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Commentaire de la décision 2022-1000 QPC

09/12/2022

Conformité

Décision n° 2022-1000 QPC du 17 juin 2022

 

M. Ibrahim K.

 

(Réquisition de données informatiques dans le cadre d'une information judiciaire)

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 avril 2022 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 635 du 20 avril 2022) d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Ibrahim K. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 99-3 du code de procédure pénale (CPP), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, ainsi que de l'article 99-4 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

 

Dans sa décision n° 2022-1000 QPC du 17 juin 2022, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les mots « , y compris ceux issus d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives, » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article 99-3 du CPP, dans sa rédaction résultant de la loi du 3 juin 2016 précitée, et les mots « aux réquisitions prévues par le premier alinéa de l'article 60-2 » figurant au premier alinéa de l'article 99-4 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 9 mars 2004 précitée.

I. – Les dispositions contestées

 

A. – Objet des dispositions contestées

 

1. – L'information judiciaire

 

a. – L'ouverture d'une information judiciaire

 

* L'instruction préparatoire1 constitue une phase de la procédure pénale intervenant après la mise en mouvement de l'action publique.

 

Elle a pour objet de rechercher les éléments probatoires permettant de déterminer si les éléments constitutifs d'une infraction sont réunis, d'en identifier les auteurs, de préciser les circonstances de sa commission et de décider s'il existe des charges suffisantes à l'égard des personnes poursuivies pour justifier du renvoi de celles-ci devant une juridiction de jugement. Elle permet ainsi, avant cet éventuel renvoi, une mise en état de l'affaire qui porte tant sur la matérialité des faits que sur la culpabilité de leur auteur et sur sa personnalité2.

 

Cette instruction est prise en charge par un juge spécialisé, le juge d'instruction3, qui bénéficie des garanties d'indépendance associées au statut de magistrat de l'ordre judiciaire mais également, à la différence des magistrats du parquet, de l'inamovibilité prévue à l'article 64 de la Constitution4. Il est ainsi protégé contre toute mobilité d'office, même dans l'intérêt du service5. Il ne peut recevoir aucune instruction sur la conduite de ses affaires en dehors des principes édictés par le CPP6.

 

Afin de préserver l'indépendance et l'impartialité de l'instruction, les fonctions du juge d'instruction sont séparées des fonctions de jugement. Le juge d'instruction ne peut donc, à peine de nullité, participer au jugement des affaires pénales dont il a connu en sa qualité de juge d'instruction7

 

* L'instruction préparatoire est obligatoire en matière de crime et facultative, sauf dispositions spéciales, en matière de délit et de contravention8.

 

Lorsque l'instruction est facultative, elle est laissée à l'appréciation du procureur de la République, sous réserve du droit pour toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit de saisir le juge d'instruction d'une plainte avec constitution de partie civile, qui l'oblige à informer9. Le juge d'instruction, qui ne peut pas s'autosaisir, ne peut ainsi informer qu'après avoir été saisi par un réquisitoire du procureur de la République10 ou après une plainte avec constitution de partie civile11, communiquée au procureur de la République pour que ce magistrat prenne ses réquisitions12.

 

Le procureur de la République prend un réquisitoire contre personne dénommée ou non, mais en toute hypothèse, le juge d'instruction est saisi in rem, d'un ou de plusieurs faits.

 

Une fois saisi, il est tenu d'instruire et ne dispose d'aucune opportunité sur la suite à réserver aux poursuites. L'article 81, alinéa 1er du CPP lui impose d'instruire « à charge et à décharge ». Il doit donc vérifier avec la même intensité les éléments au soutien de l'accusation et ceux au soutien de la défense. De ses investigations découle la confirmation, la modification ou encore l'infirmation de la qualification juridique des faits donnée par le parquet au moment de l'ouverture de l'information judiciaire.

 

Les éléments recueillis doivent permettre de décider de la mise en examen des personnes mises en cause13 et, le cas échéant, de fonder le renvoi de l'affaire vers une juridiction de jugement14. Les éléments à charge et à décharge recueillis sur chacune des personnes mises en examen doivent alors figurer dans l'ordonnance de renvoi15.

 

* En pratique, le juge d'instruction n'est aujourd'hui saisi que d'une part résiduelle des procédures pénales, et cette proportion baisse constamment depuis plusieurs décennies16. La doctrine relève, à cet égard, l'affaiblissement graduel des pouvoirs du juge d'instruction17 et le renforcement parallèle des prérogatives du ministère public, qui dispose désormais « d'un quasi-monopole des poursuites » et « oriente les procédures et conserve dorénavant la maîtrise de la plupart des affaires sauf dans les affaires criminelles et les affaires délictuelles les plus complexes ou les plus sensibles », sous le contrôle du juge des libertés et de la détention18.

 

b. – Les pouvoirs du juge d'instruction et la possibilité d'en déléguer certains par une commission rogatoire

 

* Aux termes de l'article 81, alinéa 1er du CPP, le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes de l'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il bénéficie ainsi d'une plénitude de compétence et d'une grande marge d'action pour diriger l'information.

 

Les outils dont il dispose sont nombreux (auditions, interrogatoires, constatations, vérifications, etc.) et il peut recourir, lorsque sont satisfaites les conditions prévues par le CPP, aux techniques d'investigation les plus intrusives, parmi lesquelles les interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications19, les mesures de géolocalisation20 ou encore les mesures de captation de données informatiques21.

 

C'est le juge d'instruction qui apprécie le moment où son information lui apparaît complète et où le dossier peut être communiqué aux fins de règlement. Toutefois, la durée de l'instruction ne peut excéder un délai raisonnable au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen, de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité et de l'exercice des droits de la défense22.

 

* Le juge d'instruction peut déléguer la réalisation de certains actes d'information.

 

À cette fin, le juge d'instruction peut ainsi requérir par commission rogatoire tout juge de son tribunal, tout juge d'instruction ou tout officier de police judiciaire (OPJ), qui en avise dans ce cas le procureur de la République, de procéder aux actes d'information qu'il estime nécessaires23 dans les lieux où chacun d'eux est territorialement compétent24. En pratique, le recours aux commissions rogatoires est quasiment systématique25 et s'applique principalement aux OPJ.

 

La commission rogatoire indique la nature de l'infraction, objet des poursuites26 et ne peut prescrire que des actes d'instruction se rattachant directement à la répression de cette infraction27. Elle ne saurait ainsi avoir un caractère général.

 

En ce qui concerne les actes sollicités, la commission rogatoire peut avoir un périmètre relativement large, couvrant l'ensemble des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité. Elle peut également avoir un champ plus restreint, ciblant expressément certains actes d'investigation : en effet, dans certaines hypothèses, le juge d'instruction doit délivrer une commission rogatoire spéciale pour autoriser spécifiquement le recours à certains dispositifs techniques. Ainsi en est-il, par exemple, en matière de sonorisations et de fixations d'images de certains lieux ou véhicules28.

 

* La commission rogatoire est datée et signée par le magistrat qui la délivre et revêtue de son sceau29. Le juge d'instruction fixe le délai dans lequel la commission rogatoire doit lui être retournée avec les procès-verbaux dressés pour son exécution par l'OPJ30. À défaut d'une telle fixation, la commission rogatoire et les procès-verbaux doivent lui être transmis dans les huit jours de la fin des opérations exécutées en vertu de celle-ci31.

 

Les magistrats ou OPJ commis exercent, dans les limites de la commission rogatoire, tous les pouvoirs du juge d'instruction32.

