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Commentaire de la décision 2022-1023 QPC

18/02/2023

Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 15 septembre 2022 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1219 du 13 septembre 2022) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Mikaël H. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 113-8 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n° 92-683 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions générales du code pénal.

 

Dans sa décision n° 2022-1023 QPC du 18 novembre 2022, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les mots « et 113-7 » figurant à la première phrase de cet article, dans cette rédaction.

 

I. – Les dispositions contestées

 

A. – Présentation des dispositions contestées

 

1. – Le déclenchement de l’action publique par la partie lésée

 

* L’action publique est « l’action exercée au nom de la société pour faire constater par le juge répressif compétent le fait punissable dans des délais raisonnables, établir la culpabilité ou l’innocence de la ou des personnes poursuivies, et obtenir le cas échéant le prononcé de la sanction (peine ou mesure de sûreté) prévue par la loi »1.

 

La mise en mouvement de l’action publique appartient, en principe, au ministère public2, lequel peut, selon les cas et la nature de l’infraction, soit saisir la juridiction de jugement, soit saisir un juge d’instruction.

 

La partie lésée peut également, dans certaines conditions, mettre en mouvement l’action publique3.

 

C’est le cas en matière criminelle et délictuelle, par une plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction4. Une telle plainte n’est toutefois recevable que si la personne concernée justifie que le procureur de la République lui a fait connaître, à la suite d’une plainte simple, qu’il n’engagera pas lui-même des poursuites ou qu’un délai de trois mois s’est écoulé depuis qu’elle a déposé plainte devant ce magistrat.

 

C’est également le cas en matière délictuelle et contraventionnelle, par une citation directe devant le tribunal correctionnel5 ou devant le tribunal de police6. Cette procédure, réservée à certaines infractions, ne peut toutefois être mise en œuvre que lorsqu’il existe des preuves suffisantes et que le tribunal peut juger l’affaire sans délai.

 

Dans l’ensemble de ces hypothèses, l’action publique est mise en mouvement par voie d’action de la personne lésée : lorsqu’elle est saisie par citation directe, la juridiction de jugement est tenue de statuer ; lorsqu’il est saisi d’une plainte avec constitution de partie civile en matière criminelle ou délictuelle, le juge d’instruction doit ouvrir une information et solliciter les réquisitions du ministère public.

 

* La personne lésée peut, le cas échéant, demander également réparation du dommage que l’infraction lui a causé en exerçant une action civile, soit devant les juridictions civiles de droit commun7, soit directement devant les juridictions pénales, concomitamment et accessoirement à l’action publique.

 

Le code de procédure pénale (CPP) distingue ainsi, à côté de l’action publique, une « action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention », exercée devant le juge pénal et qui « appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction » 8.

 

Pour être recevable, l’action doit répondre à certaines conditions : caractère infractionnel des faits reprochés, qualité de victime de la personne lésée (qui doit avoir personnellement souffert d’un préjudice certain et actuel directement causé par l’infraction) et capacité à agir de cette dernière.

 

L’objectif de l’action civile de la victime devant le juge pénal peut être matériel (par une demande de réparation de son préjudice fondée sur la responsabilité civile9) ou moral (par sa participation à l’accusation – c’est la dimension « vindicative » de l’action civile). Dès le début des années 1970, la Cour de cassation a ainsi admis la recevabilité de la constitution de partie civile de la victime, même en l’absence de prétentions civiles, pour « corroborer l’action publique et […] obtenir que soit établie la culpabilité du prévenu »10.

 

L’exercice de l’action civile devant le juge pénal plutôt que devant le juge civil présente certains avantages. La procédure est généralement moins coûteuse pour la victime et peut lui permettre d’obtenir une décision plus rapidement. Elle facilite en outre la recherche et l’obtention de la preuve de l’infraction à l’origine du dommage, auxquelles concourt l’action publique concomitante.

 

* À mesure que lui ont été reconnues des prérogatives dans le procès pénal, la partie civile a vu son action davantage encadrée.

 

Comme le résume la doctrine, « le législateur a cherché un équilibre entre la possibilité, essentielle dans un État de droit, pour chaque citoyen de mettre en mouvement l’action publique lorsqu’il s’estime lésé par le comportement pénalement répréhensible d’un individu, et le risque pour chacun d’être exposé à des poursuites pénales injustifiées »11.

 

Le législateur a ainsi progressivement encadré la faculté offerte à la victime de déclencher l’action publique, notamment pour lutter contre les constitutions de partie civile purement dilatoires ou vexatoires, mais également remédier à l’encombrement des cabinets des juges d’instruction.

 

En particulier, l’admission de la constitution de partie civile a été subordonnée, en principe, au dépôt par la victime d’une consignation12. En outre, comme précédemment rappelé, depuis la loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale13, la victime ne peut, sauf exceptions, saisir le juge d’instruction qu’à titre subsidiaire, après avoir d’abord tenté de susciter l’action du ministère public14. Enfin, en cas de constitution de partie civile fautive, diverses sanctions peuvent être prononcées contre son auteur15.

 

2. – Les conditions encadrant la mise en mouvement de l’action publique en cas de délit commis hors du territoire français

 

a. – L’application de la loi pénale française à certaines infractions commises hors du territoire national

 

* La compétence des juridictions pénales françaises se limite, en principe, aux infractions commises sur le territoire national16. Par exception, toutefois, leur compétence peut être étendue, par la loi, à des infractions commises à l’étranger17.

 

Outre la compétence dite « réelle » des juridictions françaises, qui permet de réprimer des infractions commises à l’étranger portant atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État18, a été instituée une « compétence personnelle », reposant sur la nationalité des auteurs de l’infraction (compétence personnelle active) ou de ses victimes (compétence personnelle passive).

 

Les conditions de l’applicabilité de la loi pénale à des infractions commises hors du territoire français au titre de la compétence personnelle sont définies aux articles 113–6 et 113-7 du code pénal.

