• Commentaire DC

Commentaire de la décision 2021-834 DC

13/06/2023

 

La loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure avait été définitivement adoptée le 16 décembre 2021.

 

Le Conseil constitutionnel en avait été saisi par deux recours. Le premier, enregistré le 20 décembre 2021, émanait de plus de soixante députés des groupes « Socialistes et apparentés », « La France insoumise » et « Gauche démocrate et républicaine », qui contestaient ses articles 15 et 16. Le second, enregistré le 23 décembre 2021, émanait de plus de soixante sénateurs du groupe « Socialiste, Écologiste et Républicain », du groupe « Communiste, républicain, citoyen et écologiste » et du groupe « Écologiste Solidarité et Territoires », qui contestaient, outre ses articles 15 et 16, ses articles 13 et 17.

 

Le présent commentaire porte sur l'article 15 de la loi déférée qui définit le régime d'utilisation des caméras aéroportées par certains services de l'État et par les services de police municipale dans le cadre de l'exercice de leurs missions de police administrative.

 

Dans sa décision n° 2021-834 DC du 20 janvier 2022, le Conseil constitutionnel a censuré les mots « et L. 242-7 » figurant au second alinéa du 2° et au a du 5° de cet article 15, ainsi que le vingt-cinquième alinéa de son 6° et le 8° du même article.

 

Il a déclaré les autres dispositions contestées de l'article 15 conformes à la Constitution, sous trois réserves d'interprétation1.

 

I. – Présentation des dispositions contestées

 

* Selon l'exposé des motifs du projet de loi, l'article 15 de la loi déférée avait pour objet de tirer les conséquences de la censure par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2021-817 DC du 21 mai 20212, des dispositions de l'article 47 de la loi n° 2021–646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, qui établissaient un premier régime juridique encadrant l'utilisation par les forces de l'ordre de caméras aéroportées ou « drones ».

 

À la manière de l'article 47 de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, mais en excluant de son champ les opérations de police judiciaire3, l'article 15 de la loi déférée apporte plusieurs modifications au chapitre II « Caméras installées sur des aéronefs » du titre IV « Caméras mobiles » du livre II « Ordre et sécurité publics » du code de la sécurité intérieure (CSI).

 

Cet article 47 modifie les articles L. 242-1 et L. 242-4 du code de la sécurité intérieure et insère au sein du même code les articles L. 242-2 et L. 242-5. Il insérait également au sein du même code un article L. 242-7 relatif à l'utilisation de « drones » par les services de police municipale.

 

– Le paragraphe I du nouvel article L. 242-5 du CSI précise les finalités propres à justifier que soit accordée aux services de la police nationale et de la gendarmerie nationale, « dans l'exercice de leurs missions de prévention des atteintes à l'ordre public et de protection de la sécurité des personnes et des biens », ainsi qu'aux militaires réquisitionnés pour les besoins de la défense et de la sécurité civiles, une autorisation de procéder à la captation, à l'enregistrement et à la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs.

 

La première finalité est la « prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés, en raison de leurs caractéristiques ou des faits qui s'y sont déjà déroulés, à des risques d'agression, de vol ou de trafic d'armes, d'êtres humains ou de stupéfiants ainsi que la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords immédiats, lorsqu'ils sont particulièrement exposés à des risques d'intrusion ou de dégradation ».

 

La deuxième finalité est la « sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public ainsi que l'appui des personnels au sol en vue de leur permettre de maintenir ou rétablir l'ordre public, lorsque ces rassemblements sont susceptibles d'entraîner des troubles graves à l'ordre public ».

 

Figurent ensuite les finalités de « prévention d'actes de terrorisme » (3°), de « régulation des flux de transport, aux seules fins du maintien de l'ordre et de la sécurité publics » (4°), de « surveillance des frontières en vue de lutter contre leur franchissement irrégulier » (5°) et de « secours aux personnes » (6°).

 

Le paragraphe II de l'article L. 242-5 du CSI prévoit quant à lui une finalité propre aux missions des agents des douanes : « dans l'exercice de leurs missions de prévention des mouvements transfrontaliers de marchandises prohibées, les agents des douanes peuvent être autorisés à procéder à la captation, à l'enregistrement et à la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs ».

