Conseil d'Etat

Décision du 12 avril 2021 n° 447916

12/04/2021

Renvoi

CONSEIL D'ETAT

statuant

au contentieux

PD

 

 

 

N° 447916

 

__________

 

SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE et autres

__________

 

Mme Fanélie Ducloz

Rapporteure

__________

 

M. Stéphane Hoynck

Rapporteur public

__________

 

Séance du 24 mars 2021

Décision du 12 avril 2021

__________

 

REPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

 

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 6ème et 5ème chambres réunies)

 

 

Sur le rapport de la 6ème chambre

de la Section du contentieux

 

 

 

 

 

 

Vu la procédure suivante :

 

Par un mémoire, enregistré le 15 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, le syndicat des avocats de France, le syndicat de la magistrature et l'association pour la défense des droits des détenus demandent au Conseil d’État, en application de l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l’appui de leur requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-1401 du 18 novembre 2020 portant adaptation de règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière pénale, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de cet article.

 

 

 

 

…………………………………………………………………………

 

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 38 et 61-1 ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- l’ordonnance n° 2020-1401 du 18 novembre 2020, notamment son article 2 ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

 

 

 

Après avoir entendu en séance publique :

 

- le rapport de Mme Fanélie Ducloz, maître des requêtes en service extraordinaire,

 

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

 

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat du syndicat des avocats de France et autres ;

 

 

 

Considérant ce qui suit :

 

1. Aux termes du premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (…) à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’Etat (…) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

 

2. Aux termes de l’article 2 de l’ordonnance du 18 novembre 2020 portant adaptation de règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière pénale : « Nonobstant toute disposition contraire, il peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l'ensemble des juridictions pénales et pour les présentations devant le procureur de la République ou devant le procureur général, sans qu'il soit nécessaire de recueillir l'accord des parties. / Le moyen de télécommunication utilisé doit permettre de certifier l'identité des personnes et garantir la qualité de la transmission ainsi que la confidentialité des échanges. Le magistrat s'assure à tout instant du bon déroulement des débats et il est dressé procès-verbal des opérations effectuées. / Le magistrat organise et conduit la procédure en veillant au respect des droits de la défense et en garantissant le caractère contradictoire des débats. Les dispositions du sixième alinéa de l'article 706-71 du code de procédure pénale sont applicables. / Les dispositions du présent article ne sont applicables devant les juridictions criminelles qu'une fois terminée l'instruction à l'audience mentionnée à l'article 346 du code de procédure pénale. »

 

3. Les dispositions de l’article 2 de l’ordonnance du 18 novembre 2020 ont été prises en application de l’habilitation prévue à l’article 10 de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prolongation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire. Elles n’ont pas, à ce jour, fait l’objet d’une ratification législative. Toutefois, d’une part, le délai d’habilitation fixé par la loi du 14 novembre 2020 est expiré ; d’autre part, ces dispositions, qui fixent des règles concernant la procédure pénale, relèvent du domaine de la loi. Elles doivent, par suite, être regardées comme des dispositions législatives au sens de l’article 61-1 de la Constitution.

 

4. Ces dispositions sont applicables au litige au sens et pour l’application de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 et n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu’elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment aux droits de la défense, en ce qu’elles permettent le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l’ensemble des juridictions pénales, y compris criminelles lorsque l’instruction à l’audience est terminée, et pour les présentations devant le procureur de la République ou devant le procureur général, sans qu'il soit nécessaire de recueillir l'accord des parties, soulève une question présentant un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

 

 

 

D E C I D E :

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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l’article 2 de l’ordonnance du 18 novembre 2020 portant adaptation de règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière pénale est renvoyée au Conseil constitutionnel.

 

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête du syndicat des avocats de France et autres jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

 

Article 3 : La présente décision sera notifiée au syndicat des avocats de France, premier requérant dénommé, et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Premier ministre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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