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Commentaire de la décision 98-396 DC

13/06/2023

Par une décision en date du 19 février 1998, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la loi organique portant recrutement exceptionnel de magistrats de l'ordre judiciaire et modifiant les conditions de recrutement des conseillers de cour d'appel en service extraordinaire, dont il avait été saisi par le Premier ministre le 27 janvier 1998.

Si des concours exceptionnels de recrutement de magistrats de l'ordre judiciaire ont été déjà organisés par le législateur, c'est la première fois que sont prévus de tels concours pour le recrutement, d'une part, de magistrats du second grade de la hiérarchie appelés à exercer directement les fonctions de conseiller de cour d'appel et, d'autre part, de magistrats du premier grade, devant exercer également les fonctions de conseiller de cour d'appel.

Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel a examiné la conformité à la Constitution des articles 1er et 5 de la loi, relatifs à ces recrutements par concours, à titre exceptionnel, de magistrats. Après avoir rappelé les règles et principes de valeur constitutionnelle relatifs au statut des magistrats, il a dégagé de façon spécifique les exigences devant être respectées par le législateur organique en matière de recrutement de magistrats de l'ordre judiciaire, ce quel que soit le mode de recrutement retenu : le respect des dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'elles font notamment état de l'admissibilité aux places et emplois publics de tous les citoyens « selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents », impose que les capacités, vertus et talents pris en compte soient en relation avec les fonctions de magistrats et garantissent l'égalité des citoyens devant la justice ; par ailleurs l'existence de modes de recrutement différents ne doit pas conduire à traiter de façon inégale les magistrats dans le déroulement de leur carrière.

Conformément à sa jurisprudence portant sur des lois au caractère similaire, le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur le pouvoir de prévoir un mode de recrutement exceptionnel et transitoire de magistrats motivé par la pénurie de personnel.

Néanmoins, ce pouvoir est encadré par des normes constitutionnelles précises : ainsi, les règles de recrutement doivent concourir à assurer le respect du principe d'égalité devant la justice et l'indépendance des magistrats dans l'exercice de leurs fonctions. Au regard des principes ainsi dégagés, le Conseil constitutionnel a émis plusieurs réserves d'interprétation.

Certaines sont communes aux différents types de concours prévus, que le recrutement soit effectué au second grade de la hiérarchie judiciaire, pour exercer des fonctions au premier degré ou au second degré de juridiction, ou directement au premier grade de la hiérarchie. Il en est ainsi de la réserve selon laquelle, dans la mesure où la qualification juridique nécessaire à l'exercice des fonctions de magistrat de l'ordre judiciaire n'est pas nécessairement induite par l'exercice professionnel antérieur des intéressés, les dispositions réglementaires prises en application de la loi « devront prévoir des épreuves de concours de nature à permettre de vérifier, à cet effet, les connaissances juridiques des intéressés » ; par ailleurs devra être prévu, pour tous les concours, la faculté pour le jury de ne pas pourvoir l'ensemble des postes offerts.

S'agissant de l'exercice des fonctions de conseiller de cour d'appel, que ce soit au second ou au premier grade de la hiérarchie judiciaire, le Conseil constitutionnel a posé une réserve spécifique. Il souligne que le pouvoir réglementaire devra s'attacher à ce que soient strictement appréciées, outre la compétence juridique des intéressés, qui n'ont jamais exercé de fonctions juridictionnelles au premier degré de juridiction, leur aptitude à juger. Là encore, l'objectif est le respect du principe d'égalité devant la justice et le bon fonctionnement du service public de la justice.

Le Conseil constitutionnel a achevé l'examen des dispositions législatives relatives aux concours exceptionnels par la déclaration de conformité à la Constitution de l'article 5 qui précise dans quelles conditions les années d'activité professionnelle accomplies avant leur recrutement par les candidats admis vont être prises en compte pour leur classement indiciaire dans leur grade et pour leur avancement. Cette solution est conforme à la jurisprudence antérieure du Conseil constitutionnel.

Dans un deuxième temps, le Conseil constitutionnel s'est attaché à l'examen des articles 6 et 7 de la loi organique modifiant les règles de recrutement de conseillers de cour d'appel en service extraordinaire, mode de recrutement instauré par la loi organique du 19 janvier 1995. A l'occasion de l'examen de ce texte, le Conseil constitutionnel avait admis la conformité à la Constitution de cette procédure de recrutement, indiquant que la Constitution ne fait pas obstacle à ce que, pour une part limitée, des fonctions normalement réservées à des magistrats de carrière puissent être exercées à titre temporaire par des personnes qui n'entendent pas pour autant embrasser une carrière judiciaire, sous réserve de l'existence de garanties appropriées permettant de satisfaire notamment au principe d'indépendance.

Il résulte de l'article 6 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel que le recrutement de conseillers de cour d'appel en service extraordinaire pourra désormais intervenir non seulement au premier groupe du premier grade mais aussi au second groupe de ce grade ; les nominations interviendront sur avis conforme de la commission d'avancement, celle-ci ne pouvant plus décider de subordonner les nominations des candidats à une formation complémentaire ; le nombre maximum de conseillers pouvant être ainsi désignés est porté de trente à cinquante, la durée de fonctions passant par ailleurs de cinq à dix ans, durée non renouvelable.

Le Conseil constitutionnel a admis la conformité à la Constitution des nouvelles dispositions, soulignant notamment qu'elles ne remettaient pas en cause le caractère exceptionnel de l'exercice des fonctions judiciaires par des personnes n'ayant pas consacré leur vie professionnelle à la carrière judiciaire. Il a toutefois introduit une réserve d'interprétation, en indiquant qu'il appartiendra au pouvoir réglementaire de fixer les règles selon lesquelles les intéressés seront nommés soit au premier groupe soit au second groupe du premier grade, de telle sorte que soient garantis l'objectivité qui doit présider aux règles de nomination, le respect du principe de l'indépendance des magistrats et les exigences découlant de l'article 6 de la Déclaration de 1789.

Enfin, le Conseil constitutionnel a estimé conforme à la Constitution l'article 8 de la loi organique qui modifie l'article 41-12 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut des magistrats et prévoit que la formation mise en place pour les magistrats exerçant à titre temporaire n'a plus de caractère probatoire.