 

– S'agissant des conditions de mise en œuvre des caméras aéroportées, l'article L. 242-4 du CSI est modifié par l'article 15 pour prévoir que la mise en œuvre de ces traitements doit « être strictement nécessaire à l'exercice des missions concernées et adaptée au regard des circonstances de chaque intervention. Elle ne peut être permanente ».

 

L'article L. 242-4 du même code prévoit en outre que « Les dispositifs aéroportés ne peuvent ni procéder à la captation du son, ni comporter de traitements automatisés de reconnaissance faciale. Ces dispositifs ne peuvent procéder à aucun rapprochement, interconnexion ou mise en relation automatisé avec d'autres traitements de données à caractère personnel ».

 

Par ailleurs, le paragraphe III du nouvel article L. 242-5 du CSI précise que les dispositifs de captation aéroportés « sont employés de telle sorte qu'ils ne visent pas à recueillir les images de l'intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées ». Ce paragraphe ajoute que « lorsque l'emploi de ces dispositifs conduit à visualiser ces lieux, l'enregistrement est immédiatement interrompu. Toutefois, lorsqu'une telle interruption n'a pu avoir lieu compte tenu des circonstances de l'intervention, les images enregistrées sont supprimées dans un délai de quarante–huit heures à compter de la fin du déploiement du dispositif, sauf transmission dans ce délai dans le cadre d'un signalement à l'autorité judiciaire, sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale »4.

 

Enfin, s'agissant de l'information du public, l'article L. 242-3 du CSI prévoit que « le public est informé par tout moyen approprié de l'emploi de dispositifs aéroportés de captation d'images et de l'autorité responsable de leur mise en œuvre, sauf lorsque les circonstances l'interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis. Une information générale du public sur l'emploi de dispositifs aéroportés de captation d'images est organisée par le ministre de l'intérieur ». Il renvoie au décret d'application prévu par l'article L. 242-8 du CSI le soin de préciser « les exceptions au principe d'information du public prévu à l'article L. 242-3 ».

 

– Quant au régime d'autorisation de ces captations d'images par caméras aéroportées, le paragraphe IV de l'article L. 242-5, tout en disposant que l'autorisation est délivrée par décision écrite et motivée du représentant de l'État dans le département ou, à Paris, du préfet de police, prévoit en outre qu'elle « est subordonnée à une demande qui précise: / 1° Le service responsable des opérations ; / 2° La finalité poursuivie ; / 3° La justification de la nécessité de recourir au dispositif, permettant notamment d'apprécier la proportionnalité de son usage au regard de la finalité poursuivie ; / 4° Les caractéristiques techniques du matériel nécessaire à la poursuite de la finalité ; / 5° Le nombre de caméras susceptibles de procéder simultanément aux enregistrements ; / 6° Le cas échéant, les modalités d'information du public ; / 7° La durée souhaitée de l'autorisation ; / 8° Le périmètre géographique concerné ».

 

Il est également prévu que l'autorisation préfectorale détermine « la finalité poursuivie et [qu'elle] ne peut excéder le périmètre géographique strictement nécessaire à l'atteinte de cette finalité ». Cette autorisation doit également « fixe[r] le nombre maximal de caméras pouvant procéder simultanément aux enregistrements, au regard des autorisations déjà délivrées dans le même périmètre géographique ». Ce premier contingentement s'accompagne d'un second contingentement au niveau du département : en effet, « le nombre maximal de caméras pouvant être simultanément utilisées dans chaque département est fixé par arrêté du ministre de l'intérieur » (paragraphe VII de l'article L. 242-5 du CSI).

 

Le paragraphe IV de l'article L. 242-5 du CSI encadre en outre la durée de cette autorisation qui « est délivrée pour une durée maximale de trois mois, renouvelable selon les mêmes modalités, lorsque les conditions de sa délivrance continuent d'être réunies. Toutefois, lorsqu'elle est sollicitée au titre de la finalité prévue au 2° du I, l'autorisation n'est délivrée que pour la durée du rassemblement concerné ».

 

Le dernier alinéa de ce même paragraphe organise la fin de l'autorisation en prévoyant que « Le représentant de l'État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut mettre fin à tout moment à l'autorisation qu'il a délivrée, dès lors qu'il constate que les conditions ayant justifié sa délivrance ne sont plus réunies ».

