Entretien avec Maître Raphaël MAYET

05/03/2025

Photo Maître MAYET

Entretien avec Maïtre Raphaël MAYET - Bâtonnier de Versailles


1.         En votre qualité d’avocat, qu’a représenté pour vous l’introduction de la QPC dans la Constitution par la réforme du 23 juillet 2008 ? 

L’introduction des questions prioritaires de constitutionnalité dans notre droit a constitué un bouleversement par rapport à ce que nous connaissions jusque là puisque si les décisions du Conseil constitutionnel avaient consacré certaines libertés fondamentales comme la liberté d’association en 1971 ou le droit de propriété en 1982, jusqu’en 2010 les lois promulguées ne pouvaient pas être remises en cause quant à leur constitutionnalité par les justiciables.

Ces questions prioritaires de constitutionnalité ont offert aux avocats de nouvelles opportunités et de nouveaux moyens d’action.

2.         Quel bilan de la QPC pourriez-vous dresser quinze ans après son entrée en vigueur, à la fois à titre personnel, en ce qui concerne les QPC que vous avez portées, mais également comme avocat et désormais bâtonnier ? 

Il est évident que les questions prioritaires de constitutionnalité ont permis des avancées au profit de catégories de justiciables qui jusque là n’avaient pas ou peu de relais au Parlement. C’était particulièrement le cas pour les personnes hospitalisées sans consentement en milieu psychiatrique dont la situation suscitait beaucoup d’indifférence ; nous fêtons cette année le centenaire de la publication du livre de reportage d’Albert Londres « Chez les fous » et le moins que l’on puisse dire est que ce livre n’a pas mobilisé l’opinion publique relativement à cette question.

Les questions prioritaires de constitutionnalité ont donc souvent constitué la voix des sans voix et c’est un grand mérite.

En tant que bâtonnier, je suis particulièrement attentif au suivi des décisions rendues par le Conseil constitutionnel en ce qu’elles peuvent impliquer des nouveaux champs d’activité pour les avocats notamment pour la défense des libertés.

Par ailleurs, il importe de suivre les conséquences des décisions rendues par le Conseil constitutionnel. A titre d’exemple, le barreau de Versailles a pu obtenir la communication des rapports annuels relatifs à l’isolement et à la contention en milieu psychiatrique ainsi que les statistiques annuelles du juge des libertés et de la détention (JLD) en la matière. Nous avons pu constater une baisse tendancielle des saisines du JLD de l’ordre de 4% par an concernant l’isolement et une quasi disparition des pratiques de contention, ce qui est bien évidemment très concret.

3.         Vous avez rapidement soulevé des QPC après l’entrée en vigueur de la procédure (cf. décision n° 2011-135/140 QPC du 9 juin 2011). Comment vous êtes-vous personnellement emparé de cette nouvelle voie de droit, en d’autres termes, comment êtes-vous « venu à la QPC » très concrètement ? 

Pour être tout à fait honnête, la question de la constitutionnalité de certaines lois et notamment celle de 1838 sur les aliénés avait déjà été abordée avant 2008 devant les juridictions administratives sans succès. Cette inconstitutionnalité avait notamment été soulevée par l’association Groupe Information Asiles et ses deux principaux animateurs, Philippe BERNARDET (décédé en 2007) et André BITTON dont l’association qu’il préside (le CRPA) sera à l’origine d’une question prioritaire de constitutionnalité concernant la loi du 5 juillet 2011.

Dès le mois de Mars 2010, je déposais les premières questions prioritaires de constitutionnalité concernant l’absence de contrôle juridictionnel systématique des mesures de soins sans consentement.

4.         Les statistiques récentes mettent en évidence la forte proportion de « QPC incidentes » ou « saisines directes », c’est-à-dire soulevées directement devant la Cour de cassation ou le Conseil d’État, sans être passées par le filtre préalable des juridictions du fond. Que vous inspire cette tendance, commune aux deux ordres de juridiction ? 

A mon sens, la plus forte proportion des saisines directes et saisines incidentes tient à trois facteurs : le premier est d’une certaine façon le succès des premières années de QPC qui ont été marquées par de nombreuses déclarations d’inconstitutionnalité qui ont tari le stock de lois inconstitutionnelles existantes ; le second tient au fait que certains requérants n’ont pas bénéficié pour eux-mêmes des effets des décisions d’inconstitutionnalité qui ont été différés, or, il est difficile à expliquer aux justiciables qu’ils ne bénéficieront pas des effets de la voie de recours que nous menons pour eux. Le troisième tient sans doute au fait que les barreaux et les écoles d’avocats ne forment pas assez sur le mécanisme des QPC alors que les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation sont désormais quant à eux très habitués à cet exercice.

 5.         Dans votre pratique, comment appréhendez-vous la phase de l’audience publique de QPC devant le Conseil constitutionnel ? 

Pour un avocat, l’audience publique devant le Conseil constitutionnel constitue un évènement exceptionnel de notre vie professionnelle.

A chaque fois que j’ai pris la parole devant le Conseil, j’avais le sentiment que je pouvais contribuer à ce que les choses changent pour des catégories de personnes qui n’avaient guère de soutien et pour un avocat, faire triompher le Droit au profit de ceux qui n’ont rien reste une consécration du serment que nous prêtons le jour où nous devenons avocats….

