Constitution et droit de l’Union européenne

17/01/2023

Obligation pour les transporteurs aériens de réacheminer les étrangers dont l’entrée en France est refusée

Décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021
Société Air France
Conformité

 

Transporteurs aériens

Par sa décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution l’obligation pour les transporteurs aériens de réacheminer un ressortissant étranger dont l’entrée en France a été refusée, qui n’a ni pour objet ni pour effet de leur confier une mission de surveillance ou de contrainte. Sa décision se fonde sur le constat que cette obligation ne méconnaît pas l’interdiction de déléguer l’exercice de la force publique à des personnes privées, qualifiée en des termes inédits de "principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France".

Cette obligation ne méconnaît pas l’interdiction de déléguer l’exercice de la force publique à des personnes privées.

Le Conseil constitutionnel avait été saisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 213-4 et du 1° de l’article L. 625-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

Les dispositions contestées de l’article L. 213-4 du CESEDA visent à assurer la transposition de la directive 2001/51/CE du Conseil du 28 juin 2001 visant à compléter les dispositions de l’article 26 de la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 en prévoyant que l’entreprise de transport aérien ou maritime est tenue de ramener une personne étrangère non ressortissante d’un État membre de l’Union européenne en cas de refus d’entrée sur le territoire national.

Il était reproché à ces dispositions d’obliger les entreprises de transport aérien à réacheminer les personnes étrangères auxquelles l’accès au territoire national a été refusé, le cas échéant en exerçant des contraintes sur celles dont le comportement présente un risque pour la sécurité à bord de l’aéronef. Ces dispositions auraient eu ainsi pour effet de déléguer à une personne privée des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la force publique, en violation de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Pour trancher ce débat, le Conseil constitutionnel s’est fondé sur sa jurisprudence constante visant à assurer la cohérence entre l’ordre juridique interne et l’ordre juridique de l’Union européenne. Lorsqu’une méconnaissance des droits et libertés protégés par la Constitution trouve son origine dans un acte de l’Union européenne alors que ces droits et libertés sont également protégés par l’ordre juridique européen, le Conseil constitutionnel laisse aux juges de droit commun du droit de l’Union – c’est-à-dire aux juridictions administratives et judiciaires françaises et, le cas échéant, à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) – le soin d’en assurer le respect. Si, en revanche, sont en cause des règles et principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la France, c’est au Conseil constitutionnel lui-même qu’il revient d’en assurer le respect.

À cette aune, le Conseil constitutionnel a relevé que les dispositions contestées, qui ne portent que sur l’obligation faite aux transporteurs de réacheminer des personnes étrangères, se bornaient à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de la directive du 28 juin 2001.

Par conséquent, en application de sa jurisprudence constante, il a jugé qu’il n’était compétent pour contrôler la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit que dans la mesure où ces dispositions mettent en cause une règle ou un principe qui, ne trouvant pas de protection équivalente dans le droit de l’Union européenne, est inhérent à l’identité constitutionnelle de la France.

Or, sur le fond, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il résulte de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la "force publique" nécessaire à la garantie des droits et a jugé, de manière inédite, que cette exigence constitue un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France.

Exerçant dès lors un contrôle des dispositions contestées au regard de cette exigence constitutionnelle, il a observé notamment que la décision de mettre en œuvre le réacheminement d’une personne non admise sur le territoire français relève de la compétence exclusive des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière et que les dispositions contestées n’avaient ni pour objet ni pour effet de mettre à la charge de ces entreprises une obligation de surveiller la personne devant être réacheminée ou d’exercer sur elle une contrainte, de telles mesures relevant des seules compétences des autorités de police.

Par ces motifs, il a écarté le grief tiré de la méconnaissance de l’article 12 de la Déclaration de 1789 et déclaré conformes à la Constitution les dispositions contestées.

Retrouvez le dossier complet de la décision n° 2021-940 QPC et la vidéo de l’audience
sur le site du Conseil constitutionnel.

Mis à jour le 19/01/2023