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Commentaire de la décision 2021-984 QPC

09/12/2022

Conformité

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 décembre 2021 par le Conseil d'État (décision n° 457203 du 29 décembre 2021) d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la société Eurelec trading relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe VII de l'article L. 470-2 du code de commerce.

 

Dans sa décision n° 2021-984 QPC du 25 mars 2022, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution ces dispositions, dans leur rédaction résultant de l'ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles.

 

M. François PILLET a estimé devoir se déporter sur cette affaire.

 

I. – Les dispositions contestées

A. – Objet et évolution des dispositions contestées

 

1. – Les règles relatives à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et autre pratiques commerciales prohibées

 

* Le titre IV du livre IV du code de commerce, dans sa version en vigueur à la date de l'ordonnance précitée du 9 mars 20171, est consacré à la transparence dans les relations commerciales (chapitre I), aux pratiques restrictives de concurrence (chapitre II) et à d'autres pratiques prohibées (chapitre III)2.

 

Il prévoit notamment, au titre des pratiques relevant du premier chapitre, un certain nombre de règles encadrant les conditions générales de vente (condition de règlement, de détermination du prix, etc.), la facturation, les délais de paiement et les pénalités logistiques.

 

Il prévoit également, dans ce même chapitre, des règles relatives à la négociation et à la formalisation des contrats de distribution. Ces règles, qui visent à lutter contre un « abus de puissance d'achat »3 de la part des entreprises de la grande distribution, permettent d'éviter des remises en cause tardives des négociations et de protéger ainsi l'équilibre des négociations entre fournisseurs et distributeurs.

 

Dans ce cadre, il est prévu que les négociations entre fournisseurs et distributeurs doivent faire l'objet d'un contrat écrit qui doit comporter des mentions obligatoires assurant la transparence de la relation commerciale et sa prévisibilité pour les parties. Le paragraphe I de l'article L. 441-7 du code de commerce précise à cet égard qu'une convention écrite conclue entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services indique notamment les obligations auxquelles se sont engagées les parties et le barème de prix tel qu'il a été préalablement communiqué par le fournisseur. Cette convention comporte différentes indications sur les conditions de l'opération de vente, les conditions dans lesquelles le distributeur ou le prestataire de services rend au fournisseur, à l'occasion de la revente de ses produits ou services aux consommateurs ou en vue de leur revente aux professionnels, tout service propre à favoriser leur commercialisation, ainsi que les autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services.

 

La convention est conclue pour une durée d'un an, de deux ans ou de trois ans, au plus tard le 1er mars de l'année pendant laquelle elle prend effet ou dans les deux mois suivant le point de départ de la période de commercialisation des produits ou des services soumis à un cycle de commercialisation particulier.

 

* Les manquements aux différentes règles précitées sont susceptibles d'être sanctionnés. À cet égard, la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation a substitué un régime d'amende administrative aux sanctions civiles et pénales qui étaient auparavant prévues par le code de commerce4.

 

Ainsi, par exemple, les manquements aux règles relatives aux règles de facturation sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 euros5.

 

De même, le paragraphe II de l'article L. 441-7 du code de commerce, dans sa version résultant de l'ordonnance précitée du 9 mars 2017, prévoit que « Le fait de ne pas pouvoir justifier avoir conclu dans les délais prévus une convention satisfaisant aux exigences du I est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale. L'amende est prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 470-2. Le maximum de l'amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive »6.

 

2. – Les règles relatives à l'exécution des sanctions en cas de pluralité de manquements

 

* Initialement, la loi du 17 mars 2014 avait prévu, au paragraphe VII de l'article L. 465-2 du code de commerce, une règle de plafonnement des sanctions administratives prononcées à l'encontre d'une personne à l'occasion d'une même procédure ou de procédures séparées, lorsqu'elles visent à réprimer des manquements distincts : « Lorsque, à l'occasion d'une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives ont été prononcées à l'encontre d'un même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s'exécutent cumulativement, dans la limite du maximum légal le plus élevé ».

