• Commentaire DC

Commentaire de la décision 2020-802 DC

13/06/2023

Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020

 

Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France

 

La loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France a été soumise par le Premier ministre au Conseil constitutionnel, le 30 juin 2020, conformément au cinquième alinéa de l'article 46 et au premier alinéa de l'article 61 de la Constitution.

 

Dans sa décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré cette loi organique conforme à la Constitution.

 

Le présent commentaire porte sur les dispositions prolongeant le mandat de six sénateurs représentant les Français établis hors de France (article 1er) et sur celles précisant certaines obligations déclaratives des membres du Parlement (paragraphe I de l'article 2).

 

I. – La prorogation du mandat de six sénateurs représentant les Français établis hors de France (article 1er)

 

A. – Présentation de l'article

 

* Le Sénat est composé des sénateurs élus dans les départements et de douze sénateurs représentant les Français établis hors de France. Cette assemblée se renouvelant par moitié tous les trois ans, deux séries, numérotées 1 et 2, sont constituées, comprenant chacune à peu près la moitié des sénateurs élus dans les départements ainsi que six sénateurs représentant les Français établis hors de France.

 

Les sénateurs sont élus au suffrage universel indirect, par un corps de « grands électeurs ». Les sénateurs représentant les Français établis hors de France sont ainsi élus, conformément à l'article 44 de la loi n° 2013-659 du 22 juillet 20131, par un collège électoral composé des députés élus par les Français établis hors de France, des sénateurs représentant les Français établis hors de France, des conseillers des Français de l'étranger2 élus dans quinze circonscriptions à l'étranger et des délégués consulaires. Ces derniers sont élus en même temps que les conseillers des Français de l'étranger, dans le but exclusif de compléter le corps électoral des sénateurs représentant les Français établis hors de France, à raison d'un délégué consulaire pour 10 000 inscrits au registre des Français établis hors de France en sus de 10 000.

 

* Le projet de loi organique à l'origine du texte déféré au Conseil constitutionnel visait à permettre la prorogation, jusqu'à l'ouverture de la session ordinaire de 2021, du mandat de l'ensemble des sénateurs de la série 2, lequel court, en l'état du droit, jusqu'au début de l'automne prochain3.

 

Le Gouvernement entendait ainsi anticiper l'hypothèse dans laquelle, en raison de l'épidémie de covid-19, les élections municipales et les « élections consulaires » (l'expression désignant l'élection des conseillers des Français de l'étranger) n'auraient pu se tenir avant le renouvellement partiel du Sénat prévu en septembre 2020.

 

Toutefois, après le dépôt sur le bureau du Sénat du projet de loi organique, il a finalement été considéré possible, au regard de nouveaux avis du comité des scientifiques, d'organiser le 28 juin 2020 le second tour des élections municipales dans les communes qui n'avaient pu élire l'intégralité leur conseil municipal le 15 mars 2020. En revanche, l'appréciation a été différente, compte tenu de la situation mondiale, pour l'organisation des élections consulaires.

 

Le Parlement a en conséquence modifié le projet de loi ordinaire déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale concomitamment au dépôt sur le bureau du Sénat du présent projet de loi organique, qui est devenu la loi n° 2020-760 du 22 juin 20204. Il a supprimé les dispositions relatives aux élections municipales et conservé celles relatives au report des élections consulaires en raison de la situation épidémiologique très incertaine à l'échelle internationale. La loi publiée prévoit que le mandat en cours des conseillers des Français de l'étranger et des délégués consulaires, élus pour six ans en mai 2014, est prorogé jusqu'au mois de mai 2021.