 

* Régissant la compétence personnelle active des juridictions pénales françaises, l’article 113-6 du code pénal prévoit que la loi pénale française est applicable à tout crime commis par un Français à l’étranger et aux délits commis par un Français19 à l’étranger si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis. Cette condition de réciprocité, réservée à la matière délictuelle, est toutefois écartée pour certains délits graves, notamment en cas d’infractions sexuelles commises contre des mineurs20, de corruption ou de trafic d’influence, de traite d’êtres humains, de participation à une activité mercenaire ou d’implication dans une opération de clonage humain21.

 

La compétence personnelle active des juridictions françaises doit permettre d’éviter que des Français bénéficient d’une impunité pour des comportements graves commis à l’étranger (compte tenu du refus de la France, en principe, d’extrader ses ressortissants) et qu’ils ne portent ainsi atteinte à l’intérêt moral de l’État français en ne respectant pas les valeurs fondamentales du pays qui les accueille22.

 

* En ce qui concerne la compétence personnelle passive, l’article 113-7 du code pénal précise que la loi pénale française s’applique à tout crime ainsi qu’à tout délit puni d’emprisonnement lorsque la victime est de nationalité française au moment des faits23.

 

La compétence personnelle passive, liée à la nationalité de la victime, peut plus difficilement être rattachée à des considérations relevant de l’ordre public français. La légitimité de cette compétence, qui conduit à la protection par les juridictions pénales françaises d’intérêts privés auxquels il a été porté atteinte à l’étranger, est parfois discutée en doctrine24. Toutefois, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de la justifier au regard du « principe selon lequel l’État français est tenu d’assurer la protection de ses ressortissants »25.

 

Dans les deux cas précités de compétence personnelle des juridictions françaises, les conditions d’applicabilité de la loi pénale française témoignent du double souci d’admettre la compétence des juridictions françaises pour des crimes et délits commis à l’étranger, tout en limitant cette compétence en cas de délits, soit par le biais d’une condition de réciprocité de la répression (dans le cadre de la compétence personnelle active) soit de gravité du délit (dans le cadre de la compétence personnelle passive, puisque seuls sont concernés les délits punis d’emprisonnement).

 

b. – Les conditions particulières d’engagement des poursuites contre certains délits commis à l’étranger

 

L’encadrement de la compétence du juge pénal français pour connaître de faits délictueux commis à l’étranger ressort également des conditions particulières prévues pour l’engagement de poursuites à l’encontre des auteurs de ces faits.

 

L’article 113-8 du code pénal (les dispositions objet de la QPC) prévoit ainsi que, « dans les cas prévus aux articles 113-6 et 113-7 », c’est-à-dire lorsque la loi pénale française est applicable aux infractions commises à l’étranger, « la poursuite des délits ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public ».

 

Ce même article précise que la requête du ministère public doit être précédée d’une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis26.

 

L’article 113-8 du code pénal, qui trouve son origine dans une loi du 27 juin 186627, confère ainsi au ministère public un monopole pour la poursuite des délits commis à l’étranger par des ressortissants français si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis (article 113-6) et pour celle des délits punis d’emprisonnement commis à l’encontre de ressortissants français (article 113-7) 28.

 

Les dispositions de l’article 113-8 du code pénal excluent ainsi que la victime puisse contourner un refus du parquet d’engager des poursuites en mettant en mouvement l’action publique par citation directe ou constitution de partie civile29. Elle ne peut exercer son action civile devant le juge pénal que par la voie de l’intervention, et uniquement quand le ministère public a lui-même décidé de mettre en mouvement l’action publique. À défaut, c’est uniquement devant le juge civil qu’elle conserve la possibilité de former une demande en réparation du dommage résultant du délit commis à l’étranger.

 

Comme l’expose un auteur, « La raison [de l’institution de ce monopole] tient à la volonté de mieux contrôler les poursuites, afin d’en admettre le principe sur des données sûres, permettant de se convaincre de leur opportunité, à la mesure de la gravité des faits. Les crimes échappent naturellement à ces réserves, relevant d’une nature qui ne saurait faire douter de la nécessité de les poursuivre et de les sanctionner »30.

 

* Ce monopole accordé au ministère public pour mettre en mouvement l’action publique pour la répression de certains délits a été contesté devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui a toutefois écarté les critiques qui lui étaient adressées.

 

Dans son arrêt Laudette c/ France du 11 juin 200931, elle a rejeté le grief tiré du défaut d’accès à un tribunal après avoir notamment relevé que l’article 113-8 du code pénal,  « applicable seulement en matière délictuelle, tient compte des difficultés auxquelles se heurtent les enquêteurs pour diligenter des investigations en territoire étranger » et qu’« il ne fait pas de doutes que cette exclusivité de compétence concourt à la bonne administration de la justice dans la mesure où elle vise à éviter que l’action publique ne soit mise en mouvement pour des faits dont l’élucidation ou la poursuite s’avèrent compromis »32.

 

Elle a en outre jugé que « le requérant a bénéficié d’un droit d’accès à un tribunal, dans les limites prévues par l’article 113-8 du code pénal » et estimé « qu’en l’espèce ces limites sont justifiées et n’ont pas restreint l’accès ouvert au requérant de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en est trouvé atteint dans sa substance même »33.

La Cour a également souligné qu’après avoir eu connaissance de l’irrecevabilité opposée à sa plainte avec constitution de partie civile, le requérant avait toujours la possibilité de saisir les juridictions civiles et a conclu que le grief du requérant tiré du défaut d’accès à un tribunal était manifestement mal fondé34.

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

Pour des faits qui se seraient produits en 2017 sur le territoire israélien, M. Mikaël H., ressortissant français, avait déposé plainte avec constitution de partie civile contre personne non dénommée des chefs d’atteinte arbitraire à la liberté individuelle par dépositaire de l’autorité publique et extorsion.

 

Le 6 décembre 2019, sur réquisitions conformes du procureur de la République, le juge d’instruction avait rendu une ordonnance d’incompétence, confirmée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon par un arrêt du 18 janvier 2022.

