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Commentaire de la décision 2021-912/913/914 QPC

09/12/2022

Non conformité totale - effet différé

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 avril 2021 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêts nos 379, 380 et 381 du 1er avril 2021) de trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) posées respectivement par MM. Pablo A., Lilian B. et Laurent C. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 84 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021.

 

Dans sa décision n° 2021-912/913/914 QPC du juin 2021, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les troisième et sixième alinéas du paragraphe II de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique (CSP), dans sa rédaction résultant de la loi du 14 décembre 2020 précitée.

 

I. – Les dispositions contestées

 

A. – Historique et objet des dispositions contestées

 

1. – Le cadre juridique des hospitalisations sans consentement1

 

* Selon l'article L. 1111-4 du CSP, issu de la loi dite « Kouchner » du 4 mars 20022, « Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. […] Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ». En vertu de ce principe du consentement aux soins, également affirmé en termes généraux à l'article 16-3 du code civil3 et plus spécifiquement à l'égard des personnes atteintes de troubles mentaux4, une personne ne peut faire l'objet de soins, y compris psychiatriques, sans y avoir préalablement consenti.

 

Toutefois, dans les cas prévus par les articles L. 3212-1 et suivants du CSP, une personne souffrant de troubles mentaux peut faire l'objet d'une hospitalisation sous contrainte. En cette matière, les dispositions actuellement applicables sont issues, pour l'essentiel, de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 20115.

 

* L'article L. 3211-2-1 du CSP prévoit que la prise en charge médicale de la personne hospitalisée sans son consentement peut prendre deux formes :

 

– une hospitalisation complète (dite en milieu fermé)6, dans le cadre de laquelle des mesures de contrainte telles que l'isolement et la contention peuvent être prises, en cas de nécessité ;

 

– une prise en charge sous d'autres formes, fixées par un programme de soins ad hoc (hospitalisation en milieu ouvert). Dans le cadre de cette prise en charge, aucune mesure de contrainte ne peut être mise en œuvre à l'égard du patient hospitalisé.

 

* Les droits des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques sont prévus par les articles L. 3211-1 et suivants du CSP. Ils ont été progressivement renforcés par la loi du 5 juillet 2011 précitée, puis par les lois n° 2013-869 du 27 septembre 20137 et n° 2016-41 du 26 janvier 20168.

 

Le premier alinéa de l'article L. 3211-3 rappelle le principe de « rigueur nécessaire » déjà affirmé, vingt ans plus tôt, par la loi « Évin » du 27 juin 19909. Ainsi, lorsqu'une personne fait l'objet d'une décision d'hospitalisation sans son consentement, « les restrictions à l'exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis. En toutes circonstances, la dignité de la personne doit être respectée et sa réinsertion recherchée ».

 

À ce principe, le même article L. 3211-3 ajoute un droit à l'information de la personne soignée, tandis que son avis sur les modalités des soins doit être recherché et pris en considération dans la mesure du possible.

 

Par ailleurs, cette dernière dispose du droit :

– de communiquer avec les autorités chargées de visiter périodiquement les établissements assurant les soins psychiatriques sans consentement10 ;

– de saisir la commission départementale des soins psychiatriques et la commission des relations avec les usagers et la qualité de la prise en charge de l'établissement d'accueil ;

– de porter à la connaissance du Contrôleur général des lieux de privation de liberté des faits ou situations susceptibles de relever de sa compétence ;

– de prendre conseil d'un médecin ou d'un avocat de son choix.

 

Enfin, depuis la loi du 5 juillet 2011, les mesures d'hospitalisation sous contrainte font l'objet d'un contrôle systématique du juge des libertés et de la détention (JLD) si leur maintien est envisagé au-delà de douze jours, puis tous les six mois si cette hospitalisation se poursuit. En outre, le patient conserve la possibilité de saisir le JLD à tout moment pour obtenir la mainlevée de cette mesure ou de toute mesure de contrainte prise dans ce cadre, telle que l'isolement ou la contention11.

 

2. – Les mesures de placement à l'isolement et de contention prises à l'égard des patients en hospitalisation complète

 

a. – L'encadrement des pratiques de contention et d'isolement en secteur psychiatrique par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé

 

* Pour prévenir les risques de fuite ou de passage à l'acte agressif, voire violent, qu'une personne en hospitalisation sous contrainte pourrait commettre vis-à-vis d'elle–même ou d'autrui12, le personnel soignant peut recourir à des mesures coercitives, telles que le placement en chambre d'isolement (soit dans une chambre fermée à clé), et à des mesures de contention (manuelle, mécanique ou chimique13).

 

Le premier encadrement de ces pratiques est issu de l'article 72 de la loi du 26 janvier 2016, qui a créé l'article L. 3222-5-1 du CSP14. Dans sa rédaction initiale, cet article posait un cadre juridique commun à l'isolement et à la contention, qu'il qualifiait de « pratiques de dernier recours », exclusivement destinées à « prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui », et dont l'usage ne pouvait intervenir que sur décision d'un psychiatre.

 

La mise en œuvre de ces mesures, prises pour « une durée limitée », – sans qu'un seuil légal ne soit alors fixé –, devait faire l'objet d'une surveillance médicale stricte par des professionnels de santé de l'établissement d'accueil désignés à cette fin. Par ailleurs, afin de permettre un suivi administratif de ces mesures, les établissements de santé assurant les soins psychiatriques sans consentement devaient :

 

– d'une part, veiller à la traçabilité des mesures d'isolement ou de contention en tenant un registre mentionnant, pour chaque mesure prise, le nom du psychiatre en ayant décidé, la date et l'heure ainsi que la durée et le nom des professionnels de santé ayant assuré la surveillance de la mesure. Ce document devait être mis à la disposition, sur leur demande, de la commission départementale des soins psychiatriques, du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et des parlementaires ;

 

– d'autre part, établir un rapport annuel rendant compte des pratiques d'admission en chambre d'isolement et de contention, et des dispositions prises pour limiter le recours à ces pratiques. Ce rapport devait être transmis pour avis à la commission des usagers et au conseil de surveillance de l'établissement.