 

– Un dispositif d'urgence était, par ailleurs, introduit au paragraphe V de l'article L. 242-5 du CSI par le vingt-sixième alinéa de l'article 15 : il était ainsi prévu que, « lorsque l'urgence résultant d'une exposition particulière et imprévisible à un risque d'atteinte caractérisée aux personnes ou aux biens le requiert, les traitements mentionnés au présent article peuvent être mis en œuvre de manière immédiate, après information préalable du représentant de l'État dans le département ou, à Paris, du préfet de police, qui peut y mettre fin à tout moment. Au–delà d'une durée de quatre heures, la poursuite de la mise en œuvre du traitement est subordonnée à son autorisation expresse et ne peut excéder une durée de vingt–quatre heures ».

 

* Par ailleurs, après adoption par le Sénat d'un sous-amendement de Mme Françoise GATEL, l'article 15 de la loi déférée introduisait un nouvel article L. 242-7 dans le CSI consacré spécifiquement à l'expérimentation, pour une durée de cinq ans, de l'usage de caméras aéroportées par les services de police municipale.

 

L'article L. 242-7 reprenait, à cette fin, certaines conditions et garanties entourant le régime applicable aux services de police et de gendarmerie nationales :

 

– le recours aux caméras aéroportées était « autorisé uniquement lorsqu'il est proportionné au regard de la finalité poursuivie », laquelle pouvait être, aux termes du paragraphe I de l'article L. 242-7, « La sécurité des manifestations sportives, récréatives ou culturelles, dans la limite des missions relevant de l'autorité de police du maire » (1°) « La régulation des flux de transport aux seules fins d'assurer la sécurité publique » (2°) ou encore « Les mesures d'assistance et de secours aux personnes nécessaires en cas de survenue d'accidents ou de fléaux calamiteux, lorsque la direction des opérations de secours relève de l'autorité de police du maire » (3°) ;

– ces caméras devaient être employées « de telle sorte qu'[elles] ne visent pas à recueillir les images de l'intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées » et, dans le cas où leur emploi conduirait à visualiser ces lieux, les mêmes règles d'interruption de la captation ou de suppression des images que celles prévues pour les services de police et de gendarmerie nationales s'appliquaient ;

 

– la demande d'autorisation du maire, subordonnée à l'existence d'une convention de coordination des interventions de la police municipale et des forces de sécurité de l'État, devait contenir les mêmes éléments justificatifs (service responsable, finalité, justification de la nécessité de recourir à des caméras embarquées, nombre de caméras, information du public, durée souhaitée et périmètre) ;

 

– l'autorisation préfectorale devait déterminer la finalité poursuivie ainsi que le périmètre géographique qui devait être strictement nécessaire à celle-ci ;

 

– l'autorisation fixait également « le nombre maximal de caméras pouvant procéder simultanément aux enregistrements, au regard des autorisations déjà délivrées dans le même périmètre géographique, y compris aux services de l'État » ;

 

– étaient également transposées à cette expérimentation les règles précédemment décrites relatives à la durée de l'autorisation (trois mois renouvelables ou, le cas échéant, seule durée de la manifestation) et à la tenue d'un registre devant être transmis chaque semaine au représentant de l'État dans le département ou, à Paris, au préfet de police, afin de lui permettre de s'assurer de la conformité des interventions réalisées à l'autorisation délivrée.

 

Enfin, ce régime expérimental prévoyait une dérogation permettant de prendre en compte les situations d'urgence, aux termes de laquelle « lorsque l'urgence résultant d'une exposition particulière et imprévisible à un risque d'atteinte caractérisée aux personnes ou aux biens le requiert, les traitements mentionnés au présent article peuvent être mis en œuvre de manière immédiate, après information préalable du représentant de l'État dans le département ou, à Paris, du préfet de police, qui peut y mettre fin à tout moment. Au–delà d'une durée de quatre heures, la poursuite de la mise en œuvre du traitement est subordonnée à son autorisation expresse et ne peut excéder une durée de vingt–quatre heures ».

 

Un rapport d'évaluation de cette expérimentation devait être remis au Parlement au plus tard six mois avant son terme. Un débat devait également être organisé au cours de cette expérimentation sur le fondement d'un rapport d'évaluation intermédiaire.