 

Le requérant avait alors formé un pourvoi en cassation. C’est à l’occasion de cette procédure qu’il avait soulevé une QPC dirigée contre l’article 113-8 du code pénal.

 

Dans son arrêt du 13 septembre 2022 précité, la Cour de cassation avait jugé que cette question « présente un caractère sérieux en ce que le monopole du ministère public pour engager les poursuites est susceptible de priver la victime de son droit au recours juridictionnel effectif dans l’hypothèse où aucun accès au juge civil ne lui serait permis ». Elle l’avait donc renvoyée au Conseil constitutionnel.

 

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

A. – Les griefs et la restriction du champ

 

* Le requérant soutenait que les dispositions renvoyées, en conférant au ministère public un monopole pour poursuivre certains délits commis à l’étranger à l’encontre d’un ressortissant français, privaient la victime de ces infractions de la faculté de mettre en mouvement l’action publique. Il en résultait, selon lui, une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, faute pour la victime de pouvoir obtenir du juge civil la réparation de son préjudice en raison des difficultés à constituer la preuve de faits commis à l’étranger. 

 

Le requérant considérait que ces dispositions méconnaissaient également le principe d’égalité devant la justice, dès lors que la faculté de mettre en mouvement l’action publique était ouverte aux victimes de délits commis sur le territoire français ainsi qu’aux ressortissants français victimes de crimes commis à l’étranger.

 

* Au regard de ces griefs, le Conseil a jugé que la QPC portait sur les mots « et 113–7 » figurant à la première phrase de l’article 113-8 du code pénal (paragr. 3).

 

 

 

 

B. – Examen des griefs

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle

 

a. – La jurisprudence relative au droit à un recours juridictionnel effectif

 

* Le droit à un recours juridictionnel effectif découle de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Le Conseil juge qu’« il résulte de cette disposition qu’en principe il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction »35.

 

Cette exigence constitutionnelle ne fait toutefois pas obstacle à ce que des règles de recevabilité puissent contraindre dans certains cas l’accès au juge.

 

Ainsi, le respect du droit à un recours juridictionnel effectif n’empêche pas l’existence de règles de recevabilité de l’acte introductif d’instance36. Il n’interdit pas non plus de soumettre l’introduction de l’instance à l’acquittement d’une contribution financière37 ou à la consignation préalable du montant des sommes en litige dans certains cas38.

 

En revanche, le droit à un recours juridictionnel effectif exclut qu’une personne soit privée de toute voie de recours contre une décision qui entraîne ou est susceptible d’entraîner des conséquences certaines sur sa situation39.

 

Par ailleurs, lorsqu’une voie de recours existe, le Conseil s’assure également qu’elle présente un caractère effectif, c’est-à-dire que les conditions d’examen de ce recours permettent à la personne d’obtenir que ce dernier soit examiné de manière opérante par le juge40.

 

* Le Conseil constitutionnel a examiné à plusieurs reprises, à l’aune du droit à un recours juridictionnel effectif, des dispositions limitant la possibilité pour la partie lésée de mettre en mouvement l’action publique.

 

– Dès une décision n° 93-327 DC du 19 novembre 1993, examinant l’article de la loi organique sur la Cour de justice de la République définissant notamment des conditions de recevabilité des plaintes relatives à la désignation du membre du Gouvernement mis en cause, il a jugé que « si ce même article exclut toute constitution de partie civile devant la Cour de justice de la République, il garantit la possibilité d’exercer des actions en réparation de dommages susceptibles de résulter de crimes et délits commis par des membres du Gouvernement devant les juridictions de droit commun ; qu’ainsi il préserve pour les intéressés l’exercice de recours, sans méconnaître les dispositions de la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 ; que dès lors il ne contrevient à aucune règle ni aucun principe constitutionnel »41.

 

Revenant sur la portée de ce considérant, le commentaire d’une décision ultérieure précise à cet égard : « Il s’évince de cette décision un raisonnement a fortiori : si le législateur peut instituer une procédure dans laquelle il interdit la constitution de partie civile, il peut également permettre la constitution de partie civile avec certaines limites dès lors que celles-ci ne privent aucunement la partie civile de son droit d’agir devant la juridiction civile »42.

 

– Dans une décision n° 2010-612 DC du 5 août 201043, le Conseil a déclaré conforme à la Constitution l’article 698-11 du CPP, qui réserve au ministère public la possibilité de poursuivre devant les juridictions françaises, sous certaines conditions, toute personne résidant habituellement sur le territoire de la République ayant commis à l’étranger l’un des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI), y compris à l’encontre d’une victime elle-même étrangère.

 

Si la décision ne se prononce pas expressément au regard du droit à un recours juridictionnel effectif, son commentaire précise : « S’agissant de la condition de la double incrimination et du monopole de poursuite du parquet, le Conseil a également estimé qu’ils répondaient à des motifs d’intérêt général tenant à éviter, d’une part, que les juridictions françaises puissent être confrontées à la difficulté d’instruire et de juger des infractions sans lien de rattachement avec la France et, d’autre part, que la compétence des juridictions françaises ne soit instrumentalisée dans des conditions portant gravement atteinte à la conduite des relations internationales. / S’agissant du monopole du parquet pour le déclenchement des poursuites, cette condition était dénoncée comme contraire à la place faite par le droit pénal français à la victime. / Le Conseil constitutionnel n’a pas dégagé de principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à la place de la victime dans le procès pénal. Il a seulement pris acte, récemment, des évolutions législatives en censurant l’article 575 du CPP et l’impossibilité pour la victime de se pourvoir en cassation en l’absence de pourvoi du ministère public. Pour autant, il a déjà jugé conformes à la Constitution des dispositions qui interdisent la constitution de partie civile devant la Cour de justice de la République. / Il existe de nombreuses dispositions en droit français dans lesquelles le ministère public est le seul à pouvoir déclencher des poursuites contre un étranger ayant sa résidence habituelle sur le territoire de la République : tourisme sexuel, clonage reproductif, activité mercenaire…. En outre, pour les infractions commises par un Français hors du territoire de la République, l’article 113-8 du code pénal dispose que "… la poursuite des délits ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public". / Comme l’a souligné le sénateur Patrice Gélard : "Le monopole du ministère public est le principe général pour la poursuite des infractions extra-territoriales, même lorsque celles-ci sont commises par nos nationaux, dans le cas de corruption internationale par exemple" ».

