Conseil constitutionnel

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Commentaire de la décision 2023-1038 QPC

05/07/2023

Conformité - réserve

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 janvier 2023 par le Conseil d’État (décision n° 468389 du même jour) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par Mme Nacéra Z., portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 38 de la loi n° 2007–290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020–1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique.

Dans sa décision n° 2023-1038 QPC du 24 mars 2023, le Conseil constitutionnel a, sous une réserve d’interprétation, déclaré ces dispositions conformes à la Constitution, dans cette rédaction.

I. – Les dispositions contestées

A. – Objet des dispositions contestées

1. – La procédure juridictionnelle d’expulsion

La procédure de droit commun pour obtenir l’expulsion d’un occupant sans droit ni titre d’un immeuble ou d’un lieu habité1 est une procédure civile de nature juridictionnelle entourée de nombreuses garanties pour l’occupant.

Ce régime particulier, prévu par le livre IV du code des procédures civiles d’exécution (CPCE)2, s’explique par les conséquences particulièrement graves que l’expulsion est susceptible d’entraîner pour l’occupant privé d’un toit, mais également parce que, comme le relève la doctrine, elle « cristallise un conflit entre des droits fondamentaux antagonistes, droits de propriété du bailleur et à l’exécution d’une décision de justice, d’un côté, droit au logement et à la vie privée et familiale de l’occupant, de l’autre »3.

* L’expulsion nécessite ainsi en principe l’engagement préalable d’une procédure judiciaire contre l’occupant. Aux termes de l’article L. 411–1 du CPCE : « Sauf disposition spéciale, l’expulsion d’un immeuble ou d’un lieu habité ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d’un commandement d’avoir à libérer les locaux ».

Le titre en vertu duquel l’expulsion peut être judiciairement ordonnée peut tout d’abord prendre la forme d’une décision de justice (laquelle doit ordonner ou autoriser l’expulsion après que le demandeur a apporté la preuve par tous moyens qu’il dispose d’un titre sur le lieu occupé). Cette décision relève du juge des contentieux de la protection4 compétent, au sein du tribunal judiciaire, pour connaître des actions tendant à l’expulsion des personnes qui occupent des immeubles bâtis aux fins d’habitation sans droit ni titre5. La personne qui engage la procédure peut également agir par la voie d’un référé6.

L’expulsion peut également être exécutée en vertu d’un procès-verbal de conciliation exécutoire. Il s’agit de l’acte dressé par le juge lui-même, à la suite d’une instance contradictoire qui lui a permis de vérifier et constater l’accord des parties sur la libération des locaux par l’occupant selon des modalités précisées, notamment la date du départ. Si, malgré cet accord, l’occupant se maintient dans les lieux, le juge peut délivrer un extrait du procès-verbal de conciliation7 qui vaut titre exécutoire, et l’expulsion peut alors être poursuivie sur son fondement.

La décision d’expulsion ne peut être exécutée qu’après un commandement d’avoir à libérer les lieux, acte d’huissier de justice dont le contenu et les modalités de signification sont précisés par voie réglementaire. En particulier, si les occupants ne sont pas identifiés parce qu’ils se sont introduits illégalement, l’expulsion peut viser des « personnes non dénommées » et l’acte est « remis au parquet à toutes fins »8.

* Des garanties spécifiques en faveur de l’occupant sont prévues lorsque la mesure est mise en œuvre dans des locaux habités :

– la loi encadre ainsi les délais minimaux dans lesquels l’expulsion peut être réalisée (elle ne peut en principe avoir lieu qu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la signification du commandement d’avoir à libérer les lieux9) ;

– il est sursis, de droit, à toute mesure d’expulsion non exécutée pendant la période qui court du 1er novembre au 31 mars (couramment appelée « trêve hivernale »10). Ce sursis ne s’applique toutefois pas « lorsque la mesure d’expulsion a été prononcée en raison d’une introduction sans droit ni titre dans le domicile d’autrui par voies de fait »11.

2. – La procédure administrative d’expulsion du domicile d’autrui (les dispositions objet de la décision commentée)

* Introduisant une dérogation aux règles issues du code des procédures civiles d’exécution selon lesquelles une expulsion procède normalement d’une décision de justice, la loi précitée du 5 mars 2007 instituant un droit au logement opposable, dite loi « DALO », a créé une procédure administrative permettant l’expulsion en urgence d’occupants du domicile d’autrui.

Par cette nouvelle procédure, issue d’amendements adoptés au Sénat en première lecture12, les parlementaires entendaient, comme cela résulte des travaux préparatoires, réduire les délais d’exécution des mesures d’expulsion (ceux résultant des procédures juridictionnelles étant jugés excessifs)13 et apporter une meilleure garantie au respect du droit au logement de ceux – propriétaires occupants ou locataires – dont le domicile se trouve irrégulièrement occupé par autrui14.

Ce dispositif a ensuite été modifié en 2020 par la loi visant à l’accélération et la simplification de l’action publique (dite loi « ASAP »). Introduites, là encore, sur une initiative parlementaire15, les nouvelles dispositions visaient à renforcer l’efficacité de cette procédure administrative. Les travaux préparatoires témoignent d’une volonté renouvelée de parvenir à une meilleure protection du droit de propriété16.

* L’article 38 de la loi DALO précitée (les dispositions objet de la QPC commentée), dans cette rédaction, prévoit ainsi une procédure qui fait intervenir l’autorité préfectorale pour prononcer puis faire exécuter la mesure d’expulsion dans des délais particulièrement resserrés.