 

II. – Les griefs des requérants

 

Selon les députés et sénateurs requérants, ces dispositions portaient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. À l'appui de ce grief, ils reprochaient tout d'abord au législateur d'avoir prévu des finalités trop larges pour justifier le recours aux dispositifs aéroportés et de ne pas avoir prévu expressément son caractère subsidiaire. Ils faisaient ensuite valoir que le législateur n'avait fixé aucune durée maximale à l'autorisation délivrée par le préfet. Les députés requérants faisaient en outre valoir que la limitation du périmètre de la surveillance était laissée à la discrétion de l'autorité compétente pour autoriser le recours à ces dispositifs.

 

Les députés et sénateurs considéraient également que la possibilité de mettre en œuvre de tels dispositifs sans l'autorisation préalable du préfet en cas d'urgence était insuffisamment encadrée. Par ailleurs, selon eux, l'article 15 n'interdisait pas, de manière générale, que les images captées par ces dispositifs puissent faire l'objet d'un traitement automatisé de reconnaissance faciale. Les députés requérants estimaient en outre que les garanties édictées en cas de captation d'images de l'intérieur des domiciles ou de leurs entrées étaient insuffisantes et que le nombre maximal de caméras pouvant être utilisées simultanément était laissé à la discrétion du préfet.

 

Pour les mêmes motifs, les députés requérants soutenaient enfin que les dispositions contestées méconnaissaient la liberté de manifester.

 

III. – Analyse de constitutionnalité

 

A. – La jurisprudence constitutionnelle

 

Dans sa décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021 précitée, le Conseil constitutionnel, saisi de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, a été, pour la première fois, conduit à contrôler des dispositions législatives prévoyant l'usage de drone5.

 

Il a alors fixé le cadre d'examen de telles dispositions.

 

Il a tout d'abord reconnu que « Pour répondre aux objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions, le législateur pouvait autoriser la captation, l'enregistrement et la transmission d'images par des aéronefs circulant sans personne à bord aux fins de recherche, de constatation ou de poursuite des infractions pénales ou aux fins de maintien de l'ordre et de la sécurité publics ».

 

Il a toutefois relevé que, « eu égard à leur mobilité et à la hauteur à laquelle ils peuvent évoluer, ces appareils sont susceptibles de capter, en tout lieu et sans que leur présence soit détectée, des images d'un nombre très important de personnes et de suivre leurs déplacements dans un vaste périmètre. Dès lors, la mise en œuvre de tels systèmes de surveillance doit être assortie de garanties particulières de nature à sauvegarder le droit au respect de la vie privée ».

 

Le Conseil a ainsi souligné l'intensité particulière de l'atteinte portée au droit au respect de la vie privée par l'usage de caméras fixées sur des drones et a relevé la nécessité de prévoir, en conséquence, des « garanties particulières » de nature à sauvegarder ce droit.

 

Dans ce cadre, après avoir constaté que les dispositions contestées portaient atteinte au respect de la vie privée, dès lors qu'elles « permettent la captation et la transmission d'images concernant un nombre très important de personnes, y compris en suivant leur déplacement, dans de nombreux lieux et, le cas échéant, sans qu'elles en soient informées », le Conseil a relevé plusieurs lacunes des dispositions contestées qui ont conduit à leur censure.

 

En premier lieu, le Conseil a constaté que les finalités pour lesquelles il pouvait être recouru à ces drones recouvraient des cas très divers. Le Conseil a notamment relevé que cet usage était possible pour toute infraction, y compris une contravention, et également, s'agissant de la police municipale, pour « assurer l'exécution de tout arrêté de police du maire, quelle que soit la nature de l'obligation ou de l'interdiction qu'il édicte ».

 

En deuxième lieu, il a constaté que des garanties encadraient la décision de recourir à un tel moyen de surveillance puisqu'une autorisation devait être délivrée par une autorité particulière, c'est-à-dire, dans le champ de la police administrative, le représentant de l'État dans le département et, à Paris, par le préfet de police. Le législateur avait également prévu que cette autorisation devait être justifiée au regard des circonstances de chaque intervention et pour une durée adaptée à ces circonstances. Toutefois, le Conseil a noté que le législateur n'avait lui-même fixé « aucune limite maximale à la durée d'une telle autorisation, exceptée la durée de six mois lorsque cette autorisation est délivrée à la police municipale, ni aucune limite au périmètre dans lequel la surveillance peut être mise en œuvre ».