 

– Dans une décision n° 2013-350 QPC du 25 octobre 2013, le Conseil a censuré des dispositions ne permettant aux autorités publiques dotées de la personnalité morale autres que l’État (notamment les collectivités territoriales) d’obtenir la réparation du préjudice causé par une diffamation que lorsque l’action publique a été engagée par le ministère public, en se constituant partie civile à titre incident devant la juridiction pénale. Il en résultait que ces autorités ne pouvaient ainsi « ni engager l’action publique devant les juridictions pénales aux fins de se constituer partie civile ni agir devant les juridictions civiles pour demander la réparation de leur préjudice » 44. Le Conseil a jugé qu’une telle restriction apportée à leur droit d’exercer un recours devant une juridiction méconnaissait les exigences de l’article 16 de la Déclaration de 1789.

 

Le commentaire précise que l’inconstitutionnalité en cause résulte « du cumul de la règle fermant l’action civile de la victime devant la juridiction civile et de celle imposant la mise en œuvre par le parquet de l’action publique devant la juridiction répressive », ce qui, en l’absence d’action du ministère public, « peut avoir pour effet de priver une personne du droit d’obtenir réparation d’une infraction pénale », alors même que le Conseil constitutionnel « n’a relevé aucun motif d’intérêt général susceptible de justifier l’atteinte portée au droit à un recours juridictionnel ».

 

De plus, cette décision est présentée par le commentaire d’une décision ultérieure comme ayant « implicitement mais nécessairement reconnu, dans la lignée de sa jurisprudence antérieure, que le fait de priver la victime du droit de déclencher l’action publique n’était pas en soi contraire à la Constitution. En revanche, la victime ne peut pas dans le même temps être privée du droit de demander réparation devant les juridictions civiles. (…) Pour le Conseil, la partie civile ne peut en principe prétendre aux mêmes prérogatives que le ministère public, s’agissant de l’action publique. C’est le ministère public, partie principale au procès pénal, et représentant de la société, qui est chargé de mettre en œuvre l’action publique. Le législateur peut naturellement reconnaître des droits à la partie civile sur ce point, mais il s’agit d’une faculté pour lui, relevant de choix qu’il lui appartient de faire dans l’exercice de sa compétence, et non d’une exigence constitutionnelle. (… ) Seul le droit de la partie civile de demander réparation de son dommage est protégé par la Constitution »45

 

– Dans une décision n° 2013-363 QPC du 31 janvier 2014, le Conseil a, en matière de jugements correctionnels, validé la limitation du droit d’appel de la partie civile à la défense de ses seuls intérêts civils, sans donc que cet appel s’étende à l’action publique. Il a relevé que « la partie civile a la faculté de relever appel quant à ses intérêts civils ; qu’en ce cas, […] elle est en droit, nonobstant la relaxe du prévenu en première instance, de reprendre, contre lui, devant la juridiction pénale d’appel, sa demande en réparation du dommage que lui ont personnellement causé les faits à l’origine de la poursuite », pour en déduire que « le moyen tiré de la méconnaissance du droit à un recours effectif manque en fait »46.

 

– Dans sa décision n° 2015-461 QPC du 24 avril 2015, le Conseil était saisi, notamment, du premier alinéa de l’article 698-2 du CPP prévoyant que, pour les crimes et délits commis par les militaires en temps de paix sur le territoire national, la partie lésée ne pouvait mettre en mouvement l’action publique que par la voie de la constitution de partie civile devant le juge d’instruction, tandis que la voie de la citation directe lui était fermée.

 

Il a jugé « qu’en adoptant ces dispositions, le législateur a, eu égard aux contraintes inhérentes à l’exercice de leurs missions par les forces armées, entendu limiter, en matière délictuelle, le risque de poursuites pénales abusives exercées par la voie de la citation directe en imposant une phase d’instruction préparatoire destinée, d’une part, à vérifier si les faits constituent une infraction et la suffisance des charges à l’encontre de la personne poursuivie et, d’autre part, à établir les circonstances particulières de la commission des faits ; que la partie lésée conserve la possibilité de mettre en mouvement l’action publique en se constituant partie civile devant le juge d’instruction ou d’exercer l’action civile pour obtenir réparation du dommage que lui ont personnellement causé les faits à l’origine de la poursuite »47.

 

Comme le relève un commentaire ultérieur, « cette motivation, qui répond à la fois au grief fondé sur le droit à un recours juridictionnel effectif et au grief tiré de l’égalité devant la justice, ne signifie pas que la constitution de partie civile par la partie lésée serait, à rebours de la jurisprudence antérieure, devenue une composante du droit au recours. Elle rend seulement compte de ce que cette procédure demeurait, en l’espèce, un des moyens ouverts à la victime pour obtenir réparation du préjudice subi »48.

 

– Dans une décision n° 2019-795 QPC du 5 juillet 2019, le Conseil a validé le monopole confié au ministère public près les juridictions financières pour poursuivre les comptables publics devant les chambres régionales des comptes. Il a considéré, d’une part, que « même si ce régime spécial de responsabilité des comptables publics peut conduire à l’indemnisation des préjudices subis par les collectivités publiques, son objet principal est, dans l’intérêt de l’ordre public financier, de garantir la régularité des comptes publics. Au vu de cet objet, il était loisible au législateur de confier au ministère public près les juridictions financières un monopole des poursuites en la matière » et, d’autre part, que « ce régime spécial de responsabilité n’est pas exclusif de la responsabilité des mêmes comptables attachée à leur qualité d’agent public. Dès lors, les collectivités publiques victimes d’une faute du comptable ont la possibilité, si le ministère public près les juridictions financières n’a pas entendu saisir la chambre régionale des comptes de cette faute et de toutes ses conséquences, d’agir en responsabilité, selon les voies du droit commun, contre l’État ou contre le comptable lui-même »49.