– Dans un premier temps, la personne dont le domicile est occupé doit saisir le préfet aux fins de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux (premier alinéa de l’article 38).

Le champ de cette procédure est circonscrit aux cas « d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte ».

Initialement restreint au domicile du propriétaire ou du locataire, ce champ a été étendu par la loi ASAP qui est venue préciser que ce domicile correspond aussi bien à la résidence principale qu’à toute autre résidence (secondaire ou occasionnelle). Il ressort des travaux parlementaires que cette extension, discutée lors des débats, entendait répondre à des situations mal prises en compte par le texte initial (était notamment cité le cas de personnes résidant en maison de retraite – et y ayant donc établi temporairement leur résidence principale – ne pouvant dès lors recourir à la procédure administrative d’expulsion pour revenir dans leur ancien logement irrégulièrement occupé17).

Le demandeur peut être toute personne dont le domicile est illégalement occupé, ainsi que toute personne agissant dans l’intérêt et pour le compte de celle-ci (ajout de la loi ASAP).

Il doit, à ce titre, satisfaire à plusieurs conditions préalables et ne peut saisir le préfet qu’après :

- avoir déposé plainte,

- fait la preuve que le logement constitue bien son domicile,

- et fait constater l’occupation par un officier de police judiciaire.

La procédure administrative d’expulsion est ainsi directement articulée avec les dispositions pénales réprimant la violation de domicile18. Aux termes de l’article 226–4 du code pénal : « l’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni [sic] d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. / Le maintien dans le domicile d’autrui à la suite de l’introduction mentionnée au premier alinéa, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines »19.

La notion de domicile, au sens et pour l’application de ces dispositions pénales, a été précisée par la chambre criminelle de la Cour de cassation20. Sa jurisprudence considère ainsi que « seul constitue un domicile, au sens de l’article 226–4 du code pénal, le lieu où une personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux »21. La Cour justifie cette interprétation au regard de l’objet de ces dispositions, qui n’est pas « de garantir d’une manière générale les propriétés immobilières contre une usurpation »22. À titre d’illustration, la Cour de cassation considère ainsi que n’est pas constitué le délit de violation de domicile au sens de l’article 226–4 du code pénal, qui exige une introduction dans le domicile d’autrui, lieu servant effectivement à l’habitation et occupé, dès lors qu’il est constant que l’appartement dans lequel s’est introduit le prévenu, en forçant la serrure, était totalement vide de toute occupation23.

Comme le relève la circulaire d’application de ces dispositions24, en reprenant les termes des éléments constitutifs du délit de violation de domicile et en précisant que la procédure administrative d’expulsion est limitée aux cas « d’introduction et de maintien » résultant de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, le législateur a entendu faire obstacle à l’utilisation de cette procédure pour procéder à l’évacuation forcée d’occupants dont le seul maintien dans le logement est irrégulier, tels les locataires dont le bail est résilié.

– Dans un second temps de cette procédure, une mise en demeure est adressée par le préfet aux occupants (deuxième et troisième alinéas de l’article 38) et il peut ensuite être procédé à l’évacuation forcée du domicile (quatrième alinéa du même article).

Le législateur a prévu, depuis la loi ASAP, que le préfet est tenu de répondre à la demande de mise en demeure dans un délai de quarante-huit heures.

Seule la méconnaissance des conditions tenant à la demande (telle que la preuve que le logement constitue le domicile du demandeur) ou « l’existence d’un motif impérieux d’intérêt général » peuvent dispenser le préfet d’engager la mise en demeure. En cas de refus, les motifs de la décision sont, le cas échéant, communiqués sans délai au demandeur.

Si le préfet donne une suite favorable à la demande, une mise en demeure est notifiée aux occupants et publiée sous forme d’affichage en mairie et sur les lieux. Un délai minimal est imparti à l’occupant pour quitter les lieux, qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures.

Enfin, lorsque ce dernier ne défère pas dans le délai fixé à la mise en demeure qui lui a ainsi été adressée, le préfet doit procéder « sans délai » (ajout de la loi ASAP) à l’évacuation forcée du logement.

B. – Origine de la QPC et question posée

Mme Nacéra Z. occupait un logement à Paris en soutenant avoir conclu un bail avec une personne qu’elle pensait être le propriétaire. Sur demande du véritable propriétaire du logement, le préfet de police l’avait mise en demeure de quitter le logement qu’elle occupait dans un délai de vingt-quatre heures, sous peine de procéder à son éviction forcée.

Elle avait alors demandé au tribunal administratif de Paris l’annulation de cet arrêté préfectoral, et assorti son recours d’un référé-suspension. À l’appui de son recours en excès de pouvoir, elle avait posé une QPC relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article 38 de la loi du 5 mars 2007 précitée.

Par une ordonnance du 20 octobre 2022, le tribunal administratif de Paris avait considéré que le moyen tiré de l’atteinte au droit au recours effectif posait une question qui n’était pas dépourvue de tout caractère sérieux et avait transmis la QPC au Conseil d’État.

Dans sa décision du 20 janvier 2023 mentionnée ci-dessus, le Conseil d’État avait jugé que « le moyen tiré de ce [que ces dispositions] portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit d’exercer un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, soulève une question présentant un caractère sérieux ». Il avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

* La requérante reprochait à ces dispositions d’instituer une procédure administrative permettant l’expulsion de l’occupant d’un logement sans prévoir d’examen contradictoire de sa situation personnelle et familiale, ni de recours suspensif garantissant qu’un juge se prononce avant qu’il soit procédé à son évacuation forcée. Il en résultait, selon elle, une méconnaissance du droit au recours juridictionnel effectif ainsi que du droit au respect de la vie privée et du droit à l’inviolabilité du domicile.