 

Ce principe comporte toutefois des limites, puisque le juge d'instruction ne peut déléguer les actes les plus importants comme les interrogatoires, auditions et confrontations des principaux acteurs du dossier. Les OPJ, en particulier, ne peuvent pas procéder aux interrogatoires et confrontations des personnes mises en examen. Ils ne peuvent procéder à l'audition des parties civiles ou du témoin assisté qu'à la demande de ceux-ci33.

 

Le magistrat instructeur conserve, en outre, la direction de l'enquête. Il doit être informé du déroulement des investigations, peut donner des instructions aux enquêteurs et veille au respect des délais d'exécution prévus. S'agissant d'une délégation s'exerçant dans le cadre d'une procédure écrite, l'OPJ est tenu d'établir des procès-verbaux séparés pour chacun des actes qu'il est amené à faire. Chaque procès-verbal doit mentionner le nom et la qualité de l'OPJ qui a opéré personnellement, à l'exclusion de tout autre34. Le juge d'instruction peut également se transporter pour diriger et contrôler l'exécution de la commission rogatoire, dès lors qu'il ne procède pas lui-même à des actes d'instruction35.

 

2. – Les réquisitions aux fins de remise d'informations au cours de l'instruction préparatoire (les dispositions objet de la décision commentée)

 

Au nombre des actes d'investigation auxquels il peut être procédé au cours de l'information judiciaire, les réquisitions ont pour objet de faire réaliser un acte par une personne tierce (réquisition à personne36) ou d'obtenir une information utile à la manifestation de la vérité (réquisition aux fins de remise d'informations).

 

Le régime juridique général des réquisitions aux fins de remise d'informations est issu de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Il a été introduit après que le législateur avait fixé un premier cadre spécifique aux réquisitions informatiques dans la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure37.

 

Parmi les réquisitions aux fins de remise d'informations, on distingue les réquisitions générales aux fins de remise d'informations (a) et les réquisitions informatiques (b), prévues respectivement aux articles 99-3 et 99-4 du CPP dans le cadre d'une information judiciaire38.

 

a. – Le cadre général des réquisitions aux fins de remise d'informations

 

Les réquisitions générales aux fins de remise d'informations ont « pour objet de demander à une personne physique ou morale la remise d'informations intéressant le recueil d'indices dans le cadre d'une enquête ou d'une information, quelles qu'en soient l'origine et la nature. Sous ce regard, on peut souligner qu'une telle réquisition s'analyse davantage en un droit à communication de documents tel que le connaît le droit douanier (…), dès lors qu'elle a pour objet non pas une obligation de faire qui en est la caractéristique mais une obligation de livrer des éléments »39.

 

À cette fin, l'article 99-3 du CPP dans sa rédaction résultant de la loi du 3 juin 2016 précitée (première disposition objet de la décision commentée) prévoit, à son premier alinéa, que « Le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire par lui commis peut, par tout moyen, requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des documents intéressant l'instruction, y compris ceux issus d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives, de lui remettre ces documents, notamment sous forme numérique, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l'obligation au secret professionnel ».

 

Ce même alinéa précise que « Lorsque les réquisitions concernent des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-3 et à l'article 56-5 », c'est-à-dire principalement les professionnels légalement protégés que sont les avocats, journalistes, médecins, notaires et huissiers, « la remise des documents ne peut intervenir qu'avec leur accord ».

 

Le deuxième alinéa de l'article 99-3 du CPP renvoie au deuxième alinéa de l'article 60-1 du même code, relatif aux réquisitions aux fins de remise d'informations dans le cadre de l'enquête de flagrance, dont il résulte qu'en dehors de ces exceptions, le fait de s'abstenir de répondre à la réquisition dans les meilleurs délais et, s'il y a lieu, selon les normes exigées, est puni d'une amende de 3 750 euros40.

 

Est également rendu applicable le troisième alinéa de l'article 60-1 du CPP, qui prévoit qu'à peine de nullité, ne peuvent être versés au dossier de la procédure les éléments obtenus par une réquisition prise en violation du principe du secret des sources des journalistes, énoncé à l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

 

La jurisprudence de la Cour de cassation accorde une certaine souplesse au régime procédural des réquisitions de données dans le cadre de l'instruction. Elle a ainsi jugé que les réquisitions à un opérateur de téléphonie relevant du champ d'application de l'article 99-3 du CPP ne nécessitaient pas que la commission rogatoire, en vertu de laquelle elles ont été délivrées, soit spécialement motivée41.

 

b. – Le cadre spécial des réquisitions informatiques

 

* Les réquisitions informatiques, effectuées « par voie télématique ou informatique » 42 sont prévues par l'article 99-4 du CPP (seconde disposition objet de la décision commentée).

 

Son premier alinéa précise en effet que « Pour les nécessités de l'exécution de la commission rogatoire, l'officier de police judiciaire peut procéder aux réquisitions prévues par le premier alinéa de l'article 60-2 ».

 

Il en résulte que sur commission rogatoire du juge d'instruction, l'OPJ peut requérir auprès des organismes publics ou des personnes morales de droit privé43 toute information utile à la manifestation de la vérité ne relevant pas d'un secret protégé par la loi, contenue dans un système informatique ou un traitement de données nominatives qu'ils administrent.

 

Ces réquisitions informatiques se distinguent des réquisitions générales aux fins de remise d'informations sur plusieurs points : elles sont directement adressées sous forme informatique aux organismes publics ou aux personnes privées44, notamment par le biais de la plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) qui organise la centralisation de leur exécution45.

 

Les informations requises doivent être rendues accessibles dans les meilleurs délais (troisième alinéa de l'article 99-4). Elles sont mises à la disposition de l'OPJ soit dans un fichier spécifique, soit par un accès temporaire et limité à la base de données de l'organisme ou de la personne morale sollicitée46.

 

Le fait de refuser de répondre sans motif légitime à ces réquisitions est puni d'une amende de 3 750 euros (quatrième alinéa de l'article 99-4 du CPP, qui renvoie au quatrième alinéa de l'article 60-2 du même code)47.

 

Ces réquisitions informatiques permettent d'accéder à un grand nombre d'informations48, à l'instar des « fadettes » (factures détaillées) qui contiennent les informations sur les communications d'une ligne téléphonique. Ces dernières permettent notamment de connaître la géolocalisation de la ligne utilisée par la localisation des antennes relais utilisées lors de la communication, les date et heure de la communication, le numéro du correspondant, le type de communication, l'identifiant technique de l'abonné, etc. Ces données contiennent ainsi des informations sur les personnes avec lesquelles la personne concernée par la fadette a communiqué.

 

Elles permettent également de procéder à une géolocalisation en temps différé, c'est-à-dire de requérir les fadettes d'un suspect pour reconstituer a posteriori ses déplacements49.

 

Elles donnent, en outre, accès aux données de connexion qui permettent d'identifier une personne ayant contribué à la création d'un contenu en ligne50, de localiser le terminal de communication ou encore de connaître l'activité en rapport avec ce contenu.

 

* L'article 99-3 du CPP et l'article 60-2 du même code, auquel renvoie l'article 99–4, ont été récemment modifiés par la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire. Les versions dans lesquelles les dispositions ont été renvoyées au Conseil sont toutefois antérieures à ces modifications.