 

Si l'achèvement du processus électoral au niveau des communes avant la fin juin 2020 levait un obstacle au renouvellement triennal partiel du Sénat à l'échéance de septembre 2020, il appartenait au législateur organique de se prononcer, le cas échéant, sur d'éventuelles conséquences à tirer de ce report des élections consulaires, sachant, d'une part, qu'aux termes de l'article 1er de la loi organique n° 83-499 du 17 juin 1983 relative à la représentation au Sénat des Français établis hors de France, « Les Français établis hors de France sont représentés au Sénat par douze sénateurs. À chaque renouvellement partiel du Sénat, sont élus six sénateurs représentant les Français établis hors de France » et, d'autre part, que les douze sénateurs représentant les Français établis hors de France sont élus par un collège électoral composé des conseillers et délégués consulaires et des députés et sénateurs représentant les Français de l'étranger (voir supra).

 

* La loi organique soumise au Conseil constitutionnel visait à tirer les conséquences du report de l'élection desdits conseillers et délégués, qui constituent la très grande majorité des grands électeurs des sénateurs représentant les Français établis hors de France, en prévoyant que « le mandat des six sénateurs représentant les Français établis hors de France élus en septembre 2014 est prolongé jusqu'au 30 septembre 2021 » (premier alinéa de l'article 1er).

 

Elle précisait qu'en conséquence, « les six sénateurs représentant les Français établis hors de France élus en septembre 2021 entrent en fonction le 1er octobre 2021. Leur mandat expire à l'ouverture de la session ordinaire de 2026 » (second alinéa de l'article 1er ).

 

Il en résulte que si les sénateurs des Français de l'étranger élus en septembre 2014 voient leur mandat prolongé d'un an, le mandat des sénateurs qui seront élus en septembre 2021 sera limité à une durée de cinq ans, pour s'achever à la date du renouvellement de l'ensemble de la série 2 et, ainsi, assurer en 2026 une complète synchronisation du renouvellement de cette série.

 

B. – La jurisprudence constitutionnelle

 

* Le Conseil constitutionnel a déjà eu à connaître de règles organiques modifiant la durée des mandats de certains sénateurs.

 

Ainsi, dans sa décision n° 2003-476 DC du 24 juillet 2003, il a validé, sans remarque de constitutionnalité particulière, la réduction de neuf à six ans de la durée du mandat des sénateurs et le remplacement d'un renouvellement par tiers tous les trois ans par un renouvellement par moitié tous les trois ans5.

Par sa décision n° 2005-529 DC du 15 décembre 2005, Loi organique modifiant les dates de renouvellement du Sénat, il s'est prononcé sur des dispositions qui, afin d'éviter une concentration d'élections locales la même année que l'élection présidentielle de 2007, visaient, concomitamment au report par une loi ordinaire d'une année du renouvellement des conseillers municipaux et d'une série de conseillers généraux, au report d'une année des élections sénatoriales prévues en septembre 2007 (sénateurs élus en 1998), tout en prolongeant d'un an les mandats sénatoriaux de la série suivante6.

 

Dans cette décision, il a jugé que « le législateur organique, compétent en vertu de l'article 25 de la Constitution pour fixer la durée des pouvoirs de chaque assemblée, peut modifier cette durée dans un but d'intérêt général et sous réserve du respect des règles et principes de valeur constitutionnelle »7. Il a en outre rappelé que « le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu'il ne lui appartient donc pas de rechercher si le but que s'est assigné le législateur pouvait être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à cet objectif »8.

 

Sur le fondement de l'article 3 de la Constitution et de la disposition du troisième alinéa de son article 24 selon laquelle « le Sénat est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République », il a rappelé que « dans la mesure où il assure la représentation des collectivités territoriales de la République, le Sénat doit être élu par un corps électoral qui soit lui-même l'émanation de ces collectivités ». Il a jugé que « par suite, c'est à juste titre que le législateur organique a estimé que le report en mars 2008 des élections locales imposait de reporter également l'élection de la série A des sénateurs afin d'éviter que cette dernière ne soit désignée par un collège en majeure partie composé d'élus exerçant leur mandat au-delà de son terme normal »9.

