Tribunal de grande instance de Nancy

Jugement du 3 juin 2019, N° RG 17/00391

09/12/2022

Renvoi

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de NANCY

Pôle social

Contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale

CITE JUDICIAIRE - CO 27

54035 NANCY CEDEX

03.83.90.85.11

Affaire : N° RG 17/00391 - N° Portalis [...]

Date de la demande : 20 Septembre 2017

Demandeur: Monsieur [C B]

Défendeur: Caisse Locale Déléguée pour la Sécurité Sociale des Indépendants- Agence de [LOCALITE 1]

Cour de Cassation 5 quai de l’Horloge 75001 PARIS

TRANSMISSION D’UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

J'ai l’honneur de vous aviser que, dans l’affaire visée en référence, le président de la formation de jugement statuant en matière de contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale près le de [LOCALITE 2] spécialement désigné, a décidé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation.

Fait à NANCY, le 04 Juin 2619

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Minute n°19/00337

Affaire : [B] /CAISSE LOCALE DELEGUEE POUR LA SECURITE SOCIALE DES INDEPENDANTS - AGENCE DE [LOCALITE 3]

N° RG 17/00391 - N° Portalis [...]

 

LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NANCY

CONTENTIEUX DE LA SECURITE SOCIALE ET DE L'AIDE SOCIALE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

- Madame Agnès PUCHEUS, Juge au Tribunal de Grande Instance, Présidente,

- Madame Marion ROUSSEAU, Assesseur de la catégorie non salariés,

- Monsieur Philippe LEVEQUE, Assesseur de la catégorie salariés,

et avec l’assistance de Madame BAÏ Sabine, greffière

s’est réuni en audience publique au Palais de Justice de NANCY, le 03 avril 2019 et a rendu le 03 juin 2019, après en avoir délibéré, la décision dont teneur suit.

- VU le code de la sécurité sociale et notamment les articles L. 142-1 à L. 142-9 et R. 142-10 à KR. 142-490 :

Entendu à l’audience du 03 avril 2019:

- Monsieur [C B]

[adresse 4]

[LOCALITE 5]

[LOCALITE 6]

non comparant, représenté par Maître DEMAREST

- DEMANDEUR -

- CAISSE LOCALE DELEGUEE POUR LA SECURITE SOCIALE DES INDEPENDANTS - AGENCE DE [LOCALITE 7]

[adresse 8]

[LOCALITE 9]

comparante en la personne de Madame [D]

- DÉFENDERESSE -

en leurs explications et conclusions,

Le tribunal a rendu la décision suivante, prononcée par la Présidente, en application de l’article 452 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [C B] réside à [LOCALITE 10] en [LOCALITE 11] et il est affilié au RSI, devenu la caisse de sécurité sociale des travailleurs indépendants, au titre de son activité individuelle d’agence matrimoniale à [LOCALITE 12] et à [LOCALITE 13].

Le 4 janvier 2017, le RSI a adressé à Monsieur [B] un courrier lui annonçant qu’il était redevable d’une somme de 14 401 euros au motif de l’application de la législation concernant les assurés fiscalement domiciliés à l’étranger portant le taux des cotisations d’assurance maladie- maternité de 6,5 % à 14,5 %. Cette somme a été confirmée dans un appel à cotisations envoyé par le RSI le 13 janvier 2017.

Le 13 juin 2017, le RSI a adressé à Monsieur [B] l’avis de régularisation des cotisations 2016 qui fait état d’un trop perçu de 13 820 euros, cette somme tenant compte de l’application du taux de 14,5 % aux cotisations d’assurance maladie-maternité.

Le 20 juin 2017, le RSI a mis en demeure Monsieur [B] de payer la somme de 6 476 euros.

Le 6 juillet 2017, Monsieur [B] a contesté cette mise en demeure devant la commission de recours amiable.

Par une requête du 20 septembre 2017, Monsieur [B] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d’un recours à l’encontre de la mise en demeure litigieuse.

Dans le cadre de ce recours, Monsieur [B] conteste la conformité à la Constitution de l’article L. 131-9 du code de la sécurité sociale qui sert de fondement à l’application d’un taux majoré aux cotisations d’assurance maladie-maternité dues par les travailleurs indépendants ne résidant pas en France.

Dans un mémoire enregistré le 11 octobre 2018 et auquel il convient de se reporter pour un plus ample examen de ses prétentions et moyens, Monsieur [B] conteste la constitutionnalité des articles L. 131-9 et D. 612-5 I du code de la sécurité sociale.

Monsieur [B] rappelle les dispositions relatives à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Il soutient que l’article L. 131-9 du code de la sécurité sociale est applicable au litige et que la disposition contestée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution.

Monsieur [B] affirme que cet article: instaure une différence de traitement entre les travailleurs indépendants qui exercent une activité professionnelle en France et qui sont donc obligatoirement soumis à ce titre au régime d’assurance maladie français selon qu’ils résident ou non à l’étranger. Il soutient que cet article est également contraire au principe d’égalité des citoyens devant la Loi prévu par l’article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et au principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques prévu par l’article 13 de ladite déclaration.