 

Ces modifications ont eu pour objet de renforcer les garanties entourant la réquisition de données de connexion à la suite de la décision n° 2021-952 QPC du 3 décembre 2021 par laquelle le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions des articles 77–1-1 et 77-1-2 du CPP qui, renvoyant pour l'essentiel aux articles 60-1 et 60-2 du CPP, permettaient au procureur de la République d'obtenir la communication de telles données dans le cadre de l'enquête préliminaire.

 

Les modifications opérées ont consisté à introduire, au sein des premiers alinéas des articles 99-3 et 60-2 du CPP, un renvoi à un nouvel article 60-1-2 du même code encadrant désormais les possibilités de recueil de données de connexion en fonction de la gravité et des circonstances de commission de l'infraction recherchée. Cet article prévoit ainsi :

 

« À peine de nullité, les réquisitions portant sur les données techniques permettant d'identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés mentionnées au 3° du II bis de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques ou sur les données de trafic et de localisation mentionnées au III du même article L. 34-1 ne sont possibles, si les nécessités de la procédure l'exigent, que dans les cas suivants :

« 1° La procédure porte sur un crime ou sur un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement ;

« 2° La procédure porte sur un délit puni d'au moins un an d'emprisonnement commis par l'utilisation d'un réseau de communications électroniques et ces réquisitions ont pour seul objet d'identifier l'auteur de l'infraction ;

« 3° Ces réquisitions concernent les équipements terminaux de la victime et interviennent à la demande de celle-ci en cas de délit puni d'une peine d'emprisonnement ;

« 4° Ces réquisitions tendent à retrouver une personne disparue dans le cadre des procédures prévues aux articles 74-1 ou 80-4 du présent code ou sont effectuées dans le cadre de la procédure prévue à l'article 706-106-4 ».

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

* Le 12 mars 2021, M. Ibrahim K. avait été mis en examen par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Meaux des chefs de transport, détention, offre ou cession, emploi et importation de produits stupéfiants sur la période du 14 mai 2019 au 13 décembre 2019.

 

Il avait, le 26 avril 2021, formé une requête en annulation de procédure devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris.

 

C'est à l'occasion de cette procédure qu'il avait présenté une QPC contestant, en particulier, la constitutionnalité des articles 99-3 et 99-4 du CPP au regard du droit au respect de la vie privée. La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris avait alors transmis cette question51 à la Cour de cassation.

 

Dans son arrêt du 20 avril 2022 précité, la Cour de cassation avait jugé que la question était sérieuse52, dans la mesure où ces articles « qui autorisent le juge d'instruction à requérir la communication de données de connexion de nature à permettre de tirer des conclusions précises sur la vie privée de la ou des personnes concernées, quelle que soit la gravité des infractions poursuivies, sont susceptibles de porter une atteinte excessive aux droits et aux libertés protégés par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ». Elle l'avait donc renvoyée au Conseil constitutionnel.

 

II. – L'examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

* S'appuyant sur la décision n° 2021-952 QPC du 3 décembre 2021 précitée par laquelle le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions permettant sur autorisation du procureur de la République à des officiers de police judiciaire d'accéder à des données de connexion dans le cadre de l'enquête préliminaire, le requérant, rejoint par les parties intervenantes, reprochait aux dispositions renvoyées de permettre au juge d'instruction, ou à un OPJ commis par lui, de requérir la communication de données de connexion alors qu'une instruction peut porter sur tout type d'infraction et qu'elle n'est pas justifiée par l'urgence ni limitée dans le temps. Il en résultait, selon lui, une méconnaissance du droit au respect de la vie privée.

 

* Au regard de ce grief, le Conseil constitutionnel a restreint le champ de la QPC aux mots « , y compris ceux issus d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives, » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article 99-3 du CPP et aux mots « aux réquisitions prévues par le premier alinéa de l'article 60-2 » figurant au premier alinéa de l'article 99-4 du même code (paragr. 4).

 

* Le Conseil constitutionnel a admis deux demandes d'intervention : la première présentée par l'association des avocats pénalistes, et la seconde émanant de MM. Tony M. et Quentin C. qui avaient posé une QPC, alors pendante devant la Cour de cassation, similaire à celle dont était saisi le Conseil constitutionnel.

 

Ces intervenants faisaient également valoir que ces dispositions permettaient au juge d'instruction, ou à l'officier de police judiciaire commis par lui, de requérir des données de connexion alors que, selon eux, ce magistrat ne constituait pas une juridiction indépendante. Il en résultait une méconnaissance, d'une part, des exigences du droit de l'Union européenne, et, d'autre part, des droits de la défense ainsi que du droit à un recours juridictionnel effectif. Ils considéraient que, pour les mêmes motifs, le législateur avait, en outre, méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant les droits précités.

 

A. – La jurisprudence constitutionnelle

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle relative aux données de connexion

 

Aux termes de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ». La liberté proclamée par cet article implique le respect de la vie privée53.

 

Le Conseil juge de manière constante qu'il appartient au législateur d'assurer « la conciliation entre le respect de la vie privée et d'autres exigences constitutionnelles, telles que la recherche des auteurs d'infractions et la prévention d'atteintes à l'ordre public »54.

 

La notion de « vie privée » est entendue par le Conseil constitutionnel comme la sphère d'intimité de chacun. Entrent dans cette sphère les données à caractère personnel, qui peuvent être collectées et conservées notamment dans des fichiers informatiques55, et au nombre desquelles figurent les données de connexion.

 

S'agissant de ces dernières, le Conseil constitutionnel a développé une jurisprudence abondante concernant les droits de communication reconnus à certaines administrations ou autorités publiques. Il exerce sur de tels droits un contrôle renforcé depuis qu'il a opéré en 2015 un revirement de jurisprudence.

 

* C'est d'abord dans le domaine des droits de communication reconnus à certaines administrations ou autorités publiques que le Conseil a renforcé son contrôle pour tenir compte de la sensibilité particulière de ces données.

 

– Ainsi, alors qu'il avait préalablement jugé conforme à la Constitution le droit de communication des données de connexion reconnu aux agents de l'Autorité des marchés financiers (AMF), de la Hadopi, de l'administration des douanes et du fisc56, le Conseil a opéré un revirement de jurisprudence dans sa décision n° 2015-715 DC du 5 août 201557, relative à une procédure de communication des données de connexion conçue en faveur de l'Autorité de la concurrence, sur l'exact modèle du dispositif prévu en faveur des agents des douanes et du fisc, ainsi que de l'AMF et la Hadopi.

 

Le Conseil constitutionnel a jugé « que la communication des données de connexion est de nature à porter atteinte au droit au respect de la vie privée de la personne intéressée ; que, si le législateur a réservé à des agents habilités et soumis au respect du secret professionnel le pouvoir d'obtenir ces données et ne leur a pas conféré un pouvoir d'exécution forcée, il n'a assorti la procédure prévue par le 2° de l'article 216 d'aucune autre garantie ; qu'en particulier, le fait que les opérateurs et prestataires ne sont pas tenus de communiquer les données de connexion de leurs clients ne saurait constituer une garantie pour ces derniers ; que, dans ces conditions, le législateur n'a pas assorti la procédure prévue par le 2° de l'article 216 de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part, le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions »58.

 

– Par la suite, le Conseil a confirmé cette évolution en censurant, dans sa décision n° 2017-646/647 QPC du 21 juillet 2017, les dispositions relatives au droit de communication des enquêteurs de l'AMF59 puis, dans sa décision n° 2017-752 DC du 8 septembre 2017, les dispositions de la loi pour la confiance dans la vie politique qui visaient à permettre à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) d'exercer directement le droit de communication de certains documents ou renseignement reconnu par l'article L. 96 G du livre des procédures fiscales60.