 

– Enfin, dans une décision n° 2019-803 QPC du 27 septembre 201950, le Conseil a validé le monopole du ministère public pour la mise en mouvement de l’action publique en cas d’infraction commise par un militaire lors d’une opération extérieure.

 

Dans cette décision, le Conseil a souligné que « même en l’absence d’engagement de poursuites par le ministère public, les dispositions contestées ne privent pas la partie lésée de la possibilité d’obtenir réparation du dommage que lui ont personnellement causé les faits commis par le militaire devant, selon le cas, le juge administratif ou le juge civil »51. Il a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif.

 

b. – La jurisprudence relative au principe d’égalité devant la justice

 

Le Conseil constitutionnel juge de façon constante, en combinant à la fois l’article 6 de la Déclaration de 1789, qui fonde le principe d’égalité, et son article 16, qui fonde la garantie des droits que, « si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties »52.

 

Ce principe présente donc une double dimension : d’une part, il prohibe les distinctions injustifiées (comme dans le cas du principe d’égalité devant la loi) et, d’autre part, il impose d’assurer des garanties égales aux justiciables.

 

* Ce principe fonde, d’une part, le contrôle par le Conseil constitutionnel du droit des justiciables dans une situation identique à être jugés devant les mêmes formations de jugement ou selon les mêmes garanties de procédure, et à ne pas voir celles-ci varier en fonction de critères qui ne seraient pas objectifs et rationnels.

 

- Le Conseil a ainsi admis qu’une différence de traitement puisse être opérée entre les personnes accusées de crime devant la cour d’assises et les personnes poursuivies pour un délit ou une contravention devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police : « Considérant […] que les personnes accusées de crime devant la cour d’assises sont dans une situation différente de celle des personnes qui sont poursuivies pour un délit ou une contravention devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police ; que, par suite, le législateur a pu, sans méconnaître le principe d’égalité, édicter pour le prononcé des arrêts de la cour d’assises des règles différentes de celles qui s’appliquent devant les autres juridictions pénales »53.

 

- Sur ce fondement, le Conseil a également été amené à examiner des dispositions dont résultaient des différences de traitement quant à la possibilité de mettre en mouvement l’action publique.

 

Par exemple, dans sa décision n° 2010-612 DC précitée sur le monopole de mise en œuvre de l’action publique reconnu au ministère public en cas de crime relevant de la compétence de la CPI commis à l’étranger, le Conseil a jugé « qu’en définissant, dans cet article, les conditions d’exercice de cette compétence, le législateur a fait usage du pouvoir qui est le sien sans porter atteinte au principe d’égalité devant la loi et la justice »54. Le commentaire explicite ce point : « il existe une différence de situation entre les crimes justiciables de la CPI et commis à l’étranger, sans qu’un Français ne soit impliqué, et les mêmes crimes commis en France ou impliquant un Français. Cette différence de situation justifie la différence de traitement instituée par le législateur ».

 

En revanche, s’agissant des restrictions apportées au droit de certaines parties civiles de déclencher l’action publique, le Conseil a censuré, dans une décision n° 2015–492 QPC du 16 octobre 2015, des dispositions réservant aux associations de défense des intérêts moraux et de l’honneur de la Résistance ou des déportés la possibilité d’exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les délits d’apologie de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité : « les dispositions contestées, en excluant du bénéfice de l’exercice des droits reconnus à la partie civile les associations qui se proposent de défendre les intérêts moraux et l’honneur des victimes de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité autres que ceux commis durant la seconde guerre mondiale, méconnaissent le principe d’égalité devant la justice »55.

 

Dans sa décision n° 2019-803 QPC précitée sur le monopole du procureur de la République pour le déclenchement de l’action publique en cas d’infraction commise dans l’accomplissement de sa mission par un militaire engagé dans une opération extérieure au territoire national, le Conseil a relevé que « En adoptant les dispositions contestées, le législateur a, eu égard aux contraintes inhérentes à l’exercice de leurs missions par les forces armées, entendu limiter le risque de poursuites pénales abusives, de nature à déstabiliser l’action militaire de la France à l’étranger. À cette fin, il a confié au procureur de la République un monopole de poursuites circonscrit aux faits commis dans l’accomplissement de sa mission par un militaire engagé dans le cadre d’une opération mobilisant des capacités militaires se déroulant à l’extérieur du territoire français ou des eaux territoriales françaises »

 

Puis, au regard de cet objet, le Conseil a jugé que « Ce faisant, le législateur a tenu compte de la spécificité de ces opérations et n’a pas instauré de discrimination injustifiée entre, d’une part, les victimes d’infractions commises par un militaire dans l’accomplissement de sa mission lors de telles opérations et, d’autre part, les victimes des mêmes infractions commises en France par un militaire ou commises à l’étranger par un civil »56.

 

Enfin, dans le cadre du contrôle des garanties égales accordées aux justiciables, le Conseil a souligné que « les victimes des infractions visées par les dispositions contestées peuvent obtenir réparation du dommage causé par ces infractions » devant le juge civil ou le juge administratif et « peuvent également, dans le cas où l’action publique a été mise en mouvement par le procureur de la République, se constituer partie civile au cours de l’instruction ou à l’audience devant la juridiction de jugement »57. Il a dès lors jugé que sont assurées des garanties égales aux justiciables et a écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la justice.

 

 

* D’autre part, la jurisprudence sur l’égalité devant la justice garantit l’égalité entre les parties à une procédure au titre de l’équilibre des droits des parties.

 

À cet aune, le Conseil constitutionnel admet des différences de traitement entre la partie civile, la personne poursuivie ou mise en examen et le ministère public. Il a alors considéré que ces différentes parties n’étaient pas dans une situation identique.

