• Commentaire DC

Commentaire de la décision 2022-846 DC

13/06/2023

La loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur avait été définitivement adoptée le 14 décembre 2022.

 

Le Conseil constitutionnel en avait été saisi par un recours, enregistré le 19 décembre 2022, émanant de plus de soixante députés des groupes « La France insoumise – NUPES », « Gauche Démocrate Républicaine – NUPES » et « Écologiste – NUPES », qui contestaient la procédure d’adoption de ses articles 6 à 9 ainsi que la place de ces articles et des articles 4, 10 et 15 dans la loi déférée. Ils contestaient également la conformité à la Constitution des articles 6, 8, 9, 17 et 22 et de certaines dispositions des articles 4, 7, 10, 12, 14, 15, 16, 18, 20, 21, 23, 25 et 27.

 

Dans sa décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023, le Conseil constitutionnel, après avoir écarté le grief tiré de l’irrégularité de la procédure d’adoption des articles 6 à 9, a déclaré conformes à la Constitution les dispositions contestées des articles 4, 6, 7, 8, 9, 12, 14, 16, 17, 20, 21, 22, 23, 25 et 27 de la loi déférée ainsi que certaines des dispositions de ses articles 10 et 18.

 

Il a, en revanche, déclaré contraires à la Constitution les mots « Lorsque l’objet de l’acquisition ou de la transmission est illicite, » figurant au 1° de l’article 10, l’article 15 et les mots « ou les agents de police judiciaire » figurant au treizième alinéa du 3° du paragraphe I de l’article 18. Il a en outre censuré, en s’en saisissant d’office, l’article 26 au motif qu’il ne présentait pas de lien, même indirect, avec aucune des dispositions qui figuraient dans le projet de loi initial et qu’il avait dès lors été adopté selon une procédure contraire à la Constitution.

 

Le présent commentaire porte sur les dispositions des articles 10, 18 et 25 de la loi déférée.

 

  1. I. – Complément à la liste des actes autorisés dans le cadre des enquêtes sous pseudonyme (article 10)

 

A. – Présentation des dispositions contestées et des griefs des requérants

 

* L’article 10 de la loi déférée a pour objet de modifier l’article 230-46 du code de procédure pénale (CPP) qui a été créé par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et qui permet aux officiers ou agents de police judiciaire agissant au cours de l’enquête ou sur commission rogatoire de procéder sous pseudonyme à certains actes d’enquête aux fins de constater les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement commis par la voie des communications électroniques1.

 

Le 1° et 2° de cet article prévoient que les agents affectés dans un service spécialisé et spécialement habilités à cette fin peuvent participer sous pseudonyme à des échanges électroniques, y compris avec les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions, et extraire ou conserver par ce moyen les données sur les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions et tout élément de preuve. Son 3° leur permet en outre, après autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction saisi des faits, d’acquérir tout contenu, produit, substance, prélèvement ou service, y compris illicite, ou de transmettre en réponse à une demande expresse des contenus illicites.

 

Dans le cadre de l’accomplissement de ces actes, les agents concernés bénéficient d’une irresponsabilité pénale.

 

L’article 230-46 du CPP précise que les actes autorisés ne peuvent constituer une incitation à commettre les infractions en cause.

 

* L’article 10 de la loi déférée, issu d’un amendement de MM. Daubresse et Hervé, rapporteurs du projet de loi devant la commission des lois du Sénat2, vise, selon les auteurs de cet amendement, à « étoffer les moyens mis à la disposition des enquêteurs qui mènent une enquête sous pseudonyme ». 

À cette fin, il modifie l’article 230-46 du CPP de deux manières.

 

- D’une part, le 2° de l’article 10 insère au sein de l’article 230-46 du CPP un 4° permettant aux enquêteurs, « Après autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction saisi des faits, en vue de l’acquisition, de la transmission ou de la vente par les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions de tout contenu, produit, substance, prélèvement ou service, y compris illicite, [de] mettre à la disposition de ces personnes des moyens juridiques ou financiers ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d’hébergement, de conservation et de télécommunication ».

 

- D’autre part, son 1° réécrivait le 3° de l’article 230-46 du CPP afin de prévoir qu’il peut être procédé sous pseudonyme, sans l’autorisation préalable d’un magistrat, à l’acquisition de tout contenu, produit, substance, prélèvement ou service ainsi qu’à la transmission de tout contenu en réponse à une demande expresse. C’est seulement « Lorsque l’objet de l’acquisition ou de la transmission est illicite » qu’une telle opération devait être autorisée par le procureur de la République ou par le juge d’instruction saisi des faits.

 

Selon M. Boudié, rapporteur du projet de loi devant la commission des lois de l’Assemblée nationale et auteur de l’amendement à l’origine de cette réécriture3, cette modification visait à « alléger la procédure actuellement prévue par l’article 230–46 en vigueur, permettant aux enquêteurs d’acquérir des fournitures, en supprimant la nécessité d’une autorisation préalable du parquet ou du juge d’instruction lorsque cette acquisition concerne des produits licites. Le dispositif actuel, insuffisamment souple, ne correspond pas au temps des investigations judiciaires dans le cadre d’une cyber-infiltration qui exige une réactivité du service qui en a la charge. Cet assouplissement ne concernerait pas l’acquisition de produits illicites, qui demeurerait soumise à une autorisation préalable de l’autorité judiciaire, ce qui correspond à la logique du dispositif ».

 

* Les députés requérants soutenaient que l’article 10 n’avait pas sa place dans la loi déférée au motif qu’il avait été introduit en première lecture selon une procédure contraire à l’article 45 de la Constitution.

 

Ils faisaient également valoir que, en permettant aux enquêteurs de mettre des moyens juridiques, financiers ou matériels à la disposition de personnes susceptibles d’être les auteurs d’une infraction, les dispositions du 2° de cet article 10 méconnaissaient le principe de proportionnalité des peines ainsi que, en l’absence de définition précise de l’élément intentionnel, le principe de légalité des délits et des peines et l’exigence de clarté de la loi.

 

 

B. – Analyse de constitutionnalité

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle sur la technique d’enquête sous pseudonyme

 

Le Conseil constitutionnel fait découler de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 le droit à un procès équitable ainsi que les droits de la défense4.

 

Dans sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel a été saisi de la rédaction donnée à l’article 230-46 du CPP par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice précitée, qui visait notamment à mieux encadrer les acquisitions sous pseudonyme sur internet en exigeant leur autorisation par le procureur de la République ou le juge d’instruction saisi des faits.

 

Le Conseil a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution en jugeant : « D’une part, les actes pouvant être effectués sous pseudonyme sont des actes d’enquête et non des actes de procédure. D’autre part, ces actes ne peuvent être accomplis que par des enquêteurs affectés dans des services spécialisés et spécialement habilités à cette fin. Enfin, l’acquisition ou la transmission d’un contenu, produit, substance, prélèvement ou service, le cas échéant illicite, doit être autorisée par le procureur de la République ou le juge d’instruction et ne peut constituer une incitation à commettre une infraction ».

 

Il en a déduit que, « en autorisant le recours à l’enquête sous pseudonyme aux fins de constater les crimes et délits punis d’une peine d’emprisonnement commis par voie de communications électroniques, le législateur n’a pas méconnu le droit à un procès équitable. Il n’a pas opéré une conciliation déséquilibrée entre l’objectif de recherche des auteurs d’infractions et le droit au respect de la vie privée »5

 

2. – L’application à l’espèce

 

* Après avoir écarté le grief tiré de la méconnaissance du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution (paragr. 39), le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur le fond.

 

- Il a, en premier lieu, examiné la constitutionnalité des dispositions des 1° et 2° de l’article 10 au regard du droit à un procès équitable, norme de référence qu’il avait déjà mobilisée dans sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019 précitée.

