Le Conseil constitutionnel saisi d’une QPC

16/06/2023

De l’office du Conseil constitutionnel saisi d’une QPC

par le Service juridique du Conseil constitutionnel

Au 31 mai 2023, le Conseil constitutionnel a rendu 938 décisions se prononçant sur 1 050 questions prioritaires de constitutionnalité (QPC).

Sans entrer dans l’examen de la jurisprudence relative aux droits et libertés que la Constitution garantit, le présent article se propose de mettre en lumière quelques particularités de l’office du Conseil constitutionnel en les présentant dans l’ordre d’examen d’une QPC.

Saisi d’une QPC, le Conseil constitutionnel est tout d’abord conduit à déterminer :

  • 1) si celle-ci porte sur une "disposition législative" au sens de l’article 61-1 de la Constitution ;
  • 2) il délimite ensuite avec précision le champ matériel et temporel de la disposition contestée ;
  • 3) puis, s’il déclare cette disposition inconstitutionnelle, précise les effets dans le temps de cette déclaration d’inconstitutionnalité.

1) Le Conseil constitutionnel peut être saisi, sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution, de dispositions introduites par voie d’ordonnances, et prend en compte, dans une certaine mesure, la portée que confère à une disposition législative une "interprétation jurisprudentielle constante"

a) Le Conseil constitutionnel se reconnaît compétent pour connaître en QPC de certaines dispositions issues d’ordonnances non ratifiées de l’article 38 de la Constitution

Devant être dirigée contre "une disposition législative"[1], la question prioritaire de constitutionnalité impose, tant aux juridictions devant lesquelles elle peut être posée qu’au Conseil constitutionnel lorsqu’il en est saisi, de s’assurer que les dispositions qui sont contestées revêtent bien un tel caractère[2].

Dans le cadre de cet examen, le Conseil constitutionnel a récemment reconnu ce caractère à des dispositions issues d’ordonnances prises par le Gouvernement sur le fondement de l’article 38 de la Constitution[3].

Par une décision du 28 mai 2020[4], le Conseil a en effet procédé à un revirement de jurisprudence par rapport à une décision du 10 février 2012[5] et s’est reconnu compétent pour contrôler, par la voie de la QPC, la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions d’une ordonnance non ratifiée, à la double condition que ces dispositions interviennent dans des matières relevant du domaine législatif et que le délai d’habilitation fixé par le Parlement ait expiré.

Ce revirement de jurisprudence, sur lequel le commentaire de la décision du 3 juillet 2020 apporte d’importantes précisions[6] et dont les juridictions suprêmes ont tiré les conséquences[7], a conduit depuis le Conseil constitutionnel à se prononcer sur une dizaine de dispositions d’ordonnances non ratifiées et à censurer certaines d’entre elles[8].

Désormais lorsqu’il est saisi de dispositions d’une ordonnance non ratifiée, le Conseil constitutionnel s’assure que les conditions de sa compétence sont remplies, c’est‑à-dire, d’une part, comme l’atteste la mention dans les visas de ses décisions, que le délai d’habilitation fixé par la loi sur le fondement de laquelle a été prise l’ordonnance est expiré et, d’autre part, que les dispositions qui sont contestées relèvent bien du domaine législatif[9].

b) Le Conseil constitutionnel a apporté des précisions sur la prise en compte d’une interprétation jurisprudentielle constante

* Le Conseil constitutionnel a très tôt reconnu le droit pour le justiciable de contester non seulement une disposition législative mais également la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante donne à cette disposition[10]. Son contrôle porte alors non sur la disposition prise en elle-même, mais sur la portée que lui confère le juge en l’interprétant. Cette interprétation jurisprudentielle constante, qui doit émaner du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, peut résulter d’une seule décision, qui peut d’ailleurs être la décision de renvoi de la QPC alors même qu’aucune autre décision antérieure n’aurait retenu cette interprétation[11].

