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Commentaire de la décision 2022-1031 QPC

16/03/2023

Conformité - réserve

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 octobre 2022 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1449 du 25 octobre 2022) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. François P. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 56-1 du code de procédure pénale (CPP), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, et de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales (LPF), dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 prise en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

 

Dans sa décision n° 2022–1031 QPC du 19 janvier 2023, le Conseil constitutionnel a, sous une réserve d’interprétation, déclaré conformes à la Constitution les mots « le juge des libertés et de la détention statue sur la contestation » figurant au quatrième alinéa de l’article 56-1 du code de procédure pénale, dans cette rédaction.

 

I. – Les dispositions contestées

 

A. – Présentation des dispositions contestées

 

1. – Les opérations de visite et saisie en matière fiscale (l’article L. 16 B du LPF)

 

L’administration fiscale dispose, depuis 19851, d’un droit de visite domiciliaire et de saisie prévu à l’article L. 16 B du LPF pour la recherche des infractions en matière d’impôts directs (impôt sur le revenu et sur les bénéfices) et de taxes sur le chiffre d’affaires.

 

* En application du paragraphe I de cet article, de telles opérations sont soumises à l’autorisation de l’autorité judiciaire, qui peut être délivrée lorsque celle-ci, saisie par l’administration, « estime qu’il existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d’affaires en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts ».

 

Les agissements susceptibles de justifier l’exercice du droit de visite peuvent aussi bien être constitutifs de manquements passibles de pénalités fiscales, relevant de la compétence du juge administratif, que de délits de fraude fiscale, relevant de la compétence des tribunaux répressifs2.

 

Le paragraphe II de l’article L. 16 B donne compétence au juge des libertés et de la détention (JLD)3 pour autoriser, par ordonnance, ces visites et saisies. Il doit s’agir du JLD du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter4.

 

Il incombe à ce juge de vérifier, de manière concrète, que la demande de l’administration est bien fondée et qu’elle comporte tous les éléments d’information en possession de l’administration de nature à justifier la visite5.

 

L’ordonnance du JLD est soumise à un certain formalisme6 et doit être motivée « par l’indication des éléments de fait et de droit qu’il retient et qui laissent présumer, en l’espèce, l’existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée ».

 

* Le déroulement des opérations de visite et la saisie de documents s’effectuent sous l’autorité et le contrôle du JLD qui les a autorisées.

 

À cette fin, le JLD donne toutes instructions aux agents participant à ces opérations et peut se rendre dans les locaux pendant l’intervention. Un officier de police judiciaire (OPJ), nommé par le chef du service d’inspection, est chargé d’assister à ces opérations et de tenir le magistrat informé de leur déroulement.

 

Seuls l’OPJ, les agents des impôts habilités, l’occupant des lieux ou son représentant peuvent prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisie. Il résulte en outre du dernier alinéa du paragraphe III de l’article L. 16 B que l’OPJ veille au respect du secret professionnel et des droits de la défense, conformément aux dispositions du troisième alinéa de l’article 56 du CPP.

 

Pour le reste, le cadre temporel de la visite et les différents actes susceptibles d’être accomplis durant la visite (recueil de renseignements auprès de l’occupant des lieux ou son représentant, inventaire des pièces et documents saisis, saisie de documents informatiques) sont fixés par les paragraphes III et suivants de l’article L. 16 B.

 

* Un double recours est ouvert à la personne concernée par la visite :

 

– un recours contre l’ordonnance du JLD autorisant la visite domiciliaire, porté devant le premier président de la cour d’appel territorialement compétente7. Cet appel, qui n’est pas suspensif, doit être formé dans un délai de quinze jours courant à compter de la remise, de la réception ou de la signification de l’ordonnance8 (paragraphe II de l’article L. 16 B du LPF) ;

 

– un recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie, également porté devant le premier président de la cour d’appel dans le même délai et sans effet suspensif (quatrième alinéa du paragraphe V de l’article L. 16 B du LPF)9.

 

2. – Le régime spécifique des perquisitions réalisées au sein du cabinet ou du domicile d’un avocat (article 56-1 du CPP)

 

L’article 56-1 du CPP a été introduit par la loi du 30 décembre 198510 pour entourer de garanties particulières la réalisation, dans le cadre d’une procédure pénale, d’une perquisition dans le cabinet ou au domicile d’un avocat.

