Cour d'Appel de Versailles

Arrêt du 7 juin 2012, 2012/863

07/06/2012

Renvoi partiel

ARRET N°

du 07 juin 2012

2012/863

MR

DECISION :

TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

AFFAIRE :

X

PC :

ASSOCIATION COLLECTIF FEMINISTE CONTRE LE VIOL

[A B]

[C D] Administrateur

Ad-hoc du mineur [F H]

Notifié

par [J. K] le

COUR D'APPEL DE VERSAILLES

CHAMBRE DE L'INSTRUCTION

10ème chambre-section C

***

ARRET DE TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE RENDU LE SEPT JUIN DEUX MIL DOUZE

COMPOSITION DE LA COUR

- lors des débats, du délibéré

Madame CARLIER-PRIGENT, Président

Madame ORSINL conseiller

Monsieur BOILEVIN, conseiller

tous trois désignés en application des dispositions de l'article 191 du Code de procédure pénale

- lors des débats

Monsieur CAZALS, avocat général,

Madame CAPO-CHICHI, Greffier,

Lors du prononcé de l'arrêt il a été donné lecture de l'arrêt par Madame CARLIER-PRIGENT, Président en présence du Ministère public et de Madame CAPO-CHICHE Greffier,

PARTIES EN CAUSE :

PERSONNE MISE EN EXAMEN :

C/ X....

PARTIES CIVILES :

[B A]

demeurant [adresse 1] - [LOCALITE 2]

sans avocat

[H F]

Représenté par [C D], administrateur ad’hoc

dermeurant- [adresse 3] - [LOCALITE 4]

Ayant pour avocat Me Elisabeth DÉSGREES DU LOU, [adresse 5] - [LOCALITE 6]

Association COLLECTIF FEMINISTE CONTRE LE VIOL

domicile élu chez Me KATZ Claude - [adresse 7] - [LOCALITE 8]

Ayant pour avocat Me Claude KATZ, [adresse 9] - [LOCALITE 10]

RAPPEL DE LA PROCEDURE

Vu l'ordonnance de non lieu rendue le 2 février 2012 par Madame JOLIVET, juge d'instruction au TG! de Versailles,

Vu les appels de cette ordonnance formés par Mme [A] et par Maître FERRERES substituant Maître KATZ, enregistrés au greffe le 13 février 2012,

Le 23 mai 2012, Mme [A B], partie civile, a déposé une demande d'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité,

Le 24 mai 2012, le président de la chambre de l'instruction a transmis cette demande, pour avis, au procureur général.

Conformément aux dispositions des articles 194 et 197 du Code de procédure pénale, le procureur général :

- a notifié la date à laquelle l'affaire sera appelée à l'audience à l'Association COLLECTIF FEMINISTE CONTRE LE VIOL, [A B], Madame [C] administrateur ad'hoc de [F H]. parties civiles et aux avocats par lettres recommandées le 25 mai 2012 ;

- a déposé le dossier au greffe de la chambre de l'instruction et ses observations pour être tenus à la disposition des avocats des parties ;

DÉROULEMENT DES DÉBATS

À l'audience en chambre du conseil le 31 mai 2012 ont été entendus :

Madame ORSINI, Conseiller, en son rapport,

Monsieur CAZALS, avocat général, en ses réquisitions ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 07 juin 2012

Maître DESGREES DU LOU, et Maître KATZ avocats des parties civiles, régulièrement avisés, étaient absents excusés

DÉCISION

Rendue après en avoir délibéré conformément à l'article 200 du code de procédure pénale, par arrêt prononcé en chambre du conseil :

Le 20 mars 2009, [B A] déposait, auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Versailles, une plainte avec constitution de partie civile à l'encontre de [E F] des chefs de viol sur mineur de 15 ans commis par ascendant , en l'espèce sur leur fils [H] né le [DateNaissance 11] 2001;

Elle exposait les circonstances de fait et les constatations médicales qui l'avaient conduite à déposer plainte pour ces faits, auprès de la gendarmerie de Palaiseau le 7 janvier 2004 , plainte contre X qui avait été classée sans suite le 16 mai 2005 ;

Une information judiciaire était ouverte le 16 novembre 2009 du chef de viol commis sur mineur de 15 ans.

Mme [A] était entendue par le magistrat instructeur le 19 mars 2010. Elle restait convaincue que son fils avait subi des sévices de la part de son ex-mari et considérait nécessaire que l'enfant soit entendu, et qu'une expertise psychiatrique ou médico-psychologique soit réalisée. (D45).

