Conseil supérieur de la magistrature

Décision du CSM du 20 février 2014, S216 QPC

20/02/2014

Non renvoi

CONSEIL SUPÉRIEUR

DE LA MAGISTRATURE

 

Conseil de discipline

des magistrats du siège

 

 

20 février 2014

 

 

M. X

 

 

 

 

 

 

 

DÉCISION

 

 

 

Le Conseil supérieur de la magistrature, siégeant comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur une question prioritaire de constitutionnalité déposée par M. X, vice-président au tribunal de grande instance d’xxxxx, anciennement vice-président chargé du service du tribunal d’instance de xxxxx, s’est réuni le 30 janvier 2014 à la Cour de cassation, sous la présidence de M. Daniel Ludet, Conseiller à la Cour de cassation suppléant M. Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation, président de la formation, en présence de :

 

M. Jean-Pierre Machelon,

M. Pierre Fauchon,

Mme Chantal Kerbec,

Mme Martine Lombard,

M. Christophe Ricour,

M. Frédéric Tiberghien,

M. Jean Trotel,

M. Loïc Chauty,

M. Laurent Bedouet

Mme Emmanuelle Perreux,

Mme Catherine Vandier,

 

Membres du Conseil,

 

 

Assistés de M. Peimane Ghaleh-Marzban, secrétaire général du Conseil supérieur de la magistrature ;

 

Vu les articles 43 à 58 de l'ordonnance n 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

 

 

Vu l’article 19 de la loi organique n 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

 

Vu les articles 40 à 44 du décret n 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

 

Vu l’arrêt du Conseil d’Etat du 26 décembre 2012 annulant la décision du Conseil supérieur de la magistrature du 20 janvier 2011, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, concernant M. X, et renvoyant l’affaire devant ledit Conseil ;

 

Vu l'ordonnance du 28 février 2013 désignant M. Bertrand Mathieu en qualité de rapporteur ;

 

Vu les conclusions déposées le jour de l’audience ;

 

Vu le rappel, par M. le président, des termes de l'article 57 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : «L’audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l'ordre public ou de la vie privée l'exigent, ou s'il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l'accès de la salle d'audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l'audience, au besoin d'office, par le conseil de discipline» et l'absence de demande spécifique formulée en ce sens par M. X et son conseil, conduisant à tenir l'audience publiquement ;

 

***

 

Attendu qu’après avoir entendu M. X, assisté de M. A, vice-président au tribunal de grande instance de xxxxx, au soutien d’une question prioritaire de constitutionnalité, Mme Valérie Delnaud, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, assistée de Mme Hélène Volant, magistrate à cette direction, en ses observations tendant au rejet de la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat, M. X, assisté de M. A ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré ;

 

***

 

Attendu qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; qu’en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, « devant les juridictions relevant du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé»;

 

Attendu qu’en l’espèce, aux termes des conclusions versées aux débats le jour de l’audience, M. X demande que soit adressée la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

 

 

«L’exercice du droit à un procès équitable devant un tribunal impartial qui découle de l’article 16 de la Déclaration de 1789 («Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution») est-il garanti au magistrat du siège qui comparaît devant le Conseil supérieur de la magistrature dès lors qu’il lui est impossible de mesurer les conséquences d’une demande visant à voir récuser le président de la formation du Conseil Supérieur de la Magistrature appelé à suppléer le Premier Président de la Cour de Cassation en cas d’empêchement conformément aux dispositions des articles 10-1, 10-2, 13 et 14 de la loi organique 94-100 ?»;

 

Attendu qu’à l’appui de cette question prioritaire de constitutionnalité, M. X expose que «les dispositions législatives actuelles ne (lui) permettent pas () d’appréhender les conséquences qui résulteraient d’une demande visant à voir exercer un droit de récusation contre l’actuel président de la formation appelée à statuer sur les faits qui lui sont reprochés» ; qu’en l’espèce, en raison du déport de M. Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation et de la présidence de la formation disciplinaire par M. Daniel Ludet, Conseiller à la Cour de cassation suppléant le Premier président de la Cour de cassation en application de l’article 14 de la loi organique du 5 février 1994, l’exercice de la faculté de récuser M. Daniel Ludet serait «rendu aléatoire» par l’absence de dispositif dans la loi organique pour le remplacer ;