Cette possibilité pour le justiciable de contester la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante donne à une disposition législative implique, pour les juridictions suprêmes, de trancher la question de l’interprétation de la disposition législative pour apprécier le caractère sérieux de la question qui leur est posée avant de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

En effet, la QPC ne saurait avoir pour objet de renvoyer au Conseil constitutionnel des interprétations seulement hypothétiques d’une disposition législative sans que le juge de renvoi ne se soit lui-même prononcé sur l’existence ou non d’une telle interprétation[12].

En l’absence d’une telle interprétation constante et dès lors que ce qui est reproché à la disposition ne résulte pas de ses termes mêmes, le Conseil constitutionnel pourrait alors être conduit à constater que le grief d’inconstitutionnalité, qui soutient que, telle qu’ainsi interprétée, la disposition serait contraire à la Constitution, manque en fait[13].

* Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a récemment apporté des précisions sur la prise en compte d’une interprétation jurisprudentielle constante lorsque cette interprétation résulte du contrôle de conventionalité opéré par le juge du filtre.

Si, conformément à l’ambition poursuivie par l’instauration de la QPC, la prise en compte de l’interprétation jurisprudentielle constante de la disposition législative permet au justiciable de soumettre au Conseil constitutionnel l’application effective d’une disposition législative, le Conseil constitutionnel a toutefois été conduit à prévenir le risque que la prise en compte d’une telle interprétation prive la question de constitutionnalité de son caractère prioritaire.

Dans sa décision du 2 octobre 2020[14], le Conseil était saisi de la constitutionnalité d’une disposition législative au motif que, prise en elle-même, elle ne prévoyait pas de recours permettant à un détenu d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire. Or, s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait, pour rendre ces dispositions compatibles avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, créé une voie de recours prétorienne, le Premier ministre soutenait que cette disposition législative, telle qu’interprétée à l’aune de la Convention, était conforme à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a écarté une telle argumentation en estimant que la nature et le caractère prioritaire de la QPC, qui traduit la hiérarchie des normes dans l’ordre juridique interne, faisaient obstacle à ce qu’il soit tenu compte, à l’occasion d’une QPC, de l’interprétation de la disposition législative en cause qu’imposerait sa compatibilité avec les engagements internationaux de la France.

Le Conseil constitutionnel a alors jugé que le juge appelé à se prononcer sur le caractère sérieux d’une question prioritaire de constitutionnalité ne peut, pour réfuter ce caractère sérieux, se fonder sur l’interprétation de la disposition législative contestée qu’impose sa conformité aux engagements internationaux de la France, que cette interprétation soit formée simultanément à la décision qu’il rend ou l’ait été auparavant.

Le Conseil constitutionnel a tiré les mêmes conséquences à l’égard de son propre office en précisant qu’il ne lui appartient pas non plus, saisi d’une telle question prioritaire de constitutionnalité, de tenir compte de cette interprétation pour conclure à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit.

En revanche, le Conseil constitutionnel admet évidemment de tenir compte de l’interprétation à l’aune de textes internationaux dans le cas où l’inconstitutionnalité alléguée procède de cette interprétation. Ce cas peut être illustré par le contentieux des discriminations à rebours par lequel, en raison de l’exigence européenne de libre circulation des capitaux et des travailleurs, la portée d’une disposition législative fiscale d’application générale se trouve restreinte, par l’interprétation du juge national, conforme aux décisions du juge européen, aux situations non communautaires. Une telle interprétation peut conduire à créer des différences de traitement dont la constitutionnalité doit pouvoir être contestée[15].

2) Le Conseil constitutionnel peut être conduit à déterminer la version de la disposition législative qui lui est renvoyée et à délimiter au sein de cette disposition le champ de la question posée

a) Le Conseil constitutionnel détermine la version des dispositions renvoyées au niveau de l’article de la loi ou du code

La question de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit d’une disposition législative implique la plupart du temps de la situer dans son contexte juridique, tel qu’il résulte du droit en vigueur à la date du litige à l’origine de la QPC, puisque ce contexte est susceptible d’affecter la constitutionnalité de la disposition, par exemple en ajoutant ou en supprimant des garanties, en modifiant la portée du dispositif en cause ou bien en instaurant une différence de traitement.