Elle critiquait par ailleurs la différence de traitement injustifiée entre les occupants d’un logement selon qu’ils font l’objet de la procédure d’expulsion prévue par ces dispositions ou de la procédure d’expulsion juridictionnelle de droit commun.

* Le Conseil constitutionnel était par ailleurs saisi, dans un mémoire commun, de quatre demandes d’interventions au soutien de la QPC.

Après avoir rappelé que, selon le deuxième alinéa de l'article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les QPC, seules les personnes justifiant d'un « intérêt spécial » sont admises à présenter une intervention, le Conseil constitutionnel a jugé qu’au regard de son objet statutaire, le syndicat de la magistrature ne justifiait pas d'un tel intérêt. Il a donc rejeté cette demande d'intervention (paragr. 4 et 5).

Les autres parties intervenantes, admises à présenter des observations, développaient les mêmes griefs que la requérante.

A. – La jurisprudence constitutionnelle relative aux procédures d’expulsion

* Le Conseil s’est, à plusieurs reprises, prononcé spécifiquement sur des procédures d’expulsion. Le contrôle de conciliation des exigences constitutionnelles auquel il a alors procédé l’a notamment conduit à prendre en compte tant le caractère suspensif ou non des recours ouverts aux personnes faisant l’objet de telles mesures que les autres garanties procédurales ou de fond prévues par la loi.

- Ainsi, dans sa décision n° 2010–13 QPC du 9 juillet 2010, le Conseil a eu à connaître de la procédure d’évacuation forcée des résidences mobiles prévue par les articles 9 et 9–1 de la loi n° 2000–614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage. Ces dispositions prévoient une procédure d’expulsion simplifiée pour les communes qui permet au préfet de procéder, après mise en demeure et pour les seules communes ayant satisfait à leurs obligations légales en matière d’accueil des gens du voyage, à l’évacuation forcée des résidences mobiles en cas de stationnement illicite, sans passer par le juge. 

Le Conseil a contrôlé la conciliation opérée par le législateur entre, d’une part, la nécessité de sauvegarde de l’ordre public, et, d’autre part, la liberté d’aller et venir et les autres droits et libertés garantis par la Constitution. 

À cette aune, il a relevé que « l’évacuation forcée des résidences mobiles instituée par les dispositions contestées ne peut être mise en œuvre par le représentant de l’État qu’en cas de stationnement irrégulier de nature à porter une atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques ; qu’elle ne peut être diligentée que sur demande du maire, du propriétaire ou du titulaire du droit d’usage du terrain ; qu’elle ne peut survenir qu’après mise en demeure des occupants de quitter les lieux ; que les intéressés bénéficient d’un délai qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures à compter de la notification de la mise en demeure pour évacuer spontanément les lieux occupés illégalement ; que cette procédure ne trouve à s’appliquer ni aux personnes propriétaires du terrain sur lequel elles stationnent, ni à celles qui disposent d’une autorisation délivrée sur le fondement de l’article L. 443–1 du code de l’urbanisme, ni à celles qui stationnent sur un terrain aménagé dans les conditions prévues à l’article L. 443–3 du même code ; qu’elle peut être contestée par un recours suspensif devant le tribunal administratif »25.

Il a déduit de ces éléments que « compte tenu de l’ensemble des conditions et des garanties qu’il a fixées et eu égard à l’objectif qu’il s’est assigné, le législateur a adopté des mesures assurant une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les autres droits et libertés ».

- Dans sa décision n° 2011–625 DC du 10 mars 2011, le Conseil s’est prononcé sur la procédure d’expulsion des occupants installés sur des terrains, que ces derniers appartiennent à une personne publique ou privée, en vue d’y établir des habitations.

Il a, tout d’abord, estimé que la possibilité pour le représentant de l’État de mettre en demeure de quitter les lieux les personnes occupant le terrain d’autrui de façon illicite était justifiée par la nécessité de sauvegarder l’ordre public et proportionnée à cet objectif, dès lors qu’« elles se sont installées en réunion en vue d’y établir des habitations et que cette installation comporte de graves risques pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques ».


En revanche, il a jugé que l’exécution d’office de l’évacuation n’était pas proportionnée à l’objectif poursuivi. Après avoir rappelé que « les mesures de police administrative susceptibles d’affecter l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figure la liberté d’aller et venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, doivent être justifiées par la nécessité de sauvegarder l’ordre public et proportionnées à cet objectif », le Conseil s’est attaché à examiner les conditions de mise en œuvre de cette procédure ainsi que les garanties offertes aux occupants expulsés. S’il a relevé que cette procédure était justifiée par la nécessité de sauvegarder l’ordre public et proportionnée à cet objectif, il a souligné que ces dispositions « permettent de procéder dans l’urgence, à toute époque de l’année, à l’évacuation, sans considération de la situation personnelle ou familiale, de personnes défavorisées et ne disposant pas d’un logement décent », et que « la faculté donnée à ces personnes de saisir le tribunal administratif d’un recours suspensif ne saurait, en l’espèce, constituer une garantie suffisante pour assurer une conciliation qui ne serait pas manifestement déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les droits et libertés constitutionnellement garantis »26.

