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Commentaire de la décision 96-380 DC

13/06/2023

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 3 juillet 1996, par 63 députés, de la " loi relative à l'entreprise nationale France Télécom " dont l'objet est de transformer, à compter du 31 décembre 1996, l'exploitant public " France Télécom " en une entreprise nationale de droit privé dont l'Etat détient directement plus de la moitié du capital.

Ce changement de statut s'inscrit dans la réforme engagée par la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications -que la loi déférée modifie- et poursuivie par la loi de réglementation des télécommunications, qui fait de France Télécom l'opérateur public chargé du service universel. Cette réforme fait suite notamment à deux directives de la Commission européenne (des 16 mai 1988 et 28 juin 1990) relatives à la concurrence dans les marchés des télécommunications.

  1. Les auteurs de la saisine soutenaient tout d'abord à l'encontre de l'article 1er de la loi que cette disposition ne garantissait pas suffisamment le maintien de l'entreprise " France  Télécom " dans le secteur public au regard des exigences du neuvième alinéa du préambule de 1946 et que la " volontaire imprécision " du législateur sur l'évolution ultérieure du capital entachait la loi d'incompétence négative au regard des dispositions de l'article 34.

Le Conseil constitutionnel a écarté ce double grief. Il a en premier lieu relevé que le législateur avait, dans la loi de réglementation des télécommunications, " maintenu à France Télécom, sous la forme d'entreprise nationale, les missions de service public antérieurement dévolues à la personne morale de droit public France Télécom " et ainsi " confirmé sa qualité de service public national ". Sans se prononcer sur la question de savoir si France Télécom constituait un service public constitutionnel " par nature ", le Conseil s'est ainsi borné à constater qu'il s'agissait d'un " service public national " du fait de la volonté du législateur, qui, par conséquent, pour satisfaire aux exigences du préambule de 1946, devait appartenir au secteur public. Or, constate-t-il, cette condition se trouve remplie en l'espèce puisque l'Etat demeure majoritaire dans le capital social de la nouvelle entreprise. Le Conseil a donc considéré qu'une participation majoritaire de l'Etat suffisait pour faire d'une entreprise une      " propriété de la collectivité " au sens du neuvième alinéa du préambule.

D'ailleurs, précise la décision, " l'abandon de cette participation majoritaire ne pourrait résulter que d'une loi ultérieure ", sous peine de méconnaître l'article 34 de la Constitution qui confère compétence au législateur pour fixer " les règles concernant ... les transferts de propriété d'entreprises du secteur public en secteur privé ".

Il résulte de l'ensemble de ce raisonnement qu'une privatisation de France Télécom ne saurait résulter que d'une loi dont la conformité à la Constitution serait conditionnée par l'exigence que l'entreprise ne présente plus les caractéristiques d'un " service public national ".

  1. Les requérants soutenaient également que le changement de statut opéré par l'article 1er mettait en cause les principes à valeur constitutionnelle régissant le service public.

Tel n'a pas été le point de vue du Conseil constitutionnel qui, après avoir examiné les obligations imposées à France Télécom par la loi déférée et celle du 2 juillet 1990, a estimé que le législateur n'avait en aucune façon " affranchi l'entreprise du respect des prescriptions à valeur constitutionnelle s'attachant à l'accomplissement des missions de service public qui lui incombent " : égalité, neutralité et continuité. " Il appartiendra - ajoute le Conseil- aux autorités juridictionnelles et administratives de veiller strictement au respect de ces principes par l'entreprise France Télécom ".

  1. Le troisième grief soulevé à l'encontre de l'article 1er de la loi concernait les conditions de transmission des biens, droits et obligations de l'exploitant public France Télécom à la nouvelle entreprise, les requérants estimant que cette disposition méconnaissait le principe selon eux à valeur constitutionnelle d'inaliénabilité du domaine public. Mais le moyen a été rejeté comme manquant en fait : la disposition prévoit en effet expressément que le transfert des biens appartenant au domaine public ne peut intervenir qu'après que ceux-ci ont été préalablement déclassés. La décision précise par ailleurs que la gestion des biens ainsi transférés n'est en aucune manière affranchie des exigences constitutionnelles s'attachant aux missions de service public.
  2. Les auteurs de la saisine contestaient en dernier lieu l'article 7 de la loi prévoyant un régime de congé de fin de carrière au profit des agents fonctionnaires affectés à France Télécom et âgés d'au moins cinquante-cinq ans, au motif que ce dispositif, très favorable, excluait des agents pouvant prétendre à jouissance immédiate de leur pension de retraite dès l'âge de cinquante ans pour avoir occupé des emplois " présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles ". Ces derniers agents se trouveraient ainsi, au mépris du principe d'égalité, placés dans une situation moins favorable à âge égal, à ancienneté égale et à indice égal.

Après avoir relevé que cette assertion ne s'avérait pas exacte pour tous les agents concernés, le Conseil, conformément à sa jurisprudence constante, a estimé que la différence induite par la loi se trouvait directement justifiée par l'objectif d'intérêt général que s'était fixé le législateur : favoriser par des mesures incitatives de caractère social les départs en retraite des agents en fonction à France Télécom, compte tenu de la structure démographique des effectifs.