 

Après avoir rappelé que l’article 230-46 du CPP permet aux officiers ou agents de police judiciaire de procéder sous pseudonyme à certains actes d’enquête, le Conseil a décrit l’objet de ces dispositions : « Les dispositions du 1° de l’article 10 prévoient que l’autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction saisi des faits n’est plus requise pour l’acquisition de tout contenu, produit, substance, prélèvement ou service ainsi que pour la transmission de tout contenu lorsque l’objet de l’acquisition ou de la transmission est licite. Les dispositions contestées de son 2° prévoient que les officiers ou agents de police judiciaire peuvent, sous certaines conditions, mettre à la disposition des personnes susceptibles d’être les auteurs d’infractions des moyens juridiques ou financiers ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d’hébergement, de conservation et de télécommunication, en vue de l’acquisition, de la transmission ou de la vente par ces personnes de tout contenu, produit, substance, prélèvement ou service, y compris illicite » (paragr. 41 et 42).

 

Le Conseil a relevé que, « D’une part, les actes d’enquête pouvant être effectués sous pseudonyme ne peuvent être accomplis que par des enquêteurs affectés dans des services spécialisés et spécialement habilités à cette fin. D’autre part, ces actes ne peuvent constituer une incitation à commettre une infraction. En outre, la mise à disposition de moyens juridiques, financiers ou matériels doit être autorisée par le procureur de la République ou le juge d’instruction » (paragr. 43).

 

Il en a déduit que les dispositions du 2° de l’article 10, permettant la mise à disposition de moyens juridiques, financiers ou matériels sur autorisation d’un magistrat dans le cadre d’une cyber-infiltration, ne méconnaissaient pas le droit à un procès équitable (paragr. 44).

 

S’agissant, en revanche, des opérations d’acquisition ou de transmission de contenus licites susceptibles d’être menées dans ce même cadre, le Conseil a jugé qu’« en dispensant les acquisitions ou transmissions de contenus de l’autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction dans le cas où leur objet est licite, les dispositions du 1° de l’article 10 privent de garanties légales le droit à un procès équitable » (paragr. 45). Pour décider que l’autorisation préalable d’un magistrat est requise quel que soit l’objet, licite ou illicite, des acquisitions ou transmissions de contenus en cause, il a pris en considération la nature particulière de ces actes d’enquête, qui vont au-delà de ceux prévus aux 1° et 2° de l’article 230-46 du CPP, ainsi que le cadre dans lequel ils interviennent.

 

- En second lieu, le Conseil constitutionnel a examiné les griefs soulevés par les députés requérants et tirés de la méconnaissance des principes de proportionnalité des peines et de légalité des délits et des peines.

 

Après avoir constaté que les dispositions du 2° de l’article 10 se bornent à autoriser la réalisation d’un acte d’enquête sous pseudonyme, il a jugé qu’« Elles n’ont donc ni pour objet ni pour effet d’instituer une peine ou une sanction ayant le caractère d’une punition ni de définir les éléments constitutifs des infractions en cause » (paragr. 46).

 

Les griefs invoqués par les requérants ont donc été écartés comme inopérants.

 

* Par conséquent, après avoir jugé que l’article 10 de la loi déférée ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, le Conseil constitutionnel l’a déclaré conforme à la Constitution, à l’exception des mots « Lorsque l’objet de l’acquisition ou de la transmission est illicite, » figurant au 1° de cet article.

 

 

II. – Création au sein de la police judiciaire des assistants d’enquête (article 18)

 

A. – Présentation des dispositions contestées et des griefs des requérants

 

*  L’article 18 de la loi déférée crée la fonction d’assistant d’enquête au sein de la police judiciaire afin, selon l’étude d’impact du projet de loi, de répondre à « la complexification croissante de la procédure pénale depuis une vingtaine d’années », qui conduit à la disparition progressive de la part du métier d’enquêteur consacrée à l’investigation, « au profit d’une mission essentiellement tournée vers la formalisation d’actes d’enquête obligatoires, laissant peu de place à la curiosité et au sens policier ».

 

L’article 18 complète ainsi l’article 15 du CPP6 afin d’ajouter les assistants d’enquête de la police nationale et de la gendarmerie nationale à la liste des agents qui composent la police judiciaire7.

 

Il insère également au sein du CPP un article 21-3, qui définit les conditions de recrutement et les missions qui peuvent être confiées aux assistants d’enquête.

 

Ce nouvel article 21-3 dispose que ces assistants d’enquête « sont recrutés parmi les militaires du corps de soutien technique et administratif de la gendarmerie nationale, les personnels administratifs de catégorie B de la police nationale et de la gendarmerie nationale et les agents de police judiciaire adjoints de la police nationale et de la gendarmerie nationale ayant satisfait à une formation sanctionnée par un examen certifiant leur aptitude à assurer les missions que la loi leur confie ».

 

Il prévoit par ailleurs que, à la différence des OPJ et APJ, les assistants d’enquête ne se voient pas confier de missions propres mais « ont pour mission de seconder, dans l’exercice de leurs fonctions », les OPJ et APJ aux seules fins d’effectuer à la demande expresse de ces derniers et sous leur contrôle les actes qu’il énumère.  

 

Les assistants d’enquête pourront :

- procéder à la convocation de toute personne devant être entendue par un officier ou un agent de police judiciaire et contacter, le cas échéant, l’interprète nécessaire à cette audition ;

- procéder à la notification de leurs droits aux victimes, en application de l’article 10‑2 ;

- procéder, avec l’autorisation préalable du procureur de la République ou du juge des libertés et de la détention lorsque celle‑ci est prévue, aux réquisitions prévues aux articles 608, 60‑39, 77‑110 et 99‑511 ainsi qu’à celles prévues aux articles 60‑112 et 77‑1‑113 lorsqu’elles concernent des enregistrements issus de système de vidéoprotection ;

- informer de la garde à vue, par téléphone, les personnes mentionnées à l’article 63‑214 ;

- procéder aux diligences prévues à l’article 63‑315 ;

- informer l’avocat désigné ou commis d’office de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, en application de l’article 63‑3‑1 ;

- procéder aux convocations prévues à l’article 390‑116 ;

- procéder aux transcriptions des enregistrements prévus à l’article 100‑517 et au troisième alinéa de l’article 706‑95‑1818 préalablement identifiés comme nécessaires à la manifestation de la vérité par les officiers de police judiciaire ou les agents de police judiciaire ;

- établir les procès-verbaux pour l’ensemble de ces actes de procédure.

 

Dans tous les cas, en cas de difficulté dans la réalisation de ces missions, l’assistant d’enquête doit immédiatement en aviser l’OPJ ou l’APJ.

 

* Les députés requérants faisaient valoir que ces dispositions n’encadraient pas suffisamment les attributions des assistants d’enquête. Il en résultait selon eux une méconnaissance des articles 12 et 13 de la Déclaration de 1789, de l’article 66 de la Constitution ainsi que des droits de la défense.

 

B. – Analyse de constitutionnalité

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle relative à la direction et au contrôle de la police judiciaire

 

Aux termes de l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. / L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».

 

Le Conseil constitutionnel affirme avec constance, depuis sa décision n° 2011–625 DC du 10 mars 2011, qu’il résulte de cet article 66 que « la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire »19.

 

- Cette exigence l’a conduit, en particulier, à poser certaines limites aux prérogatives judiciaires des agents de police municipale. Saisi de dispositions qui avaient pour objet de confier à des agents de police judiciaire adjoints, parmi lesquels figuraient en particulier les agents de police municipale, la possibilité de procéder à des contrôles d’identité, il les a censurées par sa décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 précitée en jugeant « qu’il résulte de l’article 66 de la Constitution que la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire ; qu’à cette fin, le code de procédure pénale, notamment en ses articles 16 à 19-1, assure le contrôle direct et effectif de l’autorité judiciaire sur les officiers de police judiciaire chargés d’exercer les pouvoirs d’enquête judiciaire et de mettre en œuvre les mesures de contrainte nécessaires à leur réalisation ; que l’article 20 du code de procédure pénale fixe la liste des agents de police judiciaire chargés "de seconder, dans l’exercice de leurs fonctions, les officiers de police judiciaire ; de constater les crimes, délits ou contraventions et d’en dresser procès-verbal ; de recevoir par procès-verbal les déclarations qui leur sont faites par toutes personnes susceptibles de leur fournir des indices, preuves et renseignements sur les auteurs et complices de ces infractions" ; que l’exigence de direction et de contrôle de l’autorité judiciaire sur la police judiciaire ne serait pas respectée si des pouvoirs généraux d’enquête criminelle ou délictuelle étaient confiés à des agents qui, relevant des autorités communales, ne sont pas mis à la disposition des officiers de police judiciaire »20.

