• Commentaire DC

Commentaire de la décision 2021-829 DC

13/06/2023

Le projet de loi organique pour la confiance dans l'institution judiciaire a été adopté définitivement par le Sénat le 18 novembre 2021.

 

En application des dispositions des articles 46 et 61 (1er alinéa) de la Constitution, la loi organique a été transmise par le Premier ministre au Conseil constitutionnel le 19 novembre 2021.

 

Cette loi organique a été prise sur le fondement des articles 64 et 68-2 de la Constitution, qui renvoient à la loi organique le statut des magistrats et le fonctionnement de la Cour de justice de la République (CJR).

 

Par sa décision n° 2021-829 DC du 17 décembre 2021, le Conseil constitutionnel a déclaré l'article 4 de cette loi organique contraire à la Constitution.

 

En outre, il a, sous plusieurs réserves d'interprétation, jugé conforme à la Constitution son article 1er.

 

Les autres dispositions de la loi organique ont été déclarées conformes à la Constitution.

 

Le présent commentaire porte sur l'article 4 de la loi.

 

I. – Présentation de l'article 4 de la loi organique (enregistrement et diffusion des audiences devant la Cour de justice de la République)

 

L'article 4 de la loi organique déférée fixait les conditions d'enregistrement et de diffusion des audiences devant la CJR. Il entendait prendre en compte la réforme des règles d'enregistrement et de diffusion des audiences juridictionnelles introduite par la loi ordinaire pour la confiance dans l'institution judiciaire.

 

* Pour mémoire, la loi ordinaire pour la confiance dans l'institution judiciaire, adoptée définitivement le même jour que la loi organique, a inséré au sein de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse un nouvel article 38 quater consacrant la possibilité d'enregistrement et de diffusion des audiences juridictionnelles (s'agissant des autres juridictions que la CJR). 

 

* Suivant une recommandation formulée par le Conseil d'État dans son avis sur l'avant-projet de loi, le projet de loi organique déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale prévoyait initialement d'étendre purement et simplement à la CJR les modalités d'enregistrement et de diffusion des audiences prévues, par la loi ordinaire, pour les autres juridictions.

 

Au cours des débats, le régime applicable à la CJR avait toutefois été aménagé en première lecture en séance publique par l'Assemblée nationale1, afin de ne pas soumettre l'enregistrement ou la diffusion de ses audiences à l'exigence d'un « motif d'intérêt public » qui a été établie s'agissant des audiences devant les autres juridictions. Selon l'exposé sommaire de l'amendement adopté à cet effet, « [la CJR] est appelée à connaître des infractions pénales commises par un membre du gouvernement dans l'exercice de ses fonctions. Il ne fait aucun doute, dès lors que des prérogatives de puissance publique ont été détournées de leur objet à des fins délictuelles ou criminelles, qu'offrir aux citoyens la possibilité de suivre l'audience présente un intérêt public certain ». Aussi avait-il été prévu que l'autorisation d'enregistrer les audiences de la Cour de justice de la République aux fins de leur diffusion était « de droit », sans préjuger « en rien », selon l'auteur de l'amendement, « du cahier des charges et des modalités de conciliation de demandes concurrentes potentielles, qui continueront d'être définis par décret ».

 

L'article finalement adopté complétait l'article 26 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République. Il avait pour objet d'ajouter à cet article un alinéa ainsi rédigé : « L'enregistrement sonore ou audiovisuel des audiences devant la Cour de justice de la République est de droit. Dans la mesure où elles ne sont pas contraires à la première phrase du présent alinéa, les règles et sanctions fixées à l'article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en matière d'enregistrement et de diffusion des audiences sont applicables ».

       

II. – La jurisprudence constitutionnelle

 

Le Conseil constitutionnel a eu deux occasions récentes, par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), d'examiner des dispositions applicables à la captation audiovisuelle de certaines phases des procédures judiciaires. 

 

* D'une part, par sa décision n° 2017-693 QPC du 2 mars 2018, il s'est prononcé sur l'interdiction de la présence des journalistes lors d'une perquisition.

 

Le Conseil constitutionnel a jugé que l'atteinte à la liberté d'expression et de communication des journalistes résultant de ce qu'ils étaient privés de toute possibilité de réaliser un reportage audiovisuel sur une perquisition était nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi par le législateur en instaurant le secret de l'enquête et de l'instruction.

 

Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce que, en instaurant le secret de l'enquête et de l'instruction, le législateur avait poursuivi plusieurs objectifs : garantir le bon déroulement de l'enquête et de l'instruction (poursuivant ainsi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions) et protéger les personnes concernées par une enquête ou une instruction « afin de garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d'innocence ».

