de l’article 34 de la Constitution.

Elle ne vise plus que la conservation généralisée et indifférenciée pendant un an sans qu’une telle conservation soit réservée aux infractions les plus graves ni qu’elle soit soumise à l’autorisation et au contrôle d’une autorité ou juridiction indépendante.

Elle ne vise pas les articles 60-1, 60-2, 99-3 et 99-4 du CPP et l’obtention par les enquêteurs des données de connexion litigieuses.

Il y a donc identité sur le seul premier point entre les deux questions.

Or aux termes de l’article R-49-26 du CPP, la juridiction saisie n’est pas tenue de transmettre une question prioritaire de Constitutionnalité mettant en cause par les mêmes motifs, des dispositions législatives dont la cour de cassation ou le conseil constitutionnel est déjà saisi.

La Question ne sera donc transmise qu’en ce qui concerne la constitutionnalité des articles 99-3, 99-4 alinéa 1er, et les dispositions des articles 60-1 et 60-2 du CPP visées par les deux précédents ;

Sur le sursis à statuer :

Dans l’hypothèse d’une transmission de la Question ou du constat d’une saisine en cours, la juridiction doit surseoir à statuer sur le fond jusqu’à ce qu’elle soit informée de la décision.

Toutefois, les dispositions de l’article 23-3 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 excluent le sursis à statuer en première instance, lorsqu'une personne est privée de liberté à raison de l'instance en cours, ce qui est le cas de M. [A B] qui se trouve placé sous mandat de dépôt dans la procédure suivie devant le juge d’instruction de Meaux visée par la requête en annulation.

Elles l’excluent également lorsque la juridiction est tenue de statuer sur le fond dans un certain délai qui, s’agissant comme en l’espèce d’une requête en annulation, est un délai de deux mois, à compter de sa saisine (Article 194 du CPP).

Il sera donc dit :

-n’y avoir lieu à transmission de la question en ce qu’elle est relative à la constitutionnalité de l’article L 34-1 II et III du code des Postes et Communications électroniques dans sa version antérieure au 31 juillet 2021 dont est déjà saisie la Cour de cassation ;

-y avoir lieu à transmission de la question en ce qu’elle est relative à la constitutionnalité des articles, 99-3 et 99-4 alinéa 1er et des dispositions des articles 60-1 alinéa 2 et: 60-2 alinéas 1, 3 et 4 du CPP.

Par ailleurs, 1l sera statué sans délai, par arrêt distinct sur la requête en annulation à l’occasion de laquelle la présente demande de transmission de question prioritaire de constitutionnalité a été formulée.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

TRANSMET à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

"Les dispositions combinées des articles 60-1 alinéa 2, 60-2 alinéas 1, 3 et 4 du CPP. 99-3 et 99-4 alinéa 1er du code de procédure pénale, qui permettent aux officiers de police judiciaire sur commission rogatoire d'un magistrat instructeur dans le cadre d’une information judiciaire, d'accéder à des données de connexion par le biais de réquisitions faites aux opérateurs de télécommunication - sont-elles inconstitutionnelles en ce qu'elles violeraient le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen?”

DIT n’y avoir lieu à transmission de la Question en ce qu’elle vise l’article L 34-1 II et III du code des Postes et Communications électroniques dans sa version antérieure au 31 juillet 2021

RAPPELLE qu’en application de l’article R.49-28 du Code de procédure pénale, cette décision ne peut être contestée qu’à l’occasion d’un recours formé contre une décision ayant statué sur la demande principale au cours de la procédure ;

DIT que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

LE GREFFIER

LE PRESIDENT