 

C’est précisément cette dernière exigence que l’article critiqué méconnaissait en confiant à des agents de police municipale, qui relèvent des autorités communales et ne sont pas mis à la disposition des officiers de police judiciaire, le pouvoir d’opérer des contrôles d’identité à des fins de police judiciaire.

 

Par la même décision, le Conseil constitutionnel a en outre censuré, pour les mêmes motifs, des dispositions qui conféraient la qualité d’agent de police judiciaire aux membres du cadre d’emplois des directeurs de police municipale « sans les mettre à la disposition des officiers de police judiciaire »21.

Le commentaire de cette décision relève à cet égard que « la "chaîne de contrôle" serait par trop distendue entre le procureur de la République et l’agent chargé de l’enquête si ce dernier n’était pas sous l’autorité directe et immédiate des officiers de police judiciaire ». Il mentionne en outre le fait que le Conseil constitutionnel a alors estimé ne pas pouvoir prendre en compte la circonstance avancée, dans ses observations, par le Premier ministre, qui avait tenté de démontrer l’existence d’un lien direct entre le procureur de la République et les agents de police judiciaire en indiquant notamment que les contrôles se dérouleraient en la présence effective d’un OPJ.

 

- Dans sa décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, le Conseil a contrôlé des dispositions qui permettaient à certains agents n’ayant pas la qualité d’officier de police judiciaire ou d’agents de police judiciaire de constater certaines infractions.

 

Le Conseil a jugé : « D’une part, selon le cinquième alinéa de l’article L. 3136-1 du code de la santé publique, la violation des interdictions ou obligations, autres que les réquisitions, édictées en application des articles L. 3131-1 et L. 3131-15 à L. 3131-17 du même code, peut être constatée par procès-verbal par les agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux 1°, 1° bis et 1° ter de l’article 21 du code de procédure pénale. Sont ainsi visés les fonctionnaires des services actifs de la police nationale n’ayant pas la qualité d’agent ou d’officier de police judiciaire, certains militaires volontaires et réservistes opérationnels de la gendarmerie nationale, certains membres de la réserve civile de la police nationale et les adjoints de sécurité. La prérogative ainsi reconnue à ces agents est limitée au constat des contraventions qui ne nécessite pas d’actes d’enquête de leur part. / D’autre part, la première phrase du septième alinéa de l’article L. 3136-1 du code de la santé publique se borne à permettre aux agents assermentés des exploitants de services de transport ou de leurs sous-traitants et à ceux des services internes de sécurité de la société nationale SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens de constater les contraventions sanctionnant la violation des interdictions ou obligations édictées en application du 1° du paragraphe I de l’article L. 3131-15 du même code en matière d’usage des services de transport ferroviaire ou guidé et de transport public routier de personnes. Cette compétence est limitée au cas où de telles contraventions sont commises dans les véhicules et emprises immobilières de ces services de transport.  Par conséquent, compte tenu des prérogatives ainsi confiées à ces deux catégories d’agents, les dispositions contestées ne contreviennent pas aux exigences résultant de l’article 66 de la Constitution »22.

 

- Enfin, dans sa décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021, le Conseil a été saisi de dispositions permettant aux agents de police municipale et gardes champêtres de certaines communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre d’exercer des attributions de police judiciaire en matière délictuelle, sous l’autorité du directeur de police municipale ou du chef de service de police municipale dûment habilité.

 

Le Conseil a tout d’abord rappelé que : « Il résulte de l’article 66 de la Constitution que la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire. Cette exigence ne serait pas respectée si des pouvoirs généraux d’enquête criminelle ou délictuelle étaient confiés à des agents qui, relevant des autorités communales, ne sont pas mis à la disposition d’officiers de police judiciaire ou de personnes présentant des garanties équivalentes ».

 

À cette aune, le Conseil a censuré les dispositions contestées en jugeant :

 

« En premier lieu, selon ces dispositions, les agents de police municipale et les gardes champêtres sont compétents pour constater par procès-verbal, lorsqu’ils sont commis sur le territoire communal et qu’ils ne nécessitent pas de leur part d’actes d’enquête, les délits de vente à la sauvette, de conduite sans permis, de conduite dangereuse, de conduite sans assurance, d’entrave à la circulation routière, d’occupation illicite de hall d’immeuble, d’usage illicite de stupéfiants, de violation de domicile portant sur un local appartenant à une personne publique, de destruction ou dégradation grave du bien d’autrui, d’installation en réunion sur un terrain appartenant à une commune et de port ou de transport illicite d’armes de catégorie D. À cette fin, ils peuvent relever l’identité des auteurs de ces délits, prendre acte de leurs déclarations spontanées, se voir communiquer les informations nécessaires issues du fichier des véhicules assurés et, s’agissant des délits de vente à la sauvette et d’usage de produits stupéfiants commis sur la voie publique, procéder à la saisie des objets ayant servi à la commission de l’infraction ou qui en sont le produit et pour lesquels la peine de confiscation du bien est prévue.

 

« En second lieu, pour l’exercice de leurs compétences de police judiciaire, les agents de police municipale et les gardes champêtres sont placés en permanence sous l’autorité du directeur de police municipale ou du chef de service de police municipale dûment habilité. Le dernier alinéa du paragraphe VIII prévoit que ces derniers sont quant à eux placés, pour l’exercice de ces missions, sous la direction du procureur de la République, sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre de l’instruction du siège de leur fonction.

 

« Toutefois, d’une part, si le procureur de la République se voit adresser sans délai les rapports et procès-verbaux établis par les agents de police municipale et les gardes champêtres, par l’intermédiaire des directeurs de police municipale et chefs de service de police municipale, le législateur n’a pas assuré un contrôle direct et effectif du procureur de la République sur les directeurs de police municipale et chefs de service de police municipale. Notamment, contrairement à ce que le code de procédure pénale prévoit pour les officiers de police judiciaire et nonobstant son pouvoir de direction sur les directeurs et chefs de service de police municipale, ne sont pas prévues la possibilité pour le procureur de la République d’adresser des instructions à ces derniers, l’obligation pour ceux-ci de le tenir informé sans délai des infractions dont ils ont connaissance, l’association de l’autorité judiciaire aux enquêtes administratives relatives à leur comportement, ainsi que leur notation par le procureur général.

 

« D’autre part, si les directeurs et les chefs de service de police municipale doivent, pour être habilités à exercer leurs missions de police judiciaire, suivre une formation et satisfaire à un examen technique selon des modalités déterminées par décret en Conseil d’État, il n’est pas prévu qu’ils présentent des garanties équivalentes à celles exigées pour avoir la qualité d’officier de police judiciaire.

 

« Il résulte de tout ce qui précède que, en confiant des pouvoirs aussi étendus aux agents de police municipale et gardes champêtres, sans les mettre à disposition d’officiers de police judiciaire ou de personnes présentant des garanties équivalentes, le législateur a méconnu l’article 66 de la Constitution »23.

 

Ainsi, pour s’assurer du respect des exigences de l’article 66 de la Constitution, le Conseil constitutionnel opère son contrôle en tenant compte à la fois de la nature et de l’étendue des pouvoirs de police judiciaire conférés aux agents en cause et des garanties visant à assurer le respect de l’exigence de placement de la police judiciaire sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire.

 

2. – L’application à l’espèce

 

Le Conseil a principalement opéré le contrôle des dispositions qui lui étaient soumises à l’aune de l’article 66 de la Constitution.

 

Après avoir rappelé son considérant de principe selon lequel « L’exigence résultant de l’article 66 de la Constitution, selon laquelle la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire, ne serait pas respectée si des pouvoirs généraux d’enquête criminelle ou délictuelle étaient confiés à des agents qui ne sont pas mis à la disposition d’officiers de police judiciaire » (paragr. 85), le Conseil a examiné la conformité des dispositions contestées à cette exigence.