 

Enfin, ces dispositions ne prévoyaient pas de voies de recours juridictionnel spécifiques permettant de contester les mesures de contraintes, ni devant le JLD ni devant une autre juridiction (en dehors du contrôle plus général exercé par le juge de l'hospitalisation sous contrainte)15.

 

* Saisi de cet article L. 3222-5-1 du CSP, le Conseil constitutionnel a considéré, dans sa décision n° 2020–844 QPC du 19 juin 2020 précitée, que les mesures d'isolement et de contention constituaient des mesures privatives de liberté distinctes de la mesure d'hospitalisation sans consentement. Or, en l'absence de durée maximale encadrant leur application et de contrôle du juge judiciaire, il a jugé que les dispositions qui lui étaient soumises ne respectaient pas les exigences de l'article 66 de la Constitution. Il les a donc déclarées contraires à la Constitution, tout en reportant leur abrogation au 31 décembre 2020 de manière à permettre au législateur d'en adopter de nouvelles.

 

b. – La réforme des conditions de mise en œuvre des mesures de placement en chambre d'isolement ou de contention (les dispositions renvoyées)

 

* Pour répondre aux exigences constitutionnelles découlant de la décision n° 2020–844 QPC du 19 juin 2020, le législateur a adopté des dispositions « fixant des durées maximales pour l'isolement et la contention qui soient conformes aux recommandations de la Haute Autorité de la santé et […] instaurant et précisant les modalités du contrôle du juge des libertés et de la détention sur ces mesures »16.

 

L'article 84 de la LFSS pour 2021 prévoit ainsi une nouvelle rédaction de l'article L. 3222–5–1 du CSP et modifie, en conséquence, les articles L. 3211-12, L. 3211–12–1, L. 3211-12-2, L. 3211-12-4 et L. 3211–12-5 du même code.

 

* Le paragraphe I de l'article L. 3222-5-1 encadre davantage le recours à l'isolement et à la contention : ces pratiques sont expressément réservées aux patients en hospitalisation complète sans consentement et la décision du psychiatre qui les fonde doit être « motivée ». Elles ne peuvent être mises en œuvre que de manière « adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient ». Par ailleurs, leur mise en œuvre fait l'objet d'une surveillance « stricte » par des professionnels de santé et doit être « tracée dans le dossier médical ».

 

Le paragraphe II de cet article constitue le principal apport de cette réforme. Il détermine en effet la durée maximale de ces mesures ainsi que les contrôles dont elles peuvent faire l'objet.

 

La durée maximale d'une mesure d'isolement est fixée à douze heures17. Cette mesure peut s'accompagner d'une mesure de contention dont la durée est limitée à six heures18. « Si l'état de santé du patient le nécessite », la mise en œuvre de ces mesures peut être renouvelée, par périodes maximales de respectivement douze et six heures, et dans la limite d'une durée totale de quarante-huit heures pour l'isolement et de vingt-quatre heures pour la contention. La fréquence de ces mesures de soins est également encadrée : il est précisé à cette fin qu'« une mesure d'isolement ou de contention est regardée comme une nouvelle mesure lorsqu'elle est prise au moins quarante-huit heures après une précédente mesure d'isolement ou de contention. En-deçà de ce délai, sa durée s'ajoute à celle des mesures d'isolement et de contention qui la précèdent ». Il s'agit ainsi d'éviter que, sur de courtes périodes, le recours répété à ces mesures ne conduise à leur application pour des durées dépassant les plafonds fixés par le législateur. Ces durées se fondent sur les recommandations de la Haute autorité de santé19.

 

Toutefois, le médecin peut, « à titre exceptionnel », prolonger l'application de ces mesures au-delà de ces durées totales de quarante-huit heures et de vingt-quatre heures.

 

Il en informe alors « sans délai », d'une part, le JLD, « qui peut se saisir d'office pour mettre fin à la mesure » et, d'autre part, le patient ainsi que les personnes susceptibles d'agir dans son intérêt20. Cette information est également délivrée « lorsque le médecin prend plusieurs mesures d'une durée cumulée de quarante-huit heures pour l'isolement et de vingt-quatre heures pour la contention sur une période de quinze jours ».

 

Par ailleurs, le patient et ses proches sont informés « de leur droit de saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de mainlevée de la mesure en application du même article L. 3211-12 et des modalités de saisine de ce juge ». En cas de saisine, ce dernier doit statuer dans un délai de vingt-quatre heures. Un décret en Conseil d'État précise les modalités d'application de ces dispositions21.

 

Pour exercer son contrôle sur les mesures prises, le JLD peut donc être saisi, s'autosaisir ou les examiner à l'occasion du contrôle systématique qu'il exerce sur la mesure d'hospitalisation sous contrainte d'un patient22.

 

Le législateur n'a en revanche pas prévu que le JLD exerce un contrôle systématique des mesures d'isolement et de contention, même au-delà d'un certain délai, un tel contrôle étant considéré comme « incompatible avec les contraintes organisationnelles […] des juridictions »23 et ne pouvant aboutir, compte tenu du nombre de mesures, qu'à l'exercice d'un contrôle « essentiellement formel »24. Ainsi, s'il peut toujours être saisi, le JLD est seulement informé des mesures d'isolement lorsqu'elles dépassent quarante-huit heures et des mesures de contention lorsqu'elles dépassent vingt-quatre heures.

 

Des propositions dans le sens d'une soumission à un contrôle systématique du JLD ont été écartées lors du travail parlementaire.

 

Le rapporteur de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale soulignait, pour justifier le rejet d'un amendement proposant de rendre obligatoire le contrôle des mesures d'isolement et de contention par le JLD, que « Les proches du patient pourront saisir le juge, ce que ne peut concrètement et matériellement faire un patient sous mesure d'isolement ou de contention. Le juge pourra se saisir d'office pour mettre un terme aux mesures en cours s'il l'estime nécessaire à la lumière des informations qui lui seront systématiquement transmises. Le procureur de la République sera lui aussi systématiquement informé »25. Il en déduisait que ces dispositions étaient suffisamment protectrices.

 

Tout en appelant à l'adoption conforme de ces dispositions, la rapporteure de la commission des affaires sociales du Sénat soulignait, quant à elle, que « la nouvelle saisine du JLD […] restera donc limitée à quelques cas déterminés, loin de couvrir l'ensemble des occurrences »26.