Le 26 avril 2010, le juge d'instruction désignait Mme [C] en qualité d'administrateur ad'hoc de [H F] (D48). Elle se constituait partie civile le 14 mai 2010 (D63). L'association Collectif Féministe Contre le Viol ( CFCV) se constituait partie civile le 6 mai 2010. (D49)

[E F], qui ne souhaitait pas bénéficier du statut de témoin assisté était entendu en qualité de témoin, le 31 mai 2010, par le juge d'instruction. If démentait les faits dénoncés par son ex-femme et précisait que leur divorce avait été prononcé le 13 juillet 2006 aux torts exclusifs de son épouse et qu'il avait l'autorité parentale exclusive sur l'enfant, la mère exerçant un droit de visite médiatisé dans les locaux du CECCOF.

Le 17 juin 2010, le juge d'instruction procédait à l'audition de [H F], alors âgé de 9 ans. Il ne se souvenait pas d'avoir été entendu par les gendarmes en 2004. Il disait que son père n'avait jamais eu de geste déplacé envers lui. (D261)

Des experts étaient désignés aux fins d'examiner l'enfant, de consulter ses dossiers médicaux pendant la période supposée des faits et d'indiquer les causes possibles d'une fissure anale ou des rougeurs qui avaient été constatées dans la région anale de l'enfant. lis concluaient que “les lésions constatées chez le jeune [H F] dans les certificats médicaux établis alors qu'il avait 2 ans 1/2 ne sont ni probantes ni spécifiques en faveur d'une agression sexuelle mais cependant ne permettent pas de l'éliminer formellement’.

Après notification des conclusions de cette expertise et délivrance de l'avis prévu à l'article 175 du code de procédure pénale, Mme [A] formulait une demande d'actes rejetée par le juge d'instruction par ordonnance du 7 décembre 2010. Une nouvelle demande de mesures d'instruction complémentaires formée par [I A] était rejetée par ordonnance du 1er mars 2011 confirmée par un arrêt de la chambre de l'instruction du 26 janvier 2012.

Par ordonnance du 2 février 2012, rendue sur réquisitions conformes du ministère public, le juge d'instruction rendait une ordonnance de non-lieu frappée d'appel par Mme [A] et l'association CFCV.

Par mémoire distinct déposé le 23 mai 2012, Mme [A] demande que soit transmise à la cour de cassation une question prioritaire portant sur la constitutionnalité des articles 161-1 et 197 du code de procédure pénale .

Elle invoque les dispositions des articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et fait valoir que dès lors qu'est reconnue aux parties la liberté de choisir d'être assistées d'un avocat ou de se défendre seules, le respect des principes du contradictoire et des droits de la défense interdit que le juge d'instruction et la chambre de l'instruction puissent refuser des demandes formées par une partie civile au seul motif que celle-ci n'est pas assistée par un avocat ;

Elle en déduit

- qu'en prévoyant que les demandes prévues par l’article 161-1 du code de procédure pénale sont permises au procureur de la République et aux “avocats de parties “et non aux parties elles-mêmes, le premier alinéa de cet article, malgré sa référence à l'article 81 du code de procédure pénale, porte atteinte au droit à un procès équitable et aux droits de la défense des parties non assistées ou représentées par un avocat ;

- qu'en prévoyant que le dossier déposé au greffe de la chambre de l'instruction est tenu à la disposition des “avocats des personnes mises en examen et des parties civiles “, seuls ces avocats pouvant, par ailleurs, en obtenir copie , l'article 197 , alinéas 3 et À du code de procédure pénale, porte atteinte au droit à un procès équitable et aux droits de la défense des parties non assistées par un avocat :

Elle demande, par conséquent, la transmission à la cour de cassation d'une question prioritaire portant sur la constitutionnalité de ces dispositions .

Le procureur général, dans ses observations écrites , est d'avis qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question portant sur l'article 197 du code de procédure pénale.

Il demande, en revanche, à la cour de dire y avoir lieu à transmission de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l'article 161-1 du même code et de surseoir à statuer Sur l'appel de l'ordonnance de non-lieu jusqu'à la décision de la Cour de cassation ou du Conseil constitutionnel s'il est saisi . Il fait valoir que les dispositions contestées paraissent susceptibles de rompre l'égalité entre les parties bénéficiant de l'assistance d'un avocat et celles ayant entendu se défendre elles-mêmes, comme la loi leur en offre la faculté, de porter atteinte au principe du contradictoire et de priver les parties sans avocat d'un recours effectif .