 

La rédaction de ces dispositions était directement inspirée de l'article 132-4 du code pénal édictant une règle comparable de non-cumul des peines lorsqu'une personne poursuivie à l'occasion de procédures séparées a été reconnue coupable de plusieurs infractions en concours7

 

* Le plafond du maximum légal le plus élevé a ensuite été supprimé par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

 

L'étude d'impact du projet de loi relevait que : « Ce plafonnement n'est dans les faits pas plus adapté en matière de consommation qu'il ne l'est en matière de délais de paiement. Il ressort de plus d'une année de pratique de ces dispositions qu'elles sont source de difficultés d'application en raison de la difficulté d'apprécier la notion de "manquements en concours" qui n'existe pas en droit administratif. Par analogie avec le droit pénal, dont le dispositif inscrit dans le code de la consommation a été largement inspiré, on devrait donc considérer que les règles de plafond […] doivent être respectées pour l'ensemble des manquements commis par un professionnel et qui n'ont pas encore fait l'objet d'une décision de sanction administrative définitive, même si ces manquements n'ont rien à voir les uns avec les autres et même s'ils sont relevés et sanctionnés par des administrations différentes. […] Or, une telle approche limiterait sensiblement l'intérêt des sanctions administratives, voire empêcherait leur effectivité, alors que ces sanctions ont au contraire été mises en place pour permettre une répression plus efficace et plus rapide. / En effet, elle pourrait permettre aux professionnels qui contestent systématiquement les amendes dont ils font l'objet, d'échapper à toute sanction administrative dès que le plafond limitant leur cumul est atteint. / La contestation a pour effet de retarder (de plusieurs années) le moment où les sanctions seront définitives. En conséquence, les professionnels, et notamment les gros opérateurs qui disposent d'établissements sur l'ensemble du territoire, pourraient, une fois que le plafond de la sanction encourue la plus élevée aura été atteint, empêcher l'administration de prononcer à leur encontre toute nouvelle sanction administrative, et ce pendant plusieurs années (le temps en effet d'exercer un recours en premier ressort, en appel puis en cassation et d'obtenir, in fine, une décision définitive) ».

 

Lorsqu'il avait examiné le projet de loi, le Conseil d'État avait estimé que : « ni l'augmentation, de 375 000 à deux millions d'euros, du montant maximal de l'amende administrative encourue par les personnes morales en cas de manquement aux règles sur les délais de paiement, ni la suppression de la limitation du cumul des amendes prononcées en cas de concours de manquements n'étaient manifestement disproportionnées, compte tenu du large pouvoir d'appréciation dont dispose le législateur en matière de fixation de sanctions »8.

 

Lors de l'examen du projet de loi en première lecture devant le Sénat, la commission des lois avait suivi la position de la commission des affaires économiques qui, tout en se montrant favorable à l'alourdissement des amendes administratives ainsi qu'à l'automaticité de la publication de la décision de sanction, souhaitait « que ne soit pas remise en cause la règle de plafonnement en cas de cumul de manquements en concours, introduite par le Sénat à l'initiative de votre commission des lois. Il est en effet nécessaire que les sanctions administratives restent proportionnées. / Ne voyant pas de raison à ce que ce qui avait été jugé pertinent il y a deux ans soit déjà remis en cause, votre commission a en conséquence adopté un amendement de suppression de cette disposition, à l'initiative de votre rapporteur (amendement n° COM-213). / Par cohérence, et pour les mêmes raisons, elle a supprimé, sur un amendement de votre rapporteur, le II de cet article qui prévoyait de lever le principe de non cumul s'agissant des sanctions prononcées en application du code de la consommation (amendement n° COM-214) »9.

 

Après l'échec de la commission mixte paritaire, un amendement adopté en nouvelle lecture du projet de loi à l'Assemblée nationale avait finalement rétabli la suppression de la règle limitant l'exécution des amendes administratives prévues dans le code de commerce en cas de cumul de celles-ci10.

 

Dans sa version définitive, le paragraphe VII de l'article L. 465-2 du code de commerce prévoyait ainsi que « Lorsque, à l'occasion d'une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives ont été prononcées à l'encontre d'un même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s'exécutent cumulativement », sans plus faire référence à une exécution « dans la limite du maximum légal le plus élevé »11.

 

* Les dispositions du paragraphe VII de l'article L. 465-2 ont été déplacées, à droit constant, au paragraphe VII de l'article L. 470-2 du code de commerce par l'ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 (les dispositions objet de la décision commentée).