 

Enfin, le paragraphe III de l'article L. 3222-5-1 reprend l'obligation pour les établissements de santé d'établir un registre des mesures d'isolement et de contention ainsi qu'un rapport annuel rendant compte de leurs pratiques en la matière. Il est précisé que ce registre est obligatoirement tenu sous forme numérique et qu'il comporte l'identité du patient, son âge et son mode d'hospitalisation.

 

* En outre, l'article 84 de la LFSS pour 2021 a modifié plusieurs articles du CSP par coordination.

 

En premier lieu, l'article L. 3211-12 est complété de manière à prévoir, comme indiqué ci-dessus, que le JLD peut être saisi à des fins de mainlevée d'une mesure d'isolement ou de contention lorsque que sa durée dépasse le maximum de respectivement quarante-huit heures et vingt-quatre heures fixé par le législateur27. Comme précédemment rappelé, ce dépassement donne en effet lieu à une information adressée sans délai par le médecin, d'une part, à la personne soignée et à ses proches pour leur présenter notamment les voies de recours possibles contre cette décision, et d'autre part, au procureur de la République et au JLD pour en assurer, le cas échéant, le contrôle.

 

Il est également précisé que le JLD peut « se saisir d'office, à tout moment », y compris avant l'expiration des durées maximales précitées, et qu'« À cette fin, toute personne intéressée peut porter à sa connaissance les informations qu'elle estime utiles sur la situation d'une personne faisant l'objet d'une mesure mentionnée au premier alinéa du présent article ou d'une mesure d'isolement ou de contention ».

 

En deuxième lieu, l'article L. 3211-12-1 prévoit que le JLD, dans le cadre de son contrôle systématique de l'hospitalisation sans consentement, notamment à l'expiration du délai de douze jours à compter de la décision d'admission de la personne, et lorsqu'il ne prononce pas la mainlevée de cette hospitalisation, « statue, le cas échéant, y compris d'office, sur le maintien de la mesure d'isolement ou de contention ».

 

En troisième lieu, l'article L. 3211-12-2 est complété de manière à préciser la procédure suivie devant le JLD : « le juge des libertés et de la détention, saisi d'une demande de mainlevée de la mesure d'isolement ou de contention prise en application du II de l'article L. 3222-5-1 ou qui s'en saisit d'office, statue sans audience selon une procédure écrite ».

 

En quatrième lieu, l'article L. 3211-12-4 indique que le premier président de la cour d'appel est compétent pour connaître des appels formés contre les ordonnances du JLD en matière d'isolement et de contention dans le cadre d'une hospitalisation sans consentement. Il statue également sans audience et selon une procédure écrite.

 

Enfin, la modification de l'article L. 3211-12-5 ne prévoit qu'une coordination légistique.

 

* Cette réforme recèle ainsi deux principaux apports :

 

– la fixation par le législateur de durées maximales aux mesures d'isolement et de contention ;

 

– la possibilité pour le JLD d'être saisi de ces mesures, son information obligatoire lorsqu'elles dépassent une certaine durée avec la possibilité de s'en saisir d'office et enfin l'examen de ces mesures à l'occasion de son contrôle systématique de la prolongation d'une hospitalisation complète sans consentement de la personne.

 

Alors que la loi ne prévoit rien sur ce point, selon l'article R. 3211-31 du CSP, l'information par le médecin du JLD « est réitérée à chaque fois que la durée cumulée des mesures successives de renouvellement à titre exceptionnel de l'isolement ou de la contention atteint la durée totale [de vingt–heures ou de quarante-huit heures] et qu'une nouvelle décision de renouvellement à titre exceptionnel est prise dans un délai inférieur à quarante-huit heures à compter de la fin de la mesure précédente. Le cumul des durées est calculé en additionnant les durées de toutes les mesures intervenant à moins de quarante-huit heures de la précédente ».

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

Sur le fondement du 2° du paragraphe II de l'article L. 3212-1 du CSP, relatif aux soins psychiatriques contraints en cas de péril imminent pour la santé de la personne, le directeur d'un centre hospitalier avait décidé, le 26 décembre 2020, de l'hospitalisation sans son consentement de M. Pablo A. et, le 27 décembre 2020, de celle de M. Laurent C.

 

En outre, à la demande d'un tiers et dans les conditions prévues à l'article L. 3212-3 du CSP, il avait également pris, le 27 décembre 2020, une mesure d'hospitalisation sans consentement visant M. Lilian B..

 

Le directeur du centre hospitalier avait ensuite saisi le JLD afin de permettre la prorogation de l'hospitalisation sous contrainte de ces trois personnes.

 

C'est à cette occasion que ces dernières avaient soulevé des QPC ainsi formulées : « Les dispositions de l'article 84 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour l'année 2021 sont-elles compatibles avec les normes constitutionnelles en vigueur et plus particulièrement les articles 34 alinéa 20 et 66 de la Constitution ? ».

 

Ces questions avaient été transmises par le JLD à la Cour de cassation le 6 janvier 2021.

 

Dans ses arrêts précités du 1er avril 2021, la Cour de cassation avait jugé que ces questions présentaient un caractère sérieux « en ce que l'atteinte portée à la liberté individuelle par les mesures d'isolement et de contention pourrait être de nature à caractériser une privation de liberté imposant, au regard de l'article 66 de la Constitution, qu'elles ne puissent être prolongées au-delà d'une certaine durée sans la décision d'un juge ». Elle les avait, dès lors, renvoyées au Conseil constitutionnel.

 

II. – L'examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

A. – Les questions préalables

 

* Les requérants, rejoints par les parties intervenantes, soutenaient que les dispositions renvoyées méconnaissaient les exigences résultant de l'article 66 de la Constitution dès lors qu'elles ne prévoyaient pas un contrôle systématique par l'autorité judiciaire des mesures d'isolement ou de contention prises à l'encontre d'une personne hospitalisée sans son consentement. Ils considéraient également que les dispositions renvoyées constituaient un cavalier législatif contraire au dix–neuvième alinéa de l'article 34 de la Constitution.