Le commentaire de la décision soulignait que, contrairement au dispositif en cause dans la précédente décision n° 2010–13 QPC précitée, la protection du droit de propriété n’était plus un des objectifs poursuivis par le législateur (le préfet pouvant désormais engager seul le processus, sans qu’il ait besoin d’une proposition du maire, du propriétaire ou du titulaire du droit d’usage du terrain occupé) et ces dispositions conduisaient ici à priver les occupants de leur habitation, même si elle est de fortune, sans obligation de relogement (alors que l’autre procédure validée était applicable aux gens du voyage contraints de quitter les lieux avec leur habitation).

- Enfin, dans sa décision n° 2019–805 QPC du 27 septembre 2019, le Conseil constitutionnel s’est à nouveau prononcé sur le dispositif d’évacuation forcée en cas de stationnement irrégulier, instauré par la loi du 5 juillet 2000 précitée et modifié depuis.

En réponse à un grief spécifiquement fondé sur le droit au recours, le Conseil a d’abord rappelé que la disposition contestée « prévoit que les personnes destinataires d’une mise en demeure de quitter les lieux ainsi que le propriétaire ou le titulaire du droit d’usage du terrain peuvent, dans le délai fixé par celle-ci, demander son annulation au tribunal administratif qui statue dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa saisine. Le recours suspend l’exécution de la mise en demeure ». Il a souligné qu’en « adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu garantir l’exécution à bref délai des arrêtés d’interdiction de stationnement des gens du voyage lorsque leur méconnaissance est de nature à porter atteinte à l’ordre public »27.

Il a également relevé que « le délai de recours pour contester la décision de mise en demeure ne peut être inférieur à vingt–quatre heures et qu’il ne commence à courir qu’à compter de sa notification régulière aux occupants des résidences mobiles et, le cas échéant, au propriétaire ou titulaire du droit d’usage du terrain », et que « les requérants peuvent présenter tous moyens à l’appui de leur requête en annulation jusqu’à la clôture de l’instruction qui n’intervient qu’à l’issue de l’audience publique »28. Il en a déduit que le législateur avait bien opéré une conciliation équilibrée entre le droit à un recours juridictionnel effectif et l’objectif poursuivi par les dispositions législatives contestées.

B. – La jurisprudence constitutionnelle relative au droit à un recours juridictionnel effectif

* Le droit à un recours juridictionnel effectif découle de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Le Conseil juge qu’« il résulte de cette disposition qu’en principe il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction »29.

Il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que c’est l’absence de recours qui est potentiellement contraire à la Constitution, mais que l’exigence constitutionnelle précitée ne fait pas obstacle à ce que des règles encadrent, dans certains cas, l’accès au juge.

Afin de déterminer s’il n’est pas porté une atteinte substantielle au droit au recours, le Conseil examine alors les limitations apportées au droit au recours au regard de la situation du requérant et des objectifs poursuivis par le législateur, qu’il s’agisse d’objectifs de valeur constitutionnelle ou d’objectifs d’intérêt général.

* Le Conseil s’est déjà prononcé à plusieurs reprises sur des griefs tirés de ce que la brièveté excessive de certains délais de recours serait de nature à porter atteinte au droit au recours effectif ou aux droits de la défense.

- Dans sa décision n° 2017–691 QPC du 16 février 2018, le Conseil devait se prononcer sur les mesures d’assignation à résidence aux fins de lutte contre le terrorisme susceptibles d’être prises par l’autorité administrative en application de l’article L. 228–2 du code de la sécurité intérieure, qui peuvent être assorties d’une obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie et d’une obligation de déclarer son lieu d’habitation et tout changement de ce lieu.

Il a d’abord relevé que cette mesure « peut faire l’objet d’un recours en référé sur le fondement des articles L. 521–1 et L. 521–2 du code de justice administrative, est susceptible d’être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir, dans un délai d’un mois après sa notification ou la notification de son renouvellement, devant le tribunal administratif. Ce dernier doit alors se prononcer dans un délai de deux mois ». Pour autant, il a considéré que « compte tenu de l’atteinte qu’une telle mesure porte aux droits de l’intéressé, en limitant à un mois le délai dans lequel l’intéressé peut demander l’annulation de cette mesure et en laissant ensuite au juge un délai de deux mois pour statuer, le législateur a opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées et l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public »30, et déclaré contraires à la Constitution certaines dispositions de cet article. Le Conseil, tout en déclarant conformes à la Constitution les autres dispositions de ce même article, a par ailleurs formulé une réserve d’interprétation pour prévoir, afin de respecter le droit à un recours juridictionnel effectif, que le juge administratif soit tenu de statuer dans de brefs délais.

Le commentaire de cette décision soulignait que, « par cette réserve, le Conseil constitutionnel a entendu conférer plus d’effectivité au recours prévu par le législateur en lui permettant d’aboutir en temps utile, bien avant que l’assignation à résidence arrive elle-même, le cas échéant, à son terme. Une telle réactivité du contrôle juridictionnel est loin d’être inédite, puisque, par exemple, en matière de contrôle judiciaire, le juge d’instruction doit statuer sur la demande de mainlevée dans un délai de cinq jours ».

- Dans sa décision n° 2018–709 QPC du 1er juin 2018, saisi des dispositions qui prévoyaient qu’un étranger détenu qui se voit notifier une obligation de quitter le territoire français dispose d’un délai de quarante-huit heures pour saisir le juge administratif, lequel doit statuer dans un délai de soixante-douze heures, le Conseil a relevé que « les dispositions contestées prévoient un délai maximum de cinq jours entre la notification d’une obligation de quitter le territoire à un étranger détenu et le moment où le juge administratif se prononce sur la légalité de cette mesure s’il en est saisi. L’étranger dispose donc d’un délai particulièrement bref pour exposer au juge ses arguments et réunir les preuves au soutien de ceux-ci »31. Il a également souligné que « l’administration peut notifier à l’étranger détenu une obligation de quitter le territoire français sans attendre les derniers temps de la détention, dès lors que cette mesure peut être exécutée tant qu’elle n’a pas été abrogée ou retirée. Elle peut donc, lorsque la durée de la détention le permet, procéder à cette notification suffisamment tôt au cours de l’incarcération tout en reportant son exécution à la fin de celle-ci »32.