Ce contexte juridique étant bien souvent amené à évoluer, il appartient aux juridictions de renvoi de déterminer la version des dispositions législatives qui sont renvoyées au Conseil constitutionnel, c’est-à-dire de préciser, au regard des faits applicables au litige, la loi dont résulte ou est issue la disposition législative.

La détermination de la version permet ainsi de circonscrire la période d’application de la disposition qui est soumise au contrôle de constitutionnalité.

- Le Conseil constitutionnel s’estime lié par la version dans laquelle les dispositions lui sont renvoyées par le juge du filtre, conformément à la jurisprudence selon laquelle la question de l’applicabilité au litige relève de l’office du seul juge du filtre. Le Conseil ne procède donc lui-même à cette détermination que dans le cas où le juge de renvoi n’a pas précisé cette version[16].

Ainsi que le précise le commentaire d’une décision du 15 novembre 2019[17], pour déterminer la version des dispositions renvoyées, le Conseil constitutionnel adopte, dans un souci de clarté et de simplicité, un raisonnement par article de loi ou de code. Autrement dit, lorsqu’il contrôle une disposition législative, il le fait dans la version, applicable au litige, de l’article qui contient cette disposition, sans " descendre " à un niveau inférieur à l’article (celui du paragraphe, de l’alinéa, de la phrase, etc.).

Aussi, lorsqu’il lui revient de déterminer lui-même la rédaction applicable au litige des dispositions renvoyées, il retient la dernière loi qui, à la date pertinente pour déterminer cette applicabilité, a modifié l’article dans lequel figurent les dispositions qui font l’objet de la QPC.

- Cette conception de la version applicable au litige permet une identification précise des dispositions déclarées conformes et emporte des conséquences particulières pour la recevabilité de prochaines QPC.

En effet, ainsi que le prévoient les articles 23-2 et 23-4 de l’ordonnance organique du 7 novembre 1958, pour faire l’objet d’une QPC, la disposition contestée ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances. Seul un tel changement peut alors conduire à ce que le Conseil constitutionnel soit à nouveau saisi d’une disposition déclarée conforme à la Constitution[18].

Tirant les conséquences de ce que ses déclarations de conformité portent sur des dispositions législatives "dans une rédaction déterminée", le Conseil ne juge désormais nécessaire de rechercher si un changement des circonstances justifie de réexaminer des dispositions précédemment déclarées conformes à la Constitution que lorsqu’il est saisi de ces dispositions dans la même rédaction que celle déjà déclarée conforme à la Constitution. À l’inverse, s’il est saisi de ces dispositions dans une autre rédaction, le Conseil considère qu’il ne les a pas déclarées conformes à la Constitution et qu’il peut ainsi être procédé à leur examen sans qu’il soit besoin de justifier d’un changement des circonstances[19].

b) Le Conseil constitutionnel délimite avec précision le champ de la QPC

Le Conseil constitutionnel n’opère aucun contrôle de la condition d’applicabilité au litige de la disposition renvoyée, dont l’appréciation est laissée au seul juge du filtre et ne s’estime saisi que des dispositions qui lui sont renvoyées par la décision de renvoi.

- Cela a pour conséquence que le Conseil constitutionnel ne se prononce bien sûr pas sur d’autres dispositions que celles renvoyées, alors même que les griefs des requérants seraient en réalité dirigés contre ces autres dispositions. Dans une telle hypothèse, le Conseil constitutionnel écarte comme inopérants les griefs tendant à mettre en cause d’autres dispositions que celles qui lui ont été renvoyées[20]. Ainsi, et pour prévenir une telle situation, il appartient au juge du filtre de n’examiner le caractère sérieux de la question posée qu’au regard des griefs qui sont effectivement dirigés contre la disposition visée par le justiciable.

- En revanche, le Conseil constitutionnel peut être conduit à délimiter précisément, au sein des dispositions qui lui sont renvoyées, celle qui sont contestées.