 

En outre, les requérants reprochaient au législateur de n'avoir pas prévu explicitement que le JLD soit informé toutes les fois que les mesures d'isolement et de contention étaient renouvelées. Il en résultait, selon eux, que ces mesures pouvaient être mises en œuvre sur de longues périodes en dehors de tout contrôle judiciaire.

 

* Au regard de ces griefs, le Conseil constitutionnel a restreint le champ de la QPC aux troisième et sixième alinéas du paragraphe II de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique (paragr. 12).

 

* L'une des parties intervenantes considérait également que le législateur avait méconnu le principe d'égalité devant la loi en instituant une différence de traitement entre, d'une part, les personnes hospitalisées qui bénéficient d'un entourage susceptible de saisir le juge et, d'autre part, celles qui ne pourraient ni introduire par elles-mêmes un recours, ni espérer que des proches le fassent pour elles (paragr. 13).

 

B. – Le grief tiré de la méconnaissance de la liberté individuelle

 

1. – La jurisprudence du Conseil constitutionnel

 

a. – Le champ d'application de l'article 66 de la Constitution et le contrôle des mesures portant atteinte à la liberté individuelle

 

* Aux termes de l'article 66 de la Constitution, « Nul ne peut être arbitrairement détenu. / L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Cet article est au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit et peut être invoqué à l'appui d'une QPC28.

 

Depuis sa décision n° 92-307 DC du 25 février 1992, le Conseil constitutionnel juge avec constance « que, dans l'exercice de sa compétence, le législateur peut fixer des modalités d'intervention de l'autorité judiciaire différentes selon la nature et la portée des mesures affectant la liberté individuelle qu'il entend édicter ; qu'il a la faculté de ne pas soumettre à des règles identiques une mesure qui prive un individu de toute liberté d'aller et venir et une décision qui a pour effet d'entraver sensiblement cette liberté »29.

 

Après avoir retenu une conception large de la notion de « liberté individuelle », incluant notamment la liberté d'aller et de venir et le respect de la vie privée, le Conseil en a resserré le champ aux mesures privatives de liberté dans sa décision n° 99-411 DC du 16 juin 199930. Seules de telles mesures sont en conséquence soumises aux exigences découlant de l'article 66 de la Constitution.

 

Elles doivent plus précisément, depuis la décision du Conseil n° 2008-562 DC du 21 février 200831, satisfaire à une triple exigence d'adéquation, de nécessité et de proportionnalité : « La liberté individuelle, dont la protection est confiée à l'autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire. […] Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à l'objectif de prévention poursuivi »32.

 

Le contrôle des mesures portant atteinte à la liberté individuelle a notamment été appliqué à la rétention de sûreté (dans la décision précitée), à des mesures d'assignation à résidence s'accompagnant d'une astreinte à domicile de plus de douze heures33 et, dernièrement, à des mesures de quarantaine et d'isolement susceptibles d'être prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, de la lutte contre la propagation internationale des maladies ou en cas de menace sanitaire grave34.

 

* Lorsqu'il contrôle des mesures privatives de liberté, le Conseil constitutionnel distingue la décision de privation de liberté de l'exécution dans le temps de cette décision. Ainsi, le Conseil juge de manière constante que, si la décision sur la privation de liberté peut être prononcée par une autorité administrative, c'est à la condition que l'autorité judiciaire puisse contrôler ensuite cette privation de liberté dans un délai qui varie selon la nature de la mesure35.

 

Concernant le délai dans lequel l'autorité judiciaire doit intervenir pour contrôler la privation de liberté, le Conseil constitutionnel juge que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible »36. Ce délai varie, cependant, selon la nature de la procédure à l'origine de la mesure en cause et de la justification de la privation de liberté. Ainsi, le Conseil l'a fixé à quinze jours pour une hospitalisation d'office37 et sept jours en matière de rétention administrative38. Il a par ailleurs jugé conforme à l'exigence fixée par l'article 66 le délai de quarante-huit heures pour la garde à vue et celui de quatorze jours pour une mise en quarantaine ou un placement en isolement « sanitaire »39.

 

Dans sa décision n° 2012-253 QPC du 8 juin 2012, le Conseil constitutionnel a cependant admis que le placement en chambre de sûreté, susceptible d'être ordonné par les agents de la police ou de la gendarmerie nationales en cas d'ivresse publique, puisse se dérouler en l'absence d'intervention de l'autorité judiciaire sans que soient méconnues les exigences de l'article 66 de la Constitution « eu égard à la brièveté de cette privation de liberté organisée à des fins de police administrative » (que le Conseil estime à « quelques heures au maximum » dans sa décision) par l'article L. 3341-1 du code de la santé publique40.

 

* Si le Conseil admet que le contrôle du juge judiciaire peut donc intervenir dans un délai variable à la suite de la mesure privative de liberté, en revanche, le Conseil exige que ce contrôle soit systématique, c'est-à-dire qu'il ne soit pas laissé à l'appréciation de la personne privée de liberté ou à l'auto-saisine du juge judiciaire.

 

Ainsi, dans sa décision n° 2020-878, le Conseil était saisi des dispositions qui avaient prolongé de plein droit les détentions provisoires dont la durée arrivait à échéance pendant l'état d'urgence sanitaire. Si ces dispositions ne subordonnaient plus la prolongation d'une détention arrivée à expiration à la décision du juge judiciaire, elles permettaient au juge d'y mettre fin d'office ou sur demande de l'intéressé. Le Conseil a toutefois censuré ces dispositions au motif notamment que : « si les dispositions contestées réservent, durant la période de maintien en détention qu'elles instaurent, la possibilité pour la juridiction compétente d'ordonner à tout moment, d'office, sur demande du ministère public ou sur demande de l'intéressé, la mise en liberté, elles ne prévoient, durant cette période, aucune intervention systématique du juge judiciaire »41.

 

Cette exigence du caractère systématique du contrôle du juge judiciaire d'une mesure privative de liberté a explicitement été rappelée dans la décision du 11 mai 2020 précitée dans laquelle, saisi des mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien à l'isolement, le Conseil a jugé : « les mesures de mise en quarantaine ou de placement en isolement interdisant toute sortie de l'intéressé hors du lieu où se déroule la quarantaine ou l'isolement ne peuvent se poursuivre au-delà d'un délai de quatorze jours sans que le juge des libertés et de la détention, préalablement saisi par le préfet, ait autorisé cette prolongation. Toutefois, aucune intervention systématique d'un juge judiciaire n'est prévue dans les autres hypothèses. Dès lors, ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître les exigences de l'article 66 de la Constitution, permettre la prolongation des mesures de mise en quarantaine ou de placement en isolement imposant à l'intéressé de demeurer à son domicile ou dans son lieu d'hébergement pendant une plage horaire de plus de douze heures par jour sans l'autorisation du juge judiciaire »42.