Il a ainsi jugé qu’en « enserrant dans un délai maximal de cinq jours le temps global imparti à l’étranger détenu afin de former son recours et au juge afin de statuer sur celui-ci, les dispositions contestées, qui s’appliquent quelle que soit la durée de la détention, n’opèrent pas une conciliation équilibrée entre le droit au recours juridictionnel effectif et l’objectif poursuivi par le législateur d’éviter le placement de l’étranger en rétention administrative à l’issue de sa détention »33.

Comme le résumait le commentaire de cette décision, « de courts délais ne sont pas, par principe, contraires au droit à un recours juridictionnel effectif. Il appartenait donc au Conseil constitutionnel de déterminer si, en l’espèce, cette brièveté des délais pouvait être regardée comme justifiée et proportionnée. (…) Le Conseil constitutionnel n’a donc pas censuré l’existence de délais spécifiques pour la contestation d’une OQTF par un étranger détenu, mais il a considéré que, a minima, compte tenu des conséquences de tels délais sur l’exercice du droit de recours, ceux-ci devaient être justifiés à toutes les situations auxquelles ils avaient vocation à s’appliquer ».

- En revanche, dans sa décision n° 2018–741 QPC du 19 octobre 2018, saisi de  dispositions prévoyant que l’étranger frappé d’une mesure d’éloignement et placé en rétention ou assigné à résidence dispose d’un délai de quarante-huit heures pour saisir le juge qui doit statuer dans un délai de soixante-douze heures, le Conseil constitutionnel a jugé que « Ces mesures [de rétention ou d’assignation à résidence] sont susceptibles de se prolonger tant que l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière n’est pas exécuté. En enserrant dans un délai maximal de cinq jours le temps global imparti à l’étranger afin de former son recours et au juge afin de statuer sur celui-ci, le législateur a ainsi entendu, non seulement assurer l’exécution des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière, mais aussi ne pas prolonger les mesures privatives ou restrictives de liberté précitées. Dès lors, compte tenu des garanties énoncées précédemment, le législateur a également opéré une conciliation équilibrée entre le droit à un recours juridictionnel effectif et l’objectif poursuivi »34.  

* S’agissant du caractère non suspensif d’un recours, le Conseil juge avec constance que ce dernier ne méconnaît pas, en lui-même, le droit à un recours juridictionnel effectif35.

- Dans le cadre de son contrôle, le Conseil prend en compte l’objectif poursuivi par le législateur et, le cas échéant, le caractère irrémédiable de la mesure à l’encontre de laquelle le recours n’est pas suspensif.

Ainsi, dans sa décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, saisi de dispositions  qui habilitent le médecin en charge d’un patient hors d’état d’exprimer sa volonté à arrêter ou à ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l’obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, le Conseil a écarté le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif au bénéfice d’une réserve d’interprétation, jugeant que : « en l’absence de dispositions particulières, le recours contre la décision du médecin relative à l’arrêt ou à la limitation des soins de maintien en vie d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté s’exerce dans les conditions du droit commun.  S’agissant d’une décision d’arrêt ou de limitation de traitements de maintien en vie conduisant au décès d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que cette décision soit notifiée aux personnes auprès desquelles le médecin s’est enquis de la volonté du patient, dans des conditions leur permettant d’exercer un recours en temps utile. Ce recours doit par ailleurs pouvoir être examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux fins d’obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée »36.

De même, dans sa décision n° 2011–203 QPC du 2 décembre 2011, le Conseil s’est prononcé sur l’aliénation, en cours de procédure, de biens saisis par l’administration douanière sur autorisation d’un juge. Il a relevé, d’une part, que « la demande d’aliénation, formée par l’administration en application de l’article 389 du code des douanes est examinée par le juge sans que le propriétaire intéressé ait été entendu ou appelé ; que, d’autre part, l’exécution de la mesure d’aliénation revêt, en fait, un caractère définitif, le bien aliéné sortant définitivement du patrimoine de la personne mise en cause »37. Il a précisé, d’autre part, « qu’au regard des conséquences qui résultent de l’exécution de la mesure d’aliénation, la combinaison de l’absence de caractère contradictoire de la procédure et du caractère non suspensif du recours contre la décision du juge conduisent à ce que la procédure applicable méconnaisse les exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 », et jugé ces dispositions contraires à la Constitution38.

Dans une autre mesure, puisque la décision n’était pas fondée sur le droit à un recours juridictionnel effectif, on peut signaler que le Conseil a, dans sa décision n° 2020–801 DC du 18 juin 2020, censuré certaines dispositions de la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet comme contraires à la liberté d’expression et de communication, en prenant notamment en compte le caractère insuffisant des conditions de recours qu’elles offraient. Le Conseil était notamment saisi de son article 1er qui prévoyait que l’autorité administrative pouvait demander aux hébergeurs ou aux éditeurs d’un service de communication en ligne de retirer certains contenus à caractère terroriste ou pédopornographique et, en l’absence de retrait dans un délai de vingt-quatre heures, lui permettait de notifier la liste des adresses des contenus incriminés aux fournisseurs d’accès à internet qui doivent alors sans délai en empêcher l’accès. Certaines dispositions de ce même article réduisaient à une heure le délai dont disposaient les éditeurs et hébergeurs pour retirer les contenus notifiés par l’autorité administrative et prévoyaient, en cas de manquement à cette obligation, l’application d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende.

