• Commentaire QPC

Commentaire de la décision 2018-761 DC

18/02/2023

  

Le projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017–1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social a été délibéré en conseil des ministres le 27 septembre 2017 et déposé le même jour sur le bureau de l'Assemblée nationale. Après engagement par le Gouvernement de la procédure accélérée, il a été adopté en première lecture par l'Assemble nationale le 28 novembre 2017, puis par le Sénat le 24 janvier 2018. Réunie le 31 janvier 2018, la commission mixte paritaire a établi un texte, adopté par l'Assemblée nationale le 6 février 2018 puis par le Sénat le 14 février 2018.

 

Cette loi a été déférée au Conseil constitutionnel par plus de soixante députés. Ils contestaient la conformité à la Constitution de ses articles 1er, 3, 10, 17 et 18 en tant qu'ils ratifient respectivement certaines dispositions des ordonnances nos 2017-1385, 2017-1386, 2017-1387 et 2017-1389 du 22 septembre 2017 et de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017. Ils contestaient également l'article 7 et certaines dispositions de ses articles 2, 6 et 11. Ils contestaient enfin la procédure d'adoption de son article 18.

 

Dans sa décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le 9° de l'article 6 de la loi déférée, ainsi que ses articles 9, 12, 14 et 20, qui avaient été introduits par amendement en méconnaissance de l'article 45 de la Constitution (« cavaliers »). Il a déclaré conformes à la Constitution les autres dispositions qu'il a examinées, sous une réserve pour l'une d'elle.

 

Le présent commentaire, après avoir rappelé la nature du contrôle du Conseil constitutionnel sur les lois de ratification d'ordonnances, porte uniquement sur l'examen des dispositions relatives à la négociation d'accords d'entreprise dans les entreprises de moins de cinquante salariés, à la limitation à deux mois du délai de recours en nullité contre les accords collectifs, et aux conséquences de l'annulation des élections au comité social et économique en cas de méconnaissance des règles relatives à la représentation équilibrée des femmes et des hommes.

I.  Le contrôle par le Conseil constitutionnel des lois de ratification d'ordonnances

 

Si ce n'était pas la première fois que le Conseil constitutionnel était saisi d'une loi de ratification d'ordonnances prises sur le fondement de l'article 38 de la Constitution1, la loi déférée à son examen dans la décision commentée se signalait par le nombre d'ordonnances ratifiées et leur ampleur.

 

Elle a donc donné l'occasion au Conseil constitutionnel d'appliquer sa jurisprudence bien établie sur le contrôle des modifications législatives opérées par ordonnances, à l'occasion du contrôle de la loi qui les ratifie.

 

* Saisi d'une loi de ratification d'une ordonnance, le Conseil constitutionnel accepte d'examiner, à travers cette loi, l'ordonnance elle-même (décision n° 84–170 DC du 4 juin 19842), ainsi que les modifications que cette ordonnance a opérées dans le droit en vigueur (décision n° 2007-561 DC du 17 janvier 20083). Il s'assure du respect des principes et règles de valeur constitutionnelle tant par les dispositions modifiées que par celles de l'ordonnance ou de la loi de ratification.

 

Le Conseil constitutionnel contrôle également si, en ratifiant l'ordonnance, le Parlement a méconnu une réserve d'interprétation émise lors de l'examen de la loi d'habilitation (décision n° 2004-506 DC du 2 décembre 20044). Ceci s'explique aisément : la réserve d'interprétation révèle la limite de la compétence du législateur, qui n'a pu valablement habiliter le Gouvernement à déroger aux exigences constitutionnelles, comme il ne peut ensuite ratifier une violation de la Constitution.

 

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel juge inopérants les moyens tirés de ce que des dispositions de l'ordonnance outrepasseraient les limites de l'habilitation (décision n° 2004-506 DC précitée, cons. 25 et 36 ; décision n° 2007-561 DC précitée, cons. 12). Ceci est justifié par le fait qu'il serait paradoxal qu'au moment où le législateur reprend la main sur la législation, par la ratification, il lui soit interdit d'aller plus loin que ce qu'il a autorisé le Gouvernement à faire : le champ restreint de l'habilitation ne s'impose qu'au Gouvernement et le fait que ce dernier ait, le cas échéant, débordé ce champ est sans conséquence dès lors que le législateur consent à régulariser ce débordement en ratifiant l'ordonnance. Ceci a conduit le Conseil constitutionnel, dans la décision commentée à écarter ce grief, soulevé par les députés requérants, comme inopérant (paragr. 40).

