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Commentaire de la décision 2020-851/852 QPC

09/12/2022

Conformité

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 mai 2020 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêts nos 971 et 973 du 26 mai 2020) de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) posées, l'une par M. Sofiane A. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 2° du paragraphe I de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, l'autre par M. Djemil H. portant sur le d de ce même 2°.

 

Dans sa décision n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les mots « des détentions provisoires » figurant au d du 2° du paragraphe I de cet article 11.

 

I. – Les dispositions contestées

 

A. – Origine et objet des dispositions contestées

 

1. – Les règles relatives au placement et à la prolongation de la détention provisoire

 

La détention provisoire est une mesure privative de liberté « ordonnée à titre exceptionnel, par un ou plusieurs magistrats du siège, permettant d'incarcérer une personne présumée innocente jusqu'à sa condamnation définitive, dans les cas et selon les conditions prévus par la loi »1. Parce qu'elle porte une « grave »2 atteinte à la présomption d'innocence ainsi qu'à la liberté individuelle de la personne qui en fait l'objet, cette mesure a toujours été assortie, dans la procédure pénale contemporaine, de la garantie que constitue l'intervention d'un juge – à l'origine le magistrat instructeur, jusqu'à ce que la loi du 15 juin 2000 accorde compétence exclusive au juge des libertés et de la détention (JLD)3 –, que ce soit pour décider du placement en détention provisoire (a.) ou pour en prolonger la durée (b.).

 

a. – Le placement en détention provisoire

 

Le code de procédure pénale (CPP) prévoit qu'une personne mise en cause dans une affaire criminelle ou correctionnelle peut être placée en détention provisoire pour une durée et suivant des conditions différentes selon que son incarcération intervient au cours d'une instruction préparatoire ou dans l'attente de son procès, en cas de renvoi devant une juridiction de jugement à l'issue de l'instruction (cette seconde hypothèse étant celle de l'audiencement)4.

 

* Au cours d'une instruction préparatoire, la détention provisoire peut être ordonnée par le JLD5 à l'égard de la personne mise en examen pour un crime ou un délit puni d'une durée égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement. Elle peut également être ordonnée, quelle que soit la peine d'emprisonnement encourue, lorsque la personne mise en examen se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire ou d'une assignation à résidence avec surveillance électronique (ARSE)6.  Dans tous les cas, le placement en détention provisoire ne peut être envisagé qu'« à titre exceptionnel », « en raison des nécessités de l'instruction ou à titre de mesure de sûreté » et si les obligations du contrôle judiciaire ou de l'ARSE « ne permettent pas d'atteindre ces objectifs »7.

 

Le JLD doit, à cet égard, motiver l'ordonnance de placement en détention provisoire au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, afin d'établir que cette mesure constitue « l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs » mentionnés à l'article 144 du CPP8. Le placement en détention provisoire ne peut intervenir qu'à l'issue d'un débat contradictoire, qui se tient en principe en audience publique et au cours duquel le JLD entend le ministère public et la personne mise en examen, assistée le cas échéant de son avocat9.

 

L'article 144-1 du CPP pose en principe que la détention provisoire « ne peut excéder une durée raisonnable, au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité »10. Ce principe se double toutefois de bornes fixant la durée maximale de la détention provisoire à quatre mois en matière correctionnelle11 et un an en matière criminelle12.

 

Passé ce délai, la mesure doit donc faire l'objet d'une décision de prolongation pour que la personne mise en examen soit maintenue en détention. Aucune prolongation n'est toutefois possible en matière correctionnelle lorsque la personne détenue est mise en examen pour des faits passibles d'une peine inférieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement et qu'elle n'a pas déjà été condamnée pour un crime ou un délit de droit commun soit à une peine criminelle, soit à une peine d'au moins un an d'emprisonnement sans sursis.

 

* À l'issue de l'instruction, le maintien en détention provisoire pour l'audiencement dépend, dans son principe comme dans sa durée, de la nature des faits pour lesquels la personne est renvoyée en jugement :

 

– si les faits constituent un délit, la détention provisoire doit normalement prendre fin avec l'ordonnance de règlement13. Toutefois, le juge d'instruction peut décider de maintenir le prévenu en détention provisoire jusqu'à sa comparution devant le tribunal correctionnel, par une décision spécialement motivée par référence à certains motifs de l'article 144 du CPP14. La détention provisoire ne peut alors excéder une durée de deux mois au maximum15, à défaut de quoi le prévenu est immédiatement remis en liberté ;

 

– si les faits constituent un crime, le principe est inversé concernant l'ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises puisque le mandat de dépôt décerné contre l'accusé durant l'instruction conserve sa force exécutoire jusqu'à son jugement16. L'accusé détenu en raison des faits pour lesquels il est renvoyé devant la cour d'assises est toutefois immédiatement remis en liberté s'il n'a pas comparu à l'expiration d'un délai d'un an à compter soit de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive, s'il était alors détenu, soit de la date à laquelle il a été ultérieurement placé en détention provisoire17 ;

 

– en appel, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a prévu que le prévenu doit comparaître devant la chambre des appels correctionnels dans un délai de quatre mois à compter soit de l'appel, si le prévenu est détenu, soit de la date à laquelle le prévenu a été ultérieurement placé en détention provisoire, en application de la décision rendue en premier ressort18.

 

* En dehors de l'ouverture d'une information judiciaire, une personne prévenue pour un délit19 peut également être placée en détention provisoire dans certaines hypothèses, dans l'attente de sa comparution devant le tribunal correctionnel20. Ce type de détention, dont la durée maximale peut aller de quelques jours à quatre mois, ne peut toutefois pas donner lieu à prolongation.

 

b. – Les prolongations possibles de la détention provisoire

 

Le code de procédure pénale aménage des possibilités de prolongation de la détention provisoire au cours de l'instruction comme à l'issue de celle-ci, selon une périodicité et dans la limite de délais butoirs qui varient en fonction, là aussi, de la nature des faits poursuivis.

 

* Au cours de l'instruction, la prolongation de la détention provisoire est en principe décidée par le JLD, saisi par une ordonnance motivée du juge d'instruction. Il statue par une ordonnance motivée prise selon les mêmes modalités que celles prévues pour le placement en détention provisoire21 et rendue après un débat contradictoire organisé dans les mêmes conditions22 (sous réserve de l'obligation de convoquer l'avocat de la personne détenue au plus tard cinq jours ouvrables avant la tenue de ce débat).

 

– En matière correctionnelle, et sous réserve que la personne détenue soit mise en examen pour des faits qui le permettent (cf. supra), le JLD peut prolonger « à titre exceptionnel » la détention provisoire pour une durée qui ne peut excéder quatre mois. Cette décision peut toutefois être renouvelée jusqu'à porter la durée totale de la détention à un an au maximum. Au-delà, certaines situations spécifiques, tenant essentiellement à la gravité particulière des faits, peuvent justifier que la durée maximale de la détention provisoire atteigne deux voire trois ans23. Un délai de quatre mois supplémentaires est par ailleurs susceptible d'être accordé par la chambre de l'instruction au terme de chacune de ces durées totales de détention lorsque les investigations du juge d'instruction doivent être poursuivies et que la mise en liberté de la personne mise en examen causerait pour la sécurité des personnes et des biens un risque d'une particulière gravité24.

 

– En matière criminelle, la prolongation de la détention provisoire au-delà d'un an peut se faire par périodes d'une durée de six mois au maximum, dans la limite de deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à vingt ans de réclusion ou de détention criminelles. Au-delà de ce seuil, la durée totale de la détention peut atteindre trois ans, voire quatre ans lorsque l'un des faits constitutifs de l'infraction a été commis hors du territoire national ou que la personne est poursuivie pour des crimes particulièrement graves25. À chacune de ces durées totales peut s'ajouter la « rallonge » précitée de quatre mois supplémentaires, renouvelable une fois, sur décision de la chambre de l'instruction.

 

À l'arrivée, si les prolongations possibles de la détention provisoire peuvent aboutir à ce que la durée totale de la mesure dépasse de loin le « délai butoir » de quatre mois ou un an posé par le premier alinéa des articles 145-1 et 145-2 du CPP, chacune de ces prolongations requiert l'intervention d'un juge26, ce qui impose au juge d'instruction et, sur sa saisine éventuelle, au JLD « de s'interroger périodiquement sur la nécessité de maintenir la détention »27 au regard des exigences légales. À titre d'illustration, pour qu'une détention provisoire dure deux ans, le JLD doit ainsi rendre cinq ordonnances de prolongation en matière correctionnelle, contre deux en matière criminelle.

 

* À l'issue de l'instruction, les délais maximums de maintien en détention pour l'audiencement peuvent également être prolongés « à titre exceptionnel » pour une durée respective de deux et six mois en matière correctionnelle et criminelle, renouvelable une fois28. La détention spécifiquement prévue en matière d'audiencement peut ainsi atteindre une durée totale de deux ans en matière criminelle, contre six mois en matière correctionnelle. La décision prise, selon les cas, par le tribunal correctionnel ou la chambre de l'instruction (en matière criminelle), doit mentionner les raisons de fait ou de droit faisant obstacle au jugement de l'affaire29. En appel, une prolongation de quatre mois est possible, selon des modalités comparables, sur décision du président de la chambre des appels correctionnels. Cette décision peut être renouvelée une fois dans les mêmes formes30.

 

* Il convient de rappeler que le placement en détention provisoire ou sa prolongation, de même que le maintien en détention ou sa prolongation pour l'audiencement, peuvent toujours être contestés par la personne mise en examen par la voie de l'appel devant la chambre de l'instruction31. En cours de détention, la personne peut également demander à tout moment sa mise en liberté au juge d'instruction32.

 

2. – Les modifications apportées au régime de la détention provisoire dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire

 

a. – L'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 (les dispositions renvoyées)

 

Afin de faire face aux conséquences de la propagation du virus à l'origine de la covid-19, le législateur a autorisé, dans le cadre de la loi du 23 mars 2020 précitée, le Gouvernement à prendre par ordonnance de l'article 38 de la Constitution toute une série de mesures d'urgence et d'adaptation à la lutte contre l'épidémie dans des domaines relevant du domaine de la loi.

 

En application de l'article 11 de cette loi, le Gouvernement a, en particulier, reçu une habilitation aux fins d'adapter les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires. Selon l'exposé des motifs du projet de loi, ces mesures, ainsi que toutes celles procédant à des adaptations de la procédure pénale, avaient « pour objet de limiter les contacts entre les justiciables et les personnels judiciaires, tout en assurant la continuité du service public de la justice »33.

 

* Le texte initial de l'article 11 (ex 7) visait plus spécifiquement à permettre l'allongement des délais d'audiencement et la prolongation des mesures de détention provisoire au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat, lorsque les exigences de la santé publique rendent impossible l'intervention des magistrats compétents. Dans son avis sur le projet de loi rendu le 18 mars 2020, le Conseil d'État avait à cet égard considéré que « s'il peut s'avérer nécessaire, au regard des exigences de la lutte contre le virus, de modifier les règles relatives […] à la durée de détention provisoire […], ce ne peut être qu'aux seules fins de mettre en œuvre trois catégories d'adaptation : l'intervention à distance de l'avocat, le différé limité de la présentation devant les magistrats compétents en cas d'impossibilité de les faire intervenir au regard des exigences de la santé publique et l'allongement des délais d'audiencement, que le Conseil d'État enserre dans des limites de durée à défaut desquelles les garanties fondamentales nécessaires ne pourraient être regardées comme suffisamment données »34.