 

Il a ajouté que  « le rôle confié au Sénat par l'article 24 de la Constitution pouvait également justifier que les renouvellements prévus en 2010 et 2013 soient reportés d'un an afin de rapprocher l'élection des sénateurs de la désignation par les citoyens de la majeure partie de leur collège électoral ; que la prolongation des mandats sénatoriaux en cours revêt un caractère exceptionnel et transitoire ; qu'ainsi, les choix faits par le législateur ne sont pas manifestement inappropriés à l'objectif qu'il s'est fixé »10.

 

Le commentaire de cette décision indiquait que la solution retenue par le législateur organique « assure durablement que les sénateurs ne seront pas élus par des grands électeurs en fin de mandat. Ils le seront soit par des élus locaux en début de mandat (en 2008, 2014, 2020...), soit par des élus locaux à mi-mandat (2011, 2017, 2023...). Au regard du principe constitutionnel selon lequel le Sénat représente les collectivités territoriales, il est préférable (sans être indispensable) de rapprocher à l'avenir l'élection des sénateurs de la désignation par les citoyens de la majeure partie du collège électoral sénatorial ».

 

Prolongeant la jurisprudence qui précède, dans sa décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013, alors que les requérants soutenaient que « la prorogation [d'un an] du mandat des conseillers généraux et des conseillers régionaux au-delà des élections sénatoriales prévues en septembre 2014 [méconnaissait] le principe, fixé par l'article 24 de la Constitution, selon lequel le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République », le Conseil a jugé « que le corps électoral des sénateurs est dans une très large majorité composé d'élus et de représentants des communes ; que les élections municipales seront organisées en mars 2014 ; que le grief tiré de ce que les sénateurs élus en septembre 2014 seront désignés par un collège en majeure partie composé d'élus exerçant leur mandat au-delà de son terme normal manque en fait ; que le grief tiré de la méconnaissance de l'article 24 de la Constitution doit par suite être écarté »11. Autrement dit, les conseillers généraux et régionaux ne représentant pas la « majeure partie » du corps électoral (mais moins de 10 %), leur moindre « fraîcheur démocratique » ne posait en tout état de cause pas de difficulté constitutionnelle.

 

* La jurisprudence ainsi développée par le Conseil constitutionnel à l'occasion des élections sénatoriales (reconnaissance du pouvoir d'appréciation du législateur pour fixer la durée du mandat des assemblées dès lors que les modifications auxquelles il procède sont justifiées par un motif d'intérêt général et ne méconnaissent pas les règles et principes constitutionnels, dont, notamment l'exigence de périodicité raisonnable de l'expression du suffrage) trouve également à s'appliquer à toutes les autres élections politiques.

 

Il a ainsi fréquemment contrôlé, en contentieux a priori, des dispositions modifiant le calendrier électoral. Ces dispositions prorogeaient ou écourtaient des mandats, parfois en cours, afin de tenir compte d'une réforme globale, afin d'éviter la concomitance d'un trop grand nombre d'élections ou, au contraire, afin d'organiser une telle concomitance dans le but de favoriser une plus large participation des électeurs.

 

Il en est allé ainsi pour certains scrutin locaux12, pour les élections des membres de l'Assemblée des Français à l'étranger13 ou pour les élections législatives.

 

Ainsi dans sa décision n° 2001-444 DC du 9 mai 2001, il a validé la loi organique faisant en sorte que les élections législatives interviennent après l'élection présidentielle : « Considérant que le législateur organique, compétent en vertu de l'article 25 de la Constitution pour fixer la durée des pouvoirs de chaque assemblée, peut librement modifier cette durée sous réserve du respect des règles et principes de valeur constitutionnelle ; qu'au nombre de ces règles figure l'article 3, en vertu duquel le suffrage "est toujours universel, égal et secret", qui implique que les électeurs soient appelés à exercer, selon une périodicité raisonnable, leur droit de suffrage ; que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu'il ne lui appartient donc pas de rechercher si l'objectif que s'est assigné le législateur pouvait être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à cet objectif ;