 

Dans sa décision n° 2018-764 QPC du 15 février 2019, le Conseil a censuré à l'aune de cette même jurisprudence les dispositions de l'article 65 du code des douanes qui accordaient un droit de communication aux agents des douanes, compte tenu de l'insuffisance des garanties qu'elles prévoyaient dans leur rédaction résultant de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 201661.

 

Comme souligné dans les commentaires de ces décisions, ces censures successives s'inscrivaient dans un mouvement jurisprudentiel plus large (observé à l'époque notamment au niveau européen avec l'arrêt Tele2 Sverige AB rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 21 décembre 2016), ayant élevé les exigences en matière de protection de la vie privée et tiré les conséquences des évolutions techniques : même si les données de connexion n'incluent pas le contenu des conversations ou de la correspondance échangées, elles comportent en effet des informations de plus en plus précises, puisqu'elles permettent la localisation en temps réel de l'utilisateur ou du terminal utilisé. En outre, les capacités de traitement des masses de données ainsi générées ont atteint un niveau permettant de disposer d'un grand nombre d'informations sur les personnes concernées.

 

– La vigilance du Conseil constitutionnel à l'égard des droits de communication portant sur des données de connexion a été de nouveau confirmée dans sa décision n° 2019-789 QPC du 14 juin 2019. À cette occasion, il a considéré que, à la différence des données bancaires, « compte tenu de leur nature et des traitements dont elles peuvent faire l'objet  les données de connexion fournissent sur les personnes en cause des informations nombreuses et précises, particulièrement attentatoires à leur vie privée ». Il a également constaté que ces données ne présentaient « pas de lien direct avec l'évaluation de la situation de l'intéressé au regard du droit à prestation ou de l'obligation de cotisation »62 : si l'accès à ces données pouvait être utile pour certaines enquêtes relatives à des faits de fraude, il ne l'était pas nécessairement dans l'exercice habituel du contrôle du droit à prestation ou de l'obligation de cotisation, contrairement à l'accès aux données bancaires retraçant les revenus sur lesquels se fondent le calcul de ces derniers. Pour ces raisons, le Conseil a donc considéré que le législateur n'avait pas entouré la procédure prévue par les dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et la lutte contre la fraude en matière de protection sociale.

 

– C'est en exposant ce même raisonnement que le Conseil a censuré, dans sa décision n° 2020-841 QPC du 20 mai 2020, les dispositions conférant un droit de communication général à la Hadopi, qui se caractérisait par son champ particulièrement large, incluant « les données de connexion détenues par les opérateurs de communication électronique », alors même que ces données ne présentaient pas nécessairement de lien direct avec le manquement à l'obligation énoncée à l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle63.

 

* La vigilance du Conseil s'est également traduite dans sa jurisprudence relative à la procédure pénale et, en particulier, aux conditions dans lesquelles des enquêteurs peuvent recueillir des données de connexion.

 

Ainsi, dans sa décision n° 2021-952 QPC du 3 décembre 2021 précitée, le Conseil constitutionnel a censuré des dispositions permettant aux enquêteurs, sur autorisation du procureur de la République, d'obtenir la communication de données de connexion dans le cadre d'une enquête préliminaire.

 

Dans le prolongement de ses précédentes décisions, le Conseil a relevé que « les données de connexion comportent notamment les données relatives à l'identification des personnes, à leur localisation et à leurs contacts téléphoniques et numériques ainsi qu'aux services de communication au public en ligne qu'elles consultent ». Complétant la formule qu'il avait introduite dans sa décision n° 2019-789 QPC précitée, il a jugé que « Compte tenu de leur nature, de leur diversité et des traitements dont elles peuvent faire l'objet, les données de connexion fournissent sur les personnes en cause ainsi que, le cas échéant, sur des tiers, des informations nombreuses et précises, particulièrement attentatoires à leur vie privée »64.

 

Le Conseil a ensuite constaté que « la réquisition de ces données est autorisée dans le cadre d'une enquête préliminaire qui peut porter sur tout type d'infraction et qui n'est pas justifiée par l'urgence ni limitée dans le temps »65.

 

Il a dès lors considéré, que « Si ces réquisitions sont soumises à l'autorisation du procureur de la République, magistrat de l'ordre judiciaire auquel il revient … de contrôler la légalité des moyens mis en œuvre par les enquêteurs et la proportionnalité des actes d'investigation au regard de la nature et de la gravité des faits », le législateur n'avait assorti le recours à ces réquisitions de données de connexion d'aucune autre garantie66.

 

* Par la suite, dans sa décision n° 2021-976/977 QPC du 25 février 2022, le Conseil a jugé inconstitutionnelles les dispositions de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques qui permettaient d'imposer aux opérateurs de communications électroniques de conserver les données de connexion enregistrées à l'occasion de communications dont ils assurent la transmission, pendant une durée d'un an, en vue de la mise à disposition de telles données à l'autorité judiciaire.

 

Si le Conseil a relevé qu'en adoptant ces dispositions contestées, le législateur a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions, il a considéré que cet objectif ne permettait pas de justifier la conservation générale et indifférenciée de l'ensemble des données de connexion enregistrées par les opérateurs de communication.

 

Cette position repose d'abord sur la nature particulière des données de connexion et l'étendue des données conservées. Il a en effet souligné que les données de connexion concernées « portent non seulement sur l'identification des utilisateurs des services de communications électroniques, mais aussi sur la localisation de leurs équipements terminaux de communication, les caractéristiques techniques, la date, l'horaire et la durée des communications ainsi que les données d'identification de leurs destinataires » et rappelé à nouveau que « Compte tenu de leur nature, de leur diversité et des traitements dont elles peuvent faire l'objet, ces données fournissent sur ces utilisateurs ainsi que, le cas échéant, sur des tiers, des informations nombreuses et précises, particulièrement attentatoires à leur vie privée »67.

 

Le Conseil a ensuite pris en compte le caractère général et indifférencié de la conservation imposée aux opérateurs de communications électroniques en relevant, d'une part, qu'« une telle conservation s'applique de façon générale à tous les utilisateurs des services de communications électroniques » et, d'autre part, que « l'obligation de conservation porte indifféremment sur toutes les données de connexion relatives à ces personnes, quelle qu'en soit la sensibilité et sans considération de la nature et de la gravité des infractions susceptibles d'être recherchées »68.

 

Dès lors, le Conseil constitutionnel a jugé « qu'en autorisant la conservation générale et indifférenciée des données de connexion, les dispositions contestées portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée »69.

 

* Enfin, dans sa récente décision n° 2022-993 QPC du 20 mai 202270, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions permettant au procureur de la République, aux OPJ et, sous leur contrôle, aux agents de police judiciaire, d'obtenir la communication de données de connexion dans le cadre d'une enquête de flagrance.

 

La motivation de cette décision repose notamment sur le cadre dans lequel pouvaient intervenir ces réquisitions. Le Conseil a relevé, en effet, que les dispositions contestées « ne permettent les réquisitions de données que dans le cadre d'une enquête de police portant sur un crime flagrant ou un délit flagrant puni d'une peine d'emprisonnement », que « la durée de cette enquête est limitée à huit jours » et qu' « Elle ne peut être prolongée, pour une nouvelle durée maximale de huit jours, sur décision du procureur de la République, que si l'enquête porte sur un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement égale ou supérieure à cinq ans et si les investigations ne peuvent être différées »71.