Cette délimitation s’effectue au regard des seuls griefs soulevés par le requérant[21] et conduit à préciser le champ de sa saisine pour la circonscrire aux dispositions mises en cause. Cette pratique peut conduire le Conseil constitutionnel à ne statuer que sur certains membres de phrase ou même certains mots contenus dans les dispositions renvoyées. Ce sont alors ces seuls éléments qui feront l’objet d’une déclaration de conformité ou de censure.

Dans cet exercice, le Conseil constitutionnel se refuse à se prononcer sur la conformité d’une disposition seulement "en tant que" cette disposition emporte telle ou telle conséquence dans une situation donnée, ou sur une "combinaison" de dispositions législatives[22]. Une telle logique aurait en effet pour conséquence de réduire très fortement la portée d’une déclaration de constitutionnalité, toute disposition pouvant à nouveau être contestée dès lors qu’elle serait combinée avec une autre disposition ou "en tant que" elle produirait un autre effet que celui déjà contrôlé[23]. Le Conseil constitutionnel ne tient donc pas compte de ce que le renvoi vise à limiter l’interrogation sur la conformité à la Constitution d’une disposition à un aspect seulement de cette dernière et s’estime saisi de chacune des dispositions.

- Sans abandonner cette jurisprudence, il peut être relevé que le Conseil constitutionnel a parfois été conduit à affiner la délimitation du champ de la QPC pour tenir compte de ce que la loi opère parfois, au sein d’une disposition, un renvoi à d’autres dispositions.

Ainsi, dans sa décision du 17 mai 2019[24], le Conseil constitutionnel était saisi d’une QPC reprochant à l’article 885 D du code général des impôts, qui prévoit que "L’impôt de solidarité sur la fortune est assis et les bases d’imposition déclarées selon les mêmes règles et sous les mêmes sanctions que les droits de mutation par décès", de rendre ainsi applicable à l’impôt de solidarité sur la fortune le 2° de l’article 773 du code général des impôts qui exclut la déduction des dettes contractées par le défunt à l’égard de ses héritiers ou de personnes interposées.

Pour surmonter la difficulté tenant à ce que l’article 885 D du CGI opère un renvoi général aux règles et sanctions applicables aux droits de mutation par décès et qu’il ne lui était donc pas possible d’identifier au sein de cet article un membre de phrase ou un mot particulier, le Conseil a fait évoluer sa jurisprudence pour répondre précisément à la question qui lui était posée sans statuer sur la constitutionnalité des renvois opérés par l’article 885 D à d’autres dispositions qui n’étaient pas contestées en l’espèce et qui pourraient, le cas échéant, faire l’objet d’autres QPC.

Le Conseil constitutionnel a alors considéré que la QPC portait sur le renvoi opéré par l’article 885 D du code général des impôts au 2° de l’article 773 du même code et n’a statué que sur ce "lien"[25].

3) En cas de censure des dispositions contestées, le Conseil constitutionnel détermine la date de leur abrogation, les conditions dans lesquelles les effets qu’elles ont produits sont susceptibles d’être remis en cause ainsi que les conditions dans lesquelles peut être engagée la responsabilité de l’État

Lorsqu’il déclare les dispositions contestées contraires à la Constitution, le Conseil constitutionnel s’interroge d’abord sur leur avenir, c’est-à-dire leur abrogation, puis éventuellement sur la remise en cause des effets qu’elles ont produits dans le passé et enfin sur les conditions dans lesquelles les conséquences de leur inconstitutionnalité peuvent être réparées.

a) La détermination de la date d’abrogation des dispositions

La question de l’abrogation ne se pose que si les dispositions contestées, dans leur version examinée par le Conseil constitutionnel, sont encore en vigueur.

- Ainsi, si l’article contesté ou l’article au sein duquel se situent les dispositions contestées a été modifié depuis la version examinée par le Conseil constitutionnel, ce dernier relève que "les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur". Il n’y a donc pas lieu pour le Conseil de prononcer leur abrogation[26]. Il en va ainsi quand bien même le membre de phrase ou le mot sur lequel le Conseil constitutionnel s’est prononcé se retrouverait à l’identique dans des versions ultérieures de l’article[27].