 

* Le contrôle des « cavaliers » dans le cadre d'une loi de ratification présente certaines particularités. En effet, aux termes de la dernière phrase du premier alinéa de l'article 45 de la Constitution : « Sans préjudice de l'application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Le lien s'apprécie donc, en principe, au regard des dispositions du projet de loi initial. Or, dans le cas d'un projet de loi de ratification d'ordonnances, les articles initiaux se bornent généralement à prévoir que telle et telle ordonnances sont ratifiées.

 

L'appréciation du lien avec le texte déposé ne pourrait se limiter à la seule opération de ratification, sans quoi le législateur n'aurait pas la possibilité d'adopter des amendements modifiant le texte des ordonnances, ce qui serait paradoxal.

 

Le Conseil constitutionnel considère donc que la recevabilité des amendements doit, par transitivité, s'apprécier au regard de l'ensemble des dispositions des ordonnances que le texte initial tend à ratifier. C'est ainsi qu'il a procédé dans sa décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 dans laquelle, pour déterminer si une disposition adoptée par amendement présentait ou non un lien avec le projet initial, il a analysé le contenu d'une ordonnance que l'un des articles de ce projet tendait à ratifier5. Corrélativement, il ressort de la décision n° 2011–640 DC du 4 août 2011 que l'appréciation du lien qui existe entre une disposition adoptée en première lecture qui ratifie une ordonnance et les dispositions initiales du texte implique de comparer le contenu même de l'ordonnance ratifiée avec ces dernières6.

 

Mettant en œuvre un tel contrôle dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a par conséquent censuré quatre articles introduits en première lecture qui ne présentaient pas de lien, même indirect, avec le projet de loi de ratification (paragr. 111 à 115).

 

* La portée des décisions de conformité sur les lois de ratification rendues par le Conseil constitutionnel doit être précisée : si le contrôle du Conseil peut porter sur l'ensemble de l'ordonnance, la déclaration de conformité à la Constitution de l'article de ratification ne s'étend pas nécessairement à l'ensemble de l'ordonnance, mais seulement aux articles de cette ordonnance spécialement examinés dans la décision. Ainsi, dans le dispositif de sa décision n° 2004-506 DC précitée, le Conseil précise, après avoir successivement écarté les griefs adressés à ces articles de l'ordonnance, dans le corps de sa décision, « N'est pas contraire à la Constitution le paragraphe XXII de l'article 78 de la loi de simplification du droit en tant qu'il ratifie les articles 2, 8, 11, 14 et 18 de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat ». De la même façon, quoique par une rédaction différente de son dispositif, la décision n° 2007-561 DC précitée, dans laquelle le Conseil constitutionnel était saisi de la loi ratifiant l'ordonnance du 12 mars 2007 relative au code du travail, procède à la déclaration de conformité, non de l'ensemble de cette ordonnance, mais des seuls articles du code du travail contestés dans la saisine, « tels qu'ils résultent de la loi ratifiant l'ordonnance ».

 

Le Conseil constitutionnel a suivi la même logique dans la décision commentée. Toutefois, afin de permettre une meilleure identification des dispositions déclarées conformes à la Constitution, il a expressément précisé dans le dispositif de sa décision s'il s'agissait de la version de ces dispositions résultant d'une des ordonnances ratifiées ou, lorsque ces dispositions issues de l'ordonnance avaient été modifiées par la loi de ratification, de la version résultant de cette dernière loi.

 

II. – Sur la négociation d'accords d'entreprise dans les entreprises de moins de cinquante salariés

 

A. – Sur la consultation des salariés sur un projet d'accord de l'employeur (articles L. 2232-21 et L. 2232-23 du code du travail, dans leur rédaction résultant de l'article 2 de la loi déférée)

 

1.– Présentation des dispositions contestées

 

Dans sa rédaction résultant du 3° du paragraphe I de l'article 2 de la loi déférée, l'article L. 2232-21 du code du travail dispose :

 

« Dans les entreprises dépourvues de délégué syndical et dont l'effectif habituel est inférieur à onze salariés, l'employeur peut proposer un projet d'accord ou un avenant de révision aux salariés, qui porte sur l'ensemble des thèmes ouverts à la négociation collective d'entreprise prévus par le présent code. La consultation du personnel est organisée à l'issue d'un délai minimum de quinze jours courant à compter de la communication à chaque salarié du projet d'accord. Les conditions d'application de ces dispositions, en particulier les modalités d'organisation de la consultation du personnel, sont fixées par décret en Conseil d'État ».

