Tribunal de grande instance de Versailles

Ordonnance du 10 décembre 2019, N° RG 19/02047

10/12/2019

Renvoi

TRIBUNAL de GRANDE INSTANCE de VERSAILLES

GREFFE du JUGE des LIBERTÉS et de la DÉTENTION

ORDONNANCE DE TRANSMISSION DE QPC A LA COUR DE CASSATION ET DE MAINLEVEE D ’ UNE HOSPITALISATION COMPLETE (Art L. 3211-12-1 du code de la santé publique)

Dossier N° RG 19/02047 - N° Portalis DB22-W-B7D-PEH4

N° de Minute : 19/1514

M. le Directeur du CENTRE HOSPITALIER DE [LOCALITE 1]

c/ [E B]

NOTIFICATION par télécopie contre récépissé au défendeur par remise de copie contre signature

LE : 06 Décembre 2019

- NOTIFICATION par télécopie contre récépissé A :

- l'avocat

- monsieur le directeur de l’établissement hospitalier

LE : 06 Décembre 2019

- NOTIFICATION par lettre simple au tiers :

LE : 06 Décembre 2019

- NOTIFICATION par remise de copie à monsieur le procureur de la République

LE : 06 Décembre 2019

 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ORDONNANCE

Hospitalisation sous contrainte

L’an deux mil dix neuf et le six décembre

Devant Nous, Monsieur Yves GAUDIN, vice-président, juge des libertés et de la détention au tribunal de grande instance de Versailles assisté de Monsieur Damien GUITON, greffier, à l’audience du 5 Décembre 2019

DEMANDEUR

Monsieur le Directeur du CENTRE HOSPITALIER DE [LOCALITE 2]

[adresse 3]

[LOCALITE 4]

régulièrement convoqué, absent non représenté

DÉFENDEUR

Monsieur [E B]

[adresse 5]

[LOCALITE 6]

actuellement hospitalisé au CENTRE HOSPITALIER DE [LOCALITE 7]

régulièrement convoqué, présent et assisté de Me Raphaël MA Y ET. avocat au barreau de VERSAILLES,

TIERS

Madame [A B]

[adresse 8]

[LOCALITE 9]

régulièrement avisée, absente non représentée

ATY

Curateur

régulièrement avisé, absent non représenté

PARTIE INTERVENANTE

Monsieur le Procureur de la République

près le Tribunal de Grande Instance de Versailles

régulièrement avisé, absent non représenté

Monsieur [E B], né le [DateNaissance 10] 1976 à [LOCALITE 11] ([...]), demeurant [adresse 12] - [LOCALITE 13], fait l’objet, depuis le 26 novembre 2019 au CENTRE HOSPITALIER DE [LOCALITE 14], d’une mesure de soins psychiatriques sans son consentement, sous la forme d’une hospitalisation complète, si décision du directeur d’établissement, en application des dispositions de l’article L. 3212-3 du code de la santé publique, en urgence et à la demande d’un tiers, Madame [A B], sa mère.

Le 2 décembre 2019, Monsieur le Directeur du CENTRE HOSPITALIER DE [LOCALITE 15] a sais 1e juge des libertés et de la détention afin qu’il soit statué, conformément aux dispositions des articles L 3211-12-1 et suivant du code de la santé publique, sur cette mesure.

Le procureur de la République, avisé, a fait connaître son avis favorable au maintien de la mesure.

A l’audience, Monsieur [E B] était présent, assisté de Me Raphaël MAYET, avocat au barreau de Versailles.

Les débats ont été tenus en audience publique.

La cause entendue à l’audience, l’affaire a été mise en délibéré au 6 décembre 2019, par mise à disposition de l’ordonnance ai greffe du juge des libertés et de la détention.

DISCUSSION

Il résulte des dispositions de l’article L 3211-12-1 du code de la santé publique qu’il appartient au juge des libertés et de la détention de statuer systématiquement sur la situation des patients faisant l’objet de soins psychiatriques sous forme d’hospitalisation complète, sans leur consentement.

Sur la recevabilité de la requête de rétablissement d’accueil du patient

L'article R. 3211 -10 du code de la santé publique prévoit que la requête saisissant le juge des libertés et de la détention comporte notamment, s’il y a lieu, les coordonnées de son tuteur, de son curateur ou de ses représentants légaux s’il est mineur.