 

Initialement, ces garanties tenaient à l’accomplissement de ces opérations par un magistrat – et non un OPJ – et à la présence nécessaire du bâtonnier ou de son représentant lors des opérations.

 

* La loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 a ensuite prévu une faculté spéciale, pour le bâtonnier ou son délégué, de s’opposer, lors de la perquisition, à la saisie d’un document qu’il estimerait irrégulière.

 

Dans ce cas, le document litigieux est placé sous scellé11 et la contestation est soumise au JLD, celui-ci disposant de cinq jours pour statuer par une ordonnance motivée.

 

Il a par ailleurs été prévu, à cette fin, que le JLD entend le magistrat qui a procédé à la perquisition et, le cas échéant, le procureur de la République, ainsi que l’avocat au cabinet ou au domicile duquel elle a été effectuée et le bâtonnier ou son délégué.

 

À l’issue de ce débat contradictoire, si le JLD estime qu’il n’y a pas lieu à saisir le document, il ordonne sa restitution immédiate, ainsi que la destruction du procès-verbal des opérations et, le cas échéant, la cancellation de toute référence à ce document ou à son contenu qui figurerait dans le dossier de la procédure.

 

En revanche, dans le cas contraire, il ordonne le versement du scellé et du procès-verbal au dossier de la procédure. Il a néanmoins été expressément rappelé que « cette décision n’exclut pas la possibilité ultérieure pour les parties de demander la nullité de la saisie devant, selon les cas, la juridiction de jugement ou la chambre de l’instruction »12.

 

* La loi n° 2005-1549 du 12 décembre 200513 est venue ajouter, d’une part, que le magistrat autorisant la perquisition dans un cabinet d’avocat doit se prononcer par une décision écrite et motivée, « qui indique la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l’objet de celle-ci ».

 

D’autre part, elle a exclu qu’une saisie puisse concerner des documents relatifs à d’autres infractions que celles mentionnées dans la décision du magistrat et précisé que les dispositions du premier alinéa de l’article 56-1 du CPP sont édictées à peine de nullité.

 

Enfin, elle a précisé que « Le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d’avocat », et prévu une règle de compétence juridictionnelle particulière dans le cas où la perquisition est réalisée dans les locaux de l’ordre des avocats ou des caisses de règlement pécuniaire des avocats (CARPA), ainsi que dans le cabinet ou au domicile du bâtonnier en exercice.

 

* La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 précitée a complété l’article 56-1 du CPP par un dernier alinéa qui prévoit que « Les dispositions du présent article sont également applicables aux perquisitions ou visites domiciliaires effectuées, sur le fondement d’autres codes ou de lois spéciales, dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile ou dans les locaux de l’ordre des avocats ou des caisses de règlement pécuniaire des avocats ».

 

Cette disposition, introduite par voie d’amendement du Gouvernement en commission à l’Assemblée nationale14, a été justifiée par la volonté « d’harmoniser les règles relatives à la perquisition et à la visite domiciliaire au cabinet ou au domicile d’un avocat en prévoyant l’application par principe des règles du code de procédure pénale. Cette solution est préférable à la multiplication des conditions particulières dans les différents codes pouvant donner lieu à une visite domiciliaire, dont il aurait pu résulter des différences et des contradictions dans les rédactions »15.

 

Les règles protectrices prévues par l’article 56-1 du CPP ont ainsi été rendues applicables aux visites et saisies menées, notamment sur le fondement de l’article L. 16 B du LPF, dans le cabinet ou au domicile d’un avocat16.

 

* Dernièrement, la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a entouré l’article 56-1 du CPP de nouvelles garanties en prévoyant notamment, au premier alinéa, que :

                                                            

– la décision d’autoriser une perquisition dans le cabinet ou au domicile d’un avocat ne peut plus émaner du magistrat qui effectue l’opération (à savoir le procureur de la République ou le juge d’instruction selon que cette opération a lieu au cours d’une enquête de police ou d’une information judiciaire), mais d’un magistrat distinct qui doit nécessairement avoir la qualité de JLD17 ;

 

– et que, outre la nature de l’infraction visée, les raisons justifiant la perquisition et l’objet de celle-ci, l’ordonnance du JLD doit désormais motiver « sa proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits ». Dans le cas où la perquisition est justifiée par la mise en cause de l’avocat, elle ne peut par ailleurs être autorisée « que s’il existe des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice, l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe ».