 

Ainsi, dans sa décision précitée n° 2013-363 QPC, relative à l’appel des jugements correctionnels, le Conseil a affirmé que « la partie civile n’est pas dans une situation identique à celle de la personne poursuivie ou à celle du ministère public ; qu’il en est notamment ainsi, […] s’agissant du ministère public, au regard du pouvoir d’exercer l’action publique », pour en déduire que « l’interdiction faite à la partie civile d’appeler seule d’un jugement correctionnel dans ses dispositions statuant au fond sur l’action publique, ne méconnaît pas le principe d’égalité devant la justice »58.

 

2. – L’application à l’espèce

 

* Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a d’abord examiné le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, dont il résulte qu’il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction (paragr. 4).

 

Le Conseil a constaté que les dispositions contestées avaient pour objet de conférer au ministère public le monopole de la poursuite des délits punis d’emprisonnement commis hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l’infraction, faisant ainsi obstacle à la mise en mouvement de l’action publique par la partie lésée (paragr. 5 et 6).

 

Toutefois, il a constaté que « même en l’absence d’engagement de poursuites par le ministère public, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative ne privent la partie lésée de la possibilité d’obtenir réparation du dommage que lui ont personnellement causé les faits délictueux devant le juge civil ». Il a, dès lors, écarté le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif (paragr. 7 et 8).

 

Ainsi, conformément à sa jurisprudence constante, le Conseil a considéré que le droit à un recours juridictionnel ne protège pas, en soi, la faculté pour la victime de mettre en mouvement l’action publique. En revanche, ne peut lui être fermée toute possibilité d’accéder à une voie de droit permettant d’obtenir la réparation du préjudice résultant de l’infraction. Le Conseil s’est donc s’assuré que les victimes françaises de délits punis d’emprisonnement commis à l’étranger bénéficiaient effectivement d’un tel recours, malgré le monopole du ministère public pour engager les poursuites pénales.

 

La possibilité même de saisir le juge civil n’était d’ailleurs pas contestée par le requérant, qui se bornait à faire état des difficultés que la victime pourrait rencontrer pour établir des faits commis à l’étranger en l’absence d’investigations menées sous l’autorité du ministère public ou d’un juge d’instruction. Toutefois, ces circonstances pratiques étaient sans incidence sur l’existence de la voie de recours. Par ailleurs, l’hypothèse – suggérée par l’arrêt de renvoi – que des conventions internationales pourraient parfois écarter la compétence du juge civil français au profit du juge étranger, ne résultait ni des dispositions contestées ni d’aucune autre disposition législative susceptible d’être prise en compte par le Conseil dans son contrôle.

 

* Le Conseil a ensuite examiné le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la justice, fondé sur les articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789, en vertu duquel, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales (paragr. 9).

 

Alors que le requérant critiquait deux différences de traitement – entre les victimes d’infractions commises à l’étranger, selon le caractère délictuel ou criminel de l’infraction et entre les victimes de délits, selon que le délit a été commis sur le territoire français ou en dehors – il revenait au Conseil de s’assurer, conformément aux critères dégagés par sa jurisprudence, qu’elles étaient justifiées par une différence de situation ou un objectif d’intérêt général et qu’elles ne privaient pas les justiciables de garanties égales.

 

À cette fin, le Conseil a d’abord rappelé l’objectif poursuivi par le législateur en relevant que, « En confiant au procureur de la République le monopole des poursuites à l’égard de certains délits commis à l’étranger, le législateur a entendu, en raison de la difficulté de mener des investigations à l’étranger, laisser à cette autorité le soin d’apprécier l’opportunité de poursuivre des infractions de cette gravité ». Il en a conclu que « Ce faisant, les dispositions contestées n’instaurent de distinction injustifiée ni entre les victimes d’infractions commises à l’étranger selon le caractère délictuel ou criminel de l’infraction, ni entre les victimes de délits selon qu’ils ont été commis sur le territoire français ou à l’étranger » (paragr. 10 et 11).

 

Le Conseil a en outre relevé, en ce qui concerne les garanties assurées au justiciable, que « les victimes françaises de délits commis à l’étranger peuvent obtenir réparation du dommage causé par ces délits devant le juge civil » et qu’« Elles peuvent également, dans le cas où l’action publique a été mise en mouvement par le procureur de la République, se constituer partie civile au cours de l’instruction ou devant la juridiction de jugement ». Il a jugé que « Leur sont ainsi assurées des garanties équivalentes pour la protection de leurs intérêts » (paragr. 12).

 

Ce raisonnement, similaire à celui déjà suivi dans la décision n° 2019-803 QPC du 27 septembre 2019 précitée relative à la mise en mouvement de l’action publique en cas d’infraction commise par un militaire lors d’une opération extérieure, l’a conduit à écarter le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la justice (paragr. 13).

 

Jugeant que les dispositions contestées ne méconnaissaient aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le Conseil les a déclarées conformes à la Constitution (paragr. 14). 

 

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1 François Molins, « Action publique », Rép. Dalloz de droit pénal et de procédure pénale, septembre 2021 (mis à jour en mai 2022), n° 1.

2 « L’action publique pour l’application des peines est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi » (art. 1er, al. 1er, du CPP). À ce titre, le procureur de la République « reçoit les plaintes et dénonciations et apprécie les suites à leur donner » (art. 40 du CPP). Des textes spécifiques donnent en outre à certaines administrations le droit de déclencher l’action publique pour la défense des intérêts dont elles ont la charge.

3 Article 1er, al. 2, du CPP. Le droit de déclencher l’action publique en se constituant partie civile par voie d’action a été conféré à la partie lésée par la Cour de cassation dès son arrêt dit « Laurent Atthalin » du 8 décembre 1906 (Cass. crim., 8 décembre 1906, DP 1907.1.207, rapp. L. Atthalin). La partie lésée peut également se constituer partie civile par voie d’intervention devant le juge d’instruction (article 87 du CPP) ou la juridiction de jugement (article 418 du CPP), lorsque des poursuites ont déjà été engagées par le ministère public.