En l’espèce, outre le fait que ces dispositions ne sont pas prévues à peine d’irrecevabilité de la requête, il est relevé que la requête de l’établissement d’accueil en date du 2 décembre 2019 aux fins de saisine du juge des libertés et de la détention, pour le contrôle de la mesure de soins sans consentement dont fait l’objet Monsieur [E B], ne comporte effectivement pas mention de la mesure de protection - une curatelle renforcée - le concernant, ni donc les coordonnées de son curateur, mais que cette requête est accompagnée de la copie du jugement en date du 13 mai 2019 par lequel a été modifiée la mesure de curatelle de Monsieur [E B] et désigné un nouveau curateur, en la personne de M. [C D]. Cette requête et les pièces qui l’accompagnent comportent donc les indications nécessaires à la convocation du curateur du patient.

En conséquence, le moyen sera rejeté et la requête de l’établissement d’accueil déclarée recevable.

Sur le moyen tiré de l'atteinte portée aux droits et libertés garantis par la Constitution par l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique

En application de l’article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation, qui se prononce dans un délai déterminé.

En application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n’est pas partie à l’instance, l’affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu’il puisse faire connaître son avis.

En l'espèce. Monsieur [E B] soutient, par des conclusions spécifiques communiquées à la juridiction le 4 décembre 2019, que les dispositions de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, telles qu'interprétées par la Cour de cassation dans son arrêt n° 1075 du 21 novembre 2019 ( 19-20.513), portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution, en particulier son article 66, garantit, en ce qu'elles ne prévoient pas de contrôle juridictionnel systématique des mesures d'isolement et d contention mises en oeuvre dans les établissements de soins psychiatriques.

Ces conclusions ont été communiquées au ministère public le 4 décembre 2019, qui a fait connaître son avis le même joui concluant à la recevabilité de la question et, sur le fond, au défaut de caractère sérieux de la question permettant sa transmission à la Cour de cassation.

Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution

En l'espèce, le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été communiqué à la juridiction le‘ décembre 2019 dans un écrit distinct et motivé. 11 est donc recevable.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation

L'article 23-2 de l'ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet la question prioritaire de constitutionnalité si le: conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

3 ° La question n'est pas dépourvu de caractère sérieux.

En l'espèce, il est tout d'abord relevé que le texte contesté, l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, est une disposition législative, issue de l'article 72 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, et que la contestation de ses dispositions se fonde sur l’article 66 de la Constitution, qui prévoit que l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle.

L'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, porte sur les conditions de mise en oeuvre des mesures d'isolement et de contention des patients admis dans les établissements de santé chargés d'assurer les soins psychiatriques sans consentement. Cette disposition est applicable à la présente procédure en ce que Monsieur [E B], admis en soins psychiatriques sans son consentement depuis le 26 novembre 2011, a fait l'objet, au vu des pièces produites, d’un placement à l'isolement au cours de cette mesure, décision dont il estime qu'elle devrait faire l'objet d'un contrôle juridictionnel à l'occasion du contrôle systématique par le juge des libertés et de la détention de la mesure de soins sans consentement, objet de la présente instance.

Cette disposition n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

Par son arrêt précité en date du 21 novembre 2019, la Cour de cassation a interprété la disposition contestée en précisant que les mesures d'isolement et de contention constituent des modalités de soins, ne relevant pas de l'office du juge des libertés et de la détention, excluant la possibilité d'un contrôle juridictionnel systématique de telles mesures s'exerçant dans le cadre de celui de la mesure de soins sans consentement à l'occasion de laquelle l'isolement ou la contention ont été mis en oeuvre, alors qu'antérieurement à cette décision, l'appréciation de cette question faisait l'objet de réponses différentes selon les juridictions du fond. La question posée n'est en conséquence pas dépourvue de caractère sérieux.

En conséquence, il y a lieu de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité formulée par Monsieur [E B].

Sur la régularité et le bien-fondé de la mesure d'hospitalisation complète du patient

Sur le défaut de convocation du curateur du patient

Aux termes de l'article 23-3 de l'ordonnance précitée, il n'est sursis à statuer, lorsque la question prioritaire de constitutionnalité est transmise, ni lorsqu'une personne est privée de liberté à raison de l'instance, ni lorsque l'instance à pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté, ni lorsque la loi ou le règlement prévoit que la juridiction statue dans un délai déterminé.

La présente instance porte sur une mesure - l'hospitalisation complète d'un patient faisant l'objet de soins psychiatriques sans son consentement - privative de liberté. Le juge des libertés doit statuer, dans le cadre de son contrôle systématique, comme c'est le cas en l'espèce, dans les 12 jours de la décision d'admission en soins sans consentement.