 

Le deuxième alinéa de l’article 56-1 a également été complété afin de prévoir que le magistrat qui effectue la perquisition veille « à ce qu’aucun document relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ne soit saisi et placé sous scellé »18.

 

Enfin, par deux nouveaux alinéas, a été instauré un recours suspensif contre la décision du JLD statuant sur le caractère saisissable des objets ou documents lors de la perquisition. Ce recours peut être exercé devant le président de la chambre de l’instruction par le procureur de la République, l’avocat, le bâtonnier ou son délégué, ou encore par l’administration ou l’autorité administrative compétente, dans un délai de vingt-quatre heures. Le président de la chambre de l’instruction se prononce dans un délai de cinq jours suivant sa saisine, selon la procédure contradictoire prévue au cinquième alinéa de l’article 56-1.

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

Par ordonnance du 17 mai 2022, un JLD du tribunal judiciaire de Marseille avait autorisé, sur demande de l’administration fiscale, deux autres JLD à procéder à des opérations de visite et de saisies nécessitées par la recherche de la preuve d’infractions fiscales dans divers locaux susceptibles d’être occupés par M. François P., exerçant la profession d’avocat, ainsi qu’une autre personne et diverses sociétés.

 

Lors des opérations qui s’étaient déroulées le 18 mai 2022, le délégué du bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Marseille s’était opposé à la saisie de divers documents contenus dans l’ordinateur de M. P. Ces pièces avaient alors été transférées sur clés USB et placées sous scellés fermés.

 

Devant le JLD du tribunal judiciaire de Marseille, saisi de la contestation, M. P. avait soulevé l’irrégularité des opérations de visite et de saisies.

 

Par une ordonnance du 30 mai 2022, le JLD avait rejeté le moyen tiré de l’irrégularité de la saisie et ordonné avant dire droit une expertise informatique des clés USB en vue de rechercher et de saisir tous fichiers et documents en lien direct avec la fraude fiscale présumée. Il avait également fixé au 20 juin 2022 la date du débat contradictoire.

 

Le même jour, M. P. et le bâtonnier avaient interjeté appel de cette ordonnance devant le président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

 

Leurs recours ayant été déclarés irrecevables, ils avaient tous deux formé contre cette décision un pourvoi en cassation, à l’occasion duquel M. P. avait soulevé une QPC relative à l’application combinée de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales et de l’article 56-1 du code de procédure pénale. 

 

Dans son arrêt du 25 octobre 2022 précité, la Cour de cassation avait jugé que cette question présentait un caractère sérieux « en ce que l’application combinée des deux dispositions critiquées aboutit à confier à la même autorité judiciaire, dans le cas d’une visite effectuée à la demande de l’administration fiscale dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile, compétence pour décider d’une saisie de documents ou objets, puis pour statuer sur sa régularité au regard du principe d’insaisissabilité des documents relevant de l’exercice des droits de la défense et couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil. / Or, il ne résulte d’aucune disposition légale l’obligation, pour le juge des libertés et de la détention qui statue sur la saisie, de ne pas être celui qui l’a décidée. / En outre, l’article 56-1, alinéa 5, du code de procédure pénale aboutit, si deux juges des libertés et de la détention se sont succédé, à les mettre en présence lors du débat contradictoire préalable à la décision sur la régularité de la saisie. Une telle situation pourrait être contraire au principe d’impartialité des juridictions ». Elle l’avait donc renvoyée au Conseil constitutionnel.

 

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

A. – Les griefs et la délimitation du champ de la QPC

 

Le requérant soutenait qu’en donnant compétence au juge des libertés et de la détention pour statuer sur la contestation d’une saisie de documents ou d’objets opérée à l’occasion d’une perquisition dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile, les dispositions renvoyées méconnaissaient le principe d’impartialité des juridictions dès lors que la perquisition doit elle-même être autorisée et, dans le cas où elle intervient à la demande de l’administration fiscale, effectuée par un JLD. 