 

Il a relevé que ces dispositions donnent aux assistants d’enquête le pouvoir de « procéder, sur la demande expresse d’un officier de police judiciaire ou d’un agent de police judiciaire, à la convocation d’un témoin ou d’une victime pour audition, à la notification de leurs droits aux victimes, à l’établissement de réquisitions préalablement autorisées par un magistrat, à l’information des proches ou de l’employeur d’une personne placée en garde à vue, à la réquisition d’un médecin pour l’examen de cette personne, à l’information de son avocat de la nature et de la date présumée de l’infraction et à la délivrance d’une convocation devant le tribunal correctionnel préalablement décidée par le procureur de la République » (paragr. 87).

 

Il a alors jugé que « Ces attributions, qui sont limitées à l’accomplissement de tâches matérielles exécutées à la demande expresse d’officiers ou d’agents de police judiciaire, ne comportent aucun pouvoir d’enquête ou d’instruction » (paragr. 88).

 

En revanche, le Conseil a relevé que « les dispositions contestées prévoient également que les assistants d’enquête peuvent procéder aux transcriptions des enregistrements issus d’interceptions de correspondances ou de techniques spéciales d’enquête nécessaires à la manifestation de la vérité. En confiant aux assistants d’enquête un tel pouvoir, y compris lorsque l’identification préalable des transcriptions à opérer n’a été réalisée que par un agent de police judiciaire, les dispositions contestées ne permettent pas de garantir le contrôle de l’officier de police judiciaire sur ces opérations en méconnaissance de l’article 66 de la Constitution » (paragr. 89).

 

Ainsi, le Conseil constitutionnel a jugé qu’eu égard à sa nature particulière, le pouvoir tendant à transcrire les enregistrements issus de l’interception de correspondances ou de techniques spéciales d’enquête ne pouvait pas être confié à un assistant d’enquête sans qu’il l’exerce directement sous le contrôle d’un officier de police judiciaire. Le Conseil a dès lors, par une censure partielle des mots « ou les agents de police judiciaire » figurant au treizième alinéa du 3° du paragraphe I de l’article 18, réservé l’exercice de cette prérogative aux seuls cas dans lesquels les assistants d’enquête effectueront un tel acte de transcription sous le contrôle d’un officier de police judiciaire.

 

  1. III. – Extension du champ d’application de la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle (article 25)

 

A. – Présentation des dispositions contestées et des griefs des requérants

 

L’article 25 a pour objet d’étendre le champ de la procédure de l’amende forfaitaire à une trentaine de délits24.

 

1. – Présentation des dispositions contestées

 

* La procédure de l’amende forfaitaire est ancienne en matière contraventionnelle, où elle est utilisée pour un certain nombre de contentieux de masse, afin d’en favoriser le traitement en permettant une verbalisation immédiate et automatique. Le contrevenant qui accepte d’acquitter l’amende forfaitaire obtient en échange l’extinction de l’action publique. À défaut, il encourt alors l’amende forfaitaire majorée, pour le recouvrement de laquelle le procureur de la République peut délivrer un titre exécutoire. Les montants de l’amende forfaitaire et de sa majoration sont inférieurs aux maxima des contraventions correspondantes encourues.

 

- La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle25 a étendu, pour la première fois, cette procédure à certains délits en créant l’amende forfaitaire délictuelle (AFD) dont la procédure est aujourd’hui régie par les articles 495–17 à 495–25 du CPP.

 

L’article 495-17 du CPP prévoit ainsi que, « Lorsque la loi le prévoit, l'action publique est éteinte par le paiement d'une amende forfaitaire délictuelle fixée par la loi, qui ne peut excéder le montant prévu au premier alinéa de l'article 131-13 du code pénal », soit 3 000 euros (correspondant au plafond des amendes contraventionnelles).

 

En vertu de l’article 495-18 du CPP, l’amende forfaitaire doit être acquittée dans les quarante-cinq jours qui suivent la constatation de l’infraction ou l’envoi de ce constat, à moins que l’intéressé ne formule dans le même délai une requête tendant à son exonération auprès du service indiqué dans l’avis d’infraction. Cette requête est transmise au procureur de la République. Elle est sans incidence sur l’obligation pour la personne intéressée de s’acquitter du montant de l’AFD. Ce dernier est ainsi minoré si l’intéressé s’en acquitte dans les quinze jours. À défaut, il est majoré et recouvré au profit du Trésor public en vertu d'un titre rendu exécutoire par le procureur de la République. L’intéressé peut alors former une réclamation à son encontre.

 

Le procureur de la République saisi d’une requête ou d’une réclamation en examine alors la recevabilité et il peut décider soit d’éteindre l’action publique, soit de poursuivre l’intéressé selon les voies du droit commun. Le risque pour l’intéressé est alors d’être condamné à une amende plus lourde : en effet, selon l’article 495-21 du CPP, en cas de condamnation, le juge ne peut prononcer une amende d’un montant inférieur à celui de l’amende forfaitaire, en cas de requête, ou à celui de l’amende forfaitaire majorée, en cas de réclamation.

 

- Avant l’adoption des dispositions de la loi déférée, l’AFD s’appliquait à onze délits. La loi du 18 novembre 2016 l’a d’abord rendue applicable aux infractions de conduite sans permis (article L. 221-2 du code de la route) et de conduite sans assurance (article L. 324-2 du même code). Puis, plusieurs textes sont venus progressivement compléter la liste des délits concernés26.

 

Champ d’application de l’AFD antérieurement à l’intervention de la loi déférée

 

Délit

Fondement

Peine de droit commun

AFD minorée

AFD

AFD majorée

Récidive

(en euros)

Conduite sans permis

L. 221–2 du code route

1 an
15 000 €

640

800

1 600

Non

Conduite sans assurance

L. 324–2 du code route

3 750 €

400

500

1 000

Non

Installation sans titre sur le terrain d’autrui

322–4–1 du code pénal

1 an
7 500 €

400

500

1 000

Non

Usage illicite de stupéfiants

L. 3421–1 du code de la santé publique

1 an
3 750 €

150

200

450

Oui

Vente d’alcool aux mineurs

L. 3353–3 du code de la santé publique

7 500 €

250

300

600

Oui

Vente d’alcool dans des foires

L. 3352–5 du code de la santé publique

3 750 €

150

200

450

Oui

Occupation de parties communes d’immeubles

L. 272–4 du code de la sécurité intérieure

2 mois
3 750 €

150

200

450

Oui

Vente à la sauvette

446–1 du code pénal

6 mois
3 750 €

250

300

600

Oui

Violation des règles relatives au chronotachygraphe

L. 3315–5 du code transports

6 mois
3 750 €

640

800

1 600

Oui

Abandon ou dépôt illicite de déchets

L. 541–46 du code de l’environnement

2 ans
75 000 €

1 000

1 500

2 500

Non

Vol simple n’excédant pas 300 euros

311–3–1 du code pénal

3 ans
45 000 € (1)

250

300

600

Oui

 

Tableau issu du rapport n° 436 (Assemblée nationale – XVIe législature) de M. Florent Boudié sur le projet de loi à l’origine de la loi déférée, au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale, déposé le 4 novembre 2022.

 

L’article 495–17 du CPP prévoit cependant que l’AFD n’est pas applicable :

 

– si le délit a été commis par un mineur ;

 

– si plusieurs infractions ont été constatées simultanément et que l’une d’elles au moins ne peut donner lieu à une AFD ;

 

– si le délit a été commis en situation de récidive légale, sauf disposition législative contraire.

 

* L’article 25 de la loi déférée apporte plusieurs modifications à cette procédure.

 

Il complète, en particulier, le régime de l’AFD pour préciser, par un nouvel article 495-24-2 introduit au sein du CPP, que « Lorsque l’action publique concernant un délit ayant causé un préjudice à une victime est éteinte par le paiement d’une amende forfaitaire délictuelle, la victime peut toutefois demander au procureur de la République de citer l’auteur des faits à une audience devant le tribunal pour lui permettre de se constituer partie civile. Le tribunal, composé d’un seul magistrat exerçant les pouvoirs conférés au président, ne statue alors que sur les seuls intérêts civils, au vu du dossier de la procédure qui est versé au débat. Le procureur de la République informe la victime de ses droits ainsi que, lorsqu’il cite l’auteur des faits devant le tribunal correctionnel, de la date de l’audience ».