- Lorsque, à l’inverse, les dispositions contestées sont encore en vigueur, le Conseil détermine la date de leur abrogation qui peut intervenir soit immédiatement, c’est-à-dire à la date de publication de la décision du Conseil constitutionnel[28], soit, si leur disparition immédiate de l’ordonnancement juridique est susceptible d’entraîner des conséquences manifestement excessives, être reportée à une date ultérieure que le Conseil constitutionnel détermine[29].

Dans ce dernier cas, la disposition reste, en dépit de son inconstitutionnalité, en vigueur jusqu’à la date de son abrogation. Pour éviter toutefois les inconvénients de laisser en vigueur une disposition déclarée inconstitutionnelle, le Conseil constitutionnel peut formuler une réserve transitoire. Il précise alors la façon dont la disposition devra être appliquée jusqu’à son abrogation[30]. Une telle réserve n’est toutefois pas toujours possible en raison de la nature de l’inconstitutionnalité ou de l’ampleur du nouveau régime à définir.

b) La détermination des conditions dans lesquelles les effets que la disposition a produits peuvent être remis en cause

Le Conseil constitutionnel doit déterminer les conditions dans lesquelles les personnes à qui les dispositions déclarées inconstitutionnelles ont été appliquées peuvent éventuellement obtenir la remise en cause de leurs effets.

Cette détermination précise est souvent adaptée à la disposition déclarée inconstitutionnelle et à la nature des effets qu’elle est susceptible d’avoir produits.

Le Conseil constitutionnel peut limiter la possibilité d’invoquer cette inconstitutionnalité aux justiciables qui ont invoqué la même inconstitutionnalité dans leur instance en cours[31], ou à tous ceux qui ont une instance en cours[32] ou encore aux instances en cours ou à venir[33]. Il peut également préciser les configurations factuelles dans lesquelles cette inconstitutionnalité peut être invoquée[34].

Le Conseil constitutionnel peut enfin écarter toute possibilité de contester les effets que la disposition a produits[35].

c) La faculté d’écarter la responsabilité de l’État du fait des lois déclarées inconstitutionnelles

- Le Conseil constitutionnel a tiré les conséquences des décisions du 24 décembre 2019[36] par lesquelles le Conseil d’État a jugé que la responsabilité de l’État du fait des lois peut être engagée, pour réparer l’ensemble des préjudices qui résultent de l’application d’une loi méconnaissant la Constitution. Le Conseil d’État a jugé que l’engagement de cette responsabilité est subordonné à la condition que la décision du Conseil constitutionnel, qui détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause, ne s’y oppose pas, soit qu’elle l’exclue expressément, soit qu’elle laisse subsister tout ou partie des effets pécuniaires produits par la loi qu’une action indemnitaire équivaudrait à remettre en cause.

Par sa décision du 28 février 2020, le Conseil constitutionnel a tiré les conséquences de ces décisions en jugeant que les dispositions de l’article 62 de la Constitution lui réservent le pouvoir de s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières. Il a confirmé ainsi que la possibilité d’engager la responsabilité est le principe et que ce n’est que s’il s’y oppose explicitement dans sa décision qu’elle est écartée[37].

 

[1] L’article 61-1 de la Constitution dispose : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».

[2] Pour un exposé synthétique de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur ce point, voir les titres 11.6.2.1.2 (Caractère législatif des dispositions) et 11.6.2.1.3 (Absence de caractère législatif des dispositions) des tables analytiques du Conseil constitutionnel.

[3] Aux termes du premier alinéa de l’article 38 de la Constitution, « Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ».

[4] Décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020, Force 5 (Autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité).

[5] Décision n° 2011-219 QPC du 10 février 2012, M. Patrick É. (Non lieu : ordonnance non ratifiée et dispositions législatives non entrées en vigueur).

[6] Commentaire de la décision n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020, M. Sofiane A. et autre (Habilitation à prolonger la durée des détentions provisoires dans un contexte d’urgence sanitaire), p. 25 et s.

[7] CE, 16 décembre 2020, n° 440258, conclusions de V. Villette. Cass. civ. 2e, 24 septembre 2020, n° 20-40.056 ; Cass. crim., 3 novembre 2020, n° 20-83.457 et 20.83-189.