 

Le Conseil s'est également référé à la garantie représentée par la compétence du procureur de la République pour décider ou contrôler les réquisitions de données de connexion en cause. Il a précisé sur ce point que « ces réquisitions ne peuvent intervenir qu'à l'initiative du procureur de la République, d'un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de ce dernier, d'un agent de police judiciaire » et que « Ces officiers et agents étant placés sous la direction du procureur de la République, les réquisitions sont mises en œuvre sous le contrôle d'un magistrat de l'ordre judiciaire auquel il revient, en application de l'article 39-3 du code de procédure pénale, de contrôler la proportionnalité des actes d'investigation au regard de la nature et de la gravité des faits »72.

 

Au regard de ces éléments, il a jugé que le législateur avait assuré une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions.

 

2. – L'exigence de direction et de contrôle de la police judiciaire par l'autorité judiciaire

 

* Sur le fondement de l'article 66 de la Constitution, le Conseil constitutionnel s'assure que la police judiciaire est placée sous la direction et le contrôle de l'autorité judiciaire.

 

Dans sa décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, le Conseil a jugé qu'il résulte de l'article 66 de la Constitution que la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l'autorité judiciaire. La décision relève ensuite « qu'à cette fin, le code de procédure pénale, notamment en ses articles 16 à 19-1, assure le contrôle direct et effectif de l'autorité judiciaire sur les officiers de police judiciaire chargés d'exercer les pouvoirs d'enquête judiciaire et de mettre en œuvre les mesures de contrainte nécessaires à leur réalisation ; que l'article 20 du code de procédure pénale fixe la liste des agents de police judiciaire chargés "de seconder, dans l'exercice de leurs fonctions, les officiers de police judiciaire ; de constater les crimes, délits ou contraventions et d'en dresser procès-verbal ; de recevoir par procès-verbal les déclarations qui leur sont faites par toutes personnes susceptibles de leur fournir des indices, preuves et renseignements sur les auteurs et complices de ces infractions" ; que l'exigence de direction et de contrôle de l'autorité judiciaire sur la police judiciaire ne serait pas respectée si des pouvoirs généraux d'enquête criminelle ou délictuelle étaient confiés à des agents qui, relevant des autorités communales, ne sont pas mis à la disposition des officiers de police judiciaire »73.

 

Le Conseil a récemment réitéré cette exigence lors de l'examen de la loi du 20 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés74.

 

* Dans sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, le Conseil a été amené à se prononcer sur la conformité à cette exigence des pouvoirs de réquisition aux fins de remise d'informations reconnus aux officiers et agents de police judiciaire dans le cadre des enquêtes préliminaire et de flagrance.

 

- En ce qui concerne les enquêtes préliminaires, le Conseil s'est plus précisément prononcé sur des dispositions qui visaient à modifier l'article 77-1-1 du CPP afin de permettre à un OPJ ou à un agent de police judiciaire de requérir, sans autorisation du procureur de la République, auprès de tout organisme public de lui remettre des informations intéressant l'enquête sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l'obligation au secret professionnel.

 

Saisi d'un grief tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée et de la méconnaissance de l'article 66 de la Constitution, le Conseil a censuré ces dispositions au motif que : « Ces réquisitions pouvant porter sur toute information relative à la vie privée et être adressées à toutes personnes sans autorisation du procureur de la République, dans le cadre de l'enquête préliminaire, le législateur a méconnu l'exigence de direction et de contrôle de l'autorité judiciaire sur la police judiciaire résultant de l'article 66 de la Constitution. Le paragraphe VI de l'article 47 est donc contraire à la Constitution » 75.

 

- En ce qui concerne les enquêtes de flagrance, le Conseil était saisi de dispositions étendant aux agents de police judiciaire, sous le contrôle des OPJ, les pouvoirs de réquisition dont ces derniers disposaient déjà et qui sont prévus aux articles 60-1 et 60-2 du CPP.

 

Dans la décision précitée, le Conseil a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution. Relevant qu'elles confèrent la possibilité pour les agents de police judiciaire d'obtenir « la mise à disposition d'informations non protégées par un secret prévu par la loi, contenues dans un système informatique ou un traitement de données nominatives », il a toutefois relevé que ces agents « ne peuvent effectuer ces actes que dans le cadre d'une enquête de flagrance et sous le contrôle d'un officier de police judiciaire »76.

 

Il a dès lors jugé que les mots « ou, sous le contrôle de ce dernier, l'agent de police judiciaire » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article 60-1 du CPP et les mots « ou, sous le contrôle de ce dernier, de l'agent de police judiciaire » figurant au premier alinéa de l'article 60-2 du même code, « ne remettent pas en cause la direction et le contrôle de la police judiciaire par l'autorité judiciaire », et que ces dispositions « ne méconnaissent donc pas l'article 66 de la Constitution » et « ne contreviennent pas non plus au droit au respect de la vie privée, ni à aucune autre exigence constitutionnelle »77.

 

Dans cette même décision, le Conseil avait relevé, examinant les dispositions qui tendaient à allonger le délai initial de l'enquête de flagrance et à étendre la liste des infractions pouvant justifier une prolongation de cette enquête que « lors d'une enquête de flagrance, les officiers et agents de police judiciaire peuvent procéder d'initiative à l'arrestation de l'auteur présumé de l'infraction. L'officier de police judiciaire peut également procéder à des perquisitions et à des saisies sans l'assentiment de l'intéressé et sans autorisation judiciaire, quelle que soit la peine d'emprisonnement encourue. Enfin, l'officier de police judiciaire peut, sans autorisation judiciaire, procéder à de nombreux actes qui, lors d'une enquête préliminaire, nécessiteraient l'accord du procureur de la République. Il en est ainsi, notamment, des opérations de prélèvements externes sur toute personne susceptible de fournir des renseignements ou soupçonnée, de la possibilité de recourir à toute personne qualifiée pour procéder à des constatations ou à des examens techniques ou scientifiques, de la possibilité de requérir toute personne ou tout établissement ou organisme public ou privé aux fins de communication de documents ou d'informations contenues dans un système informatique. / Il résulte de ce qui précède que, compte tenu des pouvoirs attribués aux enquêteurs en flagrance, lesquels ne sont justifiés que par la proximité avec la commission de l'infraction, le législateur n'a, en adoptant les dispositions contestées, pas prévu des garanties légales de nature à assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, le droit au respect de la vie privée et l'inviolabilité du domicile »78.

B. – L'application à l'espèce

 

* Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a d'abord rappelé les termes de l'article 2 de la Déclaration de 1789, qui fonde le droit au respect de la vie privée (paragr. 6). Il a ensuite énoncé la formule de principe selon laquelle il appartient au législateur, en vertu de l'article 34 de la Constitution, de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Il a rappelé qu'à ce titre, « Il lui incombe d'assurer la conciliation entre l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infraction et le droit au respect de la vie privée » (paragr. 7).

 

Après avoir présenté le cadre général des réquisitions aux fins de remise d'informations (paragr. 8) et le cadre spécial des réquisitions informatiques (paragr. 9) applicables à l'instruction préparatoire, le Conseil a constaté que les dispositions contestées autorisent le juge d'instruction ainsi que les OPJ, commis par lui ou agissant dans le cadre d'une commission rogatoire, à se faire communiquer les données de connexion ou à y avoir accès (paragr. 10).