 

Lors de l'examen du projet de loi par le Sénat, le rapporteur de la commission des lois, M. Philippe Bas, a présenté cette disposition d'habilitation dans les termes suivants : « La durée de la détention provisoire ou de l'ARSE pourrait être prolongée au-delà des durées maximales actuellement prévues par le code de procédure pénale, afin d'éviter que ces mesures de sureté n'arrivent à leur terme avant que l'audience de jugement n'ait pu être organisée. Cette durée supplémentaire ne pourrait excéder trois mois en première instance et six mois en appel. De plus, les décisions de prolongation de la détention provisoire ou de l'ARSE pourraient être prises par le juge des libertés et de la détention au terme d'une procédure écrite (réquisitions écrites du parquet, observations écrites de la personne ou de son avocat) »35.

 

Afin de ne pas limiter la possibilité d'allonger les délais de détention provisoire aux personnes qui, après la clôture de l'instruction, sont déjà renvoyées devant la juridiction de jugement, le Gouvernement a présenté un amendement au cours des débats en séance publique visant à étendre un tel allongement pour les détentions intervenant au cours de l'instruction. Cet amendement, adopté par le Sénat, a été justifié par le fait qu'« Il convient, dans ces deux hypothèses, d'éviter la remise en liberté de personnes placées en détention provisoire afin notamment de prévenir la commission d'infractions graves contre les personnes ou les biens. […] Cet allongement sera en tout état de cause doublement limité par le texte de l'habilitation, puisqu'il ne pourra excéder trois mois ou six mois et qu'il devra également être proportionné à la durée de détention de droit commun »36.

 

Le d du 2° du paragraphe I de l'article 11 a ensuite été adopté par le Sénat et l'Assemblée nationale conformément aux intentions du Gouvernement, sans que son examen ne donne lieu à des discussions particulières autour de l'intervention d'un juge, que ce soit pour la prolongation de la détention provisoire au cours de l'instruction ou pour l'audiencement.

 

* Conformément au premier alinéa du paragraphe I de l'article 11, les ordonnances prises en application de cet article ne pouvaient l'être que dans un délai de trois mois à compter de la publication de la loi du 23 mars 2020, soit jusqu'au 24 juin 2020 inclus. C'est dans ce cadre que le Gouvernement a adopté l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation, entre autres, des règles de la détention provisoire.

 

 

 

 

b. – L'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020

 

L'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale a été prise sur le fondement de la loi du 23 mars 2020, comme l'indique son intitulé, et plus précisément, selon ses visas, « le b, le c, le d et le e du 2° du I de son article 11 ».

 

* L'article premier de ce texte précise que l'adaptation des règles procédurales vise à « permettre la continuité de l'activité des juridictions pénales essentielle au maintien de l'ordre public ». Aux termes de son article 2, ces adaptations sont applicables sur l'ensemble du territoire de la République jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire.

 

L'article 16 de l'ordonnance porte, plus spécifiquement, sur l'allongement des délais maximums de détention provisoire ou d'ARSE. Son premier alinéa prévoit que, « En matière correctionnelle, les délais maximums de détention provisoire ou d'assignation à résidence sous surveillance électronique, prévus par les dispositions du code de procédure pénale, qu'il s'agisse des détentions au cours de l'instruction ou des détentions pour l'audiencement devant les juridictions de jugement des affaires concernant des personnes renvoyées à l'issue de l'instruction, sont prolongés [de] plein droit de deux mois lorsque la peine d'emprisonnement encourue est inférieure ou égale à cinq ans et de trois mois dans les autres cas, sans préjudice de la possibilité pour la juridiction compétente d'ordonner à tout moment, d'office, sur demande du ministère public ou sur demande de l'intéressé, la mainlevée de la mesure, le cas échéant avec assignation à résidence sous surveillance électronique ou sous contrôle judiciaire lorsqu'il est mis fin à une détention provisoire. Ce délai est porté à six mois en matière criminelle et, en matière correctionnelle, pour l'audiencement des affaires devant la cour d'appel ». Le troisième alinéa de cet article précise toutefois que « Les prolongations prévues par le présent article ne s'appliquent qu'une seule fois au cours de chaque procédure ».

 

* Cet article 16 est rapidement apparu aux yeux de certains auteurs comme l'une des « dispositions les plus polémiques de l'ordonnance n° 2020-303, portant gravement atteinte aux droits de la défense »37, en raison de son effet prorogatif « de plein droit » des délais maximums de détention provisoire, auquel la circulaire ministérielle de présentation du 26 mars 202038 a conféré une large portée. Selon cette circulaire, la prolongation de plein droit devait en effet concerner non la seule durée totale maximale, mais tout titre de détention en cours d'exécution à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance. Après avoir rappelé que ces dispositions ne concernent que les affaires ayant fait l'objet d'une instruction et qu'elles s'appliquent aux détentions provisoires en cours « de la date de publication de l'ordonnance à la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire ou ayant débuté pendant cette période »39, la circulaire a précisé qu'« elles ont ainsi pour conséquence que, pendant une durée […] de deux mois, trois mois ou six mois, il n'est pas nécessaire que des prolongations soient ordonnées par la juridiction compétente pour prolonger la détention en cours en application des règles de droit commun »40.

 

Ce faisant, l'interprétation retenue par la chancellerie privilégiait un allongement de la durée de toutes les détentions provisoires, de façon automatique et sans le contrôle d'un juge41.

 

* Plusieurs dispositions de l'ordonnance du 25 mars 2020, en particulier son article 16, ainsi que la circulaire du 26 mars 2020 ont été contestées devant le Conseil d'État par la voie de référés-suspension formés par différents syndicats et associations. Les requérants faisaient notamment valoir que « la prolongation de plein droit et sans intervention d'un juge de la durée de tous les mandats de dépôt arrivant à expiration, quelle que soit la durée déjà écoulée de la détention provisoire, si elle devait être considérée comme prévue par l'article 16 de l'ordonnance contestée, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la sûreté et à la présomption d'innocence en ce qu'elle excède, d'une part, l'habilitation législative résultant du d) du 2) du I de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 qui a seulement visé l'allongement des délais maximum ou butoirs de la détention provisoire et, d'autre part, ce qui est justifié par les circonstances exceptionnelles liées au covid-19 ».

 

Par deux ordonnances rendues le 3 avril 2020, le juge des référés du Conseil d'État a rejeté l'ensemble de ces griefs après avoir considéré, en particulier, que le Gouvernement agissant par voie d'ordonnance avait été habilité à allonger les délais des détentions provisoires, « quels qu'ils soient », et qu'« en allongeant de façon générale les délais maximums de détention provisoire fixés par la loi, pour les détentions provisoires en cours comme celles débutant entre la date de publication de l'ordonnance et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, l'ordonnance contestée a mis en œuvre l'habilitation donnée par la loi du 23 mars 2020, dans le respect des conditions qu'elle y a mises »42.

 

Sur le fond, il a par ailleurs jugé que l'ordonnance s'était « bornée à allonger ces délais, sans apporter d'autre modification aux règles du code de procédure pénale qui régissent le placement et le maintien en détention provisoire »43, avant de conclure, compte tenu des garanties prévues et des circonstances liées à l'épidémie de covid-19, que l'ordonnance comme la circulaire ne pouvaient être regardées comme portant une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par les requérants.

 

Cette interprétation donnée à l'article 16 de l'ordonnance n'a toutefois pas été suivie par toutes les juridictions judiciaires44 et a ensuite été contestée devant la Cour de cassation tant au regard des termes de l'habilitation législative que de la conformité de ce texte aux exigences de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'une part, et des articles 66 de la Constitution et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, d'autre part.

 

* Par deux arrêts rendus le 26 mai 2020 (concernant les deux affaires à l'origine des présentes QPC), la chambre criminelle de la Cour de cassation, après avoir observé que, « dès l'entrée en vigueur du texte, cette question [du sens à donner à l'expression "délais maximums de détention provisoire" à l'article 16 de l'ordonnance] a suscité des difficultés majeures d'interprétation, qui ont entraîné des divergences d'analyse par les juridictions de première instance comme d'appel »45, a pris position en faveur de l'interprétation du texte que préconisait la circulaire précitée : « l'expression "délais maximums de détention provisoire" ne permet pas, à elle seule, de déterminer la portée de l'article 16. / En revanche, il convient d'observer que la prolongation de "plein droit" des délais maximums de détention provisoire ne peut être interprétée que comme signifiant l'allongement de ces délais, pour la durée mentionnée à l'article 16, sans que ne soit prévue l'intervention d'un juge. / Or, il serait paradoxal que l'article 16 ait prévu que l'allongement de la durée totale de la détention s'effectue sans intervention judiciaire tandis que l'allongement d'un titre de détention intermédiaire serait subordonné à une décision judiciaire. / Il convient d'en déduire que l'article 16 s'interprète comme prolongeant, sans intervention judiciaire, pour les durées qu'il prévoit, tout titre de détention venant à expiration, mais à une seule reprise au cours de chaque procédure. / Au surplus, cette lecture de l'article 16 n'est pas en contradiction avec l'article 1er, III, 2°, de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 qui a introduit un article 16-1 dans l'ordonnance mettant fin aux prolongations de plein droit prévues à l'article 16 et dont il résulte que celles-ci s'appliquaient soit à une échéance intermédiaire, soit à la dernière échéance possible de la détention provisoire »46.

 

La chambre criminelle a ensuite répondu, successivement, aux griefs mettant en cause la légalité, la constitutionnalité et la conventionnalité de l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020.

 

Elle a tout d'abord écarté le grief tiré de ce que l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020, ainsi interprété, aurait excédé les limites de l'article 11, I, 2°, d de la loi d'habilitation du 23 mars 2020, aux motifs que « le Gouvernement a pu prévoir, sans excéder les limites de la loi d'habilitation, la prolongation de plein droit des titres de détention au cours de l'instruction ou lors de l'audiencement, à une reprise, pour les durées prévues à l'article 16 »47. Ce faisant, la Cour de cassation a fait usage du pouvoir que le juge pénal tient de l'article 111-5 du code pénal pour apprécier la légalité d'un acte administratif lorsque la solution du procès pénal qui lui est soumis en dépend. Ce pouvoir lui permet notamment, à l'égard d'une ordonnance non ratifiée, de vérifier que celle-ci n'excède pas le champ défini par le Parlement dans la loi d'habilitation48.

 

Puis, elle a considéré qu'il ne lui appartenait pas d'apprécier la conformité à la Constitution de l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020 dans la mesure où il avait été pris en application de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 (en application de la théorie dite de la « loi-écran » qui conduit le juge ordinaire à refuser de se prononcer sur la constitutionnalité d'un acte administratif pris sur le fondement d'une loi lorsque cela le conduirait nécessairement à se prononcer en réalité sur la constitutionnalité de la loi elle-même), qui par ailleurs faisait l'objet des QPC renvoyées en l'espèce au Conseil constitutionnel49.

