• Commentaire DC

Commentaire de la décision 98-397 DC

13/06/2023

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 3 mars 1998, de la loi relative au fonctionnement des conseils régionaux, par plus de soixante sénateurs de la majorité sénatoriale, qui mettaient en cause le II de l'article 1er concernant l'élection du Président du Conseil régional et l'article 3 relatif aux modalités d'adoption de budget régional.

Afin de permettre la promulgation de la loi avant les élections des Présidents des Conseils régionaux, prévues le 20 mars, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision dans un délai extrêmement bref en se prononçant dès le 6 mars.

Le II de l'article premier dispose que nul ne peut être élu à la présidence d'un conseil régional s'il n'a remis, préalablement à chaque tour de scrutin, par l'intermédiaire du doyen d'âge une déclaration écrite présentant les grandes orientations politiques, économiques et sociales de son action pour la durée de son mandat.

A l'encontre de cette disposition, les requérants alléguaient quatre moyens :

1) L'obligation faite à chaque candidat de remettre une déclaration de candidature présentant les grandes orientations politiques, économiques et sociales de son mandat serait constitutive d'une entrave au principe de libre administration des collectivités locales et, dans la mesure où le respect de cette obligation conditionne la validité de l'élection du président du conseil régional, l'annulation contentieuse qui s'ensuivrait "sanctionnerait" le conseil régional dans l'exercice de l'une des attributions essentielles.

2) En exposant de manière très générale le contenu de la déclaration sans le définir expressément, le législateur n'aurait pas épuisé la compétence qu'il tient des articles 34 et 72 de la Constitution.

3) L'obligation faite aux candidats de présenter, dans la déclaration, les orientations sociales de leurs actions affecterait les attributions que les départements exercent traditionnellement en matière sociale.

4) Enfin, l'obligation créée par l'article premier conduirait à aliéner la liberté tant du candidat élu que des membres du conseil régional dans l'accomplissement de leur mandat en portant atteinte au principe, énoncé à l'article 27 de la Constitution, disposant que tout mandat impératif est nul.

Le Conseil constitutionnel n'a accueilli aucun de ces moyens.

Tout en rappelant que les règles édictées par le législateur ne sauraient aboutir à entraver la libre administration des collectivités locales et que ce principe suppose que l'organe délibérant dispose d'attributions effectives, le Conseil a considéré qu'en subordonnant la validité de l'élection du président à une déclaration préalable de candidature présentant ses grandes orientations politiques, économiques et sociales, le législateur n'avait pas méconnu ce principe.

Rien ne lui interdit en effet de fixer des règles même s'il n'existe pas jusqu'à présent d'obligation de faire acte de candidature pour être élu à la présidence d'un conseil régional. Le législateur peut toujours modifier les dispositions antérieurement applicables.

Quant au grief tiré de ce que l'annulation de l'élection d'un président de conseil régional, au motif que n'aurait pas été respectée la formalité substantielle du dépôt de la déclaration prévue à l'article premier, constituerait une sanction frappant le conseil régional dans l'exercice de l'une de ses attributions essentielles, il manquait en fait, car on ne saurait assimiler cette annulation à une sanction.

Le moyen tiré de l'incompétence négative du législateur méritait un examen attentif.

A lire le Gouvernement dans ses observations sur la saisine, la loi n'avait pas à définir plus précisément le contenu de la déclaration et si des incertitudes subsistaient il appartiendrait au Conseil d'Etat, juge de l'élection, d'apprécier le cas échéant si la déclaration pouvait être regardée comme contenant les orientations politiques, économiques et sociales dont la loi exige l'indication.

Le Conseil n'a pas fait droit à cette argumentation, souhaitant vraisemblablement éviter que le juge administratif soit conduit à se prononcer sur le contenu politique d'une déclaration. Il a considéré qu'en prévoyant que nul ne peut être élu à la présidence d'un conseil régional s'il n'a remis, préalablement à chaque tour de scrutin, une "déclaration écrite présentant les grandes orientations politiques, économiques et sociales de son action pour la durée de son mandat", le législateur avait seulement entendu subordonner la régularité de l'élection du président à la formalité du dépôt, auprès du doyen d'âge, afin qu'il soit remis par son intermédiaire aux membres du conseil régional, d'un texte exposant les objectifs essentiels de son action.

Dès lors, le grief tiré de ce que le législateur serait resté en deçà de sa compétence, en ne définissant pas avec précision la portée de la déclaration en cause, était dépourvu de fondement de même que celui tiré d'un empiétement du législateur sur les compétences traditionnellement reconnues aux départements, la référence aux orientations sociales dans la déclaration n'ayant, en tout état de cause, ni pour objet ni pour effet de modifier les compétences respectives du département et de la région.

Enfin, si le Conseil constitutionnel a aisément rejeté le moyen tiré de ce que l'obligation prévue à l'article 1er aurait conféré au mandat du Président et à celui des centres membres du Conseil un caractère impératif, il a pris soin de préciser que cette obligation n'était pas contraire au principe dont s'inspire l'article 27 de la Constitution, reconnaissant ainsi implicitement un caractère général à la prohibition du mandat impératif, qui ne se limite pas ainsi aux seuls membres du Parlement.