 

Dans la mesure où le grief du requérant se concentrait sur la possibilité pour un JLD de statuer sur la contestation d’une saisie préalablement autorisée et opérée par un ou plusieurs JLD, le Conseil constitutionnel a considéré que la QPC portait uniquement sur les mots « le juge des libertés et de la détention statue sur la contestation » figurant au quatrième alinéa de l’article 56-1 du code de procédure pénale (paragr. 4)19.

 

B. – Les interventions

 

Le Conseil constitutionnel avait été saisi de deux demandes d’interventions. Conformément au deuxième alinéa de l’article 6 de son règlement sur la procédure suivie pour les QPC, les interventions ne sont recevables que si les intéressés justifient d’un intérêt spécial.

 

Il convient à cet égard de rappeler que, lorsque le Conseil constitutionnel restreint le champ de la QPC au regard des griefs du requérant, l’intérêt à agir des personnes ayant demandé à intervenir s’apprécie au regard du champ ainsi restreint. Ainsi, le Conseil a déjà refusé d’admettre des interventions au motif que, après restriction du champ de la QPC, elles ne comportaient aucun grief à l’encontre des dispositions contestées20.

 

En l’espèce, les sociétés Davidson Est et autres ne présentaient que des griefs dirigés contre certaines dispositions de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales. Après avoir relevé qu’elles ne formulaient aucun grief à l’encontre des dispositions contestées, le Conseil constitutionnel a donc refusé d’admettre leur intervention (paragr. 6).

 

L’autre partie intervenante, qui justifiait d’un intérêt spécial, développait quant à elle le même grief que le requérant à l’encontre des dispositions contestées (paragr. 7).

 

C. – La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au principe d’impartialité

 

Le Conseil constitutionnel rattache à la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 le droit à un recours juridictionnel effectif, les droits de la défense, le droit à un procès équitable ainsi que l’indépendance et l’impartialité des juridictions21.

 

Il juge avec constance que les principes d’indépendance et d’impartialité sont « indissociables de l’exercice de fonctions judiciaires »22 ou « juridictionnelles »23.

 

Le principe d’impartialité s’applique aussi bien devant les juridictions administratives que judiciaires.

 

* S’agissant des juridictions administratives, le Conseil constitutionnel a ainsi censuré, dans sa décision n° 2010-110 QPC du 25 mars 2011, comme contraires à ce principe, des dispositions qui prévoyaient que siègent au sein des commissions départementales d’aide sociale – juridictions administratives du premier degré compétentes pour examiner les recours formés contre les décisions du président du conseil général ou du préfet prises en matière d’aide sociale – des membres de l’assemblée délibérante du département ainsi que des fonctionnaires désignés par le préfet. Le Conseil a jugé que n’étaient pas instituées « les garanties d’impartialité faisant obstacle à ce que des fonctionnaires puissent siéger lorsque cette juridiction connaît de questions relevant des services à l’activité desquels ils ont participé » et que méconnaissait également le principe d’impartialité « la participation de membres de l’assemblée délibérante du département lorsque ce dernier est partie à l’instance »24.

 

Dans sa décision n° 2017-624 QPC du 16 mars 2017, le Conseil s’est prononcé sur des dispositions de la loi du 3 avril 1955 qui présentaient la particularité de confier au juge des référés du Conseil d’État le pouvoir d’autoriser la prolongation d’une assignation à résidence au-delà de la durée de douze mois, en lui donnant alors compétence pour apprécier le bien-fondé de cette prolongation. Or, dans le même temps, le législateur avait maintenu la possibilité pour la personne intéressée de contester la légalité d’une telle prolongation devant la juridiction administrative, et donc en dernier ressort devant le Conseil d’État.

 

Le Conseil constitutionnel a censuré cette procédure comme méconnaissant le principe d’impartialité et le droit à exercer un recours juridictionnel effectif.