 

 

Sur la recevabilité du moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution

 

Attendu que le 18 décembre 2013, à l’occasion de l’audition de M. X par M. Bertrand Mathieu, rapporteur, M. A a remis des conclusions, avant toute défense au fond, aux fins de poser une question prioritaire de constitutionnalité, dans un écrit non signé ;

 

Attendu qu’à la suite d’une lettre du rapporteur en date du 14 janvier 2014 précisant à M. X que «l’écrit distinct doit être signé, et qu’il y aurait lieu donc de le compléter sur ce point», M. A a adressé, le même jour et par courriel, un écrit signé ;

 

Attendu que le jour de l’audience, M. X a déposé des conclusions signées par lui et ses conseils, dans lesquelles est développée la question prioritaire de constitutionnalité, en visant, dans le libellé de la question, comme fondement de l’exercice du droit à un procès équitable devant un tribunal impartial, non «l’article 6 de la Convention EDH», mentionné dans le texte de la question prioritaire de constitutionnalité présentée le 18 décembre 2013 et adressée par M. A le 14 janvier 2014, mais «l’article 16 de la Déclaration de 1789» ;

 

Attendu qu’en l’espèce, le Conseil constate que le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté dans des conclusions déposées le 14 janvier 2014, puis le jour de l’audience, dans un écrit distinct et motivé et qu’il est en conséquence recevable.

 

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat

 

 

Attendu que l’article 23-2 de l’ordonnance précitée du 7 novembre 1958 prévoit que la juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat si les conditions suivantes sont remplies :

 

1 La disposition contestée est applicable au litige et à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

2 Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

 

3 La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

Attendu que la loi organique 94-100 du 5 février 1994, ainsi que les lois organiques postérieures la modifiant, n2001-539 du 25 juin 2001, n2007-287 du 5 mars 2007, n2010-830 du 22 juillet 2010 et n2011-333 du 29 mars 2011 ont été soumises au Conseil constitutionnel qui les a examinées dans ses décisions n93-337 DC du 27 janvier 1994, n2001-445 DC du 19 juin 2001, n2007-551 DC du 1er mars 2007, n2010-611 DC du 19 juillet 2010 et n2011-626 DC du 29 mars 2011;

 

Attendu que les articles 10-1 et 10-2 de la loi organique du 5 février 1994, insérés par l’article 7 de la loi organique du 22 juillet 2010 relative à l’application de l’article 65 de la Constitution ont spécifiquement été examinés dans la décision du 19 juillet 2010 et ont été déclarés conformes à la Constitution, sous les réserves énoncées au considérant 12 de la décision ;

 

Attendu que l’article 13, modifié par la loi organique du 22 juillet 2010, n’a pas été expressément examiné par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 juillet 2010 ;

 

Attendu en outre que l’article 14 modifié par la loi organique du 22 juillet 2010 n’a pas été non plus expressément examiné par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 juillet 2010 ; qu’il y a lieu de préciser cependant que les termes du premier alinéa de cet article, qui dispose qu’ «en cas d’empêchement, le premier président de la Cour de cassation et le procureur général près ladite cour peuvent être supplés respectivement par le magistrat visé au 1 de l’article 1er et par le magistrat visé au 1 de l’article 2», résultent de l’article 35 de la loi organique du 25 juin 2001 et figuraient au troisième alinéa de l’article 18 de la loi organique du 5 février 1994 modifiée, avant d’être insérés par l’article 11 de la loi organique du 22 juillet 2010 au premier alinéa de l’article 14 de la loi organique du 5 février 1994 modifiée ; que cette disposition, issue de la loi organique du 25 juin 2001 a expressément été examinée et déclarée conforme à la Constitution dans la décision précitée du 19 juin 2001 ;