 

Le Conseil a ensuite notamment relevé que « ces dispositions ne privent pas les tiers, en particulier les journalistes, de la possibilité de rendre compte d'une procédure pénale et de relater les différentes étapes d'une enquête et d'une instruction. Dès lors, l'atteinte portée à l'exercice de la liberté d'expression et de communication est limitée ».

 

Le Conseil en a déduit que, « sans que cela interdise au législateur d'autoriser la captation par un tiers du son et de l'image à certaines phases de l'enquête et de l'instruction dans des conditions garantissant le respect des exigences constitutionnelles mentionnées ci-dessus, l'atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui résulte des dispositions contestées est nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi »2.

 

* D'autre part, saisi de dispositions énonçant une interdiction générale de procéder à la captation ou à l'enregistrement des audiences des juridictions administratives ou judiciaires, le Conseil constitutionnel a relevé, par sa décision n° 2019-817 QPC du 6 décembre 2019, que l'interdiction de l'utilisation d'appareils d'enregistrement de la parole ou de l'image avait été édictée pour « garantir la sérénité des débats vis-à-vis des risques de perturbations liés à l'utilisation de ces appareils »3. Cette interdiction était dès lors justifiée au regard de l'objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice.

 

De plus, le Conseil a relevé que l'interdiction de ces appareils visait également à « prévenir les atteintes que la diffusion des images ou des enregistrements issus des audiences pourrait porter au droit au respect de la vie privée des parties au procès et des personnes participant aux débats, à la sécurité des acteurs judiciaires et, en matière pénale, à la présomption d'innocence de la personne poursuivie »4.

 

Le Conseil constitutionnel a ensuite examiné l'interdiction posée par les dispositions contestées à la lumière des conditions actuelles d'utilisation des dispositifs de captation et d'enregistrement. À cet égard, il a constaté qu'il était aujourd'hui possible d'utiliser des dispositifs techniques qui ne perturbent pas en eux-mêmes le déroulement des débats. Le commentaire de cette décision relève ainsi que la captation et l'enregistrement des débats peuvent être réalisés de nos jours au moyen d'appareils assurant une certaine discrétion. Toutefois, cette seule circonstance ne fait pas pour autant disparaître tout risque d'atteinte à la sérénité des débats, une telle atteinte pouvant résulter de la seule perspective, pour les personnes y participant, de la diffusion d'images ou d'enregistrements de ces débats. C'est la raison pour laquelle le Conseil a considéré que l'interdiction contestée permettait de prévenir une telle diffusion « susceptible quant à elle de perturber ces débats »5.

 

Retournant sur ce point l'argument tiré de la banalisation des outils modernes de captation de l'image et du son, le Conseil constitutionnel a par ailleurs souligné que l'évolution des moyens de communication pouvait conférer à cette diffusion un retentissement important, amplifiant le risque d'atteinte aux intérêts protégés par les dispositions contestées6. Ainsi que le relève le commentaire de la décision sur ce point, « on peut en effet difficilement nier que, sur les réseaux sociaux, l'impact d'une photographie ou d'un enregistrement vidéo est souvent bien plus fort que la diffusion, autorisée par la loi, d'un texte ou d'un croquis d'audience ».

 

Enfin, le Conseil a relevé que la portée de l'atteinte à la liberté d'expression et de communication n'était pas absolue, dès lors que l'interdiction résultant des dispositions contestées, « à laquelle il a pu être fait exception, ne prive pas le public qui assiste aux audiences, en particulier les journalistes, de la possibilité de rendre compte des débats par tout autre moyen, y compris pendant leur déroulement, sous réserve du pouvoir de police du président de la formation de jugement »7.

 

Ce faisant, le Conseil a, d'un côté, implicitement pris en compte la possibilité prévue par le code du patrimoine de procéder à l'enregistrement audiovisuel de certains procès pour la constitution d'archives historiques de la justice. De l'autre, il a expressément rappelé que la participation du public aux audiences, en particulier celle des journalistes, leur donnait la possibilité de rendre compte des débats par tout autre moyen qu'un enregistrement ou une captation. Cela signifie que les journalistes peuvent bien évidemment retranscrire par écrit le déroulement des débats, y compris en mettant à profit les évolutions techniques pour diffuser cette restitution pendant le déroulement même des débats, comme le montre la pratique du microblogage en direct par de nombreux chroniqueurs judiciaires.

 

En considération de l'ensemble de ces éléments, le Conseil constitutionnel a jugé que l'atteinte à liberté d'expression et de communication résultant des dispositions contestées était nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis par le législateur et a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance de l'article 11 de la Déclaration de 17898.

 

III. – L'application à l'espèce

 

* Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a commencé par énoncer les normes constitutionnelles en application desquelles il a exercé son contrôle sur les dispositions prévoyant l'enregistrement et la diffusion des audiences devant la CJR.