 

En troisième lieu, le Conseil a relevé que « l'autorisation de recourir au dispositif de captation d'images contesté est soumise à la condition que des circonstances liées aux lieux de l'opération rendent particulièrement difficile le recours à d'autres outils de captation d'images ou que ces circonstances soient susceptibles d'exposer les agents à un danger significatif uniquement dans le cadre d'une enquête pour une infraction punie d'une peine inférieure à cinq ans d'emprisonnement ou lorsqu'il s'agit d'assurer la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public ». Il en a conclu que, « Hors ce dernier cas, ce recours ne présente donc pas un caractère subsidiaire en matière de police administrative ».

 

En dernier lieu, le Conseil a constaté que « les dispositions contestées ne fixent pas le principe d'un contingentement du nombre des aéronefs circulant sans personne à bord équipés d'une caméra pouvant être utilisés, le cas échéant simultanément, par les différents services de l'État et ceux de la police municipale ». Comme le relève le commentaire de la décision sur ce point, « un tel principe est parfois prévu. Ainsi, par exemple, s'agissant des IMSI catcher, le paragraphe IV de l'article L. 851-6 du code de la sécurité intérieure prévoit que le nombre maximal de ces appareils pouvant être utilisés simultanément est arrêté par le Premier ministre, ce que le Conseil avait relevé dans sa décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015 »6.

 

Le Conseil en a déduit que, « au regard des motifs pouvant justifier le recours à des aéronefs équipés de caméras et circulant sans personne à bord par les services de l'État concourant à la sécurité intérieure et à la défense nationale et ceux de police municipale et des conditions encadrant ce recours, le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et le droit au respect de la vie privée ». Il a donc censuré les dispositions contestées relatives à l'emploi des drones par les forces de l'ordre et les agents de la police municipale.

 

Ainsi que le relève, là encore, le commentaire de la décision, ce faisant, « le Conseil constitutionnel n'a pas jugé que le principe du recours à des caméras fixées sur des aéronefs par les forces de l'ordre était contraire à la Constitution, mais que l'équilibre trouvé par le législateur ne protégeait pas suffisamment le droit au respect de la vie privée. Les différentes caractéristiques des régimes contestés pointées par le Conseil dans son raisonnement n'étaient pas en soi inconstitutionnelles, mais leur cumul le devenait au regard de l'atteinte portée au droit au respect de la vie privée ».

 

B. – L'application à l'espèce

 

* Après avoir rappelé l'objet des dispositions contestées, le Conseil constitutionnel a exercé son contrôle en reprenant la grille d'analyse qu'il avait fixée dans sa décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021.

 

Il a ainsi d'abord rappelé le contrôle spécifique qu'il opère en matière de recours aux drones : « Pour répondre aux objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions, le législateur peut autoriser la captation, l'enregistrement et la transmission d'images par des aéronefs circulant sans personne à bord aux fins de recherche, de constatation ou de poursuite des infractions pénales ou aux fins de maintien de l'ordre et de la sécurité publics. Toutefois, eu égard à leur mobilité et à la hauteur à laquelle ils peuvent évoluer, ces appareils sont susceptibles de capter, en tout lieu et sans que leur présence soit détectée, des images d'un nombre très important de personnes et de suivre leurs déplacements dans un vaste périmètre. Dès lors, la mise en œuvre de tels systèmes de surveillance doit être assortie de garanties particulières de nature à sauvegarder le droit au respect de la vie privée » (paragr. 21).

 

Il a ensuite examiné si les dispositions contestées prévoyaient des garanties particulières.

 

* Le Conseil a tout d'abord procédé à un tel contrôle concernant les dispositions permettant l'usage de drones par certains services de l'État.

 

Il a constaté, en premier lieu, qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public (paragr. 24).

 

En deuxième lieu, examinant les finalités pour lesquelles ces dispositifs peuvent être utilisés, il a estimé que le législateur les avait précisément circonscrites (paragr. 25).

 

En troisième lieu, le Conseil s'est attaché aux conditions dans lesquelles le préfet peut autoriser le recours à de tels dispositifs.

 

Sur ce point, le Conseil a relevé plusieurs garanties. Il a relevé, de manière générale, que « le recours à ces dispositifs ne peut être autorisé par le préfet que s'il est proportionné au regard de la finalité poursuivie. À cet égard, la demande des services compétents doit préciser cette finalité et justifier, au regard de celle-ci, la nécessité de recourir aux dispositifs aéroportés » (paragr. 26).