6.         Identifiez-vous des « bonnes pratiques » ou pistes qui seraient selon vous de nature à améliorer le maniement de la procédure de la QPC ? 

La procédure relative à la QPC pourrait être à mon sens améliorée en laissant aux parties un temps un peu plus important pour formaliser leurs observations.

Par ailleurs, je pense que lorsqu’une QPC prospère, le Parlement devrait nécessairement entendre le requérant ou son avocat dans le cadre de la réforme législative rendue nécessaire, car c’est parfois l’après QPC qui nous laisse sur notre faim….

7.         La QPC est plus ou moins utilisée selon les domaines du droit. Par exemple, devant la Cour de cassation, la matière pénale est le terrain privilégié des QPC (cf. Rapport annuel 2022). Qu’est-ce que ce constat vous inspire ?

La prédominance des QPC en matière pénale s’explique à mes yeux par le fait que cette matière est par essence législative en application de l’article 34 de la Constitution et qu’elle concerne par nature les droits fondamentaux alors que la procédure civile est quant à elle par essence réglementaire, ce qui exclut le recours aux QPC. Il en va de même pour les règles de procédure devant les juridictions administratives.

8.         En votre qualité de bâtonnier, comment percevez-vous l’appropriation de la procédure par les avocats ? 

A mon sens, l’appropriation des QPC par les avocats peut être améliorée. Sur un barreau comme le barreau de Versailles qui compte 750 avocats en activité, ceux qui ont porté une QPC devant le Conseil constitutionnel se comptent sur les doigts d’une main.

Il faut à mon sens insister sur la formation des confrères et futurs confrères et sur les avancées susceptibles d’être obtenues par ces QPC.

9.         Identifiez-vous des initiatives qui pourraient être prises pour favoriser cette appropriation de la QPC par les avocats ? 

Il nous faut impérativement communiquer sur la simplicité de la procédure qui permet de faire aboutir une QPC. A titre indicatif, la décision QPC 2021-912/913/914 sur l’isolement et la contention en milieu psychiatrique avait pour origine la défense en urgence de trois justiciables dans le cadre d’une permanence devant le JLD de VERSAILLES, cette QPC a été posée en quelques heures et a abouti à une réforme importante pour toutes les personnes qui font l’objet de telles mesures.

10.       Un certain fléchissement l’activité juridictionnelle en matière de QPC a été constaté ces dernières années, y compris devant le Conseil constitutionnel. Comment analysez-vous cette tendance ? 

Pour ma part, il y a d’une part un tarissement du stock de lois inconstitutionnelles du fait des nombreuses déclarations d’inconstitutionnalité prononcées et une part de découragement pour certains de ne pas avoir pu bénéficier des déclarations d’inconstitutionnalité obtenues.

11.       La faculté reconnue au Conseil constitutionnel de moduler dans le temps les effets d’une déclaration d’inconstitutionnalité et l’incertitude qui en résulte, pour les avocats, quant à l’effet des décisions QPC pour leurs clients, est souvent relevée comme un facteur important de ce relatif tassement de l’activité QPC. Quel regard portez-vous sur cet enjeu de « l’effet utile » des décisions ? 

Je pense qu’une telle modulation des effets d’inconstitutionnalité mais aussi une plus grande communication sur les réserves d’interprétation seront de nature à motiver un renouveau des QPC.

12.       Le Conseil constitutionnel a ouvert en janvier 2023 le Portail QPC 360° qui a pour ambition de rassembler les décisions QPC rendues par l’ensemble des juridictions françaises et qui s’appuie notamment sur le déploiement de l’open data des décisions de justice. Comment percevez-vous cette mise à disposition croissante des décisions de justice auprès du public, notamment en matière de QPC ? 

L’open data peut être un bon serviteur mais un mauvais maître. Ce recensement des décisions des juges peut avoir un effet dissuasif notamment en cas de refus de transmission de QPC par des juges du fond pour défaut de caractère sérieux de la question posée. A titre indicatif, lorsqu’en mars 2010 j’ai posé la première QPC relative à la non constitutionnalité de l’absence de contrôle systématique du juge judiciaire sur les mesures de soins sans consentement, j’ai essuyé un refus de transmission pour défaut de caractère sérieux de la question…. La suite des événements m’a montré qu’il ne fallait jamais baisser les bras dès lors que nous sommes convaincus de la justesse de notre démarche. 

13.       La cour d’appel de Versailles a accueilli le 4 février 2025 une audience publique de QPC « hors les murs », en présence de nombreux magistrats et avocats du ressort. Que représente cet évènement pour vous, en tant que praticien de la QPC et en tant que bâtonnier ? 

La tenue d’une audience du Conseil constitutionnel à Versailles le 4 février dernier a constitué un évènement exceptionnel.

Avec mes homologues des barreaux du ressort de la Cour, nous avons pu échanger avec les membres du Conseil à l’issue de l’audience autour des thèmes des droits fondamentaux ou de l’intelligence artificielle, cela restera un moment fort de mon mandat de Bâtonnier.

Il est à mon sens essentiel que les institutions se déplacent et se rapprochent du citoyen, du justiciable. C’est une démarche similaire qui me conduit en tant que bâtonnier à me rapprocher de ceux qui sont privés d’accès au droit et se trouvent aux marches du Palais.

Mis à jour le 06/03/2025