 

* Enfin, une fois que la prolongation de la mesure privative de liberté a été permise par une décision de l'autorité judiciaire, le Conseil est attentif à ce que ce contrôle soit maintenu tout au long de la privation de liberté, comme l'illustre la jurisprudence qu'il a développée au sujet des mesures d'hospitalisation sous contrainte.

 

b. – La jurisprudence spécifique aux mesures d'hospitalisation sous contrainte

 

* La décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010 a été la première des sept décisions rendues par le Conseil constitutionnel dans ce domaine43.

 

Saisi du régime juridique de l'hospitalisation à la demande d'un tiers et de certaines dispositions déterminant les droits de la personne hospitalisée sous contrainte, il a considéré « que l'hospitalisation sans son consentement d'une personne atteinte de troubles mentaux doit respecter le principe, résultant de l'article 66 de la Constitution, selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire ; qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la protection de la santé des personnes souffrant de troubles mentaux ainsi que la prévention des atteintes à l'ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ; qu'au nombre de celles-ci figurent la liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que la liberté individuelle dont l'article 66 de la Constitution confie la protection à l'autorité judiciaire ; que les atteintes portées à l'exercice de ces libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis »44.

 

S'agissant tout d'abord des règles relatives aux conditions d'admission de l'hospitalisation à la demande d'un tiers45, le Conseil a rappelé que l'article 66 de la Constitution n'impose pas que le juge judiciaire soit saisi préalablement à toute mesure de privation de liberté. Il a ainsi jugé que les dispositions qui confient au directeur de l'établissement de santé le soin d'admettre une personne en hospitalisation sur demande d'un tiers ne méconnaissaient pas les exigences découlant de cet article.

 

S'agissant ensuite des règles relatives à la poursuite, au-delà d'une certaine durée, d'une hospitalisation sous contrainte, les dispositions renvoyées du CSP prévoyaient qu'au-delà d'un délai de quinze jours, l'hospitalisation pouvait être maintenue pour une durée maximale d'un mois au vu d'un certificat médical circonstancié indiquant que les conditions de l'hospitalisation étaient toujours réunies. La seule garantie pour la personne hospitalisée était le contrôle confié à une commission administrative qui ne disposait d'aucun pouvoir de décision pour le maintien de la mesure et n'examinait obligatoirement que la situation des personnes dont l'hospitalisation se prolongeait au-delà de trois mois. Le Conseil a jugé « que la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ; que, toutefois, les motifs médicaux et les finalités thérapeutiques qui justifient la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux hospitalisées sans leur consentement peuvent être pris en compte pour la fixation de ce délai ; qu'en prévoyant que l'hospitalisation sans consentement peut être maintenue au-delà de quinze jours sans intervention d'une juridiction de l'ordre judiciaire, les dispositions de l'article L. 337 méconnaissent les exigences de l'article 66 de la Constitution ; qu'en outre, ni l'obligation faite à certains magistrats de l'autorité judiciaire de visiter périodiquement les établissements accueillant des personnes soignées pour des troubles mentaux, ni les recours juridictionnels dont disposent ces personnes pour faire annuler la mesure d'hospitalisation ou y mettre fin ne suffisent à satisfaire à ces exigences »46. Il a en conséquence déclaré ces dispositions contraires à la Constitution.

 

Le commentaire de cette décision insiste sur le caractère systématique que doit revêtir le contrôle du juge judiciaire. Ainsi, il est noté : « Certes, la liberté de saisir le juge leur est reconnue. Il est toutefois paradoxal que ce soit ceux dont les facultés sont altérées dans des conditions qui peuvent faire obstacle à ce qu'elles puissent exercer effectivement le droit de recours au juge qui soient, en France, les seules personnes pour qui la privation de liberté n'est pas soumise à un contrôle systématique de l'autorité judiciaire mais n'est soumise à ce contrôle qu'au prix d'un acte de leur part ». De même, le commentaire précise « Le Conseil n'a pas défini dans sa décision les modalités de l'intervention de la juridiction de l'ordre judiciaire exigée par sa décision. La définition de ces modalités relève de la compétence du législateur à qui il appartient de fixer les règles les plus adaptés à la situation des malades et à l'examen de la question de la nécessité de l'hospitalisation (composition de la juridiction de l'ordre judiciaire compétente, modalités procédurales particulières...). Le Conseil a seulement exigé que l'hospitalisation sur demande d'un tiers ne puisse se poursuivre sans une intervention systématique de cette juridiction »47.

 

* Dans sa décision n° 2011-135/140 QPC du 9 juin 201148, le Conseil constitutionnel était saisi de deux articles du CSP fixant respectivement les conditions de recours à l'hospitalisation d'office (article L. 3213-1) et de sa prolongation au-delà d'un mois (article L. 3213-4). Le Conseil a tout d'abord rappelé son considérant de principe déterminant les exigences applicables à l'hospitalisation sous contrainte. Il a ensuite déclaré l'article L. 3213-1 du CSP contraire à la Constitution pour les mêmes motifs que ceux retenus dans la décision du 26 novembre 2010, mais également parce que la prolongation de l'hospitalisation était possible sans que le certificat médical établi par le psychiatre de l'établissement dans les vingt-quatre heures de l'admission ne confirme que l'intéressé devait faire l'objet de soins en hospitalisation et donc, sans que la situation de ce dernier ne soit réexaminée.

 

Dans sa décision n° 2011-174 QPC du 6 octobre 201149, le Conseil constitutionnel a partiellement censuré l'article L. 3213-2 du CSP, dans sa rédaction antérieure à la loi du 5 juillet 2011. Le Conseil a jugé contraire à la Constitution le fait que la privation de liberté puisse être prononcée sur le fondement de la seule notoriété publique.