 

Enfin, la chambre criminelle a jugé que l'article 16 de l'ordonnance ne saurait être « regardé comme compatible avec l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme50 […] que si la juridiction qui aurait été compétente pour prolonger la détention rend, dans un délai rapproché courant à compter de la date d'expiration du titre ayant été prolongé de plein droit, une décision par laquelle elle se prononce sur le bien-fondé du maintien en détention »51. C'est au regard de la méconnaissance de cette dernière exigence, dont elle a défini les modalités de mise en œuvre, qu'elle a, en définitive, prononcé la cassation des arrêts attaqués.

 

* Dans le délai prévu au paragraphe III de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020, un projet de loi de ratification, notamment, de l'ordonnance du 25 mars 2020, a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 13 mai 202052.

 

Quelques jours plus tôt, le Parlement avait toutefois choisi, sans attendre l'expiration du délai de l'habilitation prévu au paragraphe I de ce même article (à compter du 25 juin 2020), d'apporter des modifications au régime dérogatoire de détention provisoire résultant de l'ordonnance du 25 mars 2020.

 

c. – La loi n° 2020-546 du 11 mai 2020

 

En réponse aux principales critiques adressées à l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 202053, la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire54 a inséré un nouvel article 16-1 dans cette ordonnance mettant fin à la prolongation de plein droit des détentions provisoires dont l'échéance intervient à compter de cette date. L'insertion de cet article fait suite à un amendement présenté par M. Bas au nom de la commission des lois du Sénat aux fins d'abroger les dispositions du d du 2° de l'article 11 de la loi du 23 mars 202055. Lors de la navette parlementaire, la commission des lois de l'Assemblée nationale est toutefois revenue sur cette abrogation, au profit d'un dispositif modifiant directement l'ordonnance et organisant « les modalités du retour progressif au droit commun de la détention provisoire »56.

 

Il résulte du premier alinéa de l'article 16-1 ainsi introduit que la prolongation de plein droit des délais de détention provisoire prévue à l'article 16 n'est plus applicable aux titres de détention dont l'échéance intervient à compter du 11 mai 2020. Pour ces derniers titres – ce terme renvoyant aux mandats de dépôt ordonnant l'incarcération de l'intéressé –, le retour au droit commun se manifeste par le fait que les détentions ne peuvent être prolongées que par une décision de la juridiction compétente prise après un débat contradictoire. La tenue de ce débat peut néanmoins être aménagée selon les modalités dérogatoires au droit commun prévues à l'article 19 de l'ordonnance (i.e. selon une instruction écrite des observations des parties, lorsque le recours à la visioconférence n'est pas matériellement possible).

 

Tout en consacrant l'interprétation littérale qui avait pu être défendue de l'article 16, selon laquelle « la prolongation de plein droit du délai de détention intervenue au cours de l'instruction avant le 11 mai 2020 […] n'a pas pour effet d'allonger la durée maximale totale de la détention en application des dispositions du code de procédure pénale, sauf si cette prolongation a porté sur la dernière échéance possible », les alinéas suivants de l'article 16-1 de l'ordonnance préservent néanmoins les effets de ces détentions prolongées de plein droit en exigeant seulement, pour les plus longues d'entre elles, qu'une décision du JLD vienne en régulariser le maintien a posteriori. Une « prorogation » automatique d'un mois des titres de détention dont l'échéance devait intervenir avant le 11 juin 2020 est par ailleurs prévue pour permettre à la juridiction compétente de se prononcer sur la prolongation, sans qu'il en résulte la mise en liberté de la personne57.

B. – Origine des QPC et questions posées

 

* M. Sofiane A. avait été placé en détention provisoire à la suite de sa mise en examen des chefs d'assassinat, infractions à la législation des stupéfiants et association de malfaiteurs. Le 12 avril 2019, il avait été mis en accusation devant la cour d'assises des chefs précités.

 

Par une requête du 27 février 2020, la procureure générale près la cour d'appel de Paris avait saisi la chambre de l'instruction d'une demande de prolongation des effets du mandat de dépôt pour une durée de six mois, en vue de l'audiencement.

 

La chambre de l'instruction avait considéré, par un arrêt du 8 avril 2020, que sa saisine était devenue sans objet dès lors que la détention provisoire se trouvait prolongée de plein droit pour une durée de six mois en application de l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020 précitée.

 

M. Sofiane A. avait formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. À cette occasion, il avait posé une QPC ainsi rédigée :

 

« L'article 11 I 2°) de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 est-il conforme aux articles 2, 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme, 66 de la Constitution en ce qu'il autoriserait le gouvernement à prolonger automatiquement, sans contrôle du juge ni examen concret et individuel de chaque cas toutes les détentions provisoires en cours à la date d'entrée en vigueur de l'état d'urgence sanitaire et celles ordonnées au cours de la période fixée par l'article 4 de la même loi ? »

 

* M. Djemil H. avait été mis en examen des chefs de tentative de meurtre en bande organisée, recel et destruction de biens par incendie. Il avait été placé en détention provisoire le 4 avril 2019. Le 17 mars 2020, le juge d'instruction avait saisi le JLD aux fins de prolongation de la détention provisoire. Par ordonnance du 30 mars 2020, celui-ci avait dit qu'il n'y avait lieu à débat au motif que la détention provisoire se trouvait prolongée de plein droit pour une durée de six mois en application de l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020. M. Djemil H. avait fait appel de ce jugement. Par un arrêt du 9 avril 2020, la chambre de l'instruction de Grenoble avait confirmé l'ordonnance du JLD.

 

M. Djemil H. avait formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt et, dans le même temps, posé la QPC suivante :

 

« L'article 11.I.2.d de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 qui autorise le gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure, notamment en adaptant "aux seules fins de limiter la propagation de l'épidémie de Covid-19 parmi les personnes participant à ces procédures [...] les règles relatives au déroulement et la durée des détentions provisoires [...] pour permettre l'allongement des délais au cours de l'instruction et en matière d'audiencement pour une durée proportionnée à celle de droit commun [...] et la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat" à supposer qu'il ait ainsi créé une prolongation de plein droit de toute détention par les durées "proportionnées" prévues, sans intervention du juge judiciaire et sans nécessité pour ce dernier de s'interroger au fond sur la nécessité de mettre en œuvre cette prolongation, est-il contraire aux articles 16 et 66 de la Constitution, et au principe selon lequel toute privation de liberté doit être, à tout instant, placée sous le contrôle du juge judiciaire, et pouvoir faire l'objet d'un recours effectif devant ce juge ? »

 

* Par les deux arrêts précités du 26 mai 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation a renvoyé ces QPC au Conseil constitutionnel aux motifs que « La question posée présente un caractère sérieux, au regard de l'article 66 de la Constitution, en ce que la disposition critiquée pourrait ne pas préciser suffisamment les modalités de l'intervention du juge judiciaire lors de l'allongement des délais de détention ».

 

II. – L'examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

Le Conseil constitutionnel a joint les deux QPC et statué par une seule décision (paragr. 1).

 

A. – Les griefs et la délimitation du champ de la QPC

 

Les requérants, rejoints par certaines parties intervenantes, soutenaient que les dispositions d'habilitation du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 renvoyées par la Cour de cassation méconnaissaient les exigences découlant de l'article 66 de la Constitution ainsi que les droits de la défense, en permettant aux ordonnances prises sur le fondement de cette loi de prévoir une prolongation automatique de tous les titres de détention provisoire venant à expiration durant la période d'état d'urgence sanitaire, sans que cette prolongation soit subordonnée à l'intervention d'un juge. Par ailleurs, un des requérants reprochait au législateur de ne pas avoir suffisamment précisé, dans ces dispositions d'habilitation, les conditions de cette prolongation automatique de la détention provisoire, ce qui constituait selon lui une incompétence négative.

 

Au regard de ces griefs, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait uniquement sur les mots « des détentions provisoires » figurant au d du 2° du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 (paragr. 4).

 

B. – Les demandes en intervention

 

Trois demandes d'intervention avaient été formées au soutien de la QPC.

 

Le Conseil a admis la recevabilité des demandes émanant, d'une part, de la ligue des droits de l'homme et, d'autre part, du Conseil national des barreaux, de la Conférence des bâtonniers et du Syndicat des avocats de France.

 

En revanche, il a refusé d'admettre celle de M. Christian M. dès lors qu'il contestait « non la possibilité accordée au Gouvernement d'allonger les délais de détention provisoire, mais celle d'augmenter les délais impartis à la chambre de l'instruction pour statuer sur une demande de mise en liberté » (paragr. 6).

 

De tels griefs ne portaient en effet pas sur les dispositions contestées par les requérants, telles que résultant de la délimitation du champ de la QPC opérée par le Conseil, de sorte que leur auteur ne justifiait pas d'un intérêt spécial à intervenir.

 

Il convient à cet égard de rappeler que lorsque le Conseil constitutionnel restreint le champ de la QPC en fonction des griefs du requérant, l'intérêt à agir des personnes ayant demandé à intervenir s'apprécie au regard de ce champ restreint. Ainsi, une intervention qui porte sur des dispositions autres que celles retenues dans ce champ n'est pas admise et le Conseil la rejette alors dans sa décision58.

 

C. – Le contrôle opéré par le Conseil constitutionnel sur les textes adoptés sur le fondement de l'article 38 de la Constitution

 

L'originalité de la présente QPC tenait au fait qu'elle donnait pour la première fois au Conseil constitutionnel l'occasion d'examiner, dans le cadre de son contrôle a posteriori, une loi d'habilitation, envisagée ici à travers l'une des nombreuses dispositions de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 qui habilitaient le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures destinées à faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19. Le Conseil est venu préciser à cette occasion l'étendue du contrôle qu'il opère, dans ce cadre, sur les textes adoptés sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, qu'il s'agisse des dispositions d'une loi d'habilitation (1.), comme en l'espèce, ou des ordonnances prises sur le fondement de celle-ci (2.).

 

1. – L'étendue du contrôle exercé sur les dispositions d'une loi d'habilitation

 

a. – Le contrôle applicable au contentieux a priori

 

Le Conseil constitutionnel est régulièrement saisi, en contrôle a priori, de lois d'habilitation ou d'articles prévoyant des habilitations au sein d'une même loi. Sa jurisprudence sur l'article 38 de la Constitution est bien établie. Il en ressort que le contrôle opéré par le Conseil sur les lois d'habilitation s'articule autour de quatre points.

 

– En premier lieu, en application de l'article 38, seul le Gouvernement peut demander au Parlement l'autorisation de prendre des ordonnances. Une habilitation ne peut donc figurer dans le texte initial d'une proposition de loi59. Seul le Gouvernement peut la demander par voie d'amendement (à une proposition ou à un projet de loi), comme ce fut le cas dans la loi pour le retour à l'emploi60. Le champ ou la portée de l'habilitation ne peut être étendu par voie d'amendement d'origine parlementaire61.

 

– En deuxième lieu, l'article 38 peut être utilisé en toute matière qui relève du domaine de la loi, à l'exception des domaines que la Constitution réserve aux lois organiques62, aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale63.