 

Le Conseil a alors souligné, dans le prolongement de ses précédentes décisions relatives aux données de connexion et au droit au respect de la vie privée, que « Les données de connexion comportent notamment les données relatives à l'identification des personnes, à leur localisation et à leurs contacts téléphoniques et numériques ainsi qu'aux services de communication au public en ligne qu'elles consultent. Compte tenu de leur nature, de leur diversité et des traitements dont elles peuvent faire l'objet, les données de connexion fournissent sur les personnes en cause ainsi que, le cas échéant, sur des tiers, des informations nombreuses et précises, particulièrement attentatoires à leur vie privée » (paragr. 11).

 

C'est au regard de la sensibilité particulière des données de connexion que le Conseil devait donc s'assurer que les conditions dans lesquelles elles peuvent être réquisitionnées sur le fondement des dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit au respect de la vie privée.

 

Le Conseil a toutefois constaté, en premier lieu, qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions (paragr. 12).

 

Il a ensuite pris en compte, en second lieu, les garanties résultant de l'autorité compétente pour décider de cette mesure et le cadre dans lequel ces mesures peuvent intervenir. Il a ainsi souligné que « la réquisition de données de connexion intervient à l'initiative du juge d'instruction, magistrat du siège dont l'indépendance est garantie par la Constitution, ou d'un officier de police judiciaire qui y a été autorisé par une commission rogatoire délivrée par ce magistrat » (paragr. 13).

 

D'une part, rappelant les particularités de ce cadre procédural, le Conseil a relevé que les dispositions contestées « ne permettent la réquisition de données de connexion que dans le cadre d'une information judiciaire, dont l'ouverture n'est obligatoire qu'en matière criminelle et pour certains délits », et que « Si une information peut également être ouverte pour les autres infractions, le juge d'instruction ne peut informer, en tout état de cause, qu'en vertu d'un réquisitoire du procureur de la République ou, en matière délictuelle et dans les conditions prévues aux articles 85 et suivants du code de procédure pénale, à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile » (paragr. 14).

 

D'autre part, soulignant les conditions dans lesquelles une commission rogatoire peut, dans ce cadre, être délivrée, le Conseil a rappelé que « dans le cas où la réquisition de données de connexion est mise en œuvre par un officier de police judiciaire en exécution d'une commission rogatoire, cette commission rogatoire, datée et signée par le magistrat, précise la nature de l'infraction, objet des poursuites, et fixe le délai dans lequel elle doit être retournée avec les procès-verbaux dressés pour son exécution par l'officier de police judiciaire ». Il a en outre relevé que ces réquisitions, qui doivent se rattacher directement à la répression de cette infraction, sont mises en œuvre sous la direction et le contrôle du juge d'instruction (paragr. 15).

 

Enfin, le Conseil a constaté que « conformément aux articles 175–2 et 221-1 du code de procédure pénale, la durée de l'information ne doit pas, sous le contrôle de la chambre de l'instruction, excéder un délai raisonnable au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen, de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité et de l'exercice des droits de la défense » (paragr. 16).

 

Si cet état du droit ne se compare pas entièrement au contexte d'urgence caractérisant l'enquête de flagrance, enserrée dans des délais déterminés et brefs (se comptant en jours), le Conseil a ainsi rappelé que la loi impose au juge d'instruction une régularité dans la réalisation des investigations et exclut que l'information s'étende sur une durée arbitraire au regard des nécessités de l'instruction et des conditions d'exercice des droits de la défense. 

 

Au regard de l'ensemble de ces éléments, le Conseil a considéré que les dispositions contestées opéraient une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions et le droit au respect de la vie privée (paragr. 17).

 

Ces dispositions ne méconnaissant pas les droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel les a déclarées conformes à la Constitution (paragr. 18).

 

_______________________________________

1 Ou « information judiciaire », termes utilisés indifféremment par le CPP.

2 Voir, notamment, Christian Guéry, « Instruction préparatoire », et Ludovic Belfanti, « Juge d'instruction », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale.

3 Art. 49 du CPP, qui prévoit que « le juge d'instruction est chargé de procéder aux informations, ainsi qu'il est dit au chapitre Ier du titre III ». En appel, l'instruction est menée par la chambre de l'instruction de la cour d'appel (art. 191 et suiv. du CPP).

4 Aux termes du quatrième alinéa de l'article 64 de la Constitution, « les magistrats du siège sont inamovibles ».

5 L'article 4 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature tire la conséquence du principe d'inamovibilité des magistrats du siège en précisant que « le magistrat du siège ne peut recevoir, sans son consentement, une affectation nouvelle, même en avancement ». L'inamovibilité n'est pas pour autant absolue puisque le juge d'instruction ne peut exercer ses fonctions plus de dix ans dans la même juridiction et reste susceptible d'être évincé au titre de certaines sanctions disciplinaires, dont le prononcé est lui-même entouré de garanties particulières.

6 La chambre de l'instruction peut notamment lui adresser des injonctions décidées lors d'une audience de contrôle : aux termes du 5° du II de l'article 221-3 du CPP, elle peut en effet « Renvoyer le dossier au juge d'instruction afin de poursuivre l'information, en lui prescrivant le cas échéant de procéder à un ou plusieurs actes autres que ceux relatifs à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire, dans un délai qu'elle détermine ».

7 Art. 49, alinéa 2, du CPP. L'article 253 du même code proscrit en outre toute participation en qualité de président ou d'assesseur aux magistrats qui, « dans l'affaire soumise à la cour d'assises, ont, soit fait un acte de poursuite ou d'instruction, soit participé à l'arrêt de mise en accusation ou à une décision sur le fond relative à la culpabilité de l'accusé ». Autrement dit, le juge d'instruction ne peut jamais siéger au sein des juridictions de jugement quel que soit leur degré (tribunal correctionnel, chambre des appels correctionnels, cour d'assises) pour les affaires qu'il a été amené à connaître en cette qualité.

8 Art. 79 du CPP.

9 Art. 85 du CPP.

10 Le réquisitoire introductif est l'acte par lequel le procureur de la République requiert le juge d'instruction d'informer sur un ou plusieurs faits susceptibles de constituer des infractions à la loi pénale ou exceptionnellement en vue de rechercher les causes d'un décès ou d'une disparition demeurées inconnues. Le réquisitoire supplétif est celui par lequel le procureur de la République requiert, au cours de l'information et après avoir reçu communication du dossier, l'extension de cette information à des faits non visés au réquisitoire introductif. Si son instruction l'amène à découvrir des faits nouveaux, le juge ne peut informer sur ces faits que si le parquet décide de délivrer un réquisitoire supplétif, qui peut tout aussi bien classer sans suite ces faits nouveaux ou les poursuivre par voie de citation directe devant la juridiction de jugement, ou encore ouvrir une information judiciaire distincte (Art. 80, alinéa 3, du CPP).

11 Art. 51, alinéa 1er, et article 80, alinéa 1er, du CPP.

12 Art. 80, al. 3, et 86, al. 1er, du CPP.

13 « À peine de nullité , le juge d'instruction ne peut  mettre en examen que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi » (art. 80-1 du CPP).

14 À l'issue de l'information, le juge d'instruction peut soit décider du renvoi de l'affaire devant une juridiction de jugement s'il existe des charges suffisantes contre la personne mise en examen, soit prendre une ordonnance de non–lieu (s'il estime que les faits ne constituent ni un crime, ni un délit, ni une contravention, si l'auteur est resté inconnu, ou s'il n'existe pas de charges suffisantes contre la personne mise en examen. Il déclare alors, par une ordonnance, qu'il n'y a pas lieu à suivre ; art. 177, alinéa 1er, du CPP), soit une ordonnance d'irresponsabilité pénale (art. 122-1 du code pénal).