 

« Considérant, en premier lieu, que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel n'a pas pour objet d'allonger de façon permanente la durée du mandat des députés, laquelle demeure fixée à cinq ans ; qu'il résulte des travaux préparatoires que le législateur a estimé, en raison de la place de l'élection du Président de la République au suffrage universel direct dans le fonctionnement des institutions de la cinquième République, qu'il était souhaitable que l'élection présidentielle précède, en règle générale, les élections législatives et que cette règle devait s'appliquer dès l'élection présidentielle prévue en 2002 ; que l'objectif que s'est ainsi assigné le législateur n'est contraire à aucun principe, ni à aucune règle de valeur constitutionnelle ; qu'est en particulier respecté le principe, résultant de l'article 3 de la Constitution, selon lequel les citoyens doivent exercer leur droit de suffrage selon une périodicité raisonnable ;

 

« Considérant, en second lieu, que, pour atteindre le but qu'il s'est fixé, le législateur a décidé que les pouvoirs de l'Assemblée nationale actuellement en fonction sont prolongés jusqu'au troisième mardi de juin 2002 ; que cette prolongation, limitée à onze semaines, apparaît comme strictement nécessaire à la réalisation de l'objectif de la loi et revêt un caractère exceptionnel et transitoire ; qu'elle n'est donc pas manifestement inappropriée audit objectif »14.

 

Jusqu'à présent, le Conseil n'a jamais prononcé de censure sur le fondement de la méconnaissance de l'exigence de périodicité raisonnable dans l'expression du suffrage.

 

Très récemment, examinant les dispositions de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, le Conseil constitutionnel a jugé, par sa décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, que les dispositions ayant suspendu les opérations électorales postérieurement à la tenue du premier tour et reporté l'organisation du second tour étaient le résultat d'un arbitrage entre deux objectifs difficilement conciliables : « Si [les dispositions contestées] remettent en cause l'unité de déroulement des opérations électorales, elles permettent, contrairement à une annulation du premier tour, de préserver l'expression du suffrage lors de celui-ci »15.

 

Il a alors indiqué les conditions dans lesquelles une telle intervention du législateur était constitutionnelle : « le législateur ne saurait, sans méconnaître les exigences résultant de l'article 3 de la Constitution, autoriser une telle modification du déroulement des opérations électorales qu'à la condition qu'elle soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général et que, par les modalités qu'il a retenues, il n'en résulte pas une méconnaissance du droit de suffrage, du principe de sincérité du scrutin ou de l'égalité devant le suffrage »16.

 

En effet, d'une part, compte tenu de la perturbation que le report du second tour d'un scrutin en cours pouvait potentiellement entraîner sur l'ensemble du processus électoral et des risques de manipulation attachés à une telle décision (dans l'hypothèse, par exemple, où une majorité parlementaire déciderait de modifier un processus électoral qui lui serait défavorable), les circonstances qui motivent un tel report ne peuvent être que très restreintes. Ainsi, à la différence de sa jurisprudence relative aux adaptations du calendrier électoral ou aux modifications des durées de mandats électifs (rappelée plus haut), pour lesquelles un « simple » motif d'intérêt général peut suffire, le Conseil constitutionnel a exigé un motif impérieux d'intérêt général.

 

En l'espèce, il a jugé qu'en « adoptant les dispositions contestées, alors que le choix avait été fait, avant qu'il n'intervienne, de maintenir le premier tour de scrutin, le législateur a entendu éviter que la tenue du deuxième tour de scrutin initialement prévu le 22 mars 2020 et la campagne électorale qui devait le précéder ne contribuent à la propagation de l'épidémie de covid-19, dans un contexte sanitaire ayant donné lieu à des mesures de confinement de la population »17. Un tel objectif constitue, selon le Conseil, un motif impérieux d'intérêt général.