 

– En troisième lieu, l'article 38 fait « obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu'il présente, la finalité des mesures qu'il se propose de prendre par voie d'ordonnances ainsi que leur domaine d'intervention »64. Pour autant, le Conseil juge que l'article 38 n'impose pas au Gouvernement « de faire connaître au Parlement la teneur des ordonnances qu'il prendra en vertu de cette habilitation »65. Il a également pu admettre que le Gouvernement fasse dépendre cette teneur des résultats de travaux et d'études dont celui-ci ne connaîtra que plus tard les conclusions66. Lorsqu'il apprécie la précision des finalités et du domaine des mesures susceptibles d'être prises par voie d'ordonnance, le Conseil constitutionnel s'attache aux termes mêmes des dispositions d'habilitation, le cas échéant éclairés par les travaux parlementaires67.

 

L'exigence de précision des termes de l'habilitation amène principalement le Conseil à apprécier le caractère suffisamment précis du champ retenu et des finalités énumérées. Les censures, en cette matière, sont rares.

 

Dans sa décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017, le Conseil constitutionnel a censuré, pour la première fois pour un défaut de précision des finalités de l'habilitation, une disposition de la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté qui habilitait le Gouvernement à remplacer les régimes déclaratifs d'ouverture des établissements privés d'enseignement scolaire par un régime d'autorisation préalable. Il a considéré qu'« En habilitant le Gouvernement à remplacer les régimes déclaratifs par un régime d'autorisation d'ouverture d'un établissement privé d'enseignement scolaire, le législateur a précisément défini le domaine d'intervention des mesures qu'il autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance. En revanche, eu égard à l'atteinte susceptible d'être portée à la liberté de l'enseignement par la mise en place d'un régime d'autorisation administrative, en confiant au Gouvernement, sans autre indication, le soin de préciser "les motifs pour lesquels les autorités compétentes peuvent refuser d'autoriser l'ouverture" de tels établissements, le législateur a insuffisamment précisé les finalités des mesures susceptibles d'être prises par voie d'ordonnance. / Par suite, cette habilitation méconnaît les exigences qui résultent de l'article 38 de la Constitution »68. Si la précision du domaine de l'habilitation n'était donc pas en cause ici, le Conseil a jugé qu'il en allait différemment des finalités des mesures que le Gouvernement se proposait de prendre, compte tenu des répercussions qu'un régime d'autorisation administrative pouvait avoir sur le respect de la liberté de l'enseignement, qu'il range parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République69.

 

Plus récemment, le Conseil constitutionnel a censuré, dans sa décision n° 2018-769 DC du 4 septembre 2018, des dispositions habilitant le Gouvernement à adopter des mesures relatives aux missions, à l'organisation et au financement des institutions, organismes et services concourant à l'insertion professionnelle et au maintien dans l'emploi des personnes handicapées. Après avoir relevé que le législateur avait précisément défini le domaine d'intervention des mesures qu'il autorisait le Gouvernement à prendre par ordonnance, il a considéré, en revanche, qu'« en se bornant à indiquer qu'il reviendrait au Gouvernement de "redéfinir" ces missions, organisation et financement, le législateur a[vait] insuffisamment précisé les finalités des mesures susceptibles d'être prises par voie d'ordonnance »70.

 

Dernièrement, dans un registre plus particulier, le Conseil a également déclaré contraires à la Constitution, pour défaut de précision du domaine et des finalités des mesures envisagées, deux dispositions habilitant le Gouvernement à procéder à des expérimentations par voie d'ordonnance, à l'occasion de la décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019 relative à la loi d'orientation des mobilités71.

 

Si le Conseil contrôle la précision de l'habilitation, il refuse en revanche avec constance de connaître d'un grief tiré de l'incompétence négative à l'encontre des dispositions d'une loi d'habilitation72. Le législateur n'est tenu que de déterminer le champ et les finalités de l'habilitation.

 

– En quatrième lieu, en raison du contenu par essence limité des dispositions d'habilitation, le Conseil constitutionnel ne peut que se livrer à un contrôle lui-même limité de ces dispositions au regard des exigences constitutionnelles « de fond ». Ainsi, dans sa décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986, il considère qu'il lui appartient, « d'une part, de vérifier que la loi d'habilitation ne comporte aucune disposition qui permettrait de méconnaître ces règles et principes, d'autre part, de n'admettre la conformité à la Constitution de la loi d'habilitation que sous l'expresse condition qu'elle soit interprétée et appliquée dans le strict respect de la Constitution »73, ce qui l'a conduit à préciser à l'avance la portée des principes de valeur constitutionnelle auxquels les ordonnances prévues devraient se conformer. Ainsi, dans cette décision, le Conseil a formulé de « strictes » réserves d'interprétation visant à faire respecter les garanties relatives au contrôle juridictionnel et aux droits de la défense par des dispositions habilitant le Gouvernement à modifier des dispositions spécifiques de la législation économique relatives au contrôle des concentrations, à la concurrence et aux prix ainsi qu'à la répression d'infractions économiques74. Quelques jours plus tard, dans la décision n° 86-208 DC du 2 juillet 1986, le Conseil a indiqué, s'agissant d'une habilitation « à déterminer par ordonnance, après avis de l'assemblée territoriale compétente, deux circonscriptions sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances et deux circonscriptions sur celui de la Polynésie française », que ces dispositions, « qui ne sauraient avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en application de l'article 38 de la Constitution, du respect des règles et principes de valeur constitutionnelle, et notamment du principe de l'égalité de suffrage, ne sont pas, en elles-mêmes, contraires à la Constitution ; que, cependant, l'ordonnance […] devra déterminer les circonscriptions à l'intérieur des territoires en cause sur des bases essentiellement démographiques ; que, si le Gouvernement a néanmoins la faculté de tenir compte d'impératifs d'intérêt général liés aux caractères spécifiques des territoires considérés, ce ne peut être que dans une mesure limitée ; qu'enfin, la délimitation des circonscriptions ne devra procéder d'aucun arbitraire ; que toute autre interprétation serait contraire à la Constitution »75.

 

En 2005, suivant une formule distincte, le Conseil constitutionnel a jugé, pour écarter des griefs d'inconstitutionnalité d'une loi d'habilitation, que des dispositions portant habilitation ne sont « ni par elles-mêmes, ni par les conséquences qui en découlent nécessairement, contraires aux règles et principes de valeur constitutionnelle »76.

Le Conseil n'a, jusqu'à présent, constaté qu'une seule fois la violation d'une exigence constitutionnelle « matérielle » par une habilitation. Dans sa décision n° 2008-573 DC du 8 janvier 2009, il a censuré, sur le fondement du principe d'égalité devant le suffrage, deux dispositions qui permettaient de moduler le découpage des circonscriptions législatives et instauraient un seuil minimal de deux députés par département77. En effet, en prévoyant explicitement, d'une part, que les opérations de délimitation de ces circonscriptions seraient mises en œuvre sur des bases essentiellement démographiques sous réserve des adaptations justifiées par des motifs d'intérêt général « en fonction notamment de l'évolution respective de la population et des électeurs inscrits sur les listes électorales »  et, d'autre part, que « le nombre de députés ne peut être inférieur à deux pour chaque département », la loi d'habilitation méconnaissait, par elle-même, le principe d'égalité devant le suffrage.

 

b. – Le contrôle applicable au contentieux a posteriori

 

* Le Conseil constitutionnel n'avait, jusqu'à présent, jamais encore été amené à examiner en QPC une disposition portant habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances, faute que des QPC portant sur de telles lois lui aient été transmises.

 

Saisi de telles QPC, le Conseil d'État avait développé une jurisprudence particulière en la matière, depuis une décision du 23 janvier 201578.

 

Dans cette décision, le Conseil d'État avait été saisi d'une QPC relative aux dispositions du a du 5° de l'article premier de la loi du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises, auxquelles il était notamment reproché de porter atteinte aux dispositions combinées des articles 38 et 62 de la Constitution. Le Conseil d'État a motivé son refus par le fait que « les dispositions législatives contestées se bornent à délimiter le champ de l'habilitation donnée au Gouvernement sur le fondement de l'article 38 de la Constitution pour prendre par ordonnance des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ; qu'elles ne sont, dès lors, par leur nature même, pas susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ».

 

Dans cette affaire, le rapporteur public, Mme Aurélie Bretonneau, avait indiqué : « […] en tant qu'elle se borne à habiliter le gouvernement à prendre une ordonnance, une loi d'habilitation ne peut jamais faire utilement l'objet d'une QPC. Ce n'est qu'en tant qu'elle peut être amenée à fixer, le cas échéant, des conditions à l'intervention du gouvernement pour le cas où il se saisirait de l'habilitation consentie qu'elle peut être justiciable de cette procédure. [Par exemple,] une loi qui habiliterait le gouvernement à modifier les peines associées à certains crimes, et qui préciserait qu'alors, le gouvernement serait tenu de faire figurer la peine de mort au sein des nouvelles peines, pourrait être contestée en tant qu'elle pose cette dernière condition. […] S'il fallait exprimer en termes généraux l'impossibilité de former une QPC contre une loi d'habilitation, nous dirions […] que de telles lois sont insusceptibles de porter atteinte à des droits et libertés au sens des dispositions de l'article 61-1 de la Constitution, ce qui revient à dire qu'elles sont structurellement dépourvues de sérieux »79.

 

Depuis lors, le Conseil d'État a eu l'occasion de confirmer que des dispositions d'habilitation n'ont pas vocation à être renvoyées au Conseil constitutionnel dans le cadre du contrôle qu'il exerce en QPC80.

 

Dans les affaires à l'origine des présentes QPC, la Cour de cassation avait, au contraire, admis – pour la première fois – que de telles dispositions puissent faire l'objet d'un renvoi au Conseil constitutionnel dès lors que, par leur insuffisante précision, elles pouvaient porter atteinte à un droit ou une liberté constitutionnellement garanti.

 

* Par la décision commentée, le Conseil constitutionnel a accepté d'examiner les dispositions d'une loi d'habilitation dans le cadre de son contrôle a posteriori, mais dans la stricte mesure de l'office que lui reconnaît l'article 61-1 de la Constitution.

 

Après avoir reproduit les termes de cet article 38, il a d'abord rappelé le contrôle qu'il exerce lorsqu'il est saisi, en contrôle a priori, des dispositions d'une loi d'habilitation. Le Conseil constitutionnel s'assure notamment du respect de l'exigence de précision suffisante du domaine et des finalités de l'habilitation ainsi que du respect de l'exigence « substantielle » qui pèse sur cette habilitation (selon laquelle les dispositions d'habilitation ne sauraient, ni par elles-mêmes, ni par les conséquences qui en découlent nécessairement, méconnaître une règle ou un principe de valeur constitutionnelle), laquelle se prolonge à travers l'obligation incombant au Gouvernement de respecter les règles et principes de valeur constitutionnelle lorsqu'il édicte l'ordonnance (paragr. 8).

 

En revanche, dans le cadre du contrôle a posteriori, en application de l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil examine uniquement le respect par une disposition législative des droits et libertés que la Constitution garantit. Les exigences constitutionnelles procédurales ne relevant pas de cette catégorie, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel d'examiner, dans ce cadre, le respect des différentes exigences posées par l'article 38 de la Constitution. De la même manière que, dans le cadre de son examen a priori d'une loi d'habilitation, le Conseil s'assure que les dispositions d'une telle loi ne méconnaissent ni par elles-mêmes, ni par les conséquences qui en découlent nécessairement, une exigence constitutionnelle, il s'assure donc uniquement, dans le cadre de son contrôle a posteriori, qu'elles ne méconnaissent ni par elles-mêmes, ni par les conséquences qui en découlent nécessairement, un droit ou une liberté au sens de l'article 61-1.

