Cour d'Appel de Rennes

Arrêt du 5 janvier 2021, Dossier n° 2020/02104

05/01/2021

Renvoi

ARRÊT N°1

LA CHAMBRE DE L'INSTRUCTION DE LA COUR D'APPEL DE RENNES

05 janvier 2021

RENNES

Dossier n° 2020/02104

BO : 20136000022

[E F]

importation non autorisée de stupéfiants commise en bande organisée - trafic ; détention, offre ou cession, transport, acquisition non autorisés de stupéfiants ; importation en contrebande de marchandise dangereuse pour la santé publique (stupéfiant) [...];

Transmission à la Cour de cassation

 

AUDIENCE DU CINQ JANVIER DEUX MIL VINGT ET UN

LA CHAMBRE DE L’INSTRUCTION DE LA COUR D'APPEL DE RENNES a rendu l'arrêt suivant :

Vu la procédure instruite au tribunal judiciaire de RENNES contre :

[E F]

né le [DateNaissance 1] 1994 à [LOCALITE 2] ([LOCALITE 3])

Fils de [G E] et de [H I]

de nationalité Ivoirienne

Détenu [LOCALITE 4]

Qualification des faits :

trafic : détention, offre ou cession, transport, acquisition non autorisés de stupéfiants ; importation en contrebande de marchandise dangereuse pour la santé publique (stupéfiant) ; participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime ; participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de 10 ans d'emprisonnement ; détention de marchandise dangereuse pour Ia santé publique (stupéfiant) sans document justificatif régulier : fait réputé importation en contrebande ;

Ayant pour avocat Me TESSIER, 32 rue de Redon - CS 1449 - 35044 RENNES CEDEX

Composition de la cour lors des débats :

Christine MOREAU, Président,

Anne DESPORT,

et Alice MAZENC, conseillers

Tous trois désignés conformément aux dispositions de l’article 191 du code de procédure pénale,

En présence

du ministère public

et de Delphine MIXTE, Greffier

Vu le mémoire distinct aux fins de question prioritaire de constitutionnalité régulièrement déposé au greffe du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de RENNES le 30 décembre 2020 par Me TESSIER, avocat de [F E] ;

Vu l'avis adressé le 31 décembre 2020 par fax à Me TESSIER par le procureur général, l’informant que le dossier de la procédure sera examiné par la chambre de l’instruction à l'audience du 05 janvier 2021 à 12 heures ;

Vu le mémoire régulièrement déposé au greffe de la cour le 31 décembre 2020 par Me TESSIER, avocat de [F E] ;

Vu les réquisitions du procureur général en date du 4 janvier 2021 tendant au non renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation :

Vu les autres pièces du dossier de la procédure,

A l'audience du 05 janvier 2021, en chambre du conseil, après avoir entendu :

Christine MOREAU, présidente, en son rapport,

le ministère public en ses réquisitions orales,

l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu à l'audience du 05 janvier 2021 à 16 heures

et ce jour, après en avoir délibéré conformément à l'article 200 du code de procédure pénale en l'absence du ministère public et du greffier, et dans la même composition :

FAITS ET PROCÉDURE

M. [E F] a été mis en examen le 18 mai 2020 des chefs de :

- acquisition, détention, transport ou cession de stupéfiants,

- transport et détention, en violation des dispositions légales ou réglementaires de marchandises prohibées dangereuses pour la santé,

- association de malfaiteurs en vue de la préparation de délits punis de dix ans,

faits commis en état de récidive légale, le 14 mai 2020 sur le territoire national (péage de [LOCALITE 5]).

Le mis en examen a été placé en détention provisoire le 22 mai 2020, la date de son placement effectif en détention étant fixée au 18 mai 2026, date de son incarcération provisoire.

La détention provisoire de M. [E] a été prolongée par ordonnance du 3 septembre 2020 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de RENNES à l’issue d’un débat contradictoire auquel le mis en examen était physiquement comparant, celui-ci ayant refusé le recours à la visio-conférence.

Le 30 décembre 2020, dans la perspective du débat contradictoire sur la prolongation de cette détention organisé le lendemain, Me TESSIER, conseil de M. [E], a déposé au greffe du juge des libertés et de la détention un mémoire soulevant une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

“L'article 2 l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-1401 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière pénale, en ce qu'il permet au juge des libertés et de la détention d'imposer le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle sans l'accord de la personne concernée, est-il conforme à la Constitution et notamment au principe constitutionnel des droits de la défense, au droit à un recours effectif au droit de tout détenu de voir sa situation traitée dans le respect des règles de compétences et de procédures fixées par le code de procédure pénale, au droit à la liberté et à la sûreté, et au droit à la comparution personnelle et physique, garantis l'article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ?”.

Ce mémoire était transmis le même jour au greffe de la chambre de l'instruction.

Par ordonnance du 31 décembre 2020, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de RENNES a ordonné la prolongation de la détention provisoire de M. [E] pour une durée de quatre mois à compter du 17 janvier 2021.

Dans son mémoire, Me TESSIER fait valoir que les dispositions contestées portent une atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense et au droit à un recours excessif devant un juge dès lors qu’elles permettent d'imposer aux mis en examen de comparaître par visio-conférence pour toutes les audiences pénales, quelle que soit la peine encourue, sans que leur consentement ne soit requis.