 

En application du paragraphe I de cet article L. 470-2, les manquements en concours susceptibles de donner lieu à sanctions cumulatives sont ceux mentionnés au titre IV du livre IV du code de commerce, relatifs au non-respect des obligations en matière de transparence, aux pratiques restrictives de concurrence, à d'autres pratiques prohibées ainsi qu'à l'inexécution d'une mesure d'injonction notifiée à un professionnel en application de l'article L. 470-1 du même code.

 

Toujours en application de l'article L. 470-2, les amendes administratives sont prononcées par l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation. L'action de l'administration se prescrit par trois ans à compter du manquement, sauf acte interruptif. La décision de sanction est prise après que la personne a été mise en mesure de se défendre. L'administration motive le prononcé de la sanction.

 

L'article R. 470-2 du code de commerce prévoit que cette décision peut être contestée devant le ministre chargé de l'économie. Ce recours est exclusif de tout autre recours hiérarchique.

 

La sanction administrative peut ensuite faire l'objet d'un recours devant le juge administratif.

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

À la suite d'une enquête portant sur les années 2016 à 2019 menée par les services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Île-de-France, la société Eurelec trading avait fait l'objet d'une procédure de sanction pour vingt-et-un manquements à l'obligation de conclure, avec autant de fournisseurs, une convention unique avant la date butoir annuelle. L'administration avait prononcé autant d'amendes que de conventions irrégulièrement conclues.

 

À l'occasion de la contestation de cette sanction, la société requérante avait soulevé une QPC contre les dispositions du paragraphe VII de l'article L. 470-2 du code de commerce devant le tribunal administratif de Paris, qui l'avait transmise au Conseil d'État par une ordonnance du 1er octobre 2021.

 

Dans la décision précitée du 29 décembre 2021, le Conseil d'État avait renvoyé cette question après avoir tout d'abord constaté que « Ces dispositions concernent notamment la sanction administrative prévue par le I de l'article L. 441-7 du même code, dont le montant ne peut excéder 375 000 euros pour une personne morale, que l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut prononcer lorsqu'il ne peut être justifié de la conclusion, dans les délais prévus, d'une convention écrite entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services indiquant les obligations auxquelles se sont engagées les parties en vue de fixer le prix à l'issue de la négociation commerciale ».

 

Puis, le Conseil d'État avait jugé que « Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe de nécessité des délits et des peines, garanti par 1'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles permettent le prononcé de sanctions disproportionnées par rapport à la gravité des faits en cas de manquements en concours de nature identique, soulève une question présentant un caractère sérieux ».

 

II. – L'examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

* Le Conseil d'État n'avait pas précisé la version dans laquelle il avait renvoyé les dispositions au Conseil constitutionnel. Il appartenait donc à ce dernier de la déterminer lui-même. Conformément à sa jurisprudence habituelle, il a jugé que « La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée » (paragr. 1). En l'espèce, le Conseil a considéré qu'il était saisi du paragraphe VII de l'article L. 470-2 du code de commerce dans sa rédaction résultant de l'ordonnance précitée du 9 mars 2017.

 

La société requérante, rejointe par la partie intervenante, reprochait à ces dispositions de méconnaître le principe de proportionnalité des peines, dès lors qu'elles ne prévoient aucun plafond au cumul des sanctions administratives prononcées pour des manquements en concours. Elle soutenait également que ces dispositions méconnaissaient le principe de légalité des délits et des peines, faute de définir la notion de « manquements en concours ». La partie intervenante dénonçait enfin, comme contraire au principe non bis in idem, le cumul de sanctions administratives permis par ces dispositions.

 

A. – La jurisprudence constitutionnelle relative au principe de proportionnalité des peines

 

Le Conseil constitutionnel juge que les exigences de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (principe de légalité des délits et des peines, de non-rétroactivité des peines, de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines) s'appliquent à « toute sanction ayant le caractère d'une punition ».

 

Pour apprécier le caractère punitif d'une mesure, il examine si le législateur a poursuivi une finalité répressive. Constituent des « sanctions ayant le caractère d'une punition » au sens de l'article 8 de la Déclaration de 1789 l'ensemble des mesures répressives, qu'elles aient une nature pénale, administrative12, civile13 ou disciplinaire14.

 

* Si, sur le fondement du principe de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines, le Conseil a développé une jurisprudence abondante autour de la règle non bis in idem afin de soumettre à plusieurs conditions le cumul de sanctions ayant le caractère d'une punition ainsi que le cumul de poursuites tendant à de telles sanctions en présence de mêmes faits qualifiés de manière identique15, il n'a pas reconnu d'exigence constitutionnelle concernant le cumul de sanctions lorsque chacune d'entre elles punit un manquement distinct.