15 Art. 184 du CPP. Cet article énonce plus précisément : « Les ordonnances rendues par le juge d'instruction en vertu de la présente section contiennent les nom, prénoms, date, lieu de naissance, domicile et profession de la personne mise en examen. Elles indiquent la qualification légale du fait imputé à celle-ci et, de façon précise, les motifs pour lesquels il existe ou non contre elle des charges suffisantes. Cette motivation est prise au regard des réquisitions du ministère public et des observations des parties qui ont été adressées au juge d'instruction en application de l'article 175, en précisant les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen ».

16 Pour l'année 2014 par exemple, sur 597 194 affaires qui ont fait l'objet de poursuites, seules 17 093 affaires ont conduit à la saisine d'un juge d'instruction, soit environ 3 % des affaires. En 2008, ce taux était de 3,5 % (23 409 saisines). Entre 2000 et 2004 le taux était en moyenne de 5,7 % (36 193 saisines) ; entre 1990 et 1994, de 8,1 % (49 981 saisines) ; entre 1980 et 1984, de 7,5 % (64 380 saisines) ; entre 1970 et 1974, de 9,7 % (70 155 saisines) ; voir Ludovic Belfanti, « Juge d'instruction », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale.

17 Il ne peut plus, notamment, décider du placement en détention provisoire d'une personne mise en examen depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

18 Ludovic Belfanti, « Juge d'instruction », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, précité.

19 Si la peine encourue est égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement, le juge d'instruction peut, lorsque les nécessités de l'information l'exigent, prescrire l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications (art. 100 et suiv. du CPP).

20 Cette mesure permet au juge d'instruction de décider de recourir à tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel, sur l'ensemble du territoire national, d'une personne, à l'insu de celle-ci, d'un véhicule ou de tout autre objet, sans le consentement de son propriétaire, dans le cadre d'une instruction portant sur un crime ou sur un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement (art. 230-32 à 230-42 du CPP).

21 Lorsque les nécessités de l'information concernant un crime ou un délit entrant dans le champ d'application des articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale (délinquance et criminalité organisée) l'exigent, le juge d'instruction peut, après avis du procureur de la République, autoriser par ordonnance motivée les officiers et agents de police judiciaire commis sur commission rogatoire à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, d'accéder, en tous lieux, à des données informatiques, de les enregistrer, les conserver et les transmettre, telles qu'elles s'affichent sur un écran pour l'utilisateur d'un système de traitement automatisé de données, telles qu'il les y introduit par saisie de caractères ou telles qu'elles sont reçues et émises par des périphériques audiovisuels (art. 706-102-1 du CPP).

22 Art. 175-2 du CPP. Ainsi, lorsqu'un délai de quatre mois s'est écoulé depuis la date du dernier acte d'instruction nécessaire à la manifestation de la vérité, le président de la chambre de l'instruction peut soit évoquer, soit renvoyer le dossier au juge d'instruction ou à tel autre afin de poursuivre l'information (art. 221-1 du CPP). Il en va de même si, à l'issue d'un délai de deux ans à compter de l'ouverture de l'information, celle-ci n'est pas terminée. Dans cette hypothèse, le juge d'instruction rend une ordonnance motivée, expliquant les raisons de la durée de la procédure, comportant les indications qui justifient la poursuite de l'information et précisant les perspectives de règlement. Cette ordonnance est communiquée au président de la chambre de l'instruction qui peut alors saisir le juge d'instruction (art. 175-2 du CPP).

23 Le quatrième alinéa de l'article 81 du CPP prévoit à cet effet que « Si le juge d'instruction est dans l'impossibilité de procéder lui-même à tous les actes d'instruction, il peut donner commission rogatoire aux officiers de police judiciaire afin de leur faire exécuter tous les actes d'information nécessaires dans les conditions et sous les réserves prévues aux articles 151 et 152 ».

24 Article 151, 1er alinéa, du CPP.

25 Ludovic Belfanti, Juge d'instruction, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, précité.

26 Art. 151, alinéa 2, du CPP.

27 Art. 151, alinéa 3, du CPP.

28 Pour la Cour de cassation, il résulte des articles 706-96 et suivants du CPP que le juge d'instruction qui décide de faire procéder à la mise en place d'un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, fixation, transmission et enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes, à titre privé ou confidentiel, ou de l'image de personnes se trouvant dans un lieu privé, doit, non seulement rendre une ordonnance motivée autorisant ces opérations, mais également délivrer une commission rogatoire spéciale aux officiers de police judiciaire qu'il désigne pour y procéder (Cour de cassation, crim. 13 févr. 2008, no 07–87.458).

29 Art. 151, alinéa 2, du CPP.

30 L'éventuel dépassement du délai imparti par le juge d'instruction, en l'absence de retrait de cette délégation, n'a toutefois pas d'incidence sur la validité des actes accomplis dans le cadre de celle-ci (Cour de cassation, crim. 15 févr. 2006, no 05-87.002).

31 Art. 151, alinéa 4, du CPP.

32 Art. 152, alinéa 1er, du CPP.

33 Art. 152, alinéa 2, du CPP. 

34 Art. D. 10 du CPP.

35 Art. 152, alinéa 3, du CPP.

36 Elles peuvent consister pour l'OPJ à solliciter une personne pour réaliser un acte qui ne suppose pas d'expertise technique (réquisition à professionnel ou à manouvrier), comme le déplacement d'un objet. Les réquisitions à personne peuvent également consister, dans les conditions prévues à l'article 60 du CPP, à solliciter une personne capable de procéder à des constatations ou des examens techniques ou scientifiques spécifiques. Peuvent par exemple être sollicités des agents de la police scientifique et technique pour la recherche et le prélèvement de traces papillaires ou d'éléments biologiques laissés sur les lieux de l'infraction ou un médecin légiste pour la réalisation d'une autopsie judiciaire.

37 Le rapporteur de la loi du 9 mars 2004 pour l'Assemblée nationale, M. Jean-Luc Warsmann, relevait à ce titre : « Il restait, pourtant, à reconnaître aux enquêteurs un pouvoir de réquisition de portée générale, au-delà des spécificités liées aux systèmes informatiques. On peut s'interroger, d'ailleurs, sur la chronologie de la présentation au Parlement de ces différents dispositifs, voire sur leur place dans le code de procédure pénale : le cadre général des réquisitions n'aurait-il pas dû être institué avant que ne soient consacrées des prérogatives propres aux systèmes informatiques ? Quoi qu'il en soit, le présent article met fin à ce paradoxe et parachève le dispositif » (rapport n° 856, tome 1, 2e partie, fait au nom de la commission des lois, du 14 mai 2003).

38 Les conditions dans lesquelles de telles réquisitions peuvent être mises en œuvre sont prévues aux articles 77-1-1 et 77-1-2 du CPP dans le cadre d'une enquête préliminaire et aux articles 60-1 et 60-2 dans le cadre d'une enquête de flagrance.

39 Jacques Buisson, « Crimes et délits flagrants », art. 53 à 73, fasc. 20, Jurisclasseur Procédure pénale, 2021, n° 167.