[8] Voir par exemple la décision n° 2020-872 QPC du 15 janvier 2021, M. Krzystof B. (Utilisation de la visioconférence sans accord des parties devant les juridictions pénales dans un contexte d'urgence sanitaire).

[9] Pour un cas dans lequel le Conseil constitutionnel se déclare incompétent au motif que les dispositions contestées ne relèvent pas du domaine de la loi, voir la décision n° 2021-961 QPC du 14 janvier 2022, Union syndicale des magistrats administratifs et autres (Nominations au sein des services d’inspection générale de l’État, au grade de maître des requêtes du Conseil d’État et de conseiller référendaire à la Cour des comptes), paragr. 11 à 16.

[10] Décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010, Mmes Isabelle D. et Isabelle B. (Adoption au sein d'un couple non marié).

[11] Décision n° 2011-185 QPC du 21 octobre 2011, M. Jean-Louis C. (Levée de l'hospitalisation d'office des personnes pénalement irresponsables).

[12] Corrélativement, le Conseil constitutionnel juge avec constance qu’il ne lui appartient de procéder lui-même à l’interprétation du texte qui lui est déféré que dans la mesure où elle est nécessaire à l’appréciation de sa constitutionnalité (voir par exemple la décision n° 2013-322 QPC du 14 juin 2013, M. Philippe W. [Statut des maîtres des établissements d’enseignement privés]).

[13] Décision n° 2020-867 QPC du 27 novembre 2020, M. Matthias E. (Amende pour non-respect des mesures prises pour limiter les nuisances aéroportuaires) et décision n° 2023-1053 QPC du 9 juin 2023, M. Frédéric L., (Interdiction de la filiation entre l’enfant issu de l’assistance médicale à la procréation et le tiers donneur).

[14] Décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020, M. Geoffrey F. et autre (Conditions d’incarcération des détenus).

[15] Voir, sur ce point, le commentaire de la décision n° 2022-1014 QPC du 14 octobre 2022, Société Schneider electric et autres (Précompte mobilier), p. 11 à 19.

[16] Sur ce point, voir le commentaire de la décision n° 2019-798 QPC du 26 juillet 2019, M. Windy B. (Compétence de l'agence française de lutte contre le dopage pour prononcer des sanctions disciplinaires à l'égard des personnes non licenciées), p. 9.

[17] Commentaire de la décision n° 2019-812 QPC du 15 novembre 2019, M. Sébastien M. et autre (Suppression de l’abattement pour durée de détention sur les gains nets retirés des cessions d’actions et de parts sociales), p. 8.

[18] Voir le commentaire de la décision n° 2022-1001 QPC du 1er juillet 2022, Société Lorraine services (Amende fiscale contre les tiers déclarants II).

[19] Sur ce point, voir notamment le commentaire de la décision n° 2021-930 QPC du 23 septembre 2021, M. Jean B. (Recours à la géolocalisation sur autorisation du procureur de la République), p. 6 et s.

[20] Voir par exemple la décision n° 2022-989 QPC du 22 avril 2022, M. Alexander V. (Recours contre la condition de renvoi vers l’État membre d’exécution d’un mandat d’arrêt européen).

[21] Les griefs soulevés par les intervenants ne participent pas à la détermination du champ de la QPC. À cet égard, le Conseil n’examine les griefs des intervenants que s’ils portent sur le champ de la QPC préalablement déterminé au regard des griefs des requérants. Si aucun des griefs des intervenants ne concerne ce champ, son intervention n’est alors pas admise. Pour un exemple, voir la décision n° 2022-1031 QPC du 19 janvier 2023, M. François P. (Visite et saisie en matière fiscale au cabinet ou au domicile d’un avocat), paragr. 5 à 7.