 

D'une part, concernant le champ de l'autorisation, le Conseil a constaté que « l'autorisation du préfet détermine cette finalité et le périmètre strictement nécessaire pour l'atteindre ainsi que le nombre maximal de caméras pouvant être utilisées simultanément, au regard des autorisations déjà délivrées dans le même périmètre géographique. En outre, le nombre maximal de caméras pouvant être simultanément utilisées dans chaque département est fixé par arrêté du ministre de l'intérieur » (paragr. 27). Ainsi, le législateur a prévu que l'autorisation du préfet définit un périmètre géographique et qu'elle est enserrée dans un contingentement.

 

Toutefois, le Conseil a formulé une réserve d'interprétation destinée à assurer le caractère subsidiaire du recours aux dispositifs aéroportés. Il a ainsi exigé qu'« Une telle autorisation ne saurait cependant, sans méconnaître le droit au respect de la vie privée, être accordée qu'après que le préfet s'est assuré que le service ne peut employer d'autres moyens moins intrusifs au regard de ce droit ou que l'utilisation de ces autres moyens serait susceptible d'entraîner des menaces graves pour l'intégrité physique des agents » (même paragr.).

 

D'autre part, le Conseil a pris en compte la limite temporelle de l'autorisation délivrée par le préfet. Il a ainsi relevé que : « l'autorisation accordée par le préfet n'est pas permanente. Elle ne peut être délivrée, lorsqu'il s'agit d'assurer la sécurité d'un rassemblement public, que pour la durée de ce dernier et, pour les autres finalités, que pour une durée maximale de trois mois. Le préfet, qui reçoit chaque semaine le registre tenu par l'autorité responsable des traitements faisant apparaître le détail de chaque intervention, y met fin dès que ces conditions ne sont plus réunies. Cette autorisation ne peut être renouvelée que si les conditions de sa délivrance continuent d'être réunies » (paragr. 28).

 

Sur ce point également, le Conseil constitutionnel a toutefois formulé, s'agissant des conditions dans lesquelles l'autorisation du préfet pouvait être renouvelée, une réserve similaire à celle qu'il a formulée pour la délivrance de l'autorisation. Il a ainsi jugé qu'« un tel renouvellement ne saurait, sans méconnaître le droit au respect de la vie privée, être décidé par le préfet sans qu'il soit établi que le recours à ces dispositifs aéroportés demeure le seul moyen d'atteindre la finalité poursuivie » (même paragr.).

 

En quatrième lieu, le Conseil a relevé que les dispositions contestées empêchent que les drones soient utilisés pour recueillir des images de l'intérieur des domiciles et de leurs entrées et qu'elles prévoient que, « dans le cas où ces lieux seraient néanmoins visualisés, l'enregistrement doit être immédiatement interrompu et que lorsqu'une telle interruption n'a pu avoir lieu compte tenu des circonstances de l'intervention, les images enregistrées sont supprimées dans un délai qui ne peut excéder quarante-huit heures à compter de la fin du déploiement du dispositif, sauf dans le cas de la transmission, dans ce délai, d'un signalement à l'autorité judiciaire » (paragr. 29).

 

En dernier lieu, le Conseil a constaté que les dispositifs aéroportés ne peuvent ni procéder à la captation du son, ni comporter de traitements automatisés de reconnaissance faciale, ni procéder à des rapprochements avec d'autres traitements de données à caractère personnel (paragr. 30). Sur ce dernier point, le Conseil a formulé une réserve d'interprétation, en précisant que « ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître le droit au respect de la vie privée, être interprétées comme autorisant les services compétents à procéder à l'analyse des images au moyen d'autres systèmes automatisés de reconnaissance faciale qui ne seraient pas placés sur ces dispositifs aéroportés » (même paragr.). Cette réserve permet ainsi d'assurer que les images issues de ces dispositifs ne fassent pas l'objet d'une reconnaissance faciale.

 

En revanche, le Conseil constitutionnel a censuré le vingt-cinquième alinéa du 6° de l'article 15 de la loi déférée qui prévoyait que, en cas d'urgence résultant d'« une exposition particulière et imprévisible à un risque d'atteinte caractérisée aux personnes ou aux biens », ces mêmes services pouvaient recourir immédiatement à ces dispositifs aéroportés, pour une durée pouvant atteindre quatre heures et à la seule condition d'en avoir préalablement informé le préfet. Le Conseil a constaté que ces dispositions « permettent le déploiement de caméras aéroportées, pendant une telle durée, sans autorisation du préfet, sans le réserver à des cas précis et d'une particulière gravité, et sans définir les informations qui doivent être portées à la connaissance de ce dernier ». Il en a déduit que, « Dès lors, elles n'assurent pas une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées » et qu'elles étaient donc contraires à la Constitution (paragr. 31).