 

Ainsi, après avoir reproduit les termes de l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil en a tiré la conséquence que son contrôle a posteriori des dispositions d'une loi d'habilitation ne saurait avoir une autre finalité : « Par conséquent, le Conseil constitutionnel ne saurait être saisi, sur le fondement de cet article 61-1, que de griefs tirés de ce que les dispositions d'une loi d'habilitation portent atteinte, par elles-mêmes ou par les conséquences qui en découlent nécessairement, aux droits et libertés que la Constitution garantit » (paragr. 9).

 

Ainsi circonscrit, le contrôle exercé en QPC sur des dispositions d'une loi d'habilitation exclut, a contrario, toute possibilité de soutenir, dans ce cadre, d'autres griefs : ne sauraient donc être accueillis ni ceux traditionnellement tirés de l'article 38 de la Constitution, tels que l'insuffisante précision du domaine ou des finalités d'une habilitation, ni ceux fondés sur la seule éventualité que des droits et libertés constitutionnellement garantis puissent, selon l'usage de l'habilitation que fera le pouvoir exécutif, être méconnus par les ordonnances prises sur le fondement de cette habilitation.

 

Ce contrôle du Conseil constitutionnel sur les lois d'habilitation aura sans doute vocation, en pratique, à ne jouer que rarement : dans la grande majorité des cas, la loi d'habilitation, qui par nature présente un caractère général, ne recèlera pas d'inconstitutionnalité. Toutefois, un tel contrôle présente un intérêt particulier dans le cas où la loi d'habilitation fait « écran » entre l'ordonnance et la Constitution et où, en conséquence, le juge saisi de l'ordonnance ne peut sanctionner l'inconstitutionnalité qu'il constate au motif qu'elle trouve son siège dans la loi d'habilitation elle-même, dont l'ordonnance ne fait que tirer les conséquences nécessaires. Si ce cas de figure n'est pas très fréquent, il n'est cependant pas sans précédent dans la jurisprudence de la Cour de cassation81 comme dans celle du Conseil d'État82.

 

2. – L'étendue du contrôle exercé en QPC sur les dispositions d'une ordonnance

 

La reconnaissance d'un possible contrôle de constitutionnalité a posteriori des dispositions d'une loi d'habilitation soulevait la question de l'articulation de ce contrôle avec celui des dispositions d'une ordonnance prise sur le fondement d'une telle loi.

 

Il convient, à cet égard, de rappeler que les QPC objets de la décision commentée, si elles ne portaient pas sur les dispositions d'une ordonnance, trouvaient leur origine dans une série de recours visant à contester non seulement les dispositions de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 ayant habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures affectant le régime de la détention provisoire, mais aussi la conformité à cette habilitation de l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020 prise sur le fondement de ces dispositions, ainsi que la conventionnalité et la constitutionnalité de cet article 16.

 

Dans ses arrêts du 26 mai 2020, la Cour de cassation avait jugé irrecevable le grief pris de la violation de l'article 66 de la Constitution par l'article 16 de cette ordonnance, en application de la théorie de la « loi-écran » que constituait, selon son interprétation, la loi du 23 mars 2020 envisagée à travers les dispositions contestées. La note explicative relative à ces arrêts insistait sur le fait « qu'à défaut de transmission des questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, les requérants auraient été privés d'un examen de la constitutionnalité tant de l'article 16 de l'ordonnance que de l'article 11 de la loi d'habilitation ». Ce faisant, elle ne manquait pas de remettre en lumière la spécificité du contrôle de constitutionnalité des ordonnances prises sur le fondement de l'article 38 de la Constitution.

 

a. – La spécificité du contrôle de constitutionnalité des ordonnances

 

* Cette spécificité tient à la valeur juridique intrinsèquement évolutive des ordonnances, qui se singularisent par le fait qu'elles sont adoptées par le Gouvernement, et donc assimilées à des actes réglementaires bien qu'elles interviennent dans le domaine de la loi, avant d'acquérir, selon les suites qui leur sont données par le Gouvernement et le Parlement, une valeur législative83.

 

Rappelons, en revanche, que « le simple dépôt [du projet] de […] loi de ratification, s'il permet le maintien en vigueur de l'ordonnance, ne modifie pas sa valeur juridique »84. Selon le deuxième alinéa de l'article 38, le dépôt d'un projet de loi avant la date fixée par la loi d'habilitation a en effet pour seul effet d'éviter que les ordonnances deviennent caduques.

 

Tant que le Parlement n'a pas ratifié les ordonnances de manière expresse en application du deuxième alinéa de l'article 38, celles-ci sont des actes du pouvoir exécutif et sont notamment soumises, à ce titre, au contrôle par voie d'action du Conseil d'État. Conformément à la hiérarchie des normes, elles doivent alors respecter davantage d'exigences que la loi adoptée par le Parlement : outre la Constitution et les engagements internationaux de la France, le juge administratif s'assure du respect par l'ordonnance du champ défini par la loi d'habilitation et des principes généraux du droit – pour autant que ceux-ci ne trouvent pas un équivalent au niveau constitutionnel et à moins que la loi d'habilitation ait écarté, y compris implicitement, l'application de certains d'entre eux. En revanche, conformément à la théorie de la « loi-écran », le juge ne peut sanctionner l'inconstitutionnalité de l'ordonnance si celle-ci trouve son origine, en réalité, dans la loi d'habilitation85.

 

Le Conseil constitutionnel a depuis longtemps intégré cette caractéristique des ordonnances dans l'examen a priori des lois d'habilitation, même s'il n'hésite pas à insuffler une « dimension préventive »86 au contrôle qu'il exerce sur ces dernières lorsqu'il rappelle, comme en l'espèce, que « les dispositions d'une loi d'habilitation ne sauraient avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en application de l'article 38 de la Constitution, de respecter les règles et principes de valeur constitutionnelle »87.

 

Lorsqu'une ordonnance est ratifiée par le Parlement, elle acquiert en revanche valeur législative à compter de sa signature, et ce, de manière définitive pour ce qui concerne ses dispositions relevant du domaine législatif. Ainsi ratifiées et, le cas échéant, modifiées par rapport au texte initial de l'ordonnance, ces dispositions peuvent voir leur constitutionnalité examinée par le Conseil constitutionnel, en contrôle a priori ou a posteriori, dans les conditions de droit commun. Les dispositions qui ont un contenu matériellement réglementaire demeurent quant à elles susceptibles de délégalisation sur le fondement du second alinéa de l'article 37 de la Constitution.

 

Il convient cependant de rappeler que le Constituant n'a fait de la ratification qu'une faculté : le Parlement peut très bien ne jamais se prononcer sur le projet de loi de ratification ni ratifier l'ordonnance par un amendement à un autre texte de loi. Une telle abstention du Parlement n'affecte en rien la validité et la pérennité de l'ordonnance.

 

* Si la place des ordonnances dans la hiérarchie des normes paraît ainsi bien établie une fois qu'intervient la ratification, tel n'est pas le cas en l'absence d'une telle ratification. Il résulte en effet du dernier alinéa de l'article 38 de la Constitution qu'une fois expiré le délai d'habilitation consenti par le Parlement au Gouvernement, « les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif ».

 

Le Conseil d'État en a tiré des conséquences illustrant la difficulté à tracer une frontière nette entre la nature législative ou réglementaire des ordonnances88. Il juge en effet que, conformément aux termes de la Constitution, seule une loi (ou une nouvelle ordonnance adoptée sur le fondement d'une nouvelle habilitation) peut modifier les dispositions relevant matériellement du domaine de la loi contenues dans une ordonnance non ratifiée89 mais qu'en revanche, si une telle ordonnance comporte des dispositions matériellement réglementaires, celles-ci peuvent être modifiées par décret90. Il s'en déduit qu'après l'expiration du délai d'habilitation, les dispositions matériellement législatives d'une ordonnance sont constitutionnellement placées à l'abri de toute modification ou abrogation par le pouvoir exécutif. Ce dernier ne peut donc pas non plus faire droit à une demande d'abrogation portant sur les dispositions relevant du domaine de la loi d'une ordonnance non ratifiée91.

 

De son côté, le Conseil constitutionnel a récemment fait évoluer sa position sur l'étendue du contrôle qu'il lui revient d'opérer sur les dispositions d'une ordonnance.

 

S'il a d'abord pu affirmer nettement, dans sa décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, qu'« une ordonnance est et demeure dans sa totalité, jusqu'à l'intervention d'une loi la ratifiant, un texte de valeur réglementaire dont la régularité juridique ne peut être appréciée par le Conseil constitutionnel »92, le Conseil a, par la suite, retenu une formule plus nuancée. Ainsi, dans sa décision n° 99-421 du 16 décembre 1999, saisi de dispositions d'une loi d'habilitation qui autorisait le Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie législative de neuf codes, il a jugé que « si l'adoption de la partie législative d'un code par voie d'ordonnances conduit à la faire relever temporairement du régime contentieux des actes réglementaires, cette situation résulte directement de la combinaison des articles 38 et 61 de la Constitution ; que, par ailleurs, en application de l'article 38 de la Constitution, à l'expiration du délai d'habilitation, les ordonnances ne pourront plus être modifiées que par la loi dans les matières qui relèvent du domaine législatif »93.

 

Le Conseil constitutionnel n'en refusait pas moins de connaître des dispositions d'une ordonnance non ratifiée, dans le cadre du contrôle a priori comme dans celui de la QPC, aux motifs qu'elles n'étaient pas « de forme législative ». Dans sa décision n° 2011-219 QPC du 10 février 2012, il avait ainsi considéré que des dispositions issues d'une ordonnance non ratifiée « ne revêtent pas le caractère de dispositions législatives au sens de l'article 61-1 de la Constitution » et qu'il n'y avait donc pas lieu, pour lui, d'en connaître94.

 

Sans remettre en cause cette position, le Conseil a de nouveau pu mesurer les difficultés liées au statut des ordonnances non ratifiées dans sa décision n° 2013-331 QPC du 5 juillet 2013. Saisi de dispositions législatives partiellement modifiées par une ordonnance non ratifiée, il a en effet considéré que, dans une telle hypothèse et lorsque « ces modifications ne sont pas séparables des autres dispositions » de la loi, il lui revient « de se prononcer sur celles de ces dispositions qui revêtent une nature législative au sens de l'article 61-1 de la Constitution, en prenant en compte l'ensemble des dispositions qui lui sont renvoyées »95. En l'espèce, il a ainsi fait porter son contrôle sur les dispositions de l'article L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2011-1012 du 24 août 2011, à l'exception des mots et phrases insérés dans cet article par ladite ordonnance, qu'il a toutefois cités et pris en considération pour apprécier la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés garantis par la Constitution.