 

Ainsi, dans sa décision n° 82-143 DC du 30 juillet 1982, le Conseil constitutionnel était saisi de dispositions prévoyant que tout employeur qui aura procédé à une augmentation des rémunérations ou maintenu une augmentation illégale sera puni d'une amende de 300 à 8000 francs appliquée autant de fois qu'il y aura eu de salariés concernés et pour chaque mois de cette période. Le Conseil a jugé que « si les députés auteurs de la saisine reprochent à cette même disposition de porter atteinte à la règle du non-cumul des peines en matière de crimes et délits, cette règle n'a que valeur législative et qu'il peut donc toujours y être dérogé par une loi »16.

 

* De manière générale, pour opérer son contrôle du respect de la proportionnalité des peines, le Conseil rappelle que « Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue »17.

 

En principe, le respect du principe de proportionnalité s'apprécie en rapportant la sévérité de la sanction à la gravité des faits qu'elle punit. Et, en cette matière, le Conseil constitutionnel n'exerce normalement qu'un contrôle restreint : il s'assure de l'absence de disproportion manifeste entre la sanction et la gravité des faits que le législateur a entendu réprimer. Ce contrôle ne relève pas d'une appréciation très complexe lorsque le législateur a fixé un quantum « chiffré » en valeur absolue, que celui-ci soit forfaitaire ou constitue un plafond.

 

Pour apprécier la proportionnalité des sanctions, le Conseil constitutionnel prend également en compte la gravité des manquements constatés.

 

Ainsi, dans sa décision n° 97-395 DC du 30 décembre 1997, le Conseil avait été saisi de l'introduction, à l'article 1740 ter A du code général des impôts, d'une amende de 10 000 francs réprimant le défaut de présentation d'une facture. Il avait censuré ces dispositions après avoir jugé que, « nonobstant les garanties de procédure dont il est ainsi assorti, ce nouvel article pourrait, dans nombre de cas, donner lieu à l'application de sanctions manifestement hors de proportion avec la gravité de l'omission ou de l'inexactitude constatée, comme d'ailleurs avec l'avantage qui en a été retiré »18. En revanche, dans cette même décision, le Conseil avait jugé, s'agissant de l'amende visant à sanctionner les factures fictives, qu'« en modifiant l'article 1740 ter du code général des impôts afin de sanctionner la délivrance d'une facture ne correspondant pas à une livraison ou à une prestation de service réelle d'une amende égale à 50 % du montant de la facture, le législateur n'a pas établi une amende fiscale manifestement disproportionnée au manquement »19.

 

Plus récemment, dans sa décision n° 2021-908 QPC du 26 mai 2021, le Conseil a considéré, à propos de l'amende applicable en cas de défaut de facturation (3 du paragraphe I de l'article 1737 du CGI), qu'« En sanctionnant d'une amende fiscale les manquements aux règles de facturation, le législateur a entendu réprimer des comportements visant à faire obstacle, d'une part, au contrôle des comptabilités tant du vendeur que de l'acquéreur d'un produit ou d'une prestation de service et, d'autre part, au recouvrement des prélèvements auxquels ils sont assujettis. Ce faisant, il a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale ». Il a cependant constaté que l'amende encourue n'était pas plafonnée et que son taux de 50 % était fixe. Il a également relevé que ce taux restait applicable « alors même que la transaction a été régulièrement comptabilisée, si le fournisseur n'apporte pas la preuve de cette comptabilisation dans les trente jours suivant la mise en demeure de l'administration fiscale ». Examinant l'amende réduite de 5 % applicable en cas de comptabilisation régulière de la transaction, le Conseil a constaté que son montant n'était pas davantage plafonné et que son taux était également fixe « quand bien même le fournisseur justifierait d'une comptabilisation régulière de la transaction permettant à l'administration d'effectuer des contrôles ». Il en a déduit que l'absence de plafonnement du montant de l'amende et le caractère fixe de son taux pouvaient donner lieu à l'application d'« une sanction manifestement disproportionnée au regard de la gravité du manquement constaté, comme de l'avantage qui a pu en être retiré ». Il a, en conséquence, déclaré ces dispositions contraires à la Constitution20.