 

Pour ce faire, il relevé en premier lieu que, « par application des règles de droit commun fixées par le code de justice administrative, la décision de prolongation d’une mesure d’assignation à résidence prise par le ministre de l’intérieur est susceptible d’un recours en excès de pouvoir devant le tribunal administratif ou d’une saisine du juge des référés de ce tribunal. Le jugement ou l’ordonnance rendu par ce tribunal peut ensuite, le cas échéant, faire l’objet d’un recours devant la cour administrative d’appel puis devant le Conseil d’État ou, lorsqu’il s’agit d’une procédure de référé-liberté, d’un appel devant le Conseil d’État ». 

 

Puis en second lieu, il a jugé que la nature du contrôle devant être exercé par le juge du Conseil d’État pour autoriser la prolongation de l’assignation à résidence n’était pas celle d’un juge des référés au sens de la jurisprudence administrative : « lorsqu’il statue sur le fondement des dispositions contestées, le "juge des référés" du Conseil d’État est saisi par l’autorité administrative pour déterminer si "les raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne continue à constituer une menace pour la sécurité et l’ordre publics" sont de nature à justifier l’autorisation de renouveler une mesure d’assignation à résidence. Pour accorder ou refuser l’autorisation sollicitée, ce juge est ainsi conduit à se prononcer sur le bien fondé de la prolongation de la mesure d’assignation à résidence. Compte tenu des critères fixés par le législateur et du contrôle qu’il lui appartient d’exercer sur une mesure de police de cette nature, la décision du juge a une portée équivalente à celle susceptible d’être ultérieurement prise par le juge de l’excès de pouvoir saisi de la légalité de la mesure d’assignation à résidence ». Il a dès lors constaté que « la décision d’autorisation ou de refus d’autorisation que prend le "juge des référés" du Conseil d’État lorsqu’il statue sur le fondement des dispositions contestées ne revêt pas un caractère provisoire ». Le Conseil constitutionnel en a déduit que, « lorsqu’il se prononce sur le fondement de ces dispositions, le "juge des référés" du Conseil d’État statue par une décision qui excède l’office imparti au juge des référés par l’article L. 511-1 du code de justice administrative selon lequel ce juge ne peut décider que des mesures provisoires et n’est pas saisi du principal »25.

 

Le Conseil constitutionnel a donc jugé qu’en attribuant au Conseil d’État statuant au contentieux « la compétence d’autoriser, par une décision définitive et se prononçant sur le fond, une mesure d’assignation à résidence sur la légalité de laquelle il pourrait ultérieurement avoir à se prononcer comme juge en dernier ressort », les dispositions contestées méconnaissaient tant le droit à un recours juridictionnel effectif que le principe d’impartialité26.

 

* S’agissant de l’application du principe d’impartialité devant les juridictions judiciaires, le Conseil a été saisi à plusieurs reprises de la question particulière du cumul des fonctions exercées par le juge des enfants et, plus récemment, de la possibilité pour un même juge d’être amené à contrôler un acte d’investigation qu’il aurait lui-même autorisé.

 

– Dans sa décision n° 2011-147 QPC du 8 juillet 2011, le Conseil s’est prononcé sur la conformité au principe d’impartialité de l’article L. 251-3 du code de l’organisation judiciaire fixant la composition des tribunaux pour enfants, en ce qu’il permettait que cette juridiction soit présidée par le juge des enfants qui a instruit la procédure et renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants. Après avoir considéré que « le principe d’impartialité des juridictions ne s’oppose pas à ce que le juge des enfants qui a instruit la procédure puisse, à l’issue de cette instruction, prononcer des mesures d’assistance, de surveillance ou d’éducation », le Conseil a jugé qu’« en permettant au juge des enfants qui a été chargé d’accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants de présider cette juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines, les dispositions contestées portent au principe d’impartialité des juridictions une atteinte contraire à la Constitution »27. Il donc déclaré ces dispositions contraires à la Constitution.

 

Le Conseil a de nouveau appliqué cette jurisprudence dans sa décision n° 2011–635 DC du 4 août 2011 par laquelle il a censuré, pour les mêmes motifs, des dispositions qui visaient à confier la présidence du tribunal correctionnel des mineurs à un juge des enfants28. Dernièrement, il a également censuré pour ces motifs, dans sa décision n° 2021-893 QPC du 26 mars 2021, les dispositions modifiées de l’article L. 251-3 du code de l’organisation judiciaire qui permettaient à un juge des enfants ayant instruit l’affaire de présider le tribunal pour enfants, quand bien même il était fait interdiction à ce juge d’ordonner lui-même le renvoi du mineur devant cette juridiction29.