 

Dans sa rédaction résultant du 7° du paragraphe I de l'article 2 de la loi déférée, l'article L. 2232-23 du code du travail dispose notamment que les dispositions de l'article L. 2232-21 précité s'appliquent dans les entreprises dont l'effectif habituel est compris entre onze et vingt salariés, en l'absence de membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique.

 

Ainsi, les articles L. 2232-21 et L. 2232-23 du code du travail permettent à l'employeur, dans une entreprise comptant moins de vingt salariés, de soumettre à la consultation des salariés, sous certaines conditions, un projet d'accord ou un avenant de révision portant sur les thèmes ouverts à la négociation collective d'entreprise.

 

2. – Analyse de constitutionnalité

 

* Les députés requérants reprochaient aux articles L. 2232-21 et L. 2232-23 du code du travail de permettre à l'employeur de soumettre à la consultation directe des salariés un projet de convention, sans négociation préalable, ni a fortiori d'accord, avec les représentants du personnel. Il en résultait selon eux une méconnaissance du principe de participation des travailleurs et une atteinte disproportionnée à la liberté syndicale, ainsi qu'une incompétence négative du législateur.

 

* Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a d'abord rappelé ses formulations de principe en matière de liberté syndicale, de participation des travailleurs et d'étendue de la compétence législative dans ces domaines7. En particulier, il a jugé que si les dispositions des sixième8 et huitième9 alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 « confèrent aux organisations syndicales vocation naturelle à assurer, notamment par la voie de la négociation collective, la défense des droits et intérêts des travailleurs, elles ne leur attribuent pas pour autant un monopole de la représentation des salariés en matière de négociation collective » (paragr. 5).

 

Le Conseil constitutionnel a ensuite identifié l'objectif poursuivi par le législateur : en permettant à l'employeur, dans les entreprises employant jusqu'à vingt salariés, de proposer un projet d'accord collectif à la consultation du personnel, il « a souhaité développer les accords collectifs dans les petites entreprises en prenant en compte l'absence fréquente de représentants des salariés pouvant négocier de tels accords dans ces entreprises » (paragr. 7).

 

Le Conseil constitutionnel a alors relevé que les dispositions contestées sont circonscrites : elles ne permettent une telle consultation du personnel que dans les entreprises ne comportant aucun délégué syndical et qui soit comptent moins de onze salariés, soit comptent de onze à vingt salariés et ne disposent pas d'un membre élu de la délégation du personnel au comité social et économique (paragr. 8).

 

Pour apprécier leur constitutionnalité, le Conseil a enfin pris en compte les  garanties suivantes : conformément à l'article L. 2232-22 du code du travail, le projet d'accord doit être communiqué par l'employeur à chaque salarié ; un délai minimum de quinze jours doit s'écouler entre cette communication et l'organisation de la consultation ; le projet d'accord n'est validé que s'il recueille une majorité des deux tiers du personnel ; dans le silence des textes, les modalités d'organisation de la consultation doivent en tout état de cause respecter les principes généraux du droit électoral (paragr. 9).

 

Le Conseil constitutionnel en a conclu que les articles L. 2232-21 et L. 2232-23 du code du travail ne méconnaissent ni le principe de participation des travailleurs, ni la liberté syndicale et qu'ils ne sont pas entachés d'incompétence négative. Il les a ainsi déclarés conformes à la Constitution.

 

B. – Sur la négociation des accords d'entreprise dans les entreprises dépourvues de délégué syndical (article L. 2232-23-1 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l'article 2 de la loi déférée)

 

1.– Présentation des dispositions contestées

 

Dans sa rédaction résultant des 4° et 8° du paragraphe I de l'article 2 de la loi déférée, l'article L. 2232-23-1 du code du travail dispose :

 

« I. – Dans les entreprises dont l'effectif habituel est compris entre onze et moins de cinquante salariés, en l'absence de délégué syndical dans l'entreprise ou l'établissement, les accords d'entreprise ou d'établissement peuvent être négociés, conclus, révisés ou dénoncés :

 

« 1° Soit par un ou plusieurs salariés expressément mandatés par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche ou, à défaut, par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel, étant membre ou non de la délégation du personnel du comité social et économique. À cet effet, une même organisation ne peut mandater qu'un seul salarié ;

 

« 2° Soit par un ou des membres titulaires de la délégation du personnel du comité social et économique.

 

« Les accords ainsi négociés, conclus, révisés ou dénoncés peuvent porter sur toutes les mesures qui peuvent être négociées par accord d'entreprise ou d'établissement sur le fondement du présent code.