 

Il étend, par ailleurs, l’application de l’AFD à de nouveaux délits, récapitulés dans le tableau suivant.

 

Délit

Fondement

Peine de droit commun

AFD minorée

AFD

AFD majorée

(en euros)

Filouterie

313–5 du code pénal

6 mois
7 500 €

250

300

600

Tags

322–1 du code pénal

3 750 €
TIG

150

200

450

Intrusion dans un établissement scolaire

431–22 du code pénal

1 an
7 500 €

400

500

1 000

Atteintes à la circulation ferroviaire

L. 2242–4 du code des transports

6 mois
3 750 €

250

300

600

Violation des règles de transport routier

L. 3315–4 du code des transports

1 an
30 000 €

400

500

1 000

Acquisition, cession et introduction de chien d’attaque

L. 215–2 du code rural et de la pêche maritime

6 mois
15 000 €

150

200

450

Détention de chien d’attaque non stérilisé

L. 215–2 du code rural et de la pêche maritime

6 mois
15 000 €

150

200

450

Détention sans permis de chien d’attaque ou de chien de garde et de défense malgré une mise en demeure

L. 215–2–1 du code rural et de la pêche maritime

3 mois
3 750 €

250

300

600

Exercice illégal de l’activité de taxi

L. 3124–4 du code des transports

1 an
15 000 €

400

500

1 000

Exploitation irrégulière de VTC

L. 3124–7 du code des transports

1 an
15 000 €

400

500

1 000

Infractions au transport routier particulier (dont prise en charge irrégulière sur la voie publique)

L. 3124–12 du code des transports

1 an
15 000 €

400

500

1 000

Refus lors d’un contrôle routier

L. 233–2 du code de la route

3 mois
3 750 €

250

300

600

Atteintes aux dispositifs antipollution

L. 318–3 du code de la route

7 500 €

150

200

450

Intrusion forcée en état d’ivresse dans une enceinte sportive

L. 332–5 et

L. 332-10 code du sport

1 an
15 000 €

400

500

1 000

Entraves à la circulation routière

 

L. 412–1 du code de la route

2 ans
4 500 €

640

800

1 600

Vente au déballage

L. 310–5 du code de commerce

15 000 €

250

300

600

Infractions au transport routier (groupe 1)

L. 3452–7 à L. 3452–8 du code des transports

15 000 €

150

200

450

Infractions au transport routier (groupe 2)

L. 3452–10 du code des transports

6 mois
3 750 €

250

300

600

Infractions au transport routier (groupe 3)

L. 3452–6 du code des transports

1 an
15 000 €

400

500

1 000

Infractions en matière de navigation (groupe 1)

L. 4274–2 et L. 4274–15 du code des transports

3 mois
3 750 € ou 4 500 €

150

200

450

Infractions en matière de navigation (groupe 2)

Idem

6 mois
4 500 €

250

300

600

Infractions en matière de navigation (groupe 3)

Idem

1 an
6 000 €

400

500

1 000

Tapage nocturne et bruits injurieux

222-33-2-3 bis du code pénal

3750 €

400

500

1 000

Vente à la sauvette en réunion ou par voie de fait

446-2 du code pénal

1 an

15 000 €

400

500

1 000

Rodéos nautiques

L. 5242–6–7 du code des transports

1 an

15 000 €

400

500

1 000

Dressage de chiens au mordant

L. 215-3 du code rural et de la pêche maritime

6 mois

7 500 €

250

300

600

Rodéos motorisés

L. 236–1 du code de la route

1 an

15 000 €

400

500

1 000

délit de port ou le transport sans motif légitime d’arme blanche ou incapacitante

L. 317–8 du code de la sécurité intérieure

Au minimum de 3 ans et 3 750 €

400

500

1 000

délit d'entrée sur une aire de jeux d’enceinte sportive troublant le déroulement de la compétition

L. 332–10 du code du sport

1 an

15 000 €

400

500

1 000

délit de chasse non autorisée sur le terrain d’autrui

L. 428–5 du code de l’environnement

1 500 €

400

500

1 000

 

2. – Les griefs

 

Les députés requérants faisaient valoir tout d’abord que la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle permet aux services de police de décider de l’application d’une sanction pénale sans en référer à l’autorité judiciaire et d’apprécier la culpabilité des personnes mises en cause sur le fondement de la seule constatation matérielle des faits. Il en résultait, selon eux, une méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs, du droit à la liberté et à la sûreté garanti par l’article 2 de la Déclaration de 1789 et de la présomption d’innocence.

 

Ils estimaient ensuite que la contestation de l’amende forfaitaire délictuelle était entravée par des délais trop brefs, l’obligation de consigner au préalable une somme équivalente à son montant et l’absence de notification de l’intégralité du procès-verbal de constat du délit. Il en résultait, selon eux, une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif. Ils considéraient par ailleurs que, en ne permettant au juge que de relaxer la personne mise en cause ou de prononcer une amende au moins égale à celle de l’amende forfaitaire, ces dispositions portaient atteinte aux droits de la défense et au droit à un procès équitable.

 

Ils reprochaient également à ces dispositions de méconnaître les principes d’individualisation des peines et d’égalité devant la loi en étendant l’application de l’amende forfaitaire délictuelle à certains délits présentant, selon eux, une faible gravité.

 

Ils soutenaient enfin que, en étendant l’amende forfaitaire délictuelle au fait d’entraver ou de gêner la circulation et au fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement scolaire, les dispositions méconnaissaient le droit de manifester et la liberté d’expression.

 

B. – Analyse de constitutionnalité 

 

1. – La jurisprudence sur l’amende forfaitaire en matière contraventionnelle

 

* Dans sa décision n° 2011-162 QPC du 16 septembre 2011, le Conseil constitutionnel a d’abord été amené à se prononcer sur les dispositions applicables à l’amende forfaitaire contraventionnelle qui imposent au juge, en cas de condamnation faisant suite à une requête ou une protestation formulée en matière d’amende forfaitaire ou une réclamation en matière d’amende forfaitaire majorée, de prononcer une peine qui ne puisse être inférieure au montant de l’amende forfaitaire ou de l’amende forfaitaire majorée.

 

Le minimum de peine prévu par ces dispositions était contesté au regard des principes d’individualisation et de nécessité des peines.

 

Le Conseil fait découler le principe de d’individualisation des peines de l’article 8 de la Déclaration de 178927. Ce principe implique, selon sa formulation de principe, « qu’une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce »28. Il n’est toutefois pas absolu. En effet, le Conseil juge qu’il ne saurait « faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions »29. Par ailleurs, ce principe « n’implique pas davantage que la peine soit exclusivement déterminée en fonction de la personnalité de l’auteur de l’infraction »30.

 

Le Conseil a écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’individualisation des peines après avoir relevé « que la disposition contestée laisse au juge le soin de fixer la peine dans les limites, d'une part, de l'amende forfaitaire ou de l'amende forfaitaire majorée et, d'autre part, du maximum de l'amende encouru ; qu'ainsi, il lui appartient de proportionner le montant de l'amende à la gravité de la contravention commise, à la personnalité de son auteur et à ses ressources »31.

 

Il a ensuite écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe de nécessité des peines : « Considérant, en second lieu, qu'en imposant, pour les contraventions des quatre premières classes ayant fait l'objet d'une procédure d'amende forfaitaire, que l'amende prononcée par le juge en cas de condamnation ne puisse être inférieure au montant, selon le cas, de l'amende forfaitaire ou de l'amende forfaitaire majorée, le législateur a, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et pour assurer la répression effective des infractions, retenu un dispositif qui fait obstacle à la multiplication des contestations dilatoires ; que l'instauration d'un minimum de peine d'amende applicable aux contraventions les moins graves ne méconnaît pas, en elle-même, le principe de nécessité des peines »32.

 

* Par sa décision n° 2015-467 QPC du 7 mai 2015, le Conseil a examiné les dispositions de la procédure d’amende forfaitaire contraventionnelle relatives à la réclamation en cas d’amende majorée au regard du droit à un recours juridictionnel effectif.