 

* Dans sa décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014, le Conseil constitutionnel a été saisi des dispositions relatives aux amendes administratives instituées pour réprimer des pratiques restrictives de concurrence.

 

Il a jugé que « les amendes administratives prévues au paragraphe VI de l'article L. 441-6 du code de commerce et au 4° de l'article L. 443-1 du même code dans leur rédaction résultant de l'article 123 de la loi, ainsi qu'au paragraphe II de l'article L. 441-7 du même code dans sa rédaction résultant de l'article 125 de la loi et au quatrième alinéa de l'article L. 441-8, inséré dans le code de commerce par l'article 125, ne peuvent excéder 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale, sauf en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive ; qu'en ce cas, le montant de l'amende encourue est doublé ; que ces amendes qui répriment des manquements aux dispositions mentionnées au paragraphe I de l'article L. 441-6, à l'article L. 443-1, au paragraphe I de l'article L. 441-7, et à l'article L. 441-8 du code de commerce ne revêtent pas, en elles-mêmes, un caractère manifestement disproportionné »21.

 

Par cette même décision, le Conseil a également validé, sans motivation particulière, la règle de plafonnement qui avait été initialement instituée pour les sanctions administratives prononcées en cas de concours de manquements22.

 

B. – L'application à l'espèce

 

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel s'est principalement placé sur le terrain du principe de proportionnalité des peines pour répondre à l'argumentation des sociétés requérante et intervenante.

 

Après avoir rappelé l'étendue de son contrôle en matière de proportionnalité des sanctions ayant le caractère d'une punition (paragr. 5), il a resitué l'objet des dispositions contestées.

 

Le paragraphe VII de l'article L. 470-2 du code de commerce prévoit, comme indiqué plus haut, une règle générale applicable en cas de pluralité de sanctions administratives prononcées par l'autorité chargée de la concurrence et de la consommation en cas de non-respect des obligations en matière de transparence, de pratiques restrictives de concurrence, d'autres pratiques prohibées, ainsi qu'en cas d'inexécution d'une mesure d'injonction notifiée à un professionnel soumis à ces règles. 

 

Le Conseil constitutionnel a précisé que l'application des dispositions contestées à des manquements en concours signifie que « lorsqu'un manquement à ces règles a été commis par une personne avant que celle-ci ait été définitivement sanctionnée pour un autre manquement, les sanctions administratives prononcées à son encontre s'exécutent cumulativement » (paragr. 7).

 

Dans le prolongement de sa décision n° 82-143 DC du 30 juillet 1982 précitée, le Conseil a ensuite énoncé, en premier lieu, qu'« aucune exigence constitutionnelle n'impose que des sanctions administratives prononcées pour des manquements distincts soient soumises à une règle de non-cumul » (paragr. 8).

 

Au regard du contrôle qu'il opère classiquement sur le fondement du principe de proportionnalité, le Conseil a relevé en second lieu, d'une part, que « les dispositions contestées n'ont pas pour objet de déterminer le montant des sanctions encourues pour chacun des manquements réprimés » (paragr. 9). La portée générale de la règle édictée par ces dispositions ne se prêtait dès lors pas à un contrôle de l'adéquation entre la gravité d'un manquement donné et la sanction susceptible de lui être attachée.

 

D'autre part, le Conseil a souligné que les dispositions contestées « ne font pas obstacle à la prise en compte par l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de la nature des manquements, de leur gravité et de leur répétition pour déterminer le montant des sanctions, en particulier lorsqu'elles s'appliquent de manière cumulative » (même paragr.). Ce faisant, le Conseil n'a fait que rappeler que les sanctions susceptibles d'être cumulées en application de ces dispositions font l'objet d'une appréciation de la proportionnalité de la répression susceptible d'en résulter par l'autorité chargée de les prononcer et, en cas de contestation, par le juge administratif.

 

Le Conseil constitutionnel a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines (paragr. 10).

 

Les dispositions contestées ne méconnaissant pas non plus les principes de légalité et de nécessité des délits et des peines, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, elles ont été déclarées conformes à la Constitution (paragr. 11).

_______________________________________

1 Il convient de préciser que, depuis lors, l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 a procédé à la refonte du titre IV du livre IV du code de commerce, dont elle a remanié la structure et la numérotation des articles.