 

Dernièrement, la caractéristique hybride des ordonnances non ratifiées s'est encore manifestée sous un jour différent à l'occasion de la décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 202096. Saisi des dispositions de l'article L. 311-5 du code de l'énergie fixant les critères d'autorisation d'exploitation d'une installation de production d'électricité, dans sa rédaction issue de l'ordonnance – ratifiée – n° 2011-504 du 9 mai 2011, le Conseil devait s'assurer du respect par les dispositions contestées des exigences de l'article 7 de la Charte de l'environnement consacrant le principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement et imposant à la loi d'en fixer les conditions et les limites. À cette fin, il devait apprécier les conséquences de l'entrée en vigueur, à compter du 1er septembre 2013, de l'article L. 120-1-1 du code de l'environnement créé par l'ordonnance – non ratifiée – n° 2013-714 du 5 août 2013 en vue d'instituer une procédure subsidiaire de participation du public.

 

Après avoir constaté qu'aucune disposition législative n'assurait la mise en œuvre du principe de participation à l'élaboration des décisions publiques prévues à l'article L. 311-5 du code de l'énergie avant l'ordonnance du 5 août 2013 précitée, le Conseil a relevé que, « conformément au dernier alinéa de l'article 38 de la Constitution, à l'expiration du délai de l'habilitation fixé par le même article 12, c'est-à-dire à partir du 1er septembre 2013 », les dispositions de cette ordonnance « ne pouvaient plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif »97.

 

De façon inédite, le Conseil constitutionnel en a déduit qu'à compter de cette date, correspondant à l'expiration du délai d'habilitation, ces dispositions « doivent être regardées comme des dispositions législatives »98. Cette mention fait écho à la notion de « disposition législative » qui figure à l'article 61-1 de la Constitution, relatif à la question prioritaire de constitutionnalité.

 

Procédant ainsi à un revirement par rapport à la décision n° 2011-219 QPC précitée, le Conseil constitutionnel s'est, pour l'avenir, reconnu compétent pour contrôler, par la voie de la QPC, la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions d'une ordonnance non ratifiée, à la double condition que ces dispositions interviennent dans des matières du domaine législatif et que le délai d'habilitation fixé par le Parlement ait expiré.

 

Ce revirement s'explique par plusieurs considérations.

 

En premier lieu, si cet acte est certes pris par le pouvoir exécutif, d'une part, il l'est sur le fondement d'une habilitation législative adoptée par le Parlement. D'autre part, il intervient dans le domaine législatif et s'impose, dans la hiérarchie des normes, aux actes réglementaires. Enfin, il ne peut plus être, passé ce délai, modifié ou abrogé que par le législateur. Dès lors, il s'apparente organiquement et, surtout, matériellement et normativement, au moins autant à la loi qu'à un acte réglementaire.

 

En deuxième lieu, dans l'exercice de son contrôle, le Conseil constitutionnel est fréquemment conduit, pour s'assurer du respect d'un droit ou d'une liberté, à vérifier l'existence de garanties légales, trouvant en particulier leur fondement dans l'article 34 de la Constitution. Dans la décision n° 2020-843 QPC, c'était l'article 7 de la Charte de l'environnement qui était en cause, en ce qu'il impose que les conditions et limites du principe de participation du public aux décisions en matière d'environnement soient définies « par la loi ».

 

Traiter les ordonnances non ratifiées et qui ne sont plus susceptibles de modifications par le pouvoir exécutif comme de simples dispositions réglementaires, en dépit de tous les éléments qui les rattachent à la loi, aurait pu conduire le Conseil constitutionnel à refuser de considérer satisfaites les exigences constitutionnelles qui imposent que certaines garanties soient inscrites dans des normes législatives, dès lors que ces garanties proviendraient de telles ordonnances.

 

La décision n° 2020-843 QPC a donc avant tout pour effet d'établir que des dispositions matériellement législatives, figurant dans une ordonnance non ratifiée qui ne peut plus être modifiée que par le législateur, peuvent constituer des garanties légales susceptibles d'être prises en compte dans le contrôle de constitutionnalité tout autant que si elles figuraient dans une loi adoptée par le Parlement ou dans une ordonnance ratifiée.

 

En troisième lieu, le fait que les ordonnances non ratifiées échappent à tout contrôle du Conseil constitutionnel et relèvent, par voie d'action, du seul Conseil d'État était naturel avant l'introduction de la QPC en 2008, dès lors que l'office du Conseil constitutionnel se limitait, en matière législative, au contrôle prévu à l'article 61 de la Constitution.

 

Or, la QPC a désormais étendu cet office, en y ajoutant un contrôle a posteriori, par définition moins centré sur l'élaboration de la loi et susceptible de porter sur des textes très anciens, notamment antérieurs à la Constitution de 1958. En faisant référence à « une disposition législative », et non à la loi adoptée par le Parlement, l'article 61-1 de la Constitution permet ainsi au Conseil constitutionnel de se prononcer sur des dispositions qui n'ont pas nécessairement été adoptées par le Parlement99. Ce constat vaut également pour des dispositions prises sous l'empire de la Constitution de 1958. C'est ainsi que le Conseil constitutionnel accepte sans difficulté, depuis l'entrée en vigueur de la QPC, de contrôler les dispositions prises dans les premiers mois de la Vème République par les anciennes ordonnances de l'article 92 de la Constitution, qui leur accordait « force de loi »100.

 

Dès lors, d'une part, le fait que le Conseil constitutionnel puisse connaître d'actes assimilés à des lois, alors même qu'ils ont été édictés par le pouvoir exécutif, sans ratification par le Parlement, n'est pas sans précédent. D'autre part, il paraît cohérent qu'un seul et même juge se prononce sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, au sens de l'article 61-1 de la Constitution, de toutes les dispositions intervenant dans les domaines relevant de la loi et soustraites à la compétence du pouvoir exécutif.

En dernier lieu, le contrôle de constitutionnalité opéré par le Conseil constitutionnel n'est pas limité, contrairement à celui mis en œuvre par les juges ordinaires, par la théorie de la « loi-écran » qui leur interdit de sanctionner l'inconstitutionnalité de l'ordonnance lorsque celle-ci trouve son origine dans la loi d'habilitation.

 

Il découle de ces différentes considérations que la portée de la décision n° 2020-843 QPC est seulement de reconnaître aux dispositions d'une ordonnance non ratifiée, passé le délai d'habilitation, la qualité de dispositions législatives exigée par certaines dispositions de la Constitution et notamment l'article 61-1 de la Constitution pour l'exercice du contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori. Il n'appartenait, en revanche, pas au Conseil constitutionnel de déterminer les conséquences susceptibles d'en découler pour le contentieux des ordonnances étranger à l'article 61-1.

 

b. – Les précisions apportées au contrôle en QPC des ordonnances non ratifiées

 

* Par la décision commentée, le Conseil constitutionnel a confirmé le revirement opéré dans la décision n° 2020-843 QPC précitée, tout en précisant l'étendue du contrôle qu'il lui appartient désormais d'exercer sur les dispositions d'une ordonnance non ratifiée en QPC.

 

Afin de clarifier le fondement de ce contrôle, le Conseil a tout d'abord rappelé qu'il « ne peut être saisi, sur le fondement de ce même article 61-1 [de la Constitution], que de dispositions législatives » (paragr. 10).

 

Puis, s'attachant au régime juridique des ordonnances tel qu'il est organisé par les dispositions de l'article 38 de la Constitution, il a relevé que si le deuxième alinéa de cet article « prévoit que la procédure d'habilitation du Gouvernement à prendre des ordonnances se clôt, en principe, par leur soumission à la ratification expresse du Parlement, il dispose qu'elles entrent en vigueur dès leur publication. Par ailleurs, conformément à ce même alinéa, dès lors qu'un projet de loi de ratification a été déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation, les ordonnances demeurent en vigueur y compris si le Parlement ne s'est pas expressément prononcé sur leur ratification » (même paragr.).

 

Ce faisant, le Conseil constitutionnel a insisté sur l'importance de la ratification expresse du Parlement, tout en soulignant que la Constitution a limité cette portée en prévoyant que les ordonnances demeurent en vigueur malgré l'absence de ratification dès lors qu'un projet de loi a été déposé par le Gouvernement101.  Par ailleurs, selon le dernier alinéa de l'article 38 de la Constitution, « à l'expiration du délai de l'habilitation fixé par la loi, les dispositions d'une ordonnance prise sur son fondement ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif » (paragr. 10). Ainsi, alors même qu'elles ont été prises par le pouvoir exécutif et qu'elles n'ont pas été ratifiées, passé le délai d'expiration, ce dernier ne peut plus les modifier, seul le législateur ayant ce pouvoir, comme pour toute disposition législative.

 

Le Conseil a également rappelé, à cet égard, que les dispositions d'une ordonnance « acquièrent valeur législative à compter de sa signature lorsqu'elles ont été ratifiées par le législateur » (paragr. 11). Par cette formule, il a entendu souligner que la ratification expresse est seule à même de conférer une « pleine » valeur législative ab initio aux ordonnances prises sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, puisqu'elle a pour effet de les transformer rétroactivement en textes de loi. En exprimant en ces termes l'effet de la ratification, le Conseil constitutionnel s'est inscrit dans les pas de la jurisprudence constante du Conseil d'État, qui juge qu'une ordonnance ratifiée acquiert de ce fait valeur législative à compter de sa signature102.

 

Par ailleurs, dans le prolongement de la décision n° 2020-843 QPC, le Conseil a rappelé que les dispositions d'une ordonnance « doivent être regardées, dès l'expiration du délai de l'habilitation et dans les matières qui sont du domaine législatif, comme des dispositions législatives au sens de l'article 61-1 de la Constitution » (paragr. 11). En ajoutant ces derniers termes (« au sens de l'article 61-1 de la Constitution »), qui ne figuraient pas dans la décision n° 2020-843 QPC, puisque l'expression s'appliquait alors à l'exigence, portée par l'article 7 de la Charte de l'environnement que les conditions et limites du principe de participation soient « définies par la loi », le Conseil constitutionnel a précisé qu'il faisait ici référence à la notion de disposition législative telle qu'introduite par le constituant de 2008.

 

Il en a déduit que la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions d'une ordonnance non ratifiée intervenant dans le domaine législatif, passé le délai d'habilitation, « ne peut donc être contestée que par une question prioritaire de constitutionnalité » (même paragr.).

 

Une telle évolution est de nature à permettre la disparition de l'ordonnancement juridique de telles dispositions au lieu de les laisser subsister quand elles heurtent les droits et libertés constitutionnellement garantis. Rappelons au contraire que, une fois expiré le délai de recours pour excès de pouvoir, le mécanisme de l'exception d'illégalité permet seulement d'écarter au cas par cas l'application d'une ordonnance non ratifiée qui serait contraire aux droits et libertés constitutionnels, celle-ci demeurant ensuite en vigueur.

 

D. – Le grief tiré de la méconnaissance de la liberté individuelle

 

* Au cas présent, le Conseil constitutionnel était uniquement saisi des dispositions de la loi habilitant le Gouvernement à prendre, par voie d'ordonnance, des mesures adaptant les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires103. Il s'en est donc tenu à un contrôle substantiel limité à la vérification de ce que ces dispositions ne méconnaissaient pas la liberté individuelle, par elles-mêmes ou par les conséquences qui en découlaient nécessairement, grief sur lequel s'étaient concentrées pour l'essentiel les critiques des parties requérantes et intervenantes.