 

 

Attendu, en tout état de cause, que pour ce qui concerne le contrôle qu’il exerce sur les lois organiques, le Conseil constitutionnel doit être regardé comme s’étant prononcé sur la conformité à la Constitution de chacune des dispositions de la loi organique qui lui est soumise ; que dès lors, sauf changement dans les circonstances, les lois organiques promulguées doivent être regardées, dans leur intégralité, comme conformes à la Constitution, alors même que la décision du Conseil constitutionnel qui les a examinées ne mentionne pas expressément les dispositions critiquées dans ses motifs ;

 

Attendu, en conséquence que les dispositions des articles 13 et 14, comme des articles 10-1 et 10-2 de la loi organique 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature doivent être regardées comme ayant été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de décisions du Conseil constitutionnel ;

 

Attendu, en l’espèce, que M. X invoque un changement des circonstances selon lequel l’«obligation de respecter le principe d’impartialité objective () a () été affirmé à plusieurs reprises en droit interne par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat», en se référant à la décision n320697 du 11 février 2011 du Conseil d’Etat, qui a, selon le requérant, rappelé que le droit à un procès équitable est applicable devant les instances disciplinaires des magistrats de l’ordre judiciaire et à la décision n2011-147 QPC du 8 juillet 2011 du Conseil constitutionnel aux termes de laquelle «le principe d’impartialité est indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles» ;

 

Attendu cependant que dans sa décision du 19 juillet 2010, le Conseil constitutionnel s’était déjà expressément référé au principe d’impartialité applicable spécifiquement à la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature, en considérant notamment que «sous réserve des exigences d’impartialité susceptibles d’imposer leur déport, les membres du Conseil supérieur, dont la liste est fixée par l’article 65 de la Constitution, tiennent de cet article le droit et le devoir de participer aux travaux et aux délibérations de ce Conseil» ;

 

Attendu que de plus, le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège est une juridiction administrative soumise à un contrôle de cassation ; qu’à ce titre, l’applicabilité du principe d’impartialité est inhérente à cette activité juridictionnelle du Conseil supérieur de la magistrature ;

 

 

Attendu qu’en outre, le Conseil d’Etat, statuant comme juge de cassation des décisions rendues par le Conseil supérieur de la magistrature en tant que conseil de discipline des magistrats du siège, a consacré à plusieurs reprises, le principe d’impartialité comme s’appliquant à la procédure disciplinaire concernant les magistrats du siège ; qu’il l’a fait notamment dans un arrêt n°222160 du 30 juin 2003 en jugeant que s’appliquaient à cette procédure les dispositions en matière de récusation, et de manière expresse dans un arrêt n°295778 du 19 décembre 2007 ;

 

Attendu, en cet état, que le changement des circonstances invoqué par M. X n’est pas établi ;

 

Attendu que les dispositions contestées au travers de la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. X ont été déclarées conformes à la Constitution sans que M. X justifie d’un changement des circonstances de fait ou de droit, postérieur à la décision du 19 juillet 2010 ; que l’une des conditions prévue à l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 faisant ainsi défaut, la demande de transmission au Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité ne peut qu’être rejetée.

 

 

***

PAR CES MOTIFS,

 

 

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos ;

 

Statuant en audience publique, le 30 janvier 2014 pour les débats et le 20 février 2014, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

 

 

Rejette la demande de transmission au Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité ;

 

Dit que copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d’appel de xxxxx.

 

 

 

Le secrétaire général Le Conseiller à la Cour de Cassation

du Conseil supérieur de la magistrature suppléant le Président du Conseil

supérieur de la magistrature statuant

comme conseil de discipline

des magistrats du siège

 

 

 

 

Peimane Ghaleh-Marzban Daniel Ludet

 

 

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