 

– Dans un registre très proche de la QPC objet de ce commentaire, le Conseil s’est prononcé, dans sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, sur la conformité au principe d’impartialité des dispositions de l’article 802-2 du CPP introduisant un recours spécifique en annulation à l’encontre d’une décision de perquisition ou de visite domiciliaire.

 

Ces dispositions ouvrent à toute personne ayant fait l’objet d’une perquisition ou d’une visite domiciliaire en application des dispositions du code de procédure pénale et qui n’a pas été poursuivie devant une juridiction d’instruction ou de jugement dans les six mois suivant l’accomplissement de cet acte la possibilité de saisir le JLD d’une demande tendant à son annulation.

 

Après avoir relevé que le JLD est, précisément, le magistrat qui a pu autoriser une perquisition ou une visite domiciliaire, en application des articles 76, 706-89 et 706–90 du CPP, le Conseil a jugé, par une réserve d’interprétation, que « lorsque la décision contestée en application de l’article 802-2 a été ordonnée par un juge des libertés et de la détention, ce juge ne saurait, sans méconnaître le principe d’impartialité, statuer sur la demande tendant à l’annulation de sa décision »30.

 

D. – L’application à l’espèce

 

* Après avoir rappelé la portée de l’article 16 de la Déclaration de 1789, dont il résulte que « Le principe d’impartialité est indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles » (paragr. 8), le Conseil constitutionnel a présenté les dispositions contestées de l’article 56-1 du CPP, qui s’appliquent aux perquisitions menées dans le cabinet ou au domicile d’un avocat, en tenant compte du cadre particulier où la visite et la saisie sont opérées sur le fondement de l’article L. 16 B du LPF.

 

Le Conseil a relevé à cet égard que ce dernier article donne compétence au JLD pour autoriser de telles opérations pour la recherche de pièces et documents se rapportant à des agissements frauduleux en matière d’impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou de taxes sur le chiffre d’affaires, et prévoit que ces opérations s’effectuent alors sous l’autorité et le contrôle de ce magistrat (paragr. 9).

 

Il a ensuite relevé que, lorsque ces opérations de visite et de saisie sont réalisées dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile, il résulte de l’article 56-1 du CPP qu’elles sont effectuées par un JLD en présence du bâtonnier ou de son délégué, lequel peut s’opposer à la saisie d’un document ou d’un objet s’il estime qu’elle est irrégulière (paragr. 10).

 

Les dispositions contestées de cet article prévoyant quant à elles qu’il appartient, le cas échéant, à un JLD de statuer sur cette contestation par ordonnance motivée, se posait donc la question de savoir si cette succession possible d’interventions du JLD, au titre d’une même opération, était de nature à méconnaître le principe d’impartialité.

 

* Cette question n’était pas sans faire écho à celle que le Conseil avait eu à traiter dans la décision n° 2019-778 DC précitée, s’agissant de la possibilité pour un JLD de statuer sur la demande d’annulation d’une perquisition qu’il aurait lui-même autorisée. Au cas présent, elle était toutefois posée dans des termes plus larges puisque le requérant contestait non seulement le fait qu’un même JLD puisse être amené à statuer sur la contestation d’une saisie qu’il aurait lui-même décidée, mais aussi le fait que différents JLD soient susceptibles d’exercer tour à tour ces fonctions.

 

Écartant la critique que le requérant formulait sur ce dernier point, le Conseil a tout d’abord jugé que « Le principe d’impartialité ne s’oppose pas à ce que le juge des libertés et de la détention qui a autorisé une perquisition statue sur la contestation d’une saisie effectuée à cette occasion par un autre juge des libertés et de la détention » (paragr. 11).

 

En revanche, le Conseil constitutionnel a jugé que le principe d’impartialité ne pouvait permettre à un même JLD de statuer sur la régularité d’une saisie qu’il aurait lui-même décidée. Cette hypothèse étant la seule susceptible de méconnaître cette exigence constitutionnelle, le Conseil a, comme dans la décision 2019-778 DC, formulé une réserve d’interprétation destinée à conjurer le risque ainsi identifié en précisant que « les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître ce principe, être interprétées comme permettant qu’un même juge des libertés et de la détention effectue une saisie et statue sur sa contestation » (paragr. 11).

