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Commentaire de la décision 97-391 DC

13/06/2023

La loi portant mesures d'urgences à caractère fiscal et financier a été déférée au Conseil constitutionnel par plus de soixante députés. Seul était contesté l'article 2, ayant pour objet de réintégrer dans les résultats imposables au taux normal les plus-values et moins-values professionnelles à long terme réalisées sur cessions d'éléments d'actifs, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 1997.

La date retenue avait pour conséquence de rendre la mesure applicable aux plus-values réalisées au cours des exercices ouverts depuis le début de l'année et concernait de ce fait des cessions décidées et réalisées entre le 1er janvier 1997 et la date d'annonce du nouveau régime d'imposition.

Ce dernier s'appliquait aux cessions d'éléments d'actifs, ce qui excluait donc le résultat net de la concession de licences d'exploitation de brevets ou d'inventions brevetables ou d'un procédé de fabrication industrielle. De même, étaitent explicitement exclues du dispositif, les cessions de parts ou actions de sociétés revêtant le caractère de titres de participations et les cessions de parts de fonds commun de placement à risques ou de sociétés de capital risque.

A l'appui de leur saisine, les requérants mettaient essentiellement en cause la rétroactivité du dispositif en ce qu'il aurait méconnu des principes de "sécurité juridique" et de "confiance légitime". Ils soutenaient ainsi que l'application du dispositif à des revenus ponctuels, provenant notamment de la cession d'éléments du patrimoine professionnel, décidée en fonction des règles fiscales en vigueur au jour de cette décision n'était pas justifiée par une nécessité impérieuse et "remet(tait) en cause la confiance que peuvent et doivent avoir les contribuables dans les lois de la République".

Ils considéraient également qu'en portant au taux normal le taux d'imposition de plus-values qui peuvent être purement nominales du fait de l'érosion monétaire, les dispositions contestées étaient, là encore, entachées d'une rétroactivité inconstitutionnelle et portaient une atteinte excessive au droit de propriété.

A tout le moins, ils demandaient au Conseil constitutionnel d'exclure du champ d'application de l'article 2 les plus-values dégagées avant le 1er janvier 1997 mais faisant l'objet d'un "sursis d'imposition" au titre des dispositions des articles 210 A et suivants du code général des impôts, applicables aux opérations dites "intercalaires" telles que les fusions, scissions et apports partiels d'actifs.

Enfin, les requérants faisaient valoir qu'en traitant différemment une cession réalisée en 1997, selon qu'elle était ou non antérieure à l'exercice ouvert au cours de la même année, les dispositions en cause contrevenaient au principe constitutionnel d'égalité.

Le Conseil constitutionnel n'a accueilli aucun de ces griefs.

Fidèle à sa jurisprudence maintes fois confirmée en la matière (voir notamment les décisions n° 80-119 DC du 22 juillet 1980 ou n° 84-183 DC du 18 janvier 1985), et sans même avoir à prendre parti sur la portée rétroactive de la mesure critiquée, il s'est borné à rappeler que le principe de non rétroactivité des lois n'a valeur constitutionnelle, en vertu de l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qu'en matière répressive et qu'il est loisible au législateur d'adopter des dispositions fiscales rétroactives dès lors qu'il ne prive pas de garantie légale des exigences constitutionnelles (cf. décision n° 95-369 DC du 28 décembre 1995). C'est également en conformité avec sa jurisprudence (décision n° 96-385 DC du 30 décembre 1996) qu'il a rappelé qu'aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit un principe dit de "confiance légitime".

En l'espèce, il a considéré que le législateur n'avait pas fait un usage manifestement erroné de ses compétences, ni méconnu le droit de propriété, non plus qu'aucune autre exigence constitutionnelle, en décidant d'assujettir au taux ordinaire de l'impôt sur les sociétés les plus-values résultant des cessions d'actifs intervenues au cours des exercices ouverts à compter du 1er janvier 1997, sans apporter à la détermination de ces plus-values des correctifs tenant compte de l'ancienneté du bien dans l'actif de la société. Sans doute peut-on raisonnablement penser que l'utilisation des mots "en l'espèce" prend en compte l'évolution modérée de l'inflation au cours des dernières années et réserve le cas où l'érosion monétaire atteindrait un niveau tel que la taxation de plus-values nominales à un taux élevé pourrait être considérée comme portant une atteinte excessive au droit de propriété, source d'une éventuelle inconstitutionnalité. De même, dans un tel contexte, l'existence d'une part fictive dans la plus-value imposée, qui varierait d'une entreprise à l'autre selon l'ancienneté de l'actif, pourrait également être jugée constitutive d'une rupture de l'égalité devant l'impôt.

La position du Conseil constitutionnel s'inscrit ainsi dans la continuité tant de ses nombreuses décisions qui vérifient qu'une imposition n'entraîne pas une rupture caractérisée de l'égalité des contribuables, que de la décision du 24 juillet 1991 (n° 91-298 DC) qui a réservé le cas où une mesure d'ordre fiscal, en raison de l'ampleur des sommes exigées, porterait une atteinte disproportionnée au droit de propriété.

En ce qui concerne les opérations intercalaires concernées par la loi, c'est-à-dire les plus-values sur éléments non amortissables, constatées comptablement lors d'une opération de restructuration, mais en sursis d'imposition, il est exact que le taux applicable sera celui en vigueur lors de la cession du bien. Mais cela résulte du choix de la société qui a opté pour le dispositif de faveur prévu à l'article 210 A du code général des impôts. Selon celui-ci, les plus-values sur les éléments de l'actif apporté, constatées lors de cet apport, ne sont pas soumises à l'impôt sur les sociétés, à la condition toutefois que la société absorbante s'engage à calculer les plus-values réalisées ultérieurement à l'occasion de la cession des immobilisations non amortissables d'après la valeur qu'elles avaient dans les écritures de la société absorbée. Dès lors, on ne saurait arguer d'une quelconque rétroactivité en ce qui concerne ce type d'opération, puisque les modalités d'imposition applicables résultent du choix fait par l'entreprise.

Quant au moyen tiré d'une atteinte au principe d'égalité, il ne pouvait prospérer.

Par définition, une loi nouvelle traite différemment les situations qui continuent à être régies par les règles antérieures et celles auxquelles va s'appliquer le nouveau régime. Le régime fiscal applicable aux opérations concourant à la détermination du bénéfice imposable étant fonction non pas de la date à laquelle elles ont été réalisées, mais de l'exercice au cours duquel elles l'ont été, il était logique que deux opérations réalisées le même jour, mais rattachables à des exercices différents, fussent traitées différemment. Et en retenant, pour l'entrée en vigueur du nouveau régime, les exercices ouverts à compter du 1er janvier dernier, le législateur a fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels, en fonction du but qu'il était fixé, qui était d'adopter des mesures urgentes, propres à améliorer le rendement de l'impôt pour endiguer la dérive budgétaire.