[22] Il convient à cet égard de distinguer les griefs mettant en cause une interprétation résultant de la combinaison de plusieurs dispositions, sur laquelle le Conseil refuse donc de se prononcer, des griefs qui peuvent être dirigés contre plusieurs dispositions au regard de leur effet commun (ainsi des cas dans lesquels le Conseil est saisi de dispositions qui permettent un cumul de poursuites ou de sanctions : par exemple décision n° 2021-953 QPC du 3 décembre 2021, Société Specitubes [Cumul des poursuites pour violation d’une mise en demeure prononcée par le préfet en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement]).

[23] Voir, en particulier, les décisions du 7 juillet 2017 n° 2017-642 QPC, M. Alain C. (Exclusion de certaines plus-values mobilières de l'abattement pour durée de détention) et n° 2017-643/650 QPC, M. Amar H. et autre (Majoration de 25 % de l'assiette des contributions sociales sur les revenus de capitaux mobiliers particuliers).

[24] Décision n° 2019-782 QPC du 17 mai 2019, Mme Élise D. (Déductibilité de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune des dettes du redevable à l’égard de ses héritiers ou de personnes interposées).

[25] Pour d’autres exemples, voir les décisions n° 2020-846/847/848 QPC du 26 juin 2020, M. Oussman G. et autres (Violations réitérées du confinement), paragr. 3 à 7, n° 2020-880 QPC du 29 janvier 2021, M. Pascal J. (Révocation d’un avantage matrimonial en cas de divorce), paragr. 3 et 4, et n° 2023-1048 QPC du 4 mai 2023, M. Jamal L. (Conditions de délivrance de la carte de résident permanent).

[26] Voir, par exemple, décision n° 2022-992 QPC du 13 mai 2022, Société Les roches (Droit de suite attaché au privilège spécial du Trésor pour le recouvrement de la taxe foncière), paragr. 10.

[27] Voir, par exemple, décision n° 2020-842 QPC du 28 mai 2020, M. Rémi V. (Conditions de déduction de la contribution aux charges du mariage).

[28] Voir, par exemple, décision n° 2021-968 QPC du 11 février 2022, Fédération nationale des activités de dépollution (Obligation de stockage des déchets ultimes issus d’activités de tri ou de recyclage pour les exploitants d’installations de stockage des déchets non dangereux), paragr. 16.

[29] Voir, par exemple, décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022, M. Mounir S. (Droit de visite des agents des douanes), première phrase du paragraphe 12.

[30] Voir, par exemple, décision n° 2021-978 QPC du 11 mars 2022, Mme Pascale G. (Notification d’un nouveau congé pour reprise en cas de prorogation d’un bail à ferme jusqu’à l’âge de la retraite), paragr. 12.

[31] Décision n° 2012-250 QPC du 8 juin 2012, M. Christian G. (Composition de la commission centrale d'aide sociale), troisième phrase du considérant 8.

[32] Décision n° 2016-604 QPC du 17 janvier 2017, Société Alinéa (Application dans le temps de la réforme du régime du report en arrière des déficits pour les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés), deuxième phrase du paragr. 13.

[33] Décision n° 2021-954 QPC du 10 décembre 2021, Mme Fatma M. (Effet collectif de la déclaration recognitive de nationalité française), dernière phrase du paragraphe 14

[34] Décision n° 2021-968 QPC du 11 février 2022, Fédération nationale des activités de dépollution (Obligation de stockage des déchets ultimes issus d’activités de tri ou de recyclage pour les exploitants d’installations de stockage des déchets non dangereux), paragr. 17

[35] Décision n° 2021-975 QPC du 25 février 2022, M. Roger C. (Information de la personne mise en cause du droit qu’elle a de se taire lors d’un examen réalisé par une personne requise par le procureur de la République - Information du tuteur ou du curateur de la possibilité de désigner un avocat pour assister un majeur protégé entendu librement), paragr. 22.

[36] CE, Ass., 24 décembre 2019, Société Paris Clichy, n° 425981, Société Hôtelière Paris Eiffel Suffren, n° 425983, M. Laillat, n° 428162.

[37] Voir le commentaire de la décision n° 2019-828/829 QPC du 28 février 2020, M. Raphaël S. et autre (Déposition sans prestation de serment pour le conjoint de l’accusé), p. 18.

Mis à jour le 01/02/2024