 

D'autre part, le Conseil a vérifié que les modalités du report du second tour retenues par le législateur n'emportaient pas une méconnaissance du droit de suffrage, du principe de sincérité du scrutin ou de l'égalité devant le suffrage.

 

* La vocation du Sénat à assurer la représentation des collectivités territoriales de la République est protégée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

 

Du troisième alinéa de l'article 24 de la Constitution dans sa rédaction alors en vigueur18, le Conseil a déduit, par sa décision n° 2000-431 DC du 6 juillet 2000, que « le Sénat doit, dans la mesure où il assure la représentation des collectivités territoriales de la République, être élu par un corps électoral qui est lui-même l'émanation de ces collectivités ; que, par suite, ce corps électoral doit être essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ; que toutes les catégories de collectivités territoriales doivent y être représentées ; qu'en outre, la représentation des communes doit refléter leur diversité ; qu'enfin, pour respecter le principe d'égalité devant le suffrage résultant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et de l'article 3 de la Constitution, la représentation de chaque catégorie de collectivités territoriales et des différents types de communes doit tenir compte de la population qui y réside »19.

 

Le Conseil constitutionnel a alors jugé contraires à ces exigences des dispositions qui visaient à permettre la désignation par certaines communes, en dehors du conseil municipal, de délégués supplémentaires qui auraient pu constituer une part substantielle, voire, dans certains départements, majoritaire, du collège des électeurs sénatoriaux.

 

Il ne s'était en revanche jamais prononcé, jusqu'à la décision objet du présent commentaire, sur la représentation, par le Sénat, des Français établis hors de France.

 

C. – L'application à l'espèce

 

Le Conseil constitutionnel a fait application, dans la décision commentée, de la jurisprudence qui vient d'être présentée.

 

En citant l'article 3 de la Constitution, il a mis en avant l'exigence de périodicité raisonnable de l'expression du suffrage que la prorogation d'un mandat électoral est susceptible de mettre en cause (paragr. 3). En faisant référence, au même paragraphe, aux quatrième et cinquième alinéas de l'article 24 de la Constitution, le Conseil a souligné la particularité du Sénat, qui est d'être élu au suffrage indirect, c'est-à-dire par un corps électoral lui-même issu d'une élection.

 

Le Conseil a également rappelé la marge d'appréciation dont dispose le législateur organique pour modifier la durée des mandats des sénateurs, sous la réserve que cette modification soit justifiée par un but d'intérêt général, qu'elle ne méconnaisse pas, notamment, l'exigence de périodicité raisonnable de l'exercice du droit de suffrage et, enfin, que les modalités retenues ne soient pas manifestement inappropriées à l'objectif poursuivi (paragr. 4 et 5).

 

Pour la première fois, le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de tirer toutes les conséquences du fait que le Sénat assure également20 la représentation des Français établis hors de France. S'appuyant à la fois sur les exigences constitutionnelles liées au suffrage, résultant de l'article 3 de la Constitution, sur le quatrième alinéa de l'article 24 de la Constitution, qui prévoit le caractère indirect du suffrage pour l'élection des sénateurs, et sur le cinquième alinéa du même article 24, qui pose le principe de cette représentation, le Conseil en a déduit que les sénateurs représentant les Français établis hors de France devaient être élus par un corps électoral lui-même élu par ces Français (paragr. 6).

 

Ce faisant, il a transposé à la représentation des Français établis hors de France, ce qu'il avait jugé pour la représentation, par le Sénat, des collectivités territoriales, dans sa décision n° 2005-529 DC précitée.

 

Procédant ensuite à un contrôle en deux temps de l'article 1er, le Conseil s'est d'abord attaché à la justification de la prorogation du mandat des six sénateurs en cause.