 

Dans la décision n° 2011-185 QPC du 21 octobre 2011, le Conseil a déclaré contraire à la Constitution l'article L. 3213-8 du CSP dans sa rédaction antérieure à la loi du 5 juillet 2011 au motif qu'« en raison de la spécificité de la situation d'une personne ayant commis des infractions pénales en état de trouble mental, le législateur pouvait assortir de garanties particulières les conditions dans lesquelles la mesure d'hospitalisation d'office dont elle fait l'objet peut être levée ; que, toutefois, en subordonnant à l'avis favorable de deux médecins le pouvoir du juge des libertés et de la détention d'ordonner la sortie immédiate de la personne ainsi hospitalisée, il a méconnu les exigences des articles 64 et 66 de la Constitution »50.

 

Dans la décision n° 2011-202 QPC du 2 décembre 2011, le Conseil a même examiné des dispositions de la loi de 1838 qu'il a jugées contraires à la Constitution pour les mêmes motifs que ceux retenus dans les décisions du 26 novembre 2010 et du 9 juin 2011. En effet, ces dispositions « permettaient que l'hospitalisation d'une personne atteinte de maladie mentale soit maintenue au-delà de quinze jours dans un établissement de soins sans intervention d'une juridiction de l'ordre judiciaire »51.

 

* Enfin, le Conseil constitutionnel a été saisi de deux QPC relatives au régime juridique des soins sous contrainte tel qu'il a été réformé par la loi du 5 juillet 2011 précitée.

 

Dans sa décision n° 2012-235 QPC du 20 avril 201252, le Conseil était notamment saisi des dispositions du régime des soins psychiatriques sans consentement ordonnés en dehors de l'hospitalisation complète (article L. 3211-2-1 du CSP). L'association requérante soutenait qu'en permettant que des soins psychiatriques comportant notamment des séjours effectués dans un établissement puissent être imposés à une personne sans que ces soins fassent l'objet d'un contrôle systématique par une juridiction de l'ordre judiciaire, ces dispositions méconnaissaient la protection constitutionnelle de la liberté individuelle. Le Conseil a jugé que ce moyen manquait en fait dès lors que « ces personnes ne sauraient se voir administrer des soins de manière coercitive ni être conduites ou maintenues de force pour accomplir les séjours en établissement prévus par le programme de soins ; qu'aucune mesure de contrainte à l'égard d'une personne prise en charge dans les conditions prévues par le 2° de l'article L. 3211-2-1 ne peut être mise en œuvre sans que la prise en charge ait été préalablement transformée en hospitalisation complète »53.

 

Dans cette même décision, le Conseil a par ailleurs déclaré conformes à la Constitution les modalités de maintien de la mesure d'hospitalisation, après une première intervention du juge dans un délai de quinze jours, par un contrôle systématique du JLD tous les six mois, définies au 3° du paragraphe I de l'article L. 3211-12-1 du CSP 54.

 

c. – La jurisprudence spécifique aux mesures d'isolement et de contention

 

Dans sa décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020 précitée, le Conseil constitutionnel était saisi des dispositions de l'article L. 3222-5-1 du CSP, dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016. Ces dispositions portaient sur les conditions de mise en œuvre et de contrôle des mesures de placement à l'isolement et de contention des personnes hospitalisées sans consentement.

 

Il a jugé, de façon inédite, que ces mesures constituent des mesures privatives de liberté distinctes des mesures d'hospitalisation sans consentement dans le cadre desquelles elles interviennent : « Dans le cadre d'une prise en charge dans un établissement assurant des soins psychiatriques sans consentement, l'isolement consiste à placer la personne hospitalisée dans une chambre fermée et la contention à l'immobiliser. Ces mesures ne sont pas nécessairement mises en œuvre lors d'une hospitalisation sans consentement et n'en sont donc pas la conséquence directe. Elles peuvent être décidées sans le consentement de la personne. Par suite, l'isolement et la contention constituent une privation de liberté »55.

 

Il a considéré en premier lieu qu'en entourant les dispositions contestées de garanties – soit en particulier, le caractère exceptionnel de ces mesures, les modalités entourant la décision d'y recourir et la traçabilité de ces décisions dans un registre –, « le législateur a fixé des conditions de fond et des garanties de procédure propres à assurer que le placement à l'isolement ou sous contention, dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement, n'intervienne que dans les cas où ces mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à l'état de la personne qui en fait l'objet »56.

 

Le Conseil s'est ensuite prononcé sur le contrôle juridictionnel de ces mesures en distinguant, dans le prolongement de sa jurisprudence précitée, la décision d'y recourir et celle de prolonger leur application.

 

Après avoir rappelé que l'article 66 de la Constitution n'impose pas que l'autorité judiciaire soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté, le Conseil a considéré que les dispositions contestées, « en ce qu'elles permettent le placement à l'isolement ou sous contention dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement », ne méconnaissaient pas cette exigence57.

 

Il a toutefois également rappelé que « l'article 66 de la Constitution exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire » et que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ». Il a alors constaté que, « si le législateur a prévu que le recours à l'isolement et à la contention ne peut être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée, il n'a pas fixé cette limite ni prévu les conditions dans lesquelles au-delà d'une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge judiciaire ». Par conséquent, il en a conclu « qu'aucune disposition législative ne soumet le maintien à l'isolement ou sous contention à une juridiction judiciaire dans des conditions répondant aux exigences de l'article 66 de la Constitution » et a déclaré inconstitutionnel l'article L. 3222-5-1 du CSP dans sa rédaction initiale, en reportant au 31 décembre 2020 les effets de cette censure.

 

2. – L'application à l'espèce

 

* Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a, d'abord, énoncé sa formule de principe relative à l'article 66 de la Constitution, dont il résulte que la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible (paragr. 14).

 

Il s'est ensuite attaché à présenter les conditions dans lesquelles, en application de l'article L. 3222-5-1 du CSP, les personnes placées en hospitalisation complète sans consentement peuvent faire l'objet de mesures d'isolement et de contention pour des durées limitées, prévues au premier alinéa du paragraphe II de cet article (paragr. 15 et 16).