 

Sous cette réserve, le Conseil a jugé que le grief tiré de la méconnaissance du principe d’impartialité des juridictions devait être écarté (paragr. 12).

 

Ainsi, le Conseil constitutionnel s’assure, sur le fondement du principe d’impartialité, que la loi ne permette pas la succession, entre les mains d’un même magistrat, de fonctions incompatibles. En revanche, cette même exigence ne s’oppose pas à ce que ces fonctions puissent être partagées entre différents magistrats, quand bien même ils relèveraient d’une même catégorie. Le cumul de fonctions par un même magistrat, qui peut être prohibé au nom du principe d’impartialité, ne doit ainsi pas être confondu avec le « cumul » d’interventions de magistrats différents, qui peut apparaître au demeurant comme source de garanties supplémentaires pour la personne concernée.

 

Après avoir relevé que les dispositions contestées ne méconnaissaient aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, il les a donc, sous cette même réserve, déclarées conformes à la Constitution (paragr. 13).

 

_______________________________________

1 Loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984 de finances pour 1985.

2 La Cour de cassation juge que l’article L. 16 B du LPF autorise les visites et saisies domiciliaires lorsqu’il existe des présomptions d’agissements relevant de l’article 1741 ou du 1° de l’article 1743 du code général des impôts (Cass. crim., 10 février 1998, n° 95-30.221 ; Bull. crim. n° 68) et ne limite pas son application aux cas les plus graves (en ce sens, Cass. com., 30 mai 2012, n° 11-14.601).

3 Depuis sa création par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes. Magistrat du siège, le JLD est nommé dans ces fonctions parmi les magistrats du premier grade ou hors hiérarchie (article 28-3 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature).

4 Auparavant, l’autorité compétente était le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué par lui.

5 En revanche, le JLD n’a pas à se prononcer sur le bien-fondé de l’impôt (Cass. crim., 15 juin 2005, n° 04-83.999) ou sur l’opportunité de la mesure sollicitée (Cass. com., 12 décembre 1995, n° 93-20.810).

6 L’ordonnance doit comporter l’adresse des lieux à visiter, le nom et la qualité du fonctionnaire habilité qui a sollicité et obtenu l’autorisation de procéder aux opérations de visite, ainsi que l’autorisation de recueillir des renseignements et justifications auprès de l’occupant des lieux et, s’il est présent, du contribuable sur ces soupçons de fraude fiscale. Elle doit également comporter la mention de la faculté pour le contribuable de faire appel à un conseil de son choix.

7 La loi ne limitant pas les titulaires de ce recours, il peut également être formé par l’occupant des lieux visités ou par l’auteur présumé de la fraude fiscale (BOI-CF-COM-20-20, § 290).

8 L’ordonnance du juge d’appel peut à son tour, dans un délai de quinze jours, faire l’objet d’un pourvoi en cassation émanant de toute partie qui y a intérêt (dernier alinéa du paragraphe II de l’article L. 16 B du LPF).

9 La Cour de cassation a considéré que ce recours n’était pas uniquement ouvert aux personnes visées par l’ordonnance du JLD en qualité d’auteurs présumés des agissements dont la recherche de preuve est autorisée et les occupants des lieux, mais plus largement à toute personne à qui la visite est susceptible de faire grief (voir par exemple Cass. com., 6 décembre 2016, n° 15-14-554, s’agissant du recours exercé par la personne destinataire d’une correspondance saisie en vertu de l’article L. 16 B, fût-ce dans les locaux d’un tiers).

10 Loi n° 85-1407 du 30 décembre 1985 portant diverses dispositions de procédure pénale de droit pénal.

11 Ces opérations font l’objet d’un procès-verbal mentionnant les objections du bâtonnier ou de son délégué, qui n’est pas joint au dossier de la procédure. 

12 Ainsi, cela « laisse entier le droit de la partie intéressée de déposer une requête en annulation relative à cette saisie devant la juridiction d’instruction ou de jugement, ultérieurement compétente » (Serge Guinchard et Jacques Buisson, Procédure pénale, LexisNexis, 2021, 14e éd., n° 932).