 

Il a constaté que ce report était justifié par le report, dans la même temporalité, des élections consulaires qui portent sur la majorité du collège électoral des sénateurs représentant les Français établis hors de France. Or, ce report du scrutin consulaire était dû aux difficultés d'organisation liées à l'épidémie mondiale de covid-19. Le Conseil a considéré que, sur ce point, le législateur « a pu estimer que ce report devait également entraîner celui de l'élection des six sénateurs […] élus en septembre 2014 et qui devaient être renouvelés en septembre 2020, afin que ces sénateurs ne soient pas désignés par un collège en majeure partie composé d'élus exerçant leur mandat au-delà de son terme normal » (paragr. 7 et 8).

 

Dans le second temps de son raisonnement, le Conseil constitutionnel s'est attaché à la durée de la prorogation : il a constaté qu'elle serait d'un an et qu'elle revêtirait un caractère exceptionnel et transitoire (paragr. 9). Ce faisant, il n'était pas porté d'atteinte inconstitutionnelle à l'exigence de périodicité raisonnable des scrutins.

 

Examinant la réduction d'un an du mandat des sénateurs appelés à succéder à ceux dont le mandat serait ainsi prorogé, le Conseil a constaté qu'elle visait à conserver le rythme normal des renouvellements partiels triennaux du Sénat. Il en a conclu que les choix du législateur organique n'étaient pas manifestement inappropriés à l'objectif qu'il s'était fixé (même paragr.).

 

Il a par conséquent déclaré la prorogation et la réduction des mandats en cause conformes à la Constitution.

 

II. – Les dispositions relatives aux obligations déclaratives des membres du Parlement (paragraphe I de l'article 2)

 

Le paragraphe I de l'article 2 de la loi organique prévoit que toute déclaration qui devait être adressée, entre le 12 mars et le 23 juin 2020, au président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en application des trois premiers alinéas du paragraphe I de l'article L.O. 135-1 du code électoral est réputée avoir été faite à temps si elle a été adressée avant le 24 août 2020.

 

L'examen de ces dispositions, qui avaient été introduites par amendement en première lecture au Sénat, a donné l'occasion au Conseil constitutionnel de préciser sa jurisprudence en matière de « cavaliers organiques ».

 

Il convient de rappeler que, par sa décision n° 2016-732 DC du 28 juillet 201621, le Conseil constitutionnel a censuré pour défaut de lien, au moins indirect, au sens de l'article 45 de la Constitution – « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis » – des dispositions, introduites dans une loi organique en première lecture, qui avaient été prises sur d'autres fondements constitutionnels que celles sur le fondement desquelles le projet de loi organique avait été déposé devant la première assemblée saisie22. Le Conseil s'emploie d'ailleurs à préciser ces fondements constitutionnels (c'est-à-dire les articles de la Constitution renvoyant à une loi organique) au début de ses décisions sur les lois organiques, en même temps que, le cas échéant, il relève les autres habilitations constitutionnelles sur la base desquelles des dispositions additionnelles ont été adoptées.

 

Cette jurisprudence repose sur l'idée que le domaine des lois organiques est strictement défini par les renvois opérés, au sein de la Constitution, à de telles lois.

 

Jusqu'à présent, le Conseil constitutionnel n'avait, cependant, pas tranché la question de savoir si, en sens inverse, le seul fait que des dispositions insérées par amendement dans une loi organique soient prises sur le fondement de la même habilitation constitutionnelle que les dispositions figurant dans le texte initial suffit à satisfaire l'exigence de lien prévue à l'article 45 de la Constitution ou si, au sein d'un champ couvert par une même habilitation constitutionnelle, des dispositions peuvent malgré tout constituer des « cavaliers » au motif qu'elles sont étrangères à l'objet des dispositions du texte initial.

 

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a tranché en faveur de la seconde interprétation.