40 L'article R. 642-1 du code pénal précise, quant à lui, que « Le fait, sans motif légitime, de refuser ou de négliger de répondre soit à une réquisition émanant d'un magistrat ou d'une autorité de police judiciaire agissant dans l'exercice de ses fonctions, soit, en cas d'atteinte à l'ordre public ou de sinistre ou dans toute autre situation présentant un danger pour les personnes, à une réquisition émanant d'une autorité administrative compétente, est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 2e classe ».

41 Cass. crim., 28 févr. 2017, n° 15-83.881.

42 Le sens du mot semble ici synonyme de la télématique et viser l'ensemble des techniques informatiques et de communication qui permettent des échanges d'informations entre équipements informatiques.

43 À l'exception des fondations, associations ou tout autre organisme à but non lucratif et poursuivant une finalité politique, philosophique, religieuse ou syndicale, ainsi que des organismes qui ont mis en œuvre des traitements aux fins d'exercice, à titre professionnel, de l'activité de journaliste, dans le respect des règles déontologiques de cette profession.

44 Ces derniers, définis à l'article R. 15-33-68 du CPP, comprennent les opérateurs de communications électroniques, les établissements financiers, bancaires et de crédit, établissements du Groupement des cartes bancaires, les organismes sociaux mentionnés au code de la sécurité sociale ainsi qu'au code rural et de la pêche maritime, les entreprises d'assurance, les organismes de gestionnaires de logements, les services des administrations publiques gestionnaires de fichiers administratifs, notamment fiscaux et bancaires, les entreprises de transport collectif de voyageurs et les opérateurs de distribution de l'énergie.

45 Art. 230-45, al. 1er, du CPP.

46 Art. R. 15-33-69 du CPP.

47 En outre, le deuxième alinéa de l'article 99-4 du CPP autorise l'OPJ, sur l'autorisation expresse du juge d'instruction, à procéder aux réquisitions prévues à l'alinéa 2 de l'article 60-2, qui permettent de requérir des opérateurs de télécommunications de prendre, sans délai, toutes mesures propres à assurer la préservation, pour une durée ne pouvant excéder un an, du contenu des informations consultées par les personnes utilisatrices des services fournis par les opérateurs.

48 En application de l' article R. 40-46 du CPP, dans la mesure où elles sont nécessaires à l'enquête, peuvent être conservées au sein de la PNIJ les données suivantes : identité (nom, nom marital, nom d'usage, prénoms) de la personne physique émettrice et destinataire de la communication électronique, surnom, alias, date et lieu de naissance, sexe, filiation, situation familiale, nationalité ; dénominations, enseigne commerciale, représentants légaux et dirigeants de la personne morale émettrice ou destinataire de la communication électronique, ainsi que les numéros d'inscription au registre du commerce et des sociétés ; adresse ou toute autre information permettant d'identifier le domicile, le lieu ou l'établissement ; éléments d'identification de la liaison et données relatives aux outils de communications utilisés ; numéro de téléphone (fixe et mobile, personnel et professionnel) ; adresse de courrier électronique ou données relatives aux services demandés ou utilisés ; données relatives au trafic de communications ; données à caractère technique relatives à la localisation de la communication et de l'équipement terminal ; données permettant d'établir la facturation et le paiement. Sont également enregistrées, le cas échéant, les informations relatives aux faits, lieux, dates et qualification pénale des infractions objets de l'enquête. Enfin peuvent être enregistrées, le cas échéant, les informations relatives à la reconnaissance vocale du locuteur.

49 Cass. crim., 2 novembre 2016, n° 16-82.376. Ne trouvent alors pas à s'appliquer les dispositions du CPP relatives à la géolocalisation en temps réel, qui encadrent le recours à cette mesure, notamment en termes de durée (articles 230–32 et suivants du CPP).

50 Paragraphe II de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

51 En revanche, la chambre de l'instruction avait jugé qu'il n'y avait pas lieu à transmettre la question en ce qu'elle était relative à la constitutionnalité des paragraphes II et III de l'article L. 34-1 du code des postes et communications électroniques « dans sa version antérieure au 31 juillet 2021 », dans la mesure où la Cour de cassation était déjà saisie de cette même question.

52 La Cour de cassation avait refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel la question en ce qu'elle portait sur les articles 60-1 et 60-2 du CPP au motif que le Conseil constitutionnel était déjà saisi de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de ces dispositions dans la même rédaction. Cette question a fait l'objet de la décision n° 2022-993 QPC du 20 mai 2022, M. Lotfi H. (Réquisition de données informatiques dans le cadre d'une enquête de flagrance), le requérant dans la présente affaire ayant été admis à présenter des observations en intervention.

53 Décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, Loi portant création d'une couverture maladie universelle, cons. 45.

54 Voir par exemple les décisions n° 2011-209 QPC du 17 janvier 2012, M. Jean-Claude G. (Procédure de dessaisissement d'armes), cons. 3, et n° 2021-817 DC du 20 mai 2021, Loi pour une sécurité globale préservant les libertés, not. paragr. 88, 114, 135 et 148.

55 Depuis sa décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012, le Conseil constitutionnel juge de manière constante, en ce qui concerne la mise en œuvre de traitements de données à caractère personnel, « que la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif » (décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012, Loi relative à la protection de l'identité, cons. 8).

56 Décision n° 2001-457 DC du 27 décembre 2001, Loi de finances rectificative pour 2001, cons. 6 à 9.

57 Décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015, Loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

58 Ibid., cons. 137.

59 Décision n° 2017-646/647 QPC du 21 juillet 2017, M. Alexis K. et autre (Droit de communication aux enquêteurs de l'AMF des données de connexion), paragr. 9 : après avoir rappelé que « la communication des données de connexion est de nature à porter atteinte au droit au respect de la vie privée de la personne intéressée », le Conseil a censuré la seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 621–10 du code monétaire et financier, considérant que « si le législateur a réservé à des agents habilités et soumis au respect du secret professionnel le pouvoir d'obtenir ces données dans le cadre d'une enquête et ne leur a pas conféré un pouvoir d'exécution forcée, il n'a assorti la procédure prévue par les dispositions en cause d'aucune autre garantie. Dans ces conditions, le législateur n'a pas entouré la procédure prévue par les dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part, le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions ».

60 Décision n° 2017-752 DC du 8 septembre 2017, Loi pour la confiance dans la vie politique, paragr. 83.

61 Décision n° 2018-764 QPC du 15 février 2019, M. Paulo M. (Droit de communication aux agents des douanes des données de connexion), paragr. 8.

62 Décision n° 2019-789 QPC du 14 juin 2019, Mme Hanen S. (Droit de communication des organismes de sécurité sociale), paragr. 15.

63 Décision n° 2020-841 QPC du 20 mai 2020, La Quadrature du Net et autres (Droit de communication à la Hadopi), paragr. 17.

64 Décision n° 2021-952 QPC du 3 décembre 2021, précitée, paragr. 11.

65 Ibid., paragr. 12.

66 Ibid., paragr. 13.

67 Décision n° 2021-976/977 QPC du 25 février 2022, M. Habib A. et autre (Conservation des données à caractère personnel pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales), paragr. 11.

68 Ibid., paragr. 12.

69 Ibid., paragr. 13.

70 Décision n° 2022-993 QPC du 20 mai 2022 précitée.

71 Ibid., paragr. 12.

72 Ibid., paragr. 13.

73 Décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, cons. 59.

74 Décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021, précitée, paragr. 6.

75 Décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, paragr. 175.

76 Ibid., paragr. 172.

77 Ibid., paragr. 173.

78 Ibid., paragr. 190 et 191.