Le Conseil a d’abord constaté que la détermination du caractère illicite des contenus ne reposait pas sur leur caractère manifeste et qu’elle était soumise à la seule appréciation de l’administration. Ainsi, en visant des contenus dont le caractère illicite n’apparaît pas manifestement et peut être sujet à débat, les dispositions censurées permettaient que soient retirés des contenus en réalité licites. Par ailleurs, l’appréciation sur ce point de l’administration ne présentait pas à cet égard une garantie suffisante.

Il a ensuite constaté que le délai d’une heure laissé à l’éditeur ou l’hébergeur pour déférer à la demande de l’administration ne lui permettait pas, même en contestant en référé cette demande, d’en faire examiner la légalité avant de devoir y déférer, sous peine d’une lourde sanction pénale pouvant atteindre un an d’emprisonnement et 250 000 euros d’amende, et en a conclu que « le législateur a porté à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée au but poursuivi »39.

- Dans de nombreuses affaires, le Conseil constitutionnel retient, pour écarter le grief tiré de la méconnaissance du droit au recours, l’existence des procédures de droit commun et, particulièrement, celles de référé, qui permettent au justiciable d’obtenir une première décision sur la conservation des intérêts en cause40.

Ainsi, dans la décision n° 2010–19/27 QPC du 30 juillet 2010 relative aux perquisitions en matière fiscale, le Conseil a constaté que l’ordonnance du juge des libertés et de la détention qui autorise la visite des agents de l’administration fiscale « est notifiée verbalement sur place au moment de la visite ; qu’à défaut d’occupant des lieux ou de son représentant, elle est notifiée par lettre recommandée ou, à défaut, par voie d’huissier de justice ; que le dix-septième alinéa de cet article prévoit que ʺle délai et la voie de recours sont mentionnés dans l’ordonnanceʺ »41.

Il a écarté le grief tiré de l’absence de caractère suspensif du recours, en considérant que « si les dispositions contestées prévoient que l’ordonnance autorisant la visite est exécutoire ʺau seul vu de la minuteʺ et que l’appel n’est pas suspensif, ces dispositions, indispensables à l’efficacité de la procédure de visite et destinées à assurer la mise en œuvre de l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale, ne portent pas atteinte au droit du requérant d’obtenir, le cas échéant, l’annulation des opérations de visite »42. Il en a déduit que les dispositions contestées de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales ne méconnaissaient pas le droit à un recours juridictionnel effectif.

 

C. – L’application à l’espèce

La Conseil a d’abord rappelé les termes des articles 2 et 16 de la Déclaration de 1789, et les exigences constitutionnelles qui en résultent respectivement, à savoir le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l’inviolabilité du domicile, ainsi que le droit à un recours juridictionnel effectif (paragr. 7 et 8).

Décrivant l’objet des dispositions contestées, il a constaté qu’elles permettent à une personne dont le domicile, qu’il soit ou non sa résidence principale, est occupé de manière illicite de solliciter du préfet qu’il mette en demeure l’occupant de quitter les lieux. En outre, si l’occupant ne défère pas à cette mise en demeure, le préfet procède sans délai à son évacuation forcée (paragr. 9).

Le Conseil s’est ensuite attaché à identifier les objectifs poursuivis par le législateur, puis les garanties entourant cette procédure administrative d’expulsion, afin de s’assurer du caractère équilibré de la conciliation opérée par le législateur entre différentes exigences constitutionnelles.

En premier lieu, il a relevé qu’en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu permettre l’évacuation rapide d’un domicile occupé, afin de « protéger le principe d’inviolabilité du domicile, le droit au respect de la vie privée ainsi que le droit de propriété » (paragr. 10).

La présente affaire se distinguait à cet égard des décisions que le Conseil a rendues en matière de procédures d’expulsion dans la mesure où les principes d’inviolabilité du domicile et du droit au respect de la vie privée se trouvaient mobilisés tant du côté de l’atteinte qu’elles étaient susceptibles de porter à ces principes considérés dans la personne de l’occupant sans titre du logement – par la mise en œuvre d’une procédure dérogatoire d’évacuation forcée – que du côté de l’objectif poursuivi par le législateur, lequel a entendu protéger ces mêmes principes dans l’intérêt de l’occupant légitime privé de son domicile.

En deuxième lieu, le Conseil a souligné le caractère dérogatoire de la procédure en cause, limitée aux cas « d’introduction et de maintien à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte dans un domicile », qui correspondent aux éléments constitutif du délit de violation de domicile prévu à l’article 226-4 du code pénal. Il a ensuite relevé que cette procédure est soumise à plusieurs conditions : le demandeur doit avoir déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile, et fait constater par un officier de police judiciaire cette occupation illicite. Il a déduit de la combinaison de ces conditions que « le préfet ne peut mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux que dans le cas où il est constaté que ce dernier s’est introduit et maintenu dans le domicile en usant lui-même de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte » (paragr. 11).