 

Après avoir transposé au contrôle des lois organiques la formule récemment retenue à l'égard des autres lois23, selon laquelle « Il appartient au Conseil constitutionnel de déclarer contraires à la Constitution les dispositions introduites en méconnaissance de [la] règle de procédure [prévue par la dernière phrase du premier alinéa de l'article 45 de la Constitution]. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel ne préjuge pas de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles » (paragr. 12), le Conseil a décrit le périmètre du projet de loi organique déposé sur le bureau du Sénat, première assemblée saisie, comme il le fait systématiquement depuis la décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 201924. Pris sur le fondement de l'article 25 de la Constitution (paragr. 1), ce projet prolongeait d'un an, en raison des conditions sanitaires liées à l'épidémie de covid-19, le mandat des sénateurs en exercice de la série 2 et réduisait d'un an celui des sénateurs, de la même série, appelés à être élus en septembre 2021. En outre, il excluait l'organisation d'élections législatives ou sénatoriales partielles jusqu'à ce que les conditions sanitaires permettent la tenue de nouvelles élections municipales (paragr. 13).

 

C'est ensuite au terme d'un raisonnement en deux temps que le Conseil constitutionnel a admis l'insertion dans la loi organique qui lui était soumise des dispositions du paragraphe I de l'article 2 : « d'une part, [ces dispositions ont] été prises sur le fondement de l'article 25 de la Constitution. D'autre part, elles visent à traiter certaines conséquences de l'épidémie de covid-19 sur le mandat parlementaire. Dès lors, elles ne peuvent être regardées comme dépourvues de lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans le projet de loi organique déposé sur le bureau du Sénat » (paragr. 14).

 

Ainsi, pour respecter l'article 45 de la Constitution, les dispositions introduites par amendement doivent non seulement avoir le même fondement constitutionnel que les dispositions du texte initial, mais aussi présenter une proximité suffisante avec l'objet de ces dernières. En d'autres termes, la décision n° 2016-732 DC précitée a seulement défini « un cas d'absence de lien indirect particulier »25, mais n'a pas établi, a contrario, une présomption irréfragable selon laquelle tout amendement pris sur le même fondement constitutionnel que les dispositions du texte d'origine aurait un lien avec l'objet de celui-ci.

 

Retenir une autre interprétation, qui se serait satisfaite d'un simple fondement constitutionnel commun, aurait conduit, par exemple, à ce qu'une modification de faible ampleur d'une règle relative aux magistrats par un projet ou une proposition de loi organique autorise, par amendement, à réformer tout le statut de la magistrature (article 64 de la Constitution). De même, n'importe quel aménagement du statut organique d'une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution aurait permis non seulement de revoir par amendement l'intégralité du statut de cette collectivité, mais aussi de celui de toutes les autres collectivités relevant de cet article. La spécificité des modalités d'application, en matière de lois organiques, de l'article 45 de la Constitution aurait alors pu aboutir à admettre l'insertion par amendement de dispositions très éloignées de celles du texte initial, rendant ainsi l'exigence de lien moins forte qu'en matière de lois ordinaires.

 

En définitive, dès lors que les dispositions en cause n'appelaient pas de remarque sur le fond, le Conseil constitutionnel les a déclarées conformes à la Constitution, tout comme, plus globalement, l'ensemble de l'article 2 (paragr. 16).

 

_______________________________________

1 Loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France.

2 Les conseillers des Français de l'étranger sont des élus de proximité représentant les Français établis hors de France auprès des ambassades et des consulats, au sein des conseils consulaires. Les conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger sont ensuite élus, par ces conseillers parmi eux.

3 Le 28 septembre 2014, avaient été élus pour une durée de six ans 178 sénateurs de la série 2, à savoir les sénateurs de 58 départements métropolitains, dont l'ordre minéralogique va de l'Ain (1) à l'Indre (36) et du Bas-Rhin (67) au Territoire de Belfort (90), à l'exception des départements d'Île-de-France ; les sénateurs de Guyane, de Saint-Barthélemy, de Wallis-et-Futuna, de Saint-Martin et de Polynésie Française ; six sénateurs représentant les Français établis hors de France. Sur ces 178 sièges, 119 sont à pourvoir à la représentation proportionnelle (29 circonscriptions départementales et circonscription des Français de l'étranger) et 59 au scrutin majoritaire (34 circonscriptions).