 

Il a considéré, en premier lieu, « que le contrevenant, qui a eu la possibilité de contester l'infraction relevée contre lui en formant une requête aux fins d'exonération de l'amende forfaitaire encourue dans les conditions prévues par l'article 529-2 du code de procédure pénale, peut encore s'opposer au paiement de l'amende forfaitaire majorée, qui lui est infligée à défaut d'une telle contestation ou d'acquittement de la somme due, en formant une réclamation contre le titre d'exécution ; que, par la disposition attaquée, le législateur lui a imposé, à peine d'irrecevabilité, d'accompagner sa réclamation de l'avis qui lui a été envoyé ; qu'une telle condition, nécessaire à l'identification de la procédure de poursuite visée par la réclamation, est justifiée par l'objectif de bonne administration de la justice et n'apporte aucune restriction aux droits de la défense »33.

 

En second lieu, le Conseil a jugé que « le droit à un recours juridictionnel effectif impose que la décision du ministère public déclarant la réclamation […] irrecevable au motif qu’elle n’est pas accompagnée de l’avis d’amende forfaitaire majorée puisse être contestée devant le juge de proximité, soit que le contrevenant prétende que, contrairement aux prescriptions du deuxième alinéa de l’article 530, l’avis d’amende forfaitaire majorée ne lui a pas été envoyé, soit qu’il justifie être dans l’impossibilité de le produire pour des motifs légitimes »34. Sous cette réserve, il a écarté le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif.

 

2. – La jurisprudence sur le mécanisme de l’amende forfaitaire délictuelle

 

C’est à l’occasion de son contrôle de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice que le Conseil constitutionnel s’est pour la première fois prononcé sur l’amende forfaitaire délictuelle.

 

* Il s’est prononcé, en premier lieu, sur la conformité de son application à plusieurs délits au regard du principe d’égalité devant la justice.

 

Il a jugé à cet égard que le premier alinéa de l’article 495-17 du CPP, qui prévoit que « l’action publique est éteinte par le paiement d’une amende forfaitaire délictuelle fixée par la loi », a pour conséquence que, « selon le choix de poursuite de l’infraction par le biais d’une amende forfaitaire ou d’une autre voie de poursuite pouvant le cas échéant mener à une condamnation à une peine d’emprisonnement, l’action publique relative à la commission d’un délit sera éteinte ou non, par le seul paiement de l’amende, sans l’intervention d’une autorité juridictionnelle »35.

 

Or, il a considéré que « Si les exigences d’une bonne administration de la justice et d’une répression effective des infractions sont susceptibles de justifier le recours à de tels modes d’extinction de l’action publique en dehors de toute décision juridictionnelle, ce n’est qu’à la condition de ne porter que sur les délits les moins graves et de ne mettre en œuvre que des peines d’amendes de faible montant »36.

 

Ainsi que le relève le commentaire de la décision du 21 mars 2019, la question examinée par le Conseil était, au cas précis, celle des modes d’extinction de l’action publique et de la garantie que constitue, à cet égard, le contrôle du juge. « Cette garantie est susceptible de protéger les intérêts de la personne poursuivie, lorsque la sanction associée à l’extinction de l’action publique (ici l’amende forfaitaire) est trop élevée par rapport à la peine susceptible d’être prononcée par le juge ou bien de protéger les intérêts de la société si cette sanction est trop légère par rapport aux faits poursuivis ».

 

Le rôle ainsi reconnu au juge pour s’assurer du respect des intérêts en présence dans le cadre d’une procédure pénale avait déjà été mis en avant par le Conseil constitutionnel lorsqu’il s’était prononcé sur la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) et avait formulé une réserve d’interprétation, sur le fondement du principe de séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement, en affirmant « qu’il […] appartient [au juge chargé d’homologuer la peine proposée par le parquet] de vérifier la qualification juridique des faits et de s’interroger sur la justification de la peine au regard des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ; qu’il pourra refuser l’homologation s’il estime que la nature des faits, la personnalité de l’intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient une audience correctionnelle ordinaire ; qu’il ressort de l’économie générale des dispositions contestées que le président du tribunal de grande instance pourra également refuser d’homologuer la peine proposée si les déclarations de la victime apportent un éclairage nouveau sur les conditions dans lesquelles l’infraction a été commise ou sur la personnalité de son auteur »37.

 

S’agissant des dispositions de l’article 495-17 du CPP instituant le mécanisme de l’amende forfaitaire délictuelle, le Conseil a considéré que si la discrimination créée par les dispositions contestées, dans la possibilité de bénéficier ou non de cette garantie juridictionnelle, est susceptible d’être justifiée par l’objectif de bonne administration de la justice et celui de la répression effective des infractions, ce n’est que dans une mesure limitée : plus l’infraction est punie sévèrement, plus le risque d’un écart entre son règlement par une amende forfaitaire et la condamnation qu’une juridiction pourrait prononcer est élevé, au détriment de la protection des intérêts de la société. Inversement, plus l’amende forfaitaire délictuelle est importante, plus le risque pour la personne poursuivie d’être trop sévèrement punie, en dehors du contrôle du juge, est important.

 

Afin d’éviter une généralisation de cette procédure, le Conseil constitutionnel a donc jugé, dans sa décision n° 2019-778 DC que l’amende forfaitaire délictuelle ne saurait, « sans méconnaître le principe d’égalité devant la justice, s’appliquer à des délits punis d’une peine d’emprisonnement supérieure à trois ans »38. Le législateur ayant par ailleurs prévu, à l’invitation du Conseil d’État, que l’amende forfaitaire ne peut excéder le plafond des amendes contraventionnelles fixé à l’article 131-13 du code pénal (c’est-à-dire 3 000 euros), le Conseil constitutionnel a estimé, après avoir relevé cette garantie, que sous la réserve d’interprétation qui précède, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la justice devait être écarté.

 

- En outre, en cas de contestation de l’amende forfaitaire délictuelle, l’article 495-21 du CPP prévoit que si la personne est condamnée pour l’infraction, l’amende prononcée ne peut être inférieure au montant de l’amende forfaitaire, dans le cas où elle a déposé une requête en exonération, ou au montant de l’amende forfaitaire majorée, dans le cas où elle a formé une réclamation.

 

Ce plancher d’amende vise à éviter la multiplication des recours dilatoires en imposant qu’en cas de contestation suivie d’une condamnation, la peine prononcée ne puisse être moindre que celle proposée dans le cadre de la procédure d’amende forfaitaire. Le tribunal peut certes, à titre exceptionnel, par décision spécialement motivée au regard des charges et des revenus de la personne, ne pas prononcer d’amende ou prononcer une amende d’un montant inférieur aux montants précités. Mais cette individualisation de la peine ne peut s’exercer qu’en considération d’éléments propres à la personne et non au regard d’autres circonstances propres à chaque espèce et notamment de la gravité des faits, ce que le Conseil constitutionnel a expressément relevé dans la décision du 21 mars 201939.

 

Il résulte ainsi du choix de poursuite initial, par amende forfaitaire délictuelle ou non, une différence de traitement entre les justiciables, s’agissant des capacités d’individualisation de la peine par le juge.

 

Or, si le Conseil a estimé que cette différence de traitement est susceptible d’être justifiée par les exigences de bonne administration de la justice ou de répression effective des infractions, il a également considéré que cette différence de traitement est d’autant plus importante que le montant de l’amende forfaitaire est élevé40. Par exemple, parmi les infractions auxquelles la procédure d’amende forfaitaire a été étendue en 2019, le transport routier non conforme prévu par l’article L. 3315-5 du code des transports peut être sanctionné d’une amende forfaitaire majorée d’un montant de 1 600 euros, quand l’amende normalement encourue est de 3 750 euros.

 

Afin d’éviter de trop grandes différences de traitement entre justiciables, le Conseil constitutionnel a par conséquent formulé, sur le fondement du principe d’égalité devant la loi pénale, une autre réserve d’interprétation interdisant que le mécanisme du plancher d’amende prévu à l’article 495-21 du CPP s’applique à des délits dont le montant de l’amende forfaitaire est supérieur à la moitié du plafond prévu en matière d’amendes forfaitaires délictuelles par le premier alinéa de l’article 495-17 du CPP (c’est-à-dire supérieur à 1 500 euros). Selon le commentaire de la décision du 21 mars 2019, « cette réserve garantit que le juge disposera alors d’une marge d’individualisation suffisante pour adapter la peine aux circonstances de l’infraction »41.