Monsieur [B] demande au tribunal de :

-Constater que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions de l’article L. 131-9 du code de la sécurité sociale prises en violation du principe d’égalité des citoyens devant la Loi prévu par l’article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et du principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques prévu par l’article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen,

-Constater que la question soulevée est applicable au litige dont est saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nancy dans le recours 21700391,

-Constater que la question soulevée porte sur une disposition qui n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel dans des circonstances identiques,

-Constater que la question soulevée présente un caractère sérieux,

-En conséquence, transmettre à la Cour de cassation sans délai la question prioritaire de constitutionnalité soulevée afin que celle-ci procède à l’examen qui lui incombe en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel pour qu’il relève l’inconstitutionnalité de la disposition contestée, prononce son abrogation et fasse procéder à la publication qui en résultera.

Dans ses conclusions enregistrées le 19 avril 2019, le Ministère public relève que [A B] présente un écrit distinct de la procédure qui paraît donc recevable. Il rappelle les principes posés par les articles 6 et 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et précise qu’une adaptation peut être prévue par le législateur dans la détermination des contributions sociales selon la situation des personnes et le statut de l’entreprise concernée mais en évitant toute atteinte au principe fondamental de l’égalité devant la Loi et les charges publiques.

Le Ministère public conclut qu’il plaise à la juridiction de :

-Constater que la disposition contestée paraît applicable au litige ou à la procédure,

-Constater que la disposition contestée n’a pas fait l’objet de façon précise d’une décision de conformité à la Constitution à ce jour de la part du Conseil constitutionnel,

-Constater que la question posée à un caractère sérieux car les dispositions de l’article L. 131-9 du code de la sécurité sociale paraissent devoir être examinées au regard du principe constitutionnel d'égalité de traitement des citoyens devant les charges en l’absence de différence de situation et au regard de l’absence d’entrave à la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne,

-Conclure qu’il y à lieu de transmettre la question à la Cour de cassation.

La caisse de sécurité sociale des indépendants n’a pas conclu sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

MOTIFS

Sur la question prioritaire de constitutionnalité

En application de l’article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé

En application de l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation et de l’article 126-2 du code de procédure civile, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

En l’espèce, le moyen a été soulevé dans un écrit distinct et motivé qui ne comporte pas d’autres observations sur le fond. Il est donc parfaitement recevable.

L'article 23-2 de l’ordonnance précitée dispose que la juridiction saisie transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont réunies :

-la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites,

-la disposition n’a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs ou la disposition d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances,

-la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

En l'espèce, Monsieur [B] conteste la conformité aux articles 6 et 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen des dispositions de l’article L. 131-9 du code de la sécurité sociale.

L'article L. 131-9 du code de la sécurité sociale dispose que :

« Des taux particuliers de cotisations d'assurance maladie, maternité, invalidité et décès à la charge des assurés sont applicables aux revenus d'activité et de remplacement perçus par les personnes qui ne remplissent pas les conditions de résidence définies à l'article L. 136-1 et qui bénéficient à titre obligatoire de la prise en charge de leurs frais de santé en application de l'article L. 160-1. Ces taux particuliers sont également applicables aux personnes bénéficiant de la prise en charge de leurs frais de santé en application de l’article I. 160-I exonérés en tout ou partie d'impôts directs en application d’une convention ou d'un accord international, au titre de leurs revenus d'activité définis aux articles L. 131-6 et L. 242-I et de leurs revenus de remplacement qui ne sont pas assujettis à l'impôt sur le revenu. Ils sont également applicables aux redevances mentionnées aux IV et V de l'article L. 136-6 versées aux personnes qui ne remplissent pas la condition de résidence fiscale fixée au I du même article (1). »

Dès lors, la question posée porte sur la conformité d’une disposition législative à la Constitution et directement applicable au litige, en ce qu’il a pour objet le recouvrement de cotisations réclamées au titre de l’affiliation du requérant au régime obligatoire.

La disposition contestée n’a pas, à ce jour et de façon précise, fait l’objet d’une décision de conformité à la Constitution de la part du Conseil constitutionnel.

Il apparaît que l’article L. 131-9 du code de la sécurité sociale prévoit que les assurés au régime obligatoire français qui ne résident pas en France se voient appliquer un taux plus élevé que [LOCALITE 14] ; résidents français à leurs cotisations d’assurance-maladie maternité.

Cette disposition instaure, par conséquent, une différence de traitement entre les assurés au régime obligatoire qui est susceptible de remettre en question les principes posés par les articles 6 et 13 de la Déclaration des Droits de l’ Homme et du Citoyen que sont l’égalité des citoyens devant la Loi et les charges publiques.

Il est à noter que, dans une décision n°2012-659 du 21 décembre 2012, le Conseil constitutionnel avait déclaré contraire à la Constitution la deuxième phrase du second alinéa de l’article L. 131-9 du code de la sécurité sociale qui soumettait à un régime dérogatoire de taux de cotisations certains des assurés d’un régime français d’assurance maladie en ce que cela créait une rupture d’égalité entre les assurés d’un même régime qui ne reposait pas sur une différence de situation en lien avec l’objet de la contribution sociale.

Il convient d’en conclure que la question prioritaire de constitutionnalité posée par [A B] présente un caractère sérieux et qu’elle doit être transmise à la Cour de cassation qui procédera à l’examen qui lui incombe en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS

Le pôle social du tribunal de grande instance de Nancy, statuant publiquement, par jugement contradictoire,

Dit que la question prioritaire de constitutionnalité posée par Monsieur [C B] est recevable,

Dit que la disposition contestée est applicable au litige,

Dit que la disposition contestée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution,

Dit que la disposition contestée présente un caractère sérieux

Transmet la question prioritaire de constitutionnalité posée par Monsieur [C B] à la Cour de cassation,

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe les jour, mois et an susdits.

La Présidente

Agnès PUCHEUS