4 Loi n° 2020-760 du 22 juin 2020 tendant à sécuriser l'organisation du second tour des élections municipales et communautaires de juin 2020 et à reporter les élections consulaires.

5 Décision n° 2003-476 DC du 24 juillet 2003, Loi organique portant réforme de la durée du mandat et de l'âge d'éligibilité des sénateurs ainsi que de la composition du Sénat.

6 Ces modifications avaient d'ailleurs été suggérées par le Conseil constitutionnel dans ses observations « sur les échéances électorales de 2007 », dans lesquelles il avait considéré : « Il convient donc de reporter les élections locales, ce qui pose nécessairement la question du report des élections sénatoriales » (décision n° 2005-22 ELEC du 7 juillet 2005, Observations du Conseil constitutionnel sur les échéances électorales de 2007).

7 Décision n° 2005-529 DC du 15 décembre 2005, Loi organique modifiant les dates de renouvellement du Sénat, cons. 5.

8 Ibidem, même cons.

9 Ibid, cons. 6

10 Ibid, cons. 7.

11 Décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013, Loi relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, cons. 59 et 64.

12 Décision n° 2010-603 DC du 11 février 2010, Loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, cons. 12 à 14.

13 Décision n° 2013-671 DC du 6 juin 2013, Loi portant prorogation du mandat des membres de l'Assemblée des Français à l'étranger.

14 Décision n° 2001-444 DC du 9 mai 2001, Loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, cons. 3 à 5.

15 Décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, M. Daniel D. et autres (Modification du calendrier des élections municipales), paragr. 21.

16 Ibidem, même paragr.

17 Ibid, paragr. 22.

18 Ce troisième alinéa disposait alors : « Le Sénat est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Les Français établis hors de France sont représentés au Sénat ». Par l'effet de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Vème République, l'article 24 a été modifié, de telle sorte que ses deux derniers alinéas sont ainsi rédigés : « Le Sénat, dont le nombre de membres ne peut excéder trois cent quarante-huit, est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République. – Les Français établis hors de France sont représentés à l'Assemblée nationale et au Sénat ».

19 Décision n° 2000-431 DC du 6 juillet 2000, Loi relative à l'élection des sénateurs, cons. 5.

20 Comme indiqué plus haut, il partage en effet cette caractéristique avec l'Assemblée nationale.

21 Décision n° 2016-732 DC du 28 juillet 2016, Loi organique relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature (paragr. 100 à 102).

22 Depuis lors, des exceptions à la règle ont été apportées au bénéfice de certaines dispositions relatives aux collectivités d'outre-mer (décision n° 2017-753 DC du 8 septembre 2017, Loi organique pour la confiance dans la vie politique, paragr. 69, 71 et 73) et au bénéfice des dispositions de stricte coordination (décision n° 2019-779 DC du 21 mars 2019, Loi organique relative au renforcement de l'organisation des juridictions, solution implicite). Voir également le cas où une réforme législative associe des dispositions relevant d'une loi organique et des dispositions relevant d'une loi ordinaire : décision n° 2019-784 DC du 27 juin 2019, Loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française, paragr. 11.

23 Décisions nos 2019-794 DC du 20 décembre 2019, Loi d'orientation des mobilités, paragr. 55 (« cavaliers législatifs »), 2019-795 DC du 20 décembre 2019, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, paragr. 70 (« cavaliers sociaux ») et 2019-796 DC du 27 décembre 2019, Loi de finances pour 2020, paragr. 121 (« cavaliers budgétaires »).

24 Décision n° 2019-794 DC précitée, paragr. 56 et suivants.

25 Jean Maïa, « Le contrôle des cavaliers législatifs, entre continuité et innovations », Titre VII, n° 4, avril 2020.