En troisième lieu, le Conseil a souligné que ces dispositions permettent au préfet de refuser l’expulsion de l’occupant sans droit ni titre dans le cas où existe un motif impérieux d’intérêt général (paragr. 12). Il a toutefois formulé une réserve d’interprétation afin de préciser que ces dispositions « ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au principe de l’inviolabilité du domicile, être interprétées comme autorisant le préfet à procéder à la mise en demeure sans prendre en compte la situation personnelle ou familiale de l’occupant dont l’évacuation est demandée » (même paragr.).

Les termes de cette réserve font directement écho à ceux que le Conseil avait employés dans sa décision n° 2011–625 DC du 10 mars 201143, dans laquelle il avait déjà été amené à prendre en compte, dans son contrôle d’une procédure d’expulsion, la circonstance que l’administration avait la possibilité d’y procéder « sans considération de la situation personnelle ou familiale » de personnes défavorisées et ne disposant pas d’un logement décent.

En quatrième lieu, le Conseil a constaté qu’il résulte des dispositions contestées que le délai laissé à l’occupant pour déférer à la mise en demeure de quitter les lieux ne peut être inférieur à vingt-quatre heures (paragr. 13).

En dernier lieu, le Conseil a considéré que des voies de recours sont ouvertes à l’occupant pour contester la décision de mise en demeure de quitter les lieux. Il peut ainsi introduire un référé sur le fondement de l’article L. 521–1 du code de justice administrative (« référé-suspension »), de son article L. 521–2 (« référé-liberté », sur lequel le juge se prononce dans un délai de quarante-huit heures) ou de son article L. 521–3 (« référé mesures utiles »). Le Conseil a rappelé, dans la droite ligne de sa jurisprudence, que « le caractère non suspensif d’une voie de recours ne méconnaît pas, en lui-même, le droit à un recours juridictionnel effectif ». Il a également relevé qu’« en cas d’illégalité de la décision administrative d’évacuation forcée de l’occupant, ce dernier peut exercer un recours indemnitaire devant le juge administratif » (paragr. 14).

Le Conseil en a déduit que l’article 38 de la loi du 5 mars 2007 organisant la procédure administrative d’expulsion, compte tenu des garanties qu’elle offre à l’occupant et sous la réserve relative à la prise en compte de sa situation personnelle ou familiale par le préfet, ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée ou le principe de l’inviolabilité du domicile, ni le droit à un recours juridictionnel effectif (paragr. 15).

Par conséquent, après avoir jugé que les dispositions contestées ne méconnaissent pas non plus le principe d’égalité ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le Conseil les a déclarées, sous la même réserve, conformes à la Constitution (paragr. 16).

_______________________________________

1 Par lieu habité, il faut entendre toutes les habitations, quelle que soit leur nature (meubles ou immeubles), telle une caravane ou une remorque stationnée sur un terrain.

2 Articles L. 411–1 à L. 451-1 du CPCE et, en particulier les articles L. 412-1 à L. 412-8 s’agissant des lieux habités ou des locaux à usage professionnel (voir également les articles 493 et 848 du code de procédure civile).

3 Olivier Salati, Code des procédures civiles d’exécution, commentaire de l’article L. 411-1, Dalloz.

4 Il s’agit d’un juge spécialisé compétent pour trancher les litiges civils portant sur les baux d’habitation et les crédits à la consommation. Il est également saisi en matière de protection des majeurs, de surendettement ou d’expulsion.

5 Article L. 213–4–3 du code de l’organisation judiciaire, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2020. Le juge pénal est, par ailleurs, exceptionnellement compétent pour ordonner l’expulsion dans le cadre des infractions aux dispositions du livre VI du code de la construction et de l’habitation (articles L. 621–6 et L. 651–3).

6 Article 834 du code de procédure civile.

7 Article 131 du code de procédure civile.

8 Articles R. 411-1 et suivants du CPCE.

9 Article L. 412–1, al. 1er, du CPCE. Le second alinéa de cet article prévoit que le délai ne s’applique pas lorsque le juge constate que les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait. Le délai peut être prorogé pour une durée allant jusqu’à trois mois, lorsque l’expulsion aurait, pour la personne concernée, « des conséquences d’une exceptionnelle dureté, notamment du fait de la période de l’année considérée ou des circonstances atmosphériques » (article L. 412-2 du même code). Le juge peut, en outre, accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou à usage professionnel quand le « relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que ces occupants aient à justifier d’un titre à l’origine de l’occupation » (article L. 412-3 dudit code). Enfin, si le juge peut réduire ou supprimer certains délais par décision spéciale et motivée, il peut aussi octroyer des délais de grâce aux occupants, même de mauvaise foi.

10 Article L. 412-6 du CPCE.

11 Cette trêve hivernale ne s’applique pas non plus dans le cas où le relogement est « assuré dans des conditions suffisantes respectant l’unité et les besoins de la famille ».

12 Amendement n° 84 rect. ter présenté par Mme Proccacia et autres, ensemble le sous-amendement n° 289 présenté par M. Repentin et autres, adoptés en séance en première lecture au Sénat.

13 « Le phénomène de squat de logements dûment habités est aujourd’hui de plus en plus fréquent et il est très difficile, sauf constat de flagrant délit, d’obtenir l’évacuation du logement par des moyens rapides » (exposé des motifs de l’amendement n° 84 rect. précité).

14 Selon le rapporteur de la commission des affaires sociales au Sénat, « le droit opposable au logement comporte en effet aussi bien le droit à l’accès au logement que le droit au maintien dans le logement, pour ceux qui l’occupent à titre normal, quelle que soit leur condition ».

15 Amendement n° 695 de M. Guillaume Kasbarian adopté en première lecture par la commission spéciale de l’Assemblée nationale.

