Témoignage de Nathalie Massias [LA2]

12/12/2023

Nathalie Massias, présidente de la Cour administrative d’appel de Douai

Nathalie Massias, présidente de la Cour administrative d'appel de Douai

Pour sa neuvième audience hors de ses murs, le 15 novembre 2023, le Conseil constitutionnel a choisi de siéger à la cour administrative d'appel de Douai.

Ce déplacement a aussi été l'occasion, pour le président et les membres du Conseil, d'avoir un temps d'échange avec des élèves et enseignants des lycées Corot et Châtelet de Douai.

Les Sages ont ensuite rencontré, à la cour administrative d'appel, les magistrats administratifs et judiciaires, qui ont pu les interroger tant sur leurs méthodes de travail – prise en compte des contributions extérieures, part de l'oralité, expression d'opinions dissidentes -, que sur le fond, notamment en matière environnementale concernant le droit des générations futures ou l'invocation du principe de précaution dans le cadre d'une QPC, ou encore sur l'identification des garanties relevant de l'identité constitutionnelle de la France.

L'audience publique de l'après-midi a été consacrée à l'examen de deux QPC relatives à la loi portant création des cours criminelles départementales et d'une QPC relative à une loi de validation en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Outre les parties et leurs représentants, ont notamment pu assister à cette audience des magistrats administratifs et judiciaires et des étudiants de la faculté de droit de Douai accompagnés de sa doyenne.

Le président Fabius est revenu à Douai, le 24 novembre, pour annoncer le sens du délibéré aux étudiants de la faculté de droit et à leurs enseignants, cette présentation étant suivie d'une séquence de questions-réponses.

Ces deux déplacements, qui permettent de mieux faire connaître l'institution du Palais-Royal dans les territoires, étaient particulièrement attendus et bienvenus.

C'est un signal fort dans une région où la problématique du "Dernier kilomètre", à savoir la capacité des services publics à atteindre effectivement leur public, qui fait l'objet de la dernière étude annuelle du Conseil d'État, se pose avec une particulière acuité et appelle une démarche volontariste.

Mais aussi, - peut-être est-ce là le dernier kilomètre qui sépare le juge constitutionnel des juges du fond et des parties - la QPC elle-même, il faut en convenir, n'a sans doute pas encore pleinement atteint son public et demeure une voie de droit à laquelle les parties, et par suite, les juges, n'ont pas donné toute l'amplitude possible.

Ainsi, à titre d'exemple, depuis la création en 2010 de cette nouvelle modalité de contrôle de constitutionnalité des lois, la cour administrative d'appel de Douai n'a été saisie que de 85 QPC. 22 d'entre elles ont été rejetées pour irrecevabilité, 59 l'ont été comme non fondées, seules 4 questions ayant été transmises au Conseil d'État.

Au cours des quatre dernières années (2020 à 2023), 44 QPC ont été adressées à la cour. Le déséquilibre entre les matières est manifeste : les deux tiers sont consacrés au contentieux fiscal. Aucune n'a été transmise au Conseil d'État. À cet égard, il est particulièrement regrettable, alors que la trappe procédurale aurait pu et dû être facilement évitée – que 13 questions aient été rejetées comme irrecevables… faute de mémoire distinct !

On le voit, le recours à la question prioritaire reste timide et maladroit. Ceci témoigne peut-être d'un respect traditionnel de la loi, expression de la souveraineté. Mais aussi, et même plus sûrement, d'une insuffisante maîtrise de la procédure contentieuse et de la jurisprudence constitutionnelle.

Gageons que le déplacement du Conseil constitutionnel à Douai et l'écho qui en a été donné par la presse régionale auront contribué à faire mieux connaître le juge constitutionnel à nos concitoyens et à développer encore la culture de la QPC et son appropriation par les acteurs du droit.

Mis à jour le 10/01/2024