 

Il tout d'abord rappelé qu'il « incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution, en particulier son article 34, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi » (paragr. 29).

 

Le Conseil a ensuite précisé que « S'il est loisible au législateur organique, au regard de l'intérêt public qu'elles présentent, d'autoriser l'enregistrement des audiences devant la Cour de justice de la République en vue de leur diffusion, il lui revient d'adopter des dispositions propres à garantir le droit au respect de la vie privée et la présomption d'innocence, qui résulte des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789 » (paragr. 30).

 

Le Conseil a ainsi souligné que, s'il avait jugé conforme à la Constitution le dispositif général interdisant antérieurement l'enregistrement et la diffusion des audiences par sa décision précitée du 6 décembre 2019, il n'en demeurait pas moins loisible au législateur de lever cette interdiction ou de lui apporter des dérogations.

 

Il résulte toutefois de la jurisprudence constitutionnelle, comme l'avait relevé le Conseil d'État dans son avis, que le législateur doit alors veiller, par des mesures appropriées, au respect des exigences constitutionnelles précitées, à savoir le droit au respect de la vie privée des parties au procès et des personnes participant aux débats, à la sécurité des acteurs judiciaires et, en matière pénale, à la présomption d'innocence de la personne poursuivie.

 

* Comme indiqué précédemment, l'article 4 de la loi déférée avait pour objet de systématiser l'enregistrement et la diffusion des audiences devant la CJR. Il se distinguait en cela de l'article 38 quater de la loi de 1881, qui a prévu un tel enregistrement à titre de possibilité devant les juridictions administratives ou judiciaires, si un motif d'intérêt public le justifie (d'ordre « pédagogique, informatif, culturel ou scientifique »).

 

Plutôt que de déterminer lui-même les modalités de cet enregistrement et de la diffusion des audiences devant la CJR, le législateur organique avait fait le choix de procéder pour cela à un renvoi général aux « règles et sanctions fixées à l'article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en matière d'enregistrement et de diffusion des audiences sont applicables », en précisant que ces règles s'appliquaient « dans la mesure où elles ne sont pas contraires » à la règle prévoyant l'enregistrement de plein droit de ces audiences.

 

Après avoir exposé l'objet des dispositions de l'article 4 de la loi organique, le Conseil n'a pu que constater qu'« En prévoyant que l'enregistrement des audiences devant la Cour de justice de la République est "de droit" sans déterminer précisément les conditions et modalités de cet enregistrement, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence et privé de garanties légales les exigences découlant des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789 » (paragr. 32).

 

En effet, l'article 38 quater de la loi de 1881, dans sa rédaction issue de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, énumère les conditions de délivrance d'une autorisation d'enregistrement sonore ou audiovisuel d'une audience devant les juridictions administratives et judiciaires, les modalités d'organisation de cet enregistrement et le contrôle de sa mise en œuvre, ainsi que les conditions dans lesquelles est recueilli, au moment de l'enregistrement, l'accord des personnes enregistrées à la diffusion des éléments permettant leur identification.

 

Or, la formulation très générale du principe d'enregistrement « de droit » des audiences devant la Cour de justice de la République ne permettait pas de déterminer celles des règles prévues à l'article 38 quater qui devaient trouver à s'appliquer comme n'étant « pas contraires » à ce principe.

 

Le Conseil constitutionnel a jugé que, dès lors, le législateur organique avait méconnu l'étendue de sa compétence et privé de garanties légales les exigences découlant des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789. Il a donc déclaré l'article 4 de la loi organique contraire à la Constitution (paragr. 33).

 

Ce faisant, le Conseil n'a pas interdit, par principe, l'enregistrement et la diffusion des audiences de la CJR. En revanche, il a exigé que le législateur organique encadre les conditions de l'enregistrement et de la diffusion afin, notamment, de ne pas priver de garanties légales le droit au respect de la vie privée des parties au procès, mais également des personnes participant aux débats et la présomption d'innocence de la personne poursuivie.

 

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1 Amendement n° 8, déposé le vendredi 14 mai 2021, par M. Stéphane MAZARS, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/4147/AN/8.

2 Décision n° 2017-693 QPC du 2 mars 2018, Association de la presse judiciaire (Présence des journalistes au cours d'une perquisition), paragr. 8, 9 et 12.

3 Décision n° 2019-817 QPC du 6 décembre 2019, Mme Claire L. (Interdiction générale de procéder à la captation ou à l'enregistrement des audiences des juridictions administratives ou judiciaires), paragr. 7.

4 Ibidem.

5 Ibid., paragr. 8.

6 Ibid., même paragr.

7 Ibid., paragr. 9.

8 Ibid., paragr. 10.