Dans un mémoire complémentaire, il soutient que la disposition contestée a acquis valeur législative au motif que le projet de loi de ratification a été déposé peu important que le délai d’habilitation, qu'il fixe au 16 février 2021, ne soit pas encore expiré.

Le parquet général soutient que la question posée ne doit pas être transmise à la Cour de cassation car la disposition contestée n’a pas acquis valeur législative, Il fait valoir que l’ordonnance contenant la disposition contestée n’est pas ratifiée, son délai d’habilitation courant jusqu’au 16 février 2011.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Îl résulte de l’article R. 49-22 du code de procédure pénale qu’une question prioritaire de constitutionnalité doit être déposée à l’appui d'une demande dans un écrit distinct et motivé.

En l'espèce, la question prioritaire de constitutionnalité a été présentée dans un écrit distinct et motivé devant le ; juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de RENNES saisi de la prolongation de la détention de M. [F E], ce magistrat transmettant le mémoire à la chambre de l’instruction.

Le juge des libertés et de la détention était saisi d'une demande tendant à la prolongation de la détention provisoire émanant du juge d'instruction saisi de la procédure,

Le mémoire distinct et motivé a été déposé dans le cadre de la demande dont le juge des libertés et de la détention était saisi.

Il en résulte que le mémoire a été déposé à l’appui d’une demande au sens de l’article R.49-22 du code de procédure pénale.

Dès lors, la question prioritaire de constitutionnalité est recevable

L’applicabilité au litige de l'article 2 de l’ordonnance n°2020-1401 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière pénale.

Il résulte de l’article 706-71 du code de procédure pénale que la personne détenue peut refuser le recours à la visio-conférence lorsqu'il s’agit d’une audience au cours de laquelle il doit être statué par le juge des libertés et de la détention sur la prolongation de sa détention.

Il résulte des pièces de procédure qu’informé de la date de l’audience sur la prolongation de sa détention devant le juge des libertés et de la détention et avisé que le recours à la visio-conférence était envisagé, M. [E] a refusé l’utilisation de ce moyen.

Le procès-verbal de débat contradictoire du 31 décembre 20290 démontre que M. [E] a comparu à cette audience par visio- conférence, l’ordonnance faisant expressément référence à l’article 2 de l’ordonnance n°2020-1401 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière pénale.

Cette ordonnance, prise en application de l’habilitation prévue par l’article 10 de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prolongation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, dispose en son article 2, premier alinéa, que nonobstant toute disposition contraire, 1l peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l'ensemble des juridictions pénales et pour les présentations devant le procureur de la République ou devant le procureur général, sans qu'il soit nécessaire de recueillir l'accord des parties.

La loin°2020-1379 du 14 novembre 2020 prévoit en son VI. qu’un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai d’un mois à compter de la publication de chaque ordonnance.

L’ordonnance n°2020-1401 du 18 novembre 2020 a été publiée au Journal officiel de la République française le 19 novembre 2020.

Un projet de loi visant à la ratification de l’ordonnance n° 2020-1401 du 18 novembre 2020 a été déposé le 16 décembre 2020.

Dans sa décision n° 2020-843 QPC, le Conseil constitutionnel a considéré qu’une ordonnance non ratifiée acquiert rétroactivement valeur législative à compter de la fin du délai d’habilitation, à condition que le projet de loi de ratification ait été déposé dans le délai imparti.

Tel est le cas en l’espèce.

L’ordonnance n° 2020-1401 du 18 novembre 2020, et partant son article 2 qui relève du domaine de l’article 34 de la Constitution, a acquis valeur législative.

Sur la déclaration de conformité à la Constitution de la disposition contestée

Les dispositions de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-1401 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière pénale n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

Sur le sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité posée

La question prioritaire de constitutionnalité n’est pas dépourvue de caractère sérieux en ce que le recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle peut être imposé à l’intéressé lorsqu’il doit être entendu en vue de la prolongation de sa détention malgré l’importance qui s’attache à la présentation physique de l’intéressé devant le magistrat compétent dans le cadre d’une procédure de détention provisoire, y compris lorsque ce recours n’est pas justifié par des risques graves de troubles à l’ordre public ou d'évasion.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Constate que la question prioritaire de constitutionnalité est recevable ;

Dit y avoir lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante :

“L’article 2 de l’ordonnance n° 2020-1401 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière pénale, en ce qu’il permet au juge des libertés et de la détention d’imposer le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle sans l’accord de la personne concernée, est-il conforme à la Constitution et notamment au principe constitutionnel des droits de la défense, au droit à un recours effectif, au droit de tout détenu de voir sa situation traitée dans le respect des règles de compétences et de procédures fixées par le code de procédure pénale, au droit à la liberté et à la sûreté, et au droit à la comparution personnelle et physique, garantis l'article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ?” ;

Ordonne que le présent arrêt soit notifié dans les formes prévues par l'article R.49-28 du code de procédure pénale ;

Prononcé au siège de la cour d’appel de RENNES, le cinq janvier deux mil vingt et un, en chambre du conseil, par le président, qui a donné lecture de l’arrêt en présence du ministère public et de Delphine MIXTE, Greffier ;

Le président et Delphine MIXTE, Greffier, ont signé la minute de l’arrêt.

LE GREFFIER

LE PRÉSIDENT