****

Considérant que la demande est recevable en la forme,

l'atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution ayant été présenté dans un écrit distinct et motivé :

1°/ sur le moyen tiré de l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article 197 du code de procédure pénale et la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur ces dispositions

Considérant que, par arrêt du 17 janvier 2012 , la chambre criminelle de la cour de cassation a dit n'y avoir lieu de renvoyer au conseil constitutionnel la question prioritaire suivante : “ L'article 197 du code de procédure pénale est-il conforme au principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits et libertés entre les parties ainsi que des parties ayant fait le choix de ne pas constituer ministère d'avocat, au principe du contradictoire et au principe d'égalité devant la justice et devant la loi au respect des droits de la défense et de l'égalité des armes, garantis par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et la Constitution du 4 octobre 1958 ?" :

Elle a considéré que “la question posée ne présente pas à l'évidence un caractère sérieux dès lors qu'elle vise à ménager à toute partie à la procédure ayant fait le choix de se défendre sans l'assistance d'un avocat un accès direct à toutes les pièces de l'information et ce, chaque fois que la chambre de l'instruction est amenée à se prononcer, à tout moment de la procédure, alors que ni l'exercice des droits de la défense ni les principes d'égalité et du contradictoire commandent qu'il soit ainsi porté une atteinte générale et permanente au secret de l'enquête et de l'instruction dont le respect est garanti par la communication du dossier aux seuls avocats, en raison du secret professionnel auquel il sont astreints ;”

Que la demande de transmission de la question prioritaire portant sur la constitutionnalité de l'article 197 du code de procédure pénale formée par Mme [A] doit, dès lors, être rejetée ;

2°/ sur le moyen tiré de l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article 161-1 du code de procédure pénale et la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur ces dispositions

Considérant qu'aux termes de l'article 161-1 alinéa 1 du code de procédure pénale , copie de la décision ordonnant une expertise est adressée sans délai au procureur de la République et aux avocats des parties, qui disposent d'un délai de dix jours pour demander au juge d'instruction, selon les modalités prévues par l'avant-dernier alinéa de l'article 81, de modifier ou de compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre à l'expert ou aux experts déjà désignés un expert de leur choix figurant sur une des listes mentionnées à l'article 157:

Considérant que Mme [A] par déclaration au greffe du juge d'instruction en date du 28 juin 2010, faisant suite à la notification, à Son ancien avocat, de la décision ordonnant une expertise de son fils a sollicité l'adjonction d'un expert et a demandé que les experts puissent prendre l'avis d'un expert psychologue, qu'ils se fassent communiquer les notes prises par les différents médecins ayant examiné l'enfant ou encore qu'ils puissent visionner les enregistrements vidéo de l'enfant et qu'ils examinent un certain nombre de questions :

Que le juge d'instruction lui a fait savoir que ses demandes étaient irrecevables , seuls les avocats ayant la possibilité d'en formuler, par application de l'article 161-1 du code de procédure pénale :

Considérant que la disposition contestée est dès lors applicable au litige ;

Considérant qu'elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ; que selon l'article 16 de cette déclaration , toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ;

Considérant que si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe du contradictoire et du principe des droits de la défense, lequel implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties :

Considérant que l'article 161-1 du code de procédure pénale prévoit que la copie de la décision ordonnant une expertise n'est adressée , outre au procureur de la République qu'aux avocats des parties lesquels ont seuls la possibilité de formuler des demandes d'adjonction d'expert ou de modification des questions posées à l'expert ;

Considérant toutefois que, dès lors qu'est reconnue aux parties la liberté de choisir d'être assistées d'un avocat ou de se défendre seules, le respect des principes du contradictoire et des droits de la défense pourrait justifier que les parties non assistées d'un avocat se voient également adresser la copie des décisions ordonnant une expertise et qu'elles puissent exercer les droits dont seules disposent, aux termes de l'article 161-1 du code de procédure pénale , les parties assistées d'un avocat ;

Qu'il apparaît dès lors que la question de la constitutionnalité de l'article 161-1 du code de procédure pénale n'est pas dépourvue de caractère sérieux ;

Qu'il a lieu, par conséquent, de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme [A] à la Cour de Cassation dans les fermes mentionnés au dispositif du présent arrêt ;

Considérant qu'il conviendra de surseoir à statuer sur les appels de l'ordonnance de non-lieu interjetés par Mme [A] et l'association CFCV, dont la cour est saisie , l'examen de ces appels étant renvoyé au 11 Octobre 2012:

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Vu l'ordonnance de non lieu rendue par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Versailles :

Vu les appels de cette ordonnance formés par Mme [A] et par Maître FERRERES substituant Maître KATZ , enregistrés au greffe le 13 février 2012 :

Ordonne que soit transmise à la cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

"L'article 161-1 alinéa 1 du code de procédure pénale porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au droit à un procès équitable et aux droits de la défense garantis par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il réserve aux seules parties assistées par un avocat la possibilité de demander au juge d'instruction de modifier ou de compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre à cet expert ou aux experts déjà désignés un expert de leur choix “ ?

Dit qu'il n'y à pas lieu à transmettre la question prioritaire portant Sur la constitutionnalité de l'article 197 du code de procédure pénale;

Dit qu'il sera sursis à statuer sur l'examen des appels dirigés contre l'ordonnance de non lieu :

Dit que la présente décision sera adressée par le greffe à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les observations du ministère public et les mémoires des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité :

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Madame CAPO-CHICHI Madame CARLIER-PRIGENT