 

Après avoir rappelé les termes de l'article 66 de la Constitution et la conséquence qu'il en tire concernant la nécessité d'une prompte intervention du juge judiciaire en cas de privation de liberté (paragr. 12), il a relevé que ces dispositions avaient pour objet de permettre, « aux seules fins de limiter la propagation de l'épidémie de covid-19 […], d'une part, l'allongement des délais au cours de l'instruction et en matière d'audiencement, pour une durée proportionnée à celle de droit commun et ne pouvant excéder trois mois en matière délictuelle et six mois en appel ou en matière criminelle, et, d'autre part, la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat » (paragr. 13).

 

Constatant que ces dispositions ne faisaient qu'autoriser le Gouvernement à prendre des mesures susceptibles d'allonger les délais de détention provisoire ou d'aménager les conditions dans lesquelles il peut être statué sur leur prolongation, sans rien lui prescrire quant aux modalités d'intervention du juge compétent selon le stade auquel s'exécute la détention, le Conseil constitutionnel n'a pu que constater que « les dispositions contestées n'exclu[ai]ent pas toute intervention d'un juge lors de la prolongation d'un titre de détention provisoire venant à expiration durant la période d'application de l'état d'urgence sanitaire » (paragr. 14). Par suite, il a jugé qu'« elles ne port[ai]ent donc atteinte ni par elles-mêmes, ni par les conséquences qui en découlent nécessairement, aux exigences de l'article 66 de la Constitution imposant l'intervention d'un juge dans le plus court délai possible en cas de privation de liberté » (même paragr.). Ce faisant, le Conseil n'a pas suivi l'argumentation des parties requérantes et intervenantes qui consistait à situer dans les dispositions d'habilitation le siège de l'inconstitutionnalité alléguée des prolongations de plein droit de la détention provisoire.

 

Cette lecture est d'ailleurs fidèle aux travaux parlementaires, qui ne laissaient pas présager une exclusion du contrôle du juge en cas de prolongation de la détention provisoire durant la période d'état d'urgence sanitaire.

 

* L'habilitation contestée n'ayant pas pour effet, ni par elle-même ni par ses conséquences nécessaires, de porter atteinte à la liberté individuelle, le Conseil constitutionnel a ajouté que « l'inconstitutionnalité alléguée par les requérants ne pourrait résulter que de l'ordonnance prise sur le fondement de ces dispositions » (même paragr.).

 

Il a par ailleurs rappelé, à cet égard, que « les dispositions d'une loi d'habilitation ne sauraient avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en application de l'article 38 de la Constitution, du respect des règles et principes de valeur constitutionnelle » (paragr. 15), en mettant en l'occurrence l'accent, compte tenu du domaine de l'ordonnance, sur « les exigences résultant de son article 66 s'agissant des modalités de l'intervention du juge judiciaire en cas de prolongation d'une mesure de détention provisoire » (même paragr.).

 

Après avoir exclu, comme inopérant à l'égard d'une loi d'habilitation, le grief tiré de l'incompétence négative, le Conseil constitutionnel a jugé que les mots « des détentions provisoires » figurant au d du 2° du paragraphe I de cet article 11, qui ne méconnaissaient pas non plus les droits de la défense ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, devaient être déclarés conformes à la Constitution.

_______________________________________

1 Christian Guéry, « Détention provisoire », in Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, avril 2019 (actualisation : avril 2020), § 1.

2 Frédéric Desportes et Laurence Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, 4e édition, Economica, 2015, § 2701.

3 Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

4 Seules les règles de droit commun applicables aux majeurs sont ici exposées, celles applicables aux mineurs faisant l'objet de dispositions spéciales prévues dans l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945.

5 Article 137-1 du CPP. Le JLD est en principe saisi par une ordonnance motivée du juge d'instruction, qui lui transmet le dossier de la procédure accompagné des réquisitions du procureur de la République. L'initiative du placement en détention provisoire peut également provenir du parquet, qui transmet des réquisitions à cette fin au juge d'instruction. En cas de refus du magistrat instructeur de saisir le JLD sur la base de ces réquisitions, le ministère public peut saisir directement ce dernier en matière criminelle ou pour les délits punis de dix ans d'emprisonnement (art. 137-4 CPP).

6 Article 143-1 du CPP.

7 Article 137 du CPP.

8 À savoir, conserver les preuves ou les indices matériels nécessaires à la manifestation de la vérité, empêcher des pressions sur les témoins ou les victimes ainsi que leur famille, empêcher une concertation frauduleuse entre les personnes mises en cause, protéger la personne mise en examen, garantir son maintien à la disposition de la justice, mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement ou encore mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité des faits (lorsqu'ils sont de nature criminelle).

9 Article 145 du CPP.

10 Le second alinéa de ce même article prévoit que le juge d'instruction ou, s'il est saisi, le JLD doit ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire, « dès que les conditions prévues à l'article 144 et au présent article ne sont plus remplies ».

11 Article 145-1, alinéa 1er, du CPP.

12 Article 145-2, alinéa 1er, du CPP.

13 Article 179, alinéa 2, du CPP.

14 Article 179, alinéa 3, du CPP.

15 Article 179, alinéa 4, du CPP. Ce délai court à compter de la date soit de l'ordonnance de renvoi ou, en cas d'appel, de l'arrêt de renvoi non frappé de pourvoi, de l'arrêt déclarant l'appel irrecevable, de l'ordonnance de non-admission rendue en application du dernier alinéa de l'article 186 ou de l'arrêt de la chambre criminelle rejetant le pourvoi, soit de la date à laquelle le prévenu a été ultérieurement placé en détention provisoire.

16 Article 181, alinéa 7, du CPP.

17 Article 181, alinéa 8, du CPP.

18 Article 509-1, alinéa 1er, du CPP. Ce délai est porté à six mois lorsqu'un des faits constitutifs de l'infraction a été commis hors du territoire national ou lorsque la personne est poursuivie pour une infraction mentionnée aux articles 706-73 et 706-73-1 du CPP.

19 Rappelons que l'ouverture d'une instruction préparatoire est obligatoire en matière de crime (article 79 du CPP).

20 Tel est le cas lorsque le tribunal correctionnel est saisi selon la procédure de comparution immédiate, mais qu'il ne peut être réuni le jour même (article 396 du CPP). Le placement en détention provisoire peut également intervenir si le prévenu ne consent pas à être jugé immédiatement ou si l'affaire ne paraît pas en état d'être jugée (articles 397-1 et 397-3 du CPP). La détention provisoire peut aussi être ordonnée à l'encontre du prévenu poursuivi selon la procédure de comparution à délai différé (article 397-1-1 du CPP) ou selon la procédure de convocation par procès-verbal si, dans ce dernier cas, il se soustrait aux obligations qui lui sont imposées au titre d'un contrôle judiciaire ou d'une ARSE dans l'attente de sa comparution (article 394, dernier alinéa, du CPP).

21 L'article 137-3 du CPP édicte les mêmes exigences pour le placement en détention provisoire ou sa prolongation.

22 Voir le sixième alinéa de l'article 145 du CPP.

23 La détention provisoire peut durer jusqu'à deux ans lorsqu'un des faits constitutifs de l'infraction a été commis hors du territoire national ou lorsque la personne est poursuivie pour trafic de stupéfiants, association de malfaiteurs, proxénétisme, extorsion de fonds ou pour une infraction commise en bande organisée et qu'elle encourt une peine égale à dix ans d'emprisonnement (article 145-1, alinéa 2, in fine, du CPP). Un maximum de trois ans est prévu pour l'instruction du délit d'association de malfaiteurs en vue d'actes terroristes (article 706-24-3 du CPP).

24 Article 145-1, dernier alinéa, du CPP.

25 Le deuxième alinéa de l'article 145-2 du CPP vise l'hypothèse où la personne mise en examen est poursuivie pour plusieurs crimes mentionnés aux livres II et IV du code pénal, ou pour trafic de stupéfiants, terrorisme, proxénétisme, extorsion de fonds ou pour un crime commis en bande organisée.

26 Lorsque la durée de la détention provisoire excède un an en matière criminelle ou huit mois en matière délictuelle, le premier alinéa de l'article 145-3 du CPP fait obligation au JLD de mentionner dans les décisions de prolongation ou rejetant les demandes de mise en liberté « les indications particulières qui justifient en l'espèce la poursuite de l'information et le délai prévisible d'achèvement de la procédure ».

27 Frédéric Desportes et Laurence Lazerges-Cousquer, op. cit., § 2728.

28 Articles 179, alinéa 5, et 181, alinéa 9, du CPP.

29 Devant l'une et l'autre de ces juridictions, la comparution de l'accusé est de droit si lui-même ou son avocat en font la demande.

30 Article 509-1, alinéa 2, du CPP.

31 Article 186, alinéa 1er, du CPP. En cas d'appel d'une ordonnance de placement en détention provisoire, la personne mise en examen dispose également d'un « référé-liberté » qu'elle peut exercer devant le président de la chambre de l'instruction aux fins d'examen immédiat de son appel et qui peut être formé en même temps que celui-ci à condition que l'appel ait été interjeté au plus tard le jour suivant la décision de placement (article 187-1 du CPP).

32 La mise en liberté peut également être ordonnée d'office par le juge d'instruction (article 147 du CPP).

33 Exposé des motifs.

34 Avis du Conseil d'État du 18 mars 2020, n° 399873, point 35.

35 Rapport n° 381 (Sénat – 2019-2020) de M. Philippe Bas, fait au nom de la commission des lois, déposé le 19 mars 2020.

36 Amendement n° 77 présenté par le Gouvernement le 19 mars 2020.

37 Adélaïde Jacquin et Emmanuel Daoud, « L'état d'urgence sanitaire ou l'État de droit mutilé », AJ pénal, 2020, p. 191.

38 Circulaire du 26 mars 2020 de présentation des dispositions de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

39 La circulaire reprend sur ce point les termes de l'article 15 de l'ordonnance du 25 mars 2020, dont le second alinéa prévoit en outre que « Les prolongations de détention provisoire qui découlent de ces dispositions continuent de s'appliquer après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré et, le cas échéant, prorogé sur le fondement des articles L. 3131-12 à L. 3131-14 du code de la santé publique pour faire face à l'épidémie de covid-19 ».

40 Circulaire du 26 mars 2020 précitée.

41 Sur ce point, voir l'analyse de Jean-Baptiste Perrier, « La prorogation de la détention provisoire, de plein droit et hors du droit », Dalloz actualité, 9 avril 2020.

42 CE, ord., 3 avril 2020, n° 439894, point 19, et nos 439877, 439887, 439890, 439898, point 14.

43 Ibid.

44 Voir notamment l'arrêt rendu par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy le 5 mai 2020, n° 308/2020.

45 Cass. crim., 26 mai 2020, arrêt n° 974 (n° 20-81.910), paragr. 12, et n° 977 (pourvoi n° 20-81.971), paragr. 17.

46 Arrêts du 26 mai 2020 précités, respectivement paragr. 16-20 et paragr. 21-25.

47 Ibid., paragr. 24 et paragr. 29.

48 Pour un autre exemple : Cass. crim., 17 novembre 2009, n° 09-81.531.

49 Arrêts du 26 mai 2020 précités, paragr. 28 et paragr. 33.

50 Article protégeant le droit à la liberté et à la sûreté.

51 Arrêts du 26 mai 2020 précités, paragr. 36 et paragr. 41.

52 Projet de loi n° 2956 ratifiant diverses ordonnances prises pour faire face à l'épidémie de covid‑19 en matière de procédures pénale, civile et administrative, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 mai 2020. L'exposé des motifs se borne à faire état, s'agissant des dispositions relatives à la détention provisoire, de ce que « Les délais maximums de détention provisoire et d'assignation à résidence durant l'instruction et pour l'audiencement des affaires sont prolongés de plein droit, dans la limite d'une fois par procédure, et pour des durées proportionnelles à celle de droit commun ».