 

Au total, sous les réserves énoncées aux paragraphes 27 et 30 de sa décision, le Conseil constitutionnel a jugé que les deux premières phrases du premier alinéa et le deuxième alinéa de l'article L. 242-4 du CSI ainsi que, sous la réserve énoncée à son paragraphe 28, les paragraphes I à IV, VI et VII de l'article L. 242-5 du même code ne méconnaissaient pas le droit au respect de la vie privée (paragr. 32). Constatant que ces dispositions ne méconnaissaient pas non plus le droit d'expression collective des idées et des opinions ni aucune autre exigence constitutionnelle, le Conseil les a déclarées conformes à la Constitution (paragr. 33).

 

* Le Conseil a ensuite examiné les dispositions permettant l'usage de drones par les services de police municipale.

 

À l'aune du même cadre d'analyse, il a jugé que le dispositif souffrait de plusieurs lacunes justifiant la censure de ces dispositions.

 

En premier lieu, le législateur avait permis aux services de la police municipale de recourir à ces dispositifs aéroportés aux fins « non seulement d'assurer la régulation des flux de transport et les mesures d'assistance et de secours aux personnes, mais également la sécurité des manifestations sportives, récréatives ou culturelles, sans limiter cette dernière finalité aux manifestations particulièrement exposées à des risques de troubles graves à l'ordre public » (paragr. 35).

 

Ce faisant, alors que l'utilisation par certains services de l'Etat de ces dispositifs pour la sécurité des rassemblements de personnes a été limitée aux rassemblements « susceptibles d'entraîner des troubles graves à l'ordre public », les dispositions relatives aux services de la police municipale permettaient une utilisation des dispositifs aéroportés pour la sécurité de toutes les manifestations sportives, récréatives ou culturelles relevant de l'autorité de police du maire.

 

En deuxième lieu, le Conseil a souligné que, « si le législateur a prévu que le recours à ces dispositifs aéroportés devait être autorisé par le préfet, il n'a pas prévu que ce dernier puisse y mettre fin à tout moment, dès lors qu'il constate que les conditions ayant justifié sa délivrance ne sont plus réunies » (paragr. 36). C'était là encore une différence avec le régime prévu pour les services de l'État qui prévoit que le préfet peut mettre fin à tout moment à l'autorisation qu'il délivre.

 

En dernier lieu, à l'instar de la procédure d'urgence qu'il a censurée pour les services de l'État, le Conseil a relevé que les dispositions contestées prévoyaient que, « en cas d'urgence résultant d'"une exposition particulière et imprévisible à un risque d'atteinte caractérisée aux personnes ou aux biens", ces mêmes services peuvent recourir immédiatement à ces dispositifs aéroportés, pour une durée pouvant atteindre quatre heures et à la seule condition d'en avoir préalablement informé le préfet. Ainsi, ces dispositions permettent le déploiement de caméras aéroportées, pendant une telle durée, sans autorisation du préfet, sans le réserver à des cas précis et d'une particulière gravité, et sans définir les informations qui doivent être portées à la connaissance de ce dernier » (paragr. 37).

 

Au regard de l'ensemble de ces éléments, le Conseil a jugé que ces dispositions n'assuraient pas une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées et les a donc déclarées contraires à la Constitution.

 

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1 Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a par ailleurs déclaré les dispositions contestées des articles 13, 16 et 17 de la loi conformes à la Constitution, en formulant deux réserves d'interprétation concernant les dispositions de ce dernier article.

2 Décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021, Loi pour une sécurité globale préservant les libertés.

3 L'utilisation de ces dispositifs pour des opérations de police judiciaire a été encadrée par l'article 16 de la loi déférée qui insère les articles 230-47 à 230-53 au sein du code de procédure pénale.

4 Ces dispositions propres aux lieux privés ont été également prévues à l'article 17 de la loi déférée en matière d'enregistrement par des caméras embarquées.

5 Décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021, précitées, paragr. 129 à 141.

6 Décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015, Loi relative au renseignement, cons. 63.