4 Article 85 du CPP.

5 Articles 392 et 392-1 du CPP.

6 Articles 531 et 533 du CPP ; l’instruction préparatoire en matière de contravention exige des réquisitions spéciales du procureur de la République (article 79 du CPP), ce qui rend irrecevable toute plainte avec constitution de partie civile (Cass. crim., 18 avril 1929, DP, 1930, 1, 40).

7 L’action civile exercée devant le juge civil obéit aux règles de la procédure civile. Si le juge civil statue avant le déclenchement de l’action publique, les deux instances seront indépendantes. En revanche, si l’action publique est déclenchée avant ou au cours de l’instance civile, la chose jugée au criminel a autorité sur le civil (art. 4 du CPP).

8 Article 2, al. 1er, du CPP.

9 Selon le dernier alinéa de l’article 418 du CPP, la demande de dommages-intérêts constitue une simple faculté et non une obligation.

10 Cass. crim., 8 juin 1971, n° 69-92.311, D. 1971, jur. p. 594, note J. Maury. En revanche, sauf exceptions légales, le droit de la partie civile de mettre en mouvement l’action publique est une prérogative de la victime qui a personnellement souffert de l’infraction. Par conséquent, lorsque l’action publique n’a été déclenchée ni par la victime, ni par le ministère public, seule la voie de l’action devant le juge civil est ouverte aux ayants droit pour exercer le droit à réparation reçu en leur qualité d’héritiers (Cass. ass. plén., 9 mai 2008, n° 06-85.751).

11 S. Pradelle, AJ pénal, 2011, observations sous Cass. crim., 6 octobre 2010, n° 09-88.002.

12 L’article 88 du CPP prévoit en effet : « Le juge d’instruction constate, par ordonnance, le dépôt de la plainte. En fonction des ressources de la partie civile, il fixe le montant de la consignation que celle-ci doit, si elle n’a obtenu l’aide juridictionnelle, déposer au greffe et le délai dans lequel elle devra être faite sous peine de non-recevabilité de la plainte. Il peut dispenser de consignation la partie civile ». L’article 88-1 du CPP ajoute que « La consignation fixée en application de l’article 88 garantit le paiement de l’amende civile susceptible d’être prononcée en application de l’article 177-2. La somme consignée est restituée lorsque cette amende n’a pas été prononcée par le juge d’instruction ou, en cas d’appel du parquet ou de la partie civile, par la chambre de l’instruction ».

13 Loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale.

14 Le deuxième alinéa de l’article 85 du CPP prévoit en effet : « Toutefois, la plainte avec constitution de partie civile n’est recevable qu’à condition que la personne justifie soit que le procureur de la République lui a fait connaître, à la suite d’une plainte déposée devant lui ou un service de police judiciaire, qu’il n’engagera pas lui-même des poursuites, soit qu’un délai de trois mois s’est écoulé depuis qu’elle a déposé plainte devant ce magistrat, contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou depuis qu’elle a adressé, selon les mêmes modalités, copie à ce magistrat de sa plainte déposée devant un service de police judiciaire. Cette condition de recevabilité n’est pas requise s’il s’agit d’un crime ou s’il s’agit d’un délit prévu par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ou par les articles L. 86, L. 87, L. 91 à L. 100, L. 102 à L. 104, L. 106 à L. 108 et L. 113 du code électoral ».

15 La constitution de partie civile abusive ou dilatoire peut notamment être sanctionnée par une amende civile dont le montant peut aller jusqu’à 15 000 euros (article 177-2, al. 1er du CPP).

16 Cette compétence résulte du principe de territorialité de la loi pénale française, lui-même lié au respect de la souveraineté des États, que pourrait méconnaître la répression de faits commis à l’étranger.

17 Cette compétence est admise depuis l’époque révolutionnaire et l’Empire. Le code d’instruction criminelle de 1808 prévoyait ainsi des cas d’applicabilité extraterritoriale de la loi pénale française, alors limités à la répression des infractions d’atteintes à la sûreté de l’État, de contrefaçon du sceau de l’État, de fausse monnaie et papiers nationaux ainsi qu’aux crimes commis par des Français contre des Français (art. 5, 6 et 7 du code d’instruction criminelle). Ce code faisait ainsi déjà place à la compétence réelle en prévoyant la répression d’infractions attentatoires aux intérêts de la France et aux compétences personnelles active et passive en s’attachant à la nationalité française de l’auteur et de la victime (Didier Rebut, Droit pénal international, Précis Dalloz, 2019, 3ème éd, paragr. n° 110).

18 L’article 113-10 du code pénal prévoit ainsi que « La loi pénale française s’applique aux crimes et délits qualifiés d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation et réprimés par le titre Ier du livre IV, à la falsification et à la contrefaçon du sceau de l’État, de pièces de monnaie, de billets de banque ou d’effets publics réprimées par les articles 442-1, 442-2, 442-5, 442-15, 443-1 et 444-1 et à tout crime ou délit contre les agents ou les locaux diplomatiques ou consulaires français, commis hors du territoire de la République ».

19 Pour les auteurs d’infractions commises à l’étranger, la condition de nationalité française s’apprécie à la date des poursuites.

20 Article 227-27-1 du code pénal.

21 Article 511-1-1 du code pénal.

22 Jacques Leroy, « L’infraction commise hors du territoire de la République », Procédure pénale, Lextenso, n° 268. Du fait de leur moindre gravité, aucune règle spécifique d’applicabilité de la loi française aux auteurs de contraventions commises à l’étranger n’a été prévue par le législateur. Le troisième alinéa de l’article 113-6 du code pénal permet toutefois la sanction par les juridictions françaises des infractions aux dispositions du règlement (CE) n° 561/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, commises dans un autre État membre de l’Union européenne et constatées en France.

23 La condition de nationalité est ainsi définie de manière plus restrictive qu’en matière de compétence personnelle active puisqu’elle doit être satisfaite à la date de l’infraction, alors que l’auteur d’un délit commis à l’étranger peut être poursuivi en France s’il a acquis la nationalité française postérieurement aux faits.