 

Le Conseil a relevé que le troisième alinéa de ce paragraphe autorisait « le médecin à prolonger, à titre exceptionnel, une mesure d'isolement ou de contention au-delà des durées totales de quarante-huit heures et de vingt-quatre heures » (paragr. 17).

 

Afin d'apprécier si ces conditions respectaient les exigences résultant de l'article 66 de la Constitution, le Conseil a commencé par réaffirmer sa jurisprudence, résultant de sa décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020, selon laquelle « les mesures d'isolement et de contention qui peuvent être décidées dans le cadre d'une hospitalisation complète sans consentement constituent une privation de liberté » (paragr. 18).

 

Il lui revenait alors de s'assurer des conditions dans lesquelles le juge judiciaire était amené à contrôler ces mesures.

 

Il a constaté, à ce titre, que « le médecin peut décider de renouveler les mesures d'isolement et de contention au-delà des durées maximales prévues par le législateur, sans limitation du nombre de ces renouvellements. Dans ce cas, les dispositions contestées prévoient, d'une part, que le médecin est tenu d'informer sans délai le juge des libertés et de la détention de sa décision, qui peut se saisir d'office pour mettre fin à cette prolongation » et « d'autre part qu'il en informe la personne qui fait l'objet de la mesure d'isolement ou de contention ainsi que les autres personnes mentionnées à l'article L. 3211-12 du code de la santé publique, qui peuvent également saisir le juge pour demander la mainlevée de cette mesure » (paragr. 19).

 

Il résultait de ce constat deux éléments.

 

D'une part, les mesures d'isolement et de contention n'étaient pas limitées dans le temps. Le Conseil ne pouvait donc considérer, comme dans sa décision n° 2012-253 QPC du 8 juin 2012 précitée, que la durée maximale de ces mesures était compatible avec une absence d'intervention systématique d'un juge.

 

D'autre part, le contrôle par le juge des mesures d'isolement et de contention supposait que le juge s'autosaisisse ou qu'il soit saisi soit par un proche de la personne hospitalisée, soit par le Procureur de la République.

 

Le Conseil en a dès lors conclu, comme il l'avait fait dans sa décision du 19 juin 2020, « qu'aucune disposition législative ne soumet le maintien à l'isolement ou sous contention au-delà d'une certaine durée à l'intervention systématique du juge judiciaire, conformément aux exigences de l'article 66 de la Constitution » (même paragraphe).

 

Par suite, et sans avoir à se prononcer sur les autres griefs, le Conseil a déclaré le troisième alinéa du paragraphe II de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique contraire à la Constitution. Le sixième alinéa du même paragraphe étant inséparable du troisième, il a jugé qu'il en allait de même, par voie de conséquence, de cet alinéa.

 

L'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait toutefois eu des conséquences manifestement excessives. Le Conseil a donc reporté au 31 décembre 2021 la date de cette abrogation (paragr. 22).

 

 

_______________________________________

1 Pour de plus amples éléments de cadrage historique et juridique, il convient de se reporter en particulier aux commentaires des décisions n° 2013-367 QPC du 14 février 2014, Consorts L. (Prise en charge en unité pour malades difficiles des personnes hospitalisées sans leur consentement) et n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020, Éric G. (Contrôle des mesures d'isolement ou de contention dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement).

2 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

3 Selon cet article, issu de la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, « Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui. / Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir ».

4 Le premier alinéa de l'article L. 3211-1 du CSP dispose qu'« Une personne ne peut sans son consentement ou, le cas échéant, sans l'autorisation de son représentant légal, faire l'objet de soins psychiatriques, hormis les cas prévus par les chapitres II à IV du présent titre et ceux prévus à l'article 706-135 du code de procédure pénale ».

5 Loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.

6 Pour une présentation du contrôle par le juge des libertés et de la détention des mesures d'hospitalisation sans consentement, se reporter au commentaire de la décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020 précitée.

7 Loi modifiant certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.

8 Loi dite « Touraine » n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

9 Loi n° 90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation.

10 À ce titre, elle peut notamment porter une réclamation devant le préfet, le président du tribunal judiciaire ou le procureur de la République.

11 Pour de plus amples éléments sur l'encadrement de l'hospitalisation sous contrainte, il convient de se reporter au commentaire précité de la décision n° 2020-844 QPC.

12 Jérôme Morisset, « Isolement et contention en psychiatrie, facteurs d'influence et alternatives », in Recherches en soins infirmiers, 2018/1, n° 132, p. 78.

13 La contention mécanique a été définie par la Haute Autorité de santé (HAS) comme « l'utilisation de tous moyens, méthodes, matériels ou vêtements empêchant ou limitant les capacités de mobilisation volontaire de tout ou partie du corps dans un but de sécurité pour un patient dont le comportement présente un risque grave pour son intégrité ou celle d'autrui » (HAS, Isolement et contention en psychiatrie générale. Recommandations pour la pratique clinique, février 2017, p. 9). La contention chimique repose sur la prise de médicaments.

14 Cet encadrement juridique a longtemps fait défaut, ce qui a conduit plusieurs institutions à dénoncer des atteintes aux droits fondamentaux des patients C'est le cas notamment du contrôleur général des lieux de privation de liberté (Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Rapport d'activité 2012, Dalloz, 2013 ; Rapport d'activité 2015. Isolement et contention dans les établissements de santé mentale, Dalloz, 2016) ou du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) (voir, en particulier, Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France par le CPT du 28 novembre au 10 décembre 2010, Strasbourg, Conseil de l'Europe, 2015).

15 À ce titre, la Cour de cassation avait d'ailleurs considéré que les mesures d'isolement et de contention constituaient « des modalités de soins […] ne relevant pas de l'office du juge des libertés et de la détention, qui s'attache à la seule procédure de soins psychiatriques sans consentement pour en contrôler la régularité et le bien-fondé » (Cass. civ. 1re, 21 novembre 2019, n° 19-20.513 ; Cass. civ. 1re, 3 février 2020, n° 19-70.020).

16 Exposé des motifs du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, n° 3397, déposé le 7 octobre 2020 à l'Assemblée nationale.

17 Premier alinéa du paragraphe II de l'article L. 3222-5-1 du CSP.

18 Premier alinéa du paragraphe II du même article. Pour mémoire, le recours à la contention n'est autorisé que dans le cadre d'une mesure d'isolement.