 

* Par la même décision du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel s’est également prononcé sur la conformité de ce mécanisme au principe d’individualisation des peines.

 

Comme précédemment rappelé en matière d’amende forfaitaire contraventionnelle, lorsque le Conseil est confronté à un dispositif limitant la capacité d’individualisation de la peine par le juge, il s’attache, tout d’abord, à la justification de cette limitation, puis à la marge d’individualisation conservée au juge, du fait de l’écart entre le plancher et le plafond pénal ou d’autres modes d’individualisation de la peine.

 

Appliquant cette grille d’analyse à la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle, le Conseil constitutionnel a estimé que le plancher d’amende prévu en cas de condamnation, qui vise à éviter les recours dilatoires, était bien justifié, comme il a été rappelé plus haut, par les objectifs de bonne administration de la justice et de répression effective des infractions42.

 

Puis, s’appuyant sur la réserve d’interprétation formulée sur le fondement du principe d’égalité devant la justice, il a relevé que le plancher de l’amende encourue ne pouvait être supérieur à la moitié du plafond des amendes contraventionnelles, c’est-à-dire 1 500 euros43. En l’espèce, la plupart des délits justiciables de l’amende forfaitaire délictuelle étant punis d’une amende maximale de 3 750 euros, ceci permet au juge d’individualiser la peine entre un plancher de 1 500 euros et ce montant.

 

Ensuite, le Conseil s’est attaché aux autres modes d’individualisation de la peine applicable aux délits correspondants : possibilité de prononcer une autre des peines encourues ou de prononcer une amende inférieure en considération des charges ou des revenus de la personne condamnée44.

 

Enfin, il a écarté le grief des saisissants selon lequel le caractère forfaitaire de l’amende payée sans contestation méconnaissait le principe d’individualisation des peines45 : en effet, l’exigence d’individualisation des peines ne vaut que lorsque la sanction est prononcée par le juge ou une autorité. Elle ne saurait s’imposer lorsque la sanction, dont le montant est forfaitairement déterminé par la loi, est acceptée volontairement par la personne poursuivie.

 

Le Conseil a par ces motifs rejeté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’individualisation des peines et déclaré, sous les réserves précitées, les deuxième et troisième alinéas de l’article 495-21 du CPP conformes à la Constitution.

 

3. – L’application à l’espèce

 

* Dans la décision commentée, le Conseil a examiné, en premier lieu, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la justice.

 

Il a ainsi rappelé sa formule de principe selon laquelle « il résulte des articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789 que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant aux conditions d’extinction de l’action publique » (paragr. 137).

 

Puis, il a rappelé que la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle a pour conséquence que, selon le choix de poursuivre cette infraction par le biais de cette procédure ou d’une autre voie de poursuite pouvant le cas échéant mener à une condamnation à une peine d’emprisonnement, l’action publique relative à la commission d’un délit est éteinte ou non, par le seul paiement de l’amende, sans l’intervention d’une autorité juridictionnelle (paragr. 138).

 

D’une part, tout en s’inscrivant dans la continuité de sa décision du 21 mars 2019 précédemment mentionnée, il a renforcé le contrôle qu’il exerce lorsqu’il est saisi de cette procédure, en énonçant qu’« il découle du principe d’égalité devant la justice que, si les exigences d’une bonne administration de la justice et d’une répression effective des infractions sont susceptibles de justifier le recours à de tels modes d’extinction de l’action publique en dehors de toute décision juridictionnelle, ce n’est qu’à la condition de porter sur les délits punis d’une peine d’emprisonnement qui ne peut être supérieure à trois ans, dont les éléments constitutifs peuvent être aisément constatés, et de ne mettre en œuvre que des peines d’amendes de faible montant » (paragr. 139).

 

Ce faisant, le Conseil constitutionnel a considéré que pour s’assurer qu’un tel mode d’extinction de l’action publique en dehors de toute décision juridictionnelle n’expose pas les personnes intéressées au risque d’être traitées différemment selon la procédure de poursuite retenue46, il convenait d’ajouter aux critères de faible gravité de l’infraction et de faible montant de l’amende forfaitaire, qu’il avait dégagés dans sa décision du 21 mars 2019, un critère de faible complexité de l’infraction, garantissant que cette procédure ne s’applique qu’aux infractions « dont les éléments constitutifs peuvent aisément être constatés ».

 

D’autre part, il a rappelé qu’il découle du principe d’égalité devant la loi pénale qu’en raison de l’application du mécanisme du plancher d’amende prévu à l’article 495-21 du CPP, la procédure d’amende forfaitaire délictuelle ne saurait s’appliquer à des délits dont le montant de l’amende forfaitaire est supérieur à la moitié du plafond prévu en matière d'amendes forfaitaires délictuelles par le premier alinéa de l'article 495-17 du même code (paragr. 140).

 

C’est à l’aune de ces différentes exigences que le Conseil a ensuite examiné si les nouvelles infractions auxquelles l’article 25 étendait l’application de la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle satisfaisaient bien ces critères.

 

Il a alors constaté qu’« en prévoyant l’application d’amendes forfaitaires dont le montant n’excède pas huit cents euros aux délits mentionnés aux paragraphes I à IX et XI de l’article 25, qui sont punis au maximum d’une peine d’emprisonnement de deux ans et dont les éléments constitutifs peuvent être aisément constatés, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les principes d’égalité devant la justice et devant la loi pénale » (paragr. 141).

 

* En second lieu, le Conseil constitutionnel a examiné plus particulièrement l’extension de cette procédure aux délits d’entrave à la circulation et d’intrusion dans l’enceinte d’un établissement scolaire, qui méconnaissait, selon les députés requérants, le droit de manifester et la liberté d’expression.

       

Après avoir rappelé les termes de l’article 11 de la Déclaration de 1789 et sa formule de principe relative à la liberté d’expression et de communication (paragr. 142), le Conseil a d’abord décrit les deux délits en question ainsi que les sanctions auxquelles ils pouvaient donner lieu. Il a ainsi constaté que « L’article 431-22 du code pénal punit d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire sans y être habilité ou y avoir été autorisé, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement » et que « L’article L. 412-1 du code de la route sanctionne, quant à lui, de deux ans d’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende, le fait, en vue d’entraver ou de gêner la circulation, de placer ou de tenter de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou d’employer, ou de tenter d’employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle » (paragr. 143).

 

Puis, refusant de suivre le raisonnement des requérants selon lequel l’application de la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle à ces délits conduirait à un durcissement de leur répression, le Conseil a jugé que « l’application de l’amende forfaitaire délictuelle à ces deux délits n’est pas, par elle-même, de nature à mettre en cause la liberté d’expression et le droit d’expression collective des idées et des opinions » (paragr. 144). Il a dès lors écarté ce grief (paragr. 145).

 

* Enfin, il a jugé que les griefs tirés de la méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs, de la présomption d’innocence, des droits de la défense, du droit à un recours juridictionnel effectif, du droit à un procès équitable et du principe d’individualisation des peines étaient dirigés contre les dispositions déjà promulguées des articles 495-17 à 495-25 du CPP instituant le régime juridique de l’amende forfaitaire délictuelle, et non contre les dispositions contestées de l’article 25 de la loi déférée. Il en a conclu que ces griefs, portant sur des dispositions dont il n’était pas saisi, ne pouvaient qu’être écartés (paragr. 146).

 

Le Conseil a toutefois rappelé qu’au demeurant, il avait déjà jugé, dans sa décision du 21 mars 2019 précédemment mentionnée, « pour les motifs énoncés aux paragraphes 248, 249 et 255 à 263 et sous la réserve énoncée au paragraphe 258 de [cette] décision, que le recours à une amende forfaitaire délictuelle pour sanctionner certains délits, l’instauration d’un montant minimum de peine d’amende et les conditions de sa contestation devant le juge, ne méconnaissent pas les principes de séparation des pouvoirs et d’égalité devant la justice » (paragr. 147).