24 Jacques Leroy, précité, n° 270.

25 Cass. Crim., 12 juin 2018, n° 17-86.640. Elle en a d’ailleurs déduit que cette protection pouvait ne pas être étendue aux victimes par ricochet.

26 Cette condition est toutefois écartée par des dispositions légales spécifiques, pour certaines infractions, par exemple pour les agressions sexuelles contre un mineur (article 222-22 du code pénal) ou pour la corruption et le trafic d’influence (article 435-6-2 du même code).

27 Loi du 27 juin 1866 concernant les crimes, les délits et les contraventions commis à l’étranger.

28 On relèvera que les crimes ne sont pas couverts par ce monopole de déclenchement de l’action publique.

29 La Cour de cassation en a confirmé la portée, rappelant que la poursuite de certains délits commis à l’étranger dont est victime un ressortissant français ne peut être engagée « qu’à la requête du ministère public » (Cass. crim., 8 décembre 2009, 09-82.120).

30 Yves Mayaud, Droit pénal général, PUF, 2013, 4e éd., p. 120, n° 102.

31 CEDH, Laudette c/ France, 11 juin 2009, 19/05.

32 Ibidem, § 32.

33 Ibid., § 33.

34 Ibid., § 34-35.

35 Décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, cons. 83.

36 Voir, en ce sens, s’agissant des exigences procédurales strictes entourant les recours contre les perquisitions fiscales : décision n° 2010-19/27 QPC du 30 juillet 2010, Époux P. et autres (Perquisitions fiscales), cons. 9 ; et, s’agissant des règles de recevabilité pour engager une action contre une entreprise de presse : décision n° 2013-311 QPC du 17 mai 2013, Société Écocert France (Formalités de l’acte introductif d’instance en matière de presse), cons. 5.

37 Décision n° 2011-198 QPC du 25 novembre 2011, M. Albin R. (Droits de plaidoirie), cons. 4, et décision n° 2012-231/234 QPC du 13 avril 2012, M. Stéphane C. et autres (Contribution pour l’aide juridique de 35 euros par instance et droit de 150 euros dû par les parties à l’instance d’appel), cons. 9.

38 Décision n° 2021-833 DC du 28 décembre 2021, Loi de finances pour 2022, paragr. 36 à 43. Cependant, le Conseil constitutionnel s’assure alors que cette contribution ne constitue pas, compte tenu notamment de son montant, une atteinte excessive au droit à un recours juridictionnel effectif : décision n° 2020-855 QPC du 9 septembre 2020, Mme Samiha B. (Condition de paiement préalable pour la contestation des forfaits de post-stationnement), paragr. 9.

39 Voir, par exemple, les décisions n° 2016-543 QPC du 24 mai 2016, Section française de l’observatoire international des prisons (Permis de visite et autorisation de téléphoner durant la détention provisoire), paragr. 14 ; n° 2018-715 QPC du 22 juin 2018, Section française de l’observatoire international des prisons (Correspondance écrite des personnes en détention provisoire), paragr. 6 ; n° 2021-905 QPC du 7 mai 2021, Section française de l’observatoire international des prisons (Procédure d’exécution sur le territoire d’un autre État membre de l’Union européenne d’une peine privative de liberté prononcée par une juridiction française), paragr. 26 et 27.

40 Décision n° 2018-763 QPC du 8 février 2019, Section française de l’Observatoire international des prisons (Rapprochement familial des détenus prévenus attendant leur comparution devant la juridiction de jugement), paragr. 5.

41 Décision n° 93-327 DC du 19 novembre 1993, Loi organique sur la Cour de justice de la République, cons. 12.

42 Commentaire de la décision n° 2010-15/23 QPC du 23 juillet 2010, Région Languedoc-Roussillon et autres (Article 575 du code de procédure pénale).

43 Décision n° 2010-612 DC du 5 août 2010, Loi portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale.

44 Décision n° 2013-350 QPC du 25 octobre 2013, Commune du Pré-Saint-Gervais (Mise en œuvre de l’action publique en cas de diffamation publique envers un corps constitué), cons. 7.

45 Commentaire décision n° 2013-363 QPC du 31 janvier 2014, M. Michel P. (Droit d’appel des jugements correctionnels par la partie civile).

46 Décision n° 2013-363 QPC du 31 janvier 2014 précitée, cons. 8.

47 Décision n° 2015-461 QPC du 24 avril 2015, Mme Christine M., épouse C. (Mise en mouvement de l’action publique en cas d’infraction militaire en temps de paix), cons. 7.

48 Commentaire de la décision n° 2019-803 QPC du 27 septembre 2019, Mme Fabienne V. (Mise en mouvement de l’action publique en cas d’infraction commise par un militaire lors d’une opération extérieure).

49 Décision n° 2019-795 QPC du 5 juillet 2019, Commune de Sainte-Rose et autre (Monopole du ministère public pour l’exercice des poursuites devant les juridictions financières), paragr. 7 et 8.

50 Décision n° 2019-803 QPC du 27 septembre 2019, Mme Fabienne V. (Mise en mouvement de l’action publique en cas d’infraction commise par un militaire lors d’une opération extérieure).

51 Ibid., paragr. 5.

52 Voir, par exemple, la décision n° 2010-81 QPC du 17 décembre 2010, M. Boubakar B. (Détention provisoire : réserve de compétence de la chambre de l’instruction), cons. 4.

53 Décision n° 2011-113/115 QPC du 1er avril 2011, M. Xavier P. et autre (Motivation des arrêts d’assises) cons. 9.

54 Décision n° 2010-612 DC du 5 août 2010 précitée, cons. 14.

55 Décision n° 2015-492 QPC du 16 octobre 2015, Association Communauté rwandaise de France (Associations pouvant exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l’apologie des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité), cons. 7.

56 Décision n° 2019-803 QPC du 27 septembre 2019, précitée, paragr. 8 et 9.

57 Décision n° 2019-803 QPC du 27 septembre 2019 précitée, paragr. 10.

58 Décision n° 2013-363 QPC du 31 janvier 2014 précitée, cons. 8.