13 Loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales.

14 Amendement n° CL 992. Cet amendement proposait de remplacer les dispositions adoptées par le Sénat, lesquelles modifiaient le code des douanes afin d’appliquer les règles de l’article 56-1 du code de procédure pénale aux seules perquisitions douanières effectuées chez un avocat, afin de généraliser l’application des règles de l’article 56-1 du CPP à toutes les perquisitions chez un avocat prévues par des lois spéciales.

15 Rapport nos 1396 et 1397 (Assemblée nationale – XVe législature) fait au nom de la commission des lois par Mme Laëticia Avia et M. Didier Paris sur les projets de loi ordinaire et organique de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice et relatif au renforcement de l’organisation des juridictions, présenté le 9 novembre 2018.

16 Auparavant, la Cour de cassation excluait l’application aux visites et saisies opérées en matière fiscale des règles fixées par le code de procédure pénale pour les perquisitions et saisies (Cass. com., 30 octobre 1989, n° 89-10.741, Sté Roga).

17 Cette innovation est le fruit d’un amendement du Gouvernement (amendement CL 655 adopté par la commission des lois de l’Assemblée nationale).

18 Sur ces dispositions, voir la décision n° 2022-1030 QPC du 19 janvier 2023, Ordre des avocats au barreau de Paris et autre (Perquisitions dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile).

19 Précisons à cet égard que la circonstance que la QPC était dirigée contre « l’application combinée » des dispositions des articles 56-1 du CPP et L. 16 B du LPF était sans incidence sur l’office du Conseil constitutionnel, qui refuse traditionnellement de procéder à un contrôle par combinaison de dispositions (voir le commentaire de la décision n° 2019-782 QPC du 17 mai 2019, Mme Élise D. (Déductibilité de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune des dettes du redevable à l’égard de ses héritiers ou de personnes interposées).

20 Voir par exemple les décisions n° 2018-752 QPC du 7 décembre 2018, Fondation Ildys (Exonération de taxe d’habitation en faveur de certains établissements publics), paragr. 6, et n° 2017-623 QPC du 7 avril 2017, Conseil national des barreaux (Secret professionnel et obligation de discrétion du défenseur syndical), paragr. 18.

21  Décision n° 2006-545 DC du 28 décembre 2006, Loi pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social, cons. 24.

22 Décision n° 92-305 DC du 21 février 1992, Loi organique modifiant l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, cons. 64.

23 Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice, cons. 15 ; décision n° 2011-147 QPC du 8 juillet 2011, M. Tarek J. (Composition du tribunal pour enfants), cons. 8.

24 Décision n° 2010-110 QPC du 25 mars 2011, M. Jean-Pierre B. (Composition de la commission départementale d’aide sociale), cons. 5 et 6.

25 Décision n° 2017-624 QPC du 16 mars 2017, M. Sofiyan I. (Assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence II), paragr. 11. 

26 Ibidem, paragr. 12. Le commentaire souligne les limites de la portée de cette décision, eu égard à la singularité des dispositions qui étaient en cause, en précisant qu’« il résulte de sa motivation même que cette décision ne remet pas en cause la possibilité pour le juge des référés d’une juridiction suprême d’intervenir à titre provisoire avant qu’une juridiction de premier ressort ne se prononce sur le fond d’un contentieux. La décision du Conseil constitutionnel se borne à tirer les conséquences de ce que le ʺjuge des référésʺ du Conseil d’État préempte, ex ante et en statuant au-delà de ce qu’est en principe la mission du juge des référés, ce que doit être le contrôle juridictionnel ex post d’une mesure de police. Elle n’a pas d’autre portée que ce qui découle de ce constat ».

27 Décision n° 2011-147 QPC du 8 juillet 2011 précitée, cons. 11.

28 Décision n° 2011-635 DC du 4 août 2011, Loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, cons. 53.

29 Décision n° 2021-893 QPC du 26 mars 2021, M. Brahim N. (Présidence du tribunal pour enfants par un juge des enfants ayant instruit l’affaire), paragr. 8.

30 Décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, paragr. 197 à 200.