Il convient donc de statuer sur la requête de l'établissement d'accueil concernant la poursuite de la mesure de soins dont fait l'objet Monsieur [E B].

Comme relevé ci-dessus, la requête de l'établissement d'accueil et les pièces l'accompagnant établissaient l'existence d'une mesure de protection de Monsieur [E B] et fournissaient les coordonnées du nouveau curateur désigné. En dépit de ces éléments, la juridiction a convoqué à l'audience l'ATY, curateur du patient jusqu'à la décision modificative de la mesure intervenue le 13 mai 2019, en lieu et place du nouveau curateur, M. [C D]. Il est donc constaté que le curateur de Monsieur [E B] n'a pas été convoqué à l'audience, ce qui porte nécessairement atteinte aux droits de l’intéressé.

En conséquence, le moyen soulevé sera retenu et il sera procédé à la mainlevée de la mesure d'hospitalisation complète don fait l'objet Monsieur [E B].

Sur la prise d'effet différée de la mainlevée de la mesure d'hospitalisation complète

L’article L3211-12-1 III du code de la santé publique dispose que lorsque le juge des libertés et de la détention ordonne h mainlevée de la mesure d’hospitalisation complète, il peut, au vu des éléments du dossier et par décision motivée, décider que la mainlevée prend effet dans un délai maximal de 24 heures, afin qu’un programme de soins puisse, le cas échéant, être établi

En l'espèce, l’avis motivé en date du 2 décembre 2019 établit la persistance de troubles qui justifient, dans l’intérêt du patient, qu’il soit, le cas échéant, laissé aux médecins le temps d’établir avec lui un programme de soins.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,

REJETONS le moyen d'irrecevabilité soulevé et DECLARONS RECEVABLE la requête de l'établissement d'accueil en date du 2 décembre 2019 ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

ORDONNONS la transmission à la Cour de cassation de la question suivante :

Les dispositions de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, telles qu'interprétées par la Cour de cassation dans son arrêt n°1075 du 21 novembre 2019 (19-20.513), portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution, en particulier son article 66, garantit, en ce qu'elles ne prévoient pas de contrôle juridictionnel systématique des mesures d'isolement et de contention mises en oeuvre dans les établissements de soins psychiatriques ?

DISONS que la présente ordonnance sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé, avec les mémoires ou conclusions des parties ;

DISONS que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

Sur le fond de la requête de l'établissement d’accueil :

FAISONS DROIT au moyen d'irrégularité soulevé ;

ORDONNONS la mainlevée, avec un effet différé de 24 heures au maximum, de la mesure d'hospitalisation psychiatrique complète sans son consentement de Monsieur [E B] ;

RAPPELONS que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention est, honnis ses dispositions portant sur la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, susceptible d’appel devant le Premier Président de la cour d'appel de Versailles dans un délai de dix jours à compter de sa notification. Seules les parties à la procédure définies à l'article R.3211-13 du code de la santé publique peuvent faire appel (requérant, personne sous soins psychiatriques, préfet ou directeur d'établissement le cas échéant). Le ministère public peut, dans tous les cas, interjeter appel dans le même délai. La déclaration d'appel motivée est transmise par tout moyen au greffe de la Cour d'Appel de Versailles qui en avise sur-le-champ le greffier du tribunal de grande instance et fait connaître la date et l'heure de l’audience aux parties, à leurs avocats, au tiers qui a demandé l’admission en soins et au directeur d’établissement. A moins qu’il n’ait été donné un effet suspensif à l’appel, le premier président statue dans les douze jours de sa saisine. Ce délai est porté à vingt-cinq jours si une expertise est ordonnée. Adresse : Monsieur le Premier Président - Cour d’Appel de Versailles - [adresse 16] - 78011 VERSAILLES Cedex (télécopie : 01 39 49 69 04 - téléphone : 01 39 49 68 46 et 01 39 49 69 13 ) ;

RAPPELONS que, sur le fondement des dispositions des articles L 3211 -12-4, R. 3211 -16 et R 3211 -20 du code de la santé publique, le recours n’est pas suspensif d’exécution, sauf décision du Premier Président de la Cour d’appel de Versailles déclarant le recours suspensif à la demande du Procureur de la République ;

LAISSONS les éventuels dépens à la charge du Trésor Public ;

Prononcée par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2019 par Monsieur Yves GAUDIN, vice-président, assisté de Monsieur Damien GU1TON, greffier, qui ont signé la minute de la présente décision.

Le greffier Le président