19 « Isolement et contention en psychiatrie générale. Recommandations pour la pratique clinique », Haute autorité pour la santé, février 2017.

20 Sont ainsi visées, par renvoi à l'article L. 3211-12 du CSP, les titulaires de l'autorité parentale ou le tuteur si la personne est mineure, la personne chargée d'une mesure de protection juridique relative à la personne faisant l'objet des soins, son conjoint, son concubin, la personne avec laquelle elle est liée par un pacte civil de solidarité, la personne qui a formulé la demande de soins, un parent ou une personne susceptible d'agir dans l'intérêt de la personne faisant l'objet des soins et le procureur de la République.

21 Décret n° 2021-537 du 30 avril 2021 relatif à la procédure applicable devant le juge des libertés et de la détention en matière d'isolement et de contention mis en œuvre dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement.

22 L'article L. 3211-12-1 prévoit ainsi que « Lorsque le juge des libertés et de la détention n'ordonne pas la mainlevée de la mesure d'hospitalisation complète, il statue, le cas échéant, y compris d'office, sur le maintien de la mesure d'isolement ou de contention ».

23 Étude d'impact du projet de LFSS pour 2021.

24 Voir par exemple en ce sens, l'intervention au Sénat de Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission, qui indique : « La commission ne s'est pas déclarée favorable au caractère systématique de la saisine du juge des libertés et de la détention en cas de renouvellement d'une mesure d'isolement et de contention au-delà de quarante-huit heures. Il ne faudrait pas que ce contrôle devienne essentiellement formel. Conserver à cette saisine un caractère facultatif permettra de concentrer le contrôle du juge sur les cas réellement problématiques » (Compte-rendu des débats, séance du 14 novembre 2020).

25 Rapport n° 3551(Assemblée nationale – XVème législature) de M. Thomas Mesnier, Mmes Caroline Janvier, Monique Limon et de MM. Cyrille Isaac-Sibille et Paul Christophe, sur la nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 19 novembre 2020.

26 Rapport n° 107 (Sénat – 2020-2021) de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général, Mme Corinne Imbert, M. René-Paul Savary, Mmes Élisabeth Doineau, Pascale Gruny et M. Philippe Mouiller, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 4 novembre 2020.

27 Cette disposition complète ainsi la possibilité, prévue par ce même article, pour le patient de saisir le JLD pour qu'il se prononce, de manière plus générale, sur son placement en hospitalisation sous contrainte.

28 Pour une illustration récente, voir la décision n° 2019-807 QPC du 4 octobre 2019, M. Lamin J. (Compétence du juge administratif en cas de contestation de l'arrêté de maintien en rétention faisant suite à une demande d'asile formulée en rétention), paragr. 5 à 12.

29 Décision n° 92-307 DC du 25 février 1992, Loi portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, cons. 13.

30 Décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999, Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, cons. 2 et 20.

31 Décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, cons. 13.

32 Voir, par exemple, les décisions n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Mlle Danielle S. (Hospitalisation sans consentement), cons. 16, n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, Loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, cons. 66, n° 2017-624 QPC du 16 mars 2017, M. Sofiyan I. (Assignations à résidence dans le cadre de l'état d'urgence II), paragr. 5 et, en dernier lieu, n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, Loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, paragr. 30.

33 Voir les décisions n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015, M. Cédric D. (Assignations à résidence dans le cadre de l'état d'urgence), cons. 6, et n° 2017-674 QPC du 30 novembre 2017, M. Kamel D. (Assignation à résidence de l'étranger faisant l'objet d'une interdiction du territoire ou d'un arrêté d'expulsion), paragr. 15.

34 Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 précitée, paragr. 30 à 44 et 48 à 50.

35 Décision n° 92-307 DC du 25 février 1992 précitée, cons. 15 ; décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010 précitée, cons. 20.

36 Voir notamment la décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 précitée, paragr. 41.

37 Décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010 précitée, cons. 25 et décision n° 2012-235 QPC du 20 avril 2012,

Association Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie (Dispositions relatives aux soins psychiatriques sans consentement), cons. 16 à 18.

38 Décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, Loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, cons. 73.

39 Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 précitée, paragr. 43.

40 Décision n° 2012-253 QPC du 8 juin 2012, M. Mickaël D. (Ivresse publique), cons. 8.

41 Décision n° 2020-878/879 QPC du 29 janvier 2021, M. Ion Andronie R. et autre (Prolongation de plein droit des détentions provisoires dans un contexte d'urgence sanitaire), cons. 9

42 Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, paragr. 43.

43 Il convient de préciser que les dispositions examinées dans les cinq premières décisions QPC l'ont été dans leur rédaction antérieure à la réforme opérée par la loi du 5 juillet 2011 précitée.

44 Décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Mlle Danielle S. (Hospitalisation sans consentement), cons. 16.

45 Sur ce point, le Conseil a notamment retenu les conditions de production des certificats médicaux, les garanties dans le choix des médecins rédacteurs de ces certificats et le délai de vingt-quatre heures suivant l'admission dans lequel la nécessité de celle-ci doit être confirmée par un médecin psychiatre de l'établissement d'accueil.

46 Ibidem, cons.25.

47 Commentaire de la décision n° 2010-71 QPC précitée, p. 12 à 14.

48 Décision n° 2011-135/140 QPC du 9 juin 2011, M. Abdellatif B. et autre (Hospitalisation d'office).

49 Décision n° 2011-174 QPC du 6 octobre 2011, Mme Oriette P. (Hospitalisation d'office en cas de péril imminent).

50 Décision n° 2011-185 QPC du 21 octobre 2011 précitée, cons. 6.

51 Décision n° 2011-202 QPC du 2 décembre 2011, Mme Lucienne Q. (Hospitalisation sans consentement antérieure à la loi n° 90-527 du 27 juin 1990), cons. 13.

52 Décision n° 2012-235 QPC du 20 avril 2012, Association Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie (Dispositions relatives aux soins psychiatriques sans consentement).

53 Ibidem, cons. 12.

54 Ibid., cons. 15 à 18.

55 Décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020 précitée, paragr. 4.

56 Ibid., paragr. 5 et 6.

57 Ibid., paragr. 7.