 

Par conséquent, après avoir jugé que les dispositions contestées par les députés requérants ne méconnaissaient pas non plus le droit à la sûreté ni aucune autre exigence constitutionnelle, le Conseil constitutionnel les a déclarées conformes à la Constitution.

 

 

 

 

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1 Le recours à une identité d’emprunt est également prévu aux articles 706-81 à 706-87 du CPP pour les opérations d’infiltration en matière de délinquance et criminalité organisées, ainsi que, par renvoi à ces dispositions, pour les infractions en matière sanitaire et environnementale (article 706-2-2 du CPP).

2 Amendement n° COM-86 du 3 octobre 2022.

3 Amendement n° CL 726 du 28 octobre 2022.

4 Voir, pour l’affirmation de la valeur constitutionnelle du droit à un procès équitable, décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, cons. 11.

5 Décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, paragr. 155 et 156.

6 L’article 15 du CPP prévoit que la police judiciaire comprend : « 1° Les officiers de police judiciaire ; 2° Les agents de police judiciaire et les agents de police judiciaire adjoints ; 3° Les fonctionnaires et agents auxquels sont attribuées par la loi certaines fonctions de police judiciaire ». Le statut et les missions dévolues à chacun de ces acteurs sont déterminés par des dispositions du CPP. Ainsi, les OPJ disposent des pouvoirs de police judiciaire les plus étendus parmi les prérogatives définies par la loi, notamment s’agissant des décisions relatives aux mesures privatives de liberté (articles 16 à 19-1 du CPP). La qualité d’APJ échoit quant à elle à des fonctionnaires des services actifs de la police nationale, titulaires ou stagiaires, et à des militaires de la gendarmerie, n’ayant pas la qualité d’officiers de police judiciaire. Ils sont chargés de seconder, dans l’exercice de leurs fonctions, les officiers de police judiciaire (article 20 du CPP). La qualité d’APJ n’est conditionnée ni à un examen, ni à une habilitation du procureur général. Elle suppose néanmoins que lesdits agents soient affectés à un emploi comportant cet exercice. Enfin, l’article 21 du CPP organise la catégorie des agents de police judiciaire adjoints (APJA), qui comprend notamment les fonctionnaires des services actifs de police nationale ne remplissant pas les conditions prévues pour être APJ, les agents de police municipale, les gardes champêtres ou encore les volontaires réservistes de la gendarmerie nationale ne remplissant pas les conditions prévues pour être APJ. À l’instar des APJ, ils ont pour mission principale de seconder les OPJ mais se voient conférer des attributions moindres par rapport aux APJ.

7 L’article 12 du CPP dispose que « la police judiciaire est exercée, sous la direction du procureur de la République, par les officiers, fonctionnaires et agents désignés au présent titre ». À savoir le titre Ier, intitulé « Des autorités chargées de la conduite de la politique pénale, de l’action publique et de l’instruction » du livre Ier de ce code.

8 Réquisitions afin de procéder à des constatations ou des examens techniques ou scientifiques en flagrance.

9 Réquisitions aux fins d’ouverture des scellés sous lesquels ont été placés des objets qui sont le support de données informatiques en flagrance.

10 Réquisitions afin de procéder à des constatations ou des examens techniques ou scientifiques en enquête préliminaire.

11 Réquisitions aux fins d’ouverture des scellés sous lesquels ont été placés des objets qui sont le support de données informatiques dans le cadre de l’instruction.

12 Réquisitions en flagrance de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des informations intéressant l'enquête.

13 Réquisitions en enquête préliminaire de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des informations intéressant l’enquête.

14 Aux termes du premier alinéa de l’article 63-2 du CPP, « Toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, faire prévenir, par téléphone, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou l’un de ses parents en ligne directe ou l’un de ses frères et sœurs de la mesure dont elle est l’objet. Elle peut en outre faire prévenir son employeur. Lorsque la personne gardée à vue est de nationalité étrangère, elle peut faire contacter les autorités consulaires de son pays ».

15 Examen par un médecin d’une personne gardée à vue.

16 Convocation en justice devant le tribunal correctionnel.

17 Interceptions de correspondance au cours de l’instruction.

18 Enregistrements réalisés par le moyen de techniques spéciales d’enquête dans le cadre de procédures concernant la criminalité et la délinquance organisée.

19 Décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, cons. 59. Voir aussi la décision n° 2014-693 DC du 25 mars 2014, Loi relative à la géolocalisation, cons. 11.

20 Décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, précitée, cons. 59.

21 Ibid., cons. 78.

22 Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, Loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, paragr. 53 et suivants.

23 Décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021, Loi pour une sécurité globale préservant les libertés, paragr. 6 à 12.

24 Dans sa version initiale contenue dans le projet de loi, ces dispositions prévoyaient la généralisation de l’application du mécanisme de l’amende forfaitaire à tous les délits punis d’une peine d’amende ou d’un an d’emprisonnement au plus (soit de l’ordre de 3 400 délits) « en cas de faits simples et établis par le procès-verbal de constatation de l’infraction ». À la lumière notamment des avis rendus par le Conseil d’État sur ce projet (avis nos 404913 du 10 mars 2022 et 405710 du 5 septembre 2022), les deux assemblées ont fait le choix d’une approche différente de celle du Gouvernement, consistant à dresser une liste limitative de délits auxquels pourrait nouvellement s’appliquer l’AFD. Si la commission des lois du Sénat en avait initialement retenu huit sur la proposition de ses rapporteurs, le Sénat en séance publique puis l’Assemblée nationale lors de l’examen de ces dispositions, ont étendu cette liste pour y faire figurer vingt–quatre infractions.

25 Loi n° 2016–1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, article 36.

26 Soit la loi n° 2018-957 du 7 novembre 2018 relative à l’accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure.

27 Décision n° 2005-520 DC du 22 juillet 2005, Loi précisant le déroulement de l’audience d’homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, cons. 1 à 3.

28 Voir par exemple, décision n° 2018-710 QPC du 1er juin 2018, Association Al Badr et autre (Infraction à l’obligation scolaire au sein des établissements privés d’enseignement hors contrat), paragr. 16.

29 Cf., récemment, décision n° 2017-752 DC du 8 septembre 2017, Loi pour la confiance dans la vie politique, paragr. 7.

30 Décision n° 2007-554 DC du 9 août 2007, Loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, cons. 13.

31 Décision n° 2011-162 QPC du 16 septembre 2011, Société LOCAWATT (Minimum de peine applicable en matière d'amende forfaitaire), cons. 4.

32 Ibid., cons. 5.

33 Décision n° 2015-467 QPC du 7 mai 2015, M. Mohamed D. (Réclamation contre l'amende forfaitaire majorée), cons. 6.

34 Ibid., cons. 7.

35 Décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, paragr. 251.

36 Ibid., paragr. 252. À noter que, dans sa décision n° 2014-416 QPC du 26 septembre 2014, Association France Nature Environnement (Transaction pénale sur l’action publique en matière environnementale), le Conseil constitutionnel avait jugé, sur le fondement du seul principe d’égalité devant la loi, que « le pouvoir du procureur de la République de choisir les modalités de mise en œuvre de l’action publique ou les alternatives aux poursuites ne méconnaît pas le principe d’égalité » (cons. 16). Cette décision était toutefois relative à l’engagement de l’action publique, qui obéit au principe de l’opportunité des poursuites.

37 Décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 107.

38 Décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, paragr. 252.

39 Ibid., 256.

40 Ibid., paragr. 258.

41 Ibid., même paragraphe.

42 Ibid., paragr. 260.

43 Ibid., paragr. 261.

44 Ibid, paragr. 262.

45 Ibid, paragr. 263.

46 Pour mémoire, l’avis du Conseil d’État du 10 mars 2022 précité soulignait à cet égard et alors que la rédaction de l’article 14 qui lui était soumise visait un champ beaucoup plus large d’infractions que celui finalement retenu par le législateur, que « Pour les délits entrant dans le champ du projet de loi, le choix de recourir ou non à l’amende forfaitaire reposera sur l’appréciation des agents verbalisateurs. Il en résultera inévitablement, en l’absence d’un encadrement, un risque d’arbitraire et des disparités de traitement contraires au principe d’égalité devant la justice ».