16 Ainsi, dans l’exposé des motifs de l’amendement à l’origine de ces dispositions, est-il précisé que « cet article protège le droit de propriété, droit fondamental à valeur constitutionnelle consacré par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ».

17 Voir sur ce point le commentaire de l’article 30 ter dans le rapport n° 3347 de M. Guillaume Kasbarian, fait au nom de la commission spéciale de l’Assemblée nationale, déposé le 17 septembre 2020.

18 Délit qui se distingue de celui d’« atteinte à l’inviolabilité du domicile », réprimé par l’article 432-8 du même code, qui est constitué lorsque « une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, agissant dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission » s’introduit ou tente de s’introduire dans le domicile d'autrui contre le gré de celui-ci hors les cas prévus par la loi.

19 La pénalisation de la violation de domicile commise par un particulier a connu plusieurs évolutions. Si sa création sous cette forme remonte à la loi du 28 avril 1832, ce délit ne visait à l’origine que l’introduction dans le domicile d’un occupant, et le législateur l’a étendu au maintien dans le domicile d’un occupant à l’occasion de la réforme du code pénal de 1992. La loi n° 2015-714 du 24 juin 2015 tendant à préciser l’infraction de violation du domicile a par la suite modifié les modalités de pénalisation du maintien dans le domicile d’autrui, en le dissociant formellement de l’introduction dans le domicile d’autrui afin de lui conférer le caractère d’une infraction continue qui permet aux forces de l’ordre d’intervenir pour flagrant délit de violation de domicile, et ce tout au long du maintien dans les lieux des occupants, quelle qu’en soit la durée. Voir notamment, sur ce point : G. Dumenil, « Traitement juridique du ‘squat’ : évolutions, interrogations et perspectives », Étude 15, Dr. Pénal, N° 6, 2022, p. 13.

20 Laquelle diffère sensiblement de la notion de domicile prévue à l’article 102 du code civil.

21 Cass. crim., 22 janvier 1997, n° 95–81.186.

22 Ibid.

23 Ibid.

24 Circulaire du 22 janvier 2021 relative à la réforme de la procédure administrative d’évacuation forcée en cas de « squat ».

25 Décision n° 2010–13 QPC du 9 juillet 2010, M. Orient O. et autre (Gens du voyage), cons. 9.

26 Décision n° 2011–625 DC du 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, cons. 54 et 55.

27 Décision n° 2019–805 QPC du 27 septembre 2019, Union de défense active des forains et autres (Obligation d’accueil des gens du voyage et interdiction du stationnement des résidences mobiles), paragr. 22 et 23.

28 Décision n° 2019–805 QPC du 27 septembre 2019, Union de défense active des forains et autres (Obligation d’accueil des gens du voyage et interdiction du stationnement des résidences mobiles), paragr. 24.

29 Décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, cons. 83.

30 Décision n° 2017-691 QPC du 16 février 2018, M. Farouk B. (Mesure administrative d’assignation à résidence aux fins de lutte contre le terrorisme), paragr. 18.

31 Décision n° 2018–709 QPC du 1er juin 2018, Section française de l’observatoire international des prisons et autres (Délai de recours et de jugement d’une obligation de quitter le territoire français notifiée à un étranger), paragr. 7.

32 Ibid., paragr. 8.

33 Ibid., paragr. 9.

34 Décision n° 2018–741 QPC du 19 octobre 2018, M. Belkacem B. (Délai de recours contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière), paragr. 15.

35 Voir par exemple la décision n° 2019–787 QPC du 7 juin 2019, M. Taoufik B. (Absence de sursis à exécution du licenciement d’un salarié protégé), paragr. 9.

36 Décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés (Procédure collégiale préalable à la décision de limitation ou d’arrêt des traitements d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté), paragr. 16 et 17.

37 Décision n° 2011–203 QPC du 2 décembre 2011, M. Wathik M. (Vente des biens saisis par l’administration douanière), paragr. 11.

38 Ibid., paragr. 12. Pour un autre cas dans lequel le caractère irrémédiable est pris en considération, voir la décision n° 2015-500 QPC du 27 novembre 2015, Société Foot Locker France SAS (Contestation et prise en charge des frais d’une expertise décidée par le CHSCT, cons. 10 : saisi d’une disposition permettant au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail d’obtenir, sans possibilité d’effet suspensif, la désignation d’un expert aux frais de l’employeur, le Conseil a considéré que « la combinaison de l’absence d’effet suspensif du recours de l’employeur et de l’absence de délai d’examen de ce recours conduit, dans ces conditions, à ce que l’employeur soit privé de toute protection de son droit de propriété en dépit de l’exercice d’une voie de recours » et censuré, pour ce motif, la disposition. En effet, l’employeur était tenu de payer les honoraires correspondant aux diligences accomplies par un expert, même s’il obtenait postérieurement l’annulation de la décision du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ayant fait appel à l’expert.

39 Décision n° 2020–801 DC du 18 juin 2020, Loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, paragr. 7 et 8.

40 Voir, par exemple : décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure, cons. 4 ; décision n° 2011-119 QPC du 1er avril 2011, Mme Denise R. et autre (Licenciement des assistants maternels), cons. 5 ; décision n° 2015-490 QPC du 14 octobre 2015, M. Omar K. (Interdiction administrative de sortie du territoire), cons. 9.

41 Décision n° 2010–19/27 QPC du 30 juillet 2010, Époux P. et autres (Perquisitions fiscales), cons. 9.

42 Ibid.

43 Décision n° 2011–625 DC du 10 mars 2011 précitée, cons. 54 et 55.