2 Les pratiques restrictives et les atteintes à la transparence sont interdites indépendamment de leur objet ou de leur effet anticoncurrentiel (Jean-Louis Fourgoux, « Transparence et pratiques restrictives de concurrence », JurisClasseur Contrats – Distribution, Fasc. 261, 2016, n° 2).

3 François-Xavier Testu, Juliette Herzele, « La formalisation contractuelle du résultat des négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs », JCP éd. E, 24 janvier 2008, 1113.

4 L'étude d'impact du projet de loi justifiait cette substitution de la manière suivante : « Les sanctions civiles et pénales actuellement prévues par le code du commerce en matière de délais de paiement et de formalisme contractuel ne permettent pas d'aboutir à une sanction rapide et efficace des infractions constatées en la matière. Il convient donc de réévaluer ce dispositif en permettant à l'autorité administrative compétente en matière de concurrence de disposer des moyens nécessaires à la mise en œuvre d'un traitement rapide des infractions relevées ».

5 Article L. 441-4 du code de commerce, dans sa version antérieure à l'ordonnance précitée du 24 avril 2019.

6 L'ordonnance du 24 avril 2019 précitée a transféré ces dispositions à l'article L. 441-6 du code de commerce.

7 « Lorsque, à l'occasion de procédures séparées, la personne poursuivie a été reconnue coupable de plusieurs infractions en concours, les peines prononcées s'exécutent cumulativement dans la limite du maximum légal le plus élevé. Toutefois, la confusion totale ou partielle des peines de même nature peut être ordonnée soit par la dernière juridiction appelée à statuer, soit dans les conditions prévues par le code de procédure pénale ». L'article 132-3 du même code règle quant à lui la situation du concours d'infractions à l'occasion d'une même procédure : « Lorsque, à l'occasion d'une même procédure, la personne poursuivie est reconnue coupable de plusieurs infractions en concours, chacune des peines encourues peut être prononcée. Toutefois, lorsque plusieurs peines de même nature sont encourues, il ne peut être prononcé qu'une seule peine de cette nature dans la limite du maximum légal le plus élevé. / Chaque peine prononcée est réputée commune aux infractions en concours dans la limite du maximum légal applicable à chacune d'entre elles ».

8 Avis du Conseil d'État n° 391262 de l'Assemblée générale du 24 mars 2016.

9 Avis n° 707 (Sénat – 2015-2016) de M. Daniel Gremillet, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 22 juin 2016.

10 Amendement n° CL142 déposé le 20 septembre 2016 par M. Potier, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, et Mme Guittet.

11 Cette loi n'a pas modifié la règle distincte, également inspirée du code pénal, selon laquelle lorsqu'une amende administrative est susceptible de se cumuler avec une amende pénale infligée à raison des mêmes faits à l'auteur du manquement, le montant global des amendes prononcées ne dépasse pas le maximum légal le plus élevé (paragraphe VI de l'article L. 465-2 du code de commerce, devenu depuis 2017 le paragraphe VI de l'article L. 470-2 du même code).

12 Décision n° 92-307 DC du 25 février 1992, Loi portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, cons. 24 à 31.

13 Décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011, Établissements Darty et Fils (Déséquilibre significatif dans les relations commerciales), cons. 3.

14 Décision n° 2014-385 QPC du 28 mars 2014, M. Joël M. (Discipline des officiers publics ou ministériels - Interdiction temporaire d'exercer), cons. 5.

15 Pour un état de cette jurisprudence, voir dernièrement le commentaire de la décision n° 2021-953 QPC du 3 décembre 2021, Société Specitubes (Cumul des poursuites pour violation d'une mise en demeure prononcée par le préfet en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement).

16 Décision n° 82-143 DC du 30 juillet 1982, Loi sur les prix et les revenus, notamment ses articles 1, 3 et 4, cons. 13.

17 Voir par exemple la décision n° 2016-618 QPC du 16 mars 2017, Mme Michelle Theresa B. (Amende pour défaut de déclaration de trust), paragr. 6.

18 Décision n° 97-395 DC du 30 décembre 1997, Loi de finances pour 1998, cons. 39.

19 Ibid., cons. 40.

20 Décision n° 2021-908 QPC du 26 mai 2021, Société KF3 Plus (Pénalités pour défaut de délivrance d'une facture), paragr. 7 à 11.

21 Décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014, Loi relative à la consommation, cons. 73.

22 Ibid., cons. 76.