53 Outre les critiques émanant de la doctrine, de praticiens et de certains syndicats et associations, Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale, dans un courrier daté du 20 avril 2020 adressé à la Garde des Sceaux, avait attiré son attention, dans le prolongement de plusieurs auditions consacrées à la détention, sur « les critiques convergentes qui ont été formulées… à propos de l'allongement de plein droit des délais de détention provisoire prévu par l'ordonnance du 25 mars 2020 et par sa circulaire d'application. S'il reste possible aux détenus de déposer une demande de mise en liberté, beaucoup ont jugé anormale la prorogation par la loi des détentions provisoires, en l'absence de décision du juge expressément fondée sur les circonstances de l'espèce ». La Commission nationale consultative des droits de l'homme avait par ailleurs appelé à l'abrogation sans délai des dispositions relatives à la détention provisoire, dans son avis du 28 avril 2020 (« Une autre urgence : rétablir le fonctionnement normal de la justice », p. 7). 

54 Loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions.

55 Amendement n° COM-55 présenté par M. Philippe Bas le 4 mai 2020.

56 Rapport n° 2905 (Assemblée nationale – XVème législature) de Mme Marie Guévenoux fait au nom de la commission des lois, déposé le 7 mai 2020.

57 Si le deuxième alinéa de l'article 16-1 prévoit que cette prorogation s'impute sur la durée de la prolongation décidée par la juridiction, il en va autrement lorsqu'il s'agit de la dernière échéance possible, la prolongation pouvant alors intervenir pour les durées prévues à l'article 16 de l'ordonnance, pour l'instruction comme pour l'audiencement.

58 Décisions n° 2015-506 QPC du 4 décembre 2015, M. Gilbert A. (Respect du secret professionnel et des droits de la défense lors d'une saisie de pièces à l'occasion d'une perquisition), cons. 9 ; n° 2016-555 QPC du 22 juillet 2016, M. Karim B. (Subordination de la mise en mouvement de l'action publique en matière d'infractions fiscales à une plainte de l'administration), paragr. 6 ; n° 2018-752 QPC du 7 décembre 2018, Fondation Ildys (Exonération de taxe d'habitation en faveur de certains établissements publics), paragr. 6.

59 Décision n° 2004-510 DC du 20 janvier 2005, Loi relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance, cons. 28 et 29.

60 Décision n° 2006-534 DC du 16 mars 2006, Loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux, cons. 4 et 5.

61 Décision n° 2014-700 DC du 31 juillet 2014, Loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, cons. 9.

62 Décision n° 81-134 DC du 5 janvier 1982, Loi d'orientation autorisant le Gouvernement par application de l'article 38 de la Constitution, à prendre des mesures d'ordre social, cons. 3.

63 Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie législative de certains codes, cons. 15. En revanche, il est possible de légiférer par ordonnances dans le domaine « partagé » entre lois financières et lois ordinaires : décision n° 2019-796 DC du 27 décembre 2019, Loi de finances pour 2020, paragr. 103 à 108.

64 Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, précitée, cons. 12. Voir aussi, pour une rédaction différente, la décision n° 76-72 DC du 12 janvier 1977, Loi autorisant le Gouvernement à modifier par ordonnances les circonscriptions pour l'élection des membres de la chambre des députés du territoire Français des Afars et des Issas, cons. 2.

65 Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999 précitée, cons. 12. Pour des exemples récents, voir les décisions n° 2015-715 DC du 5 août 2015, Loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, cons. 129, n° 2016-739 DC du 17 novembre 2016, Loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, paragr. 92, et n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019, Loi d'orientation des mobilités, paragr. 47.

66 Décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986, Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique et social, cons. 21.

67 Décision n° 2009-584 DC du 16 juillet 2009, Loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, cons. 23.

68 Décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017, Loi relative à l'égalité et à la citoyenneté, paragr. 13 et 14.

69 Décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977, Loi complémentaire à la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 modifiée par la loi n° 71-400 du 1er juin 1971 et relative à la liberté de l'enseignement, cons. 3.

70 Décision n° 2018-769 DC du 4 septembre 2018, Loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, paragr. 88.

71 Décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019, Loi d'orientation des mobilités, paragr. 48 : « En se bornant, à l'article 33 de la loi déférée, à permettre au Gouvernement de prendre "toute mesure à caractère expérimental" visant à "tester dans les territoires peu denses, afin de réduire les fractures territoriales et sociales, des solutions nouvelles de transport routier de personnes", sans définir plus précisément le domaine et les finalités de ces mesures, le législateur a méconnu les exigences découlant de l'article 38 de la Constitution. Il en va de même du paragraphe II de l'article 83 qui permet au Gouvernement de prendre toutes mesures à caractère expérimental visant à "expérimenter, pendant une durée ne dépassant pas cinq ans, des modalités particulières à certaines régions selon lesquelles, à leur demande, les employeurs de leur territoire prennent en charge une partie des frais de transport" ».

72 Voir, par exemples, les décisions n° 2016-739 DC du 17 novembre 2016, précitée, paragr. 95, n° 2017-751 DC du 7 septembre 2017, Loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, paragr. 15, 44 et 53, et n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, paragr. 51.

73 Décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986 précitée, cons. 15.

74 Ibid., cons. 23-24.

75 Décision n° 86-208 DC du 2 juillet 1986, Loi relative à l'élection des députés et autorisant le Gouvernement à délimiter par ordonnance les circonscriptions électorales, cons. 27.

76 Décision n° 2005-521 DC du 22 juillet 2005 Loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi, cons. 11. Cette formule est reprise dans la décision n° 2017-751 DC du 7 septembre 2017, précitée, paragr. 3, et dans la décision n° 2019-778 DC précitée, paragr. 78. Le Conseil constitutionnel rappelle par ailleurs parfois, dans le prolongement de cette exigence, que « lors de la ratification d'une ordonnance entrée en vigueur, le législateur est tenu au respect de ces mêmes règles et principes de valeur constitutionnelle » (voir par exemple la décision n° 2017-751 DC précitée, paragr. 4).

77 Décision n° 2008-573 DC du 8 janvier 2009, Loi relative à la commission prévue à l'article 25 de la Constitution et à l'élection des députés, cons. 22.

78 Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 23 janvier 2015, n° 380339.

79 Aurélie Bretonneau, « Pas de QPC contre une loi d'habilitation », AJDA, 2015, p. 587.

80 Voir, dernièrement, Conseil d'État, 30 janvier 2019, Ordre des avocats à la cour d'appel de Paris et autres, nos 408258, 408267, 408289, 408305, 415795, 415827 et 415901.

81 Voir supra.

82 Conseil d'État, 29 octobre 2004, M. Sueur et autres, nos 269814, 271119, 271357, 271362 : « si les requérants soutiennent que l'institution de contrats globaux tels que les contrats de partenariat méconnaîtrait, par elle-même, les exigences constitutionnelles relatives à l'égalité devant la commande publique et au bon usage des deniers publics, de tels moyens ne peuvent utilement être invoqués à l'encontre de l'ordonnance attaquée, dès lors que le principe de la création de contrats ayant pour objet "la conception, la réalisation, la transformation, l'exploitation et le financement d'équipements publics, ou la gestion et le financement de services, ou une combinaison de ces différentes missions" résulte des termes mêmes de l'article 6 de la loi du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, sur le fondement de laquelle a été prise l'ordonnance attaquée et dont il n'appartient pas au Conseil d'État, statuant au contentieux, d'apprécier la conformité à la Constitution ».

83 Michel Verpeaux, « Les ordonnances de l'article 38 ou les fluctuations contrôlées de la répartition des compétences entre la loi et le règlement », in Les cahiers du Conseil constitutionnel, n° 19 (dossier : Lois et règlements), janvier 2006.

84 François Luchaire, « Article 38 », in François Luchaire, Gérard Conac et Xavier Prétot (dir.), La Constitution de la République française. Analyse et commentaires, Economica, 3e édition, 2009, p. 972.

85 Conseil d'État, 29 octobre 2004, M. Sueur et autres, précité.

86 Michel Verpeaux, article précité.

87 Voir par exemple les décisions n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010, Loi de réforme des collectivités territoriales, cons. 70, et n° 2017-751 DC du 7 septembre 2017 précitée, paragr. 3.

88 Sur ce point, voir Denys de Béchillon, « La vraie nature des ordonnances », Mélanges Bruno Genevois, Dalloz, 2009, p. 209, pour qui, « du point de vue de sa place dans la hiérarchie des normes, voire de sa "nature", l'ordonnance "législative" non ratifiée tient beaucoup plus de la loi que de l'acte administratif » (p. 214).

89 Conseil d'État, 11 décembre 2006, Conseil national de l'ordre des médecins, nos 279517 et 283983. Dès 1971, le Conseil d'État avait posé en principe qu'en l'absence d'habilitation législative spéciale l'y autorisant, le Gouvernement ne pouvait modifier par voie de décret les dispositions de nature législative d'une ordonnance.

90 Conseil d'État, 30 juin 2003, Fédération régionale ovine du Sud-Est, n° 236571.

91 Conseil d'État, 12 octobre 2016, n° 396170.

92 Décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, cons. 25.

93 Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, précitée, cons. 9.

94 Décision n° 2011-219 QPC du 10 février 2012, M. Patrick É. (Non lieu : ordonnance non ratifiée et dispositions législatives non entrées en vigueur), cons. 3.

95 Décision n° 2013-331 QPC du 5 juillet 2013, Société Numéricâble SAS et autre (Pouvoir de sanction de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), cons. 3.

96 Décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020, Force 5 (Autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité).

97 Ibidem, paragr. 11.

98 Ibid. même paragr.

99 Par exemple, pour une QPC portant sur une ordonnance royale du 27 août 1828, voir la décision n° 2017-633 QPC du 2 juin 2017, Collectivité territoriale de la Guyane (Rémunération des ministres du culte en Guyane).

100 Pour un exemple récent : décision n° 2019-801 QPC du 20 septembre 2019, M. Jean-Claude F. (Notes d'audience établies par le greffier lors des débats devant le tribunal correctionnel).

101 En ce sens, une étude menée par le Sénat en février 2014 sur Les ordonnances prises sur le fondement l'article 38 de la Constitution observait que « les projets de loi de ratification […] servent moins à ratifier qu'à prévenir la caducité » (p. 65).

102 Voir notamment Conseil d'État, 8 décembre 2000, Hoffer et autres, Rec. Lebon, p. 584.

103 Au demeurant, le Conseil n'aurait pas pu être saisi des dispositions de l'ordonnance prise à cet effet dès lors que le délai de l'habilitation n'a expiré que le 25 juin 2020.