L'article 3, parfois qualifié improprement de "49-3" régional, institue un mécanisme d'adoption automatique du budget, sans toutefois conduire à la mise en jeu de la responsabilité du président du conseil régional.

Si le budget n'est pas adopté le 20 mars de l'exercice auquel il s'applique, ou le 30 avril l'année du renouvellement des conseils régionaux, le président présente dans un délai de dix jours un nouveau budget -en prenant en compte éventuellement un ou plusieurs amendements présentés au cours de la discussion-, qui doit être approuvé par le bureau du conseil régional, s'il existe.

Le nouveau projet de budget est considéré comme adopté, à moins qu'une "motion de renvoi" comportant un projet de budget alternatif soit présentée par la majorité absolue des membres du conseil dans un délai de cinq jours suivant la communication de son projet par le président et soit adoptée à la même majorité. Le vote sur la motion ne peut avoir lieu avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures à compter de l'avis du conseil économique et social régional, qui doit lui-même se prononcer dans un délai de sept jours à compter de la saisine.

Si la motion est adoptée, le projet de budget qui lui est annexé est alors considéré comme adopté.

A noter que ces dispositions ne sont applicables ni à la Corse -qui dispose d'ores et déjà d'un mécanisme de mise en cause de l'exécutif régional- ni dans l'hypothèse où le président du conseil régional n'a pas présenté de projet de budget.

A l'encontre de cet article, les requérants faisaient, là encore, valoir quatre moyens.

1. En permettant l'exécution d'un budget considéré comme adopté, sans vote de l'assemblée délibérante, l'article 3 de la loi méconnaîtrait l'article 72 de la Constitution, selon lequel les collectivités locales s'administrent librement par des conseils élus et qui suppose que ces derniers disposent d'attributions effectives.

2. Pour la même raison, l'article 3 méconnaîtrait également les exigences de l'article 14 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen aux termes duquel, "Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée".

3. Le mécanisme en cause affecterait à un triple titre le principe d'égalité :

a) entre les collectivités locales, seules les régions se voyant imposer cette règle dérogatoire d'adoption sans vote du budget ;

b) entre les régions elles-mêmes, selon qu'elles sont ou non dotées d'un bureau du conseil régional ;

c) entre les citoyens devant les charges publiques, l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme, selon lequel la contribution commune doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés, étant méconnu par l'institution de la nouvelle procédure.

4. Enfin, un grief assez confus : en faisant dépendre l'application d'une partie substantielle de la nouvelle procédure, de l'existence d'un bureau, qui relève de décisions des présidents des conseils régionaux et qui peuvent varier d'une région à l'autre, le législateur serait resté en-deçà de la compétence qu'il tient des articles 34 et 72 de la Constitution.

Le Conseil a rejeté l'ensemble de ces moyens.

Il a tout d'abord considéré que la nouvelle procédure ne remettait pas en cause le droit pour les régions de s'administrer librement mais que, en permettant d'assurer la continuité des services publics tout en évitant de dessaisir les organes délibérants de la région au profit du représentant de l'Etat, -compétent pour régler le budget sur proposition de la chambre régionale des comptes selon le droit antérieurement applicable-, elle tendait au contraire à le rendre plus effectif.

Puis il a estimé que l'article 14 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen n'impliquait pas de règles particulières d'adoption, par l'organe délibérant, des dispositions financières et fiscales et qu'en permettant à la majorité des membres du Conseil régional de s'opposer au nouveau projet de budget présenté par le Président en adoptant un projet alternatif, le législateur n'avait pas méconnu les exigences découlant de l'article 14.

Il a ensuite jugé qu'en prévoyant, pour les seules régions, des modalités spécifiques d'adoption du budget régional, lorsque ce dernier n'a pu être adopté au terme d'un vote, le législateur n'avait pas méconnu le principe d'égalité. Ce faisant, le Conseil a répondu au grief sur le fond, alors que dans ses observations le Gouvernement l'invitait à le rejeter comme inopérant, le principe d'égalité ne pouvant pas être utilement invoqué, selon lui, pour critiquer les différences prévues par les textes relatifs à l'organisation et au fonctionnement de différentes catégories de collectivités territoriales.

S'agissant de l'inégalité entre les régions elles-mêmes, selon qu'elles disposent ou non d'un bureau, le Conseil a constaté qu'elle résultait de l'état de la législation en vigueur, puisque le bureau du Conseil régional, composé, en vertu de l'article L. 41338 du code général des collectivités territoriales, du président et des membres de la commission permanente ayant reçu de lui délégation, n'est constitué que si le Président accorde des délégations à des conseillers membres de la commission permanente.

De même, constatant que le législateur avait défini, avec précision, dans le respect des articles 34 et 72 de la Constitution, la procédure spécifique d'adoption du budget en cas de rejet du projet de budget initial -en prévoyant en particulier que le nouveau projet de budget doit être approuvé par le bureau, s'il existe- le Conseil a considéré que le fait que cette existence dépende de la décision du Président d'accorder ou non des délégations, n'impliquait pas que le législateur, en établissant la procédure contestée, serait resté en-deçà de la compétence.

Enfin, le Conseil a rejeté le grief tiré de la méconnaissance de l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, cet article n'imposant en effet nullement que le législateur doive définir des règles procédurales d'adoption de la contribution commune, s'appliquant uniformément à toutes les collectivités publiques.