 

« II. – La validité des accords ou des avenants de révision conclus avec un ou des membres de la délégation du personnel du comité social et économique, mandaté ou non, est subordonnée à leur signature par des membres du comité social et économique représentant la majorité des suffrages exprimés en faveur des membres du comité social et économique lors des dernières élections professionnelles.

 

« Pour l'appréciation de la condition de majorité prévue au premier alinéa du présent II, lorsqu'un accord est conclu par un ou des membres titulaires de la délégation du personnel du comité social et économique central, il est tenu compte, pour chacun des membres titulaires de la délégation, d'un poids égal au rapport entre le nombre de suffrages exprimés dans l'établissement en faveur de ce membre et du nombre total des suffrages exprimés dans chaque établissement en faveur des membres titulaires composant ladite délégation. 

 

« La validité des accords ou des avenants de révision conclus avec un ou plusieurs salariés mandatés, s'ils ne sont pas membres de la délégation du personnel du comité social et économique, est subordonnée à leur approbation par les salariés à la majorité des suffrages exprimés, dans des conditions déterminées par décret et dans le respect des principes généraux du droit électoral ».

 

2. – Analyse de constitutionnalité

 

* Les députés requérants reprochaient aux trois premiers alinéas du paragraphe I de l'article L. 2232-23-1 du code du travail de permettre à l'employeur, dans les entreprises dépourvues de délégué syndical comptant entre onze et quarante-neuf salariés, de négocier des accords d'entreprise soit avec des salariés expressément mandatés par des organisations syndicales représentatives (dans la branche ou, à défaut, au niveau national et interprofessionnel), soit avec des membres titulaires de la délégation du personnel du comité social et économique. Selon eux, en n'instituant aucune priorité en faveur des salariés mandatés par une organisation syndicale et en laissant ainsi à l'employeur le choix unilatéral de son interlocuteur pour négocier, ces dispositions méconnaissaient la liberté syndicale et le principe de participation des travailleurs.

 

* Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a rappelé, ainsi qu'il l'avait jugé en 199610, que si les sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 « confèrent aux organisations syndicales vocation naturelle à assurer, notamment par la voie de la négociation collective, la défense des droits et intérêts des travailleurs, elles ne leur attribuent pas pour autant un monopole de la représentation des salariés en matière de négociation collective » et que « Des salariés désignés par la voie de l'élection ou titulaires d'un mandat assurant leur représentativité peuvent également participer à la détermination collective des conditions de travail dès lors que leur intervention n'a ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à celle des organisations syndicales représentatives » (paragr. 13).

 

Il a ensuite observé, d'une part, que les dispositions contestées ne régissent la négociation collective que dans les entreprises de onze à quarante-neuf salariés et uniquement lorsqu'elles ne comportent aucun délégué syndical. D'autre part, il a relevé que si, à la différence des règles applicables aux entreprises d'au moins cinquante salariés (article L. 2232-24 du code du travail11), les dispositions contestées n'instaurent pas de priorité au profit des salariés mandatés par une organisation syndicale représentative, ces dispositions n'établissent pas davantage de hiérarchie qui leur serait défavorable, dès lors que l'employeur peut négocier soit avec ces salariés mandatés, soit avec des membres titulaires de la délégation du personnel du comité social et économique (paragr. 14).

 

Le fait que, dans ces entreprises, le législateur ait décidé de placer sur un pied d'égalité la négociation avec un salarié mandaté par une organisation syndicale et la négociation avec un membre de la délégation du personnel n'a ainsi « ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à l'intervention des organisations syndicales représentatives dans la détermination collective des conditions de travail » (paragr. 15). Les dispositions contestées ne méconnaissent donc ni le principe de participation des travailleurs, ni la liberté syndicale.

Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclarés conformes à la Constitution les trois premiers alinéas du paragraphe I de l'article L. 2232-23-1 du code du travail.

 

III. – Sur la limitation à deux mois du délai de recours en nullité contre les accords collectifs (article L. 2262-14 du code du travail)

 

A. – Présentation des dispositions contestées

Suivant des propositions formulées en septembre 2015 par le rapport dit « Combrexelle »12, l'article 4 de l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 a en partie réformé le régime contentieux des accords collectifs.

Afin de renforcer la sécurité juridique en ce domaine, l'article 16 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 a transcrit la proposition du rapport Combrexelle de mettre en place une base de données nationale destinée à rendre publics les conventions et accords de branche, de groupe, interentreprises, d'entreprise et d'établissement, dont le contenu a donc vocation à être publié en ligne. Organisée par l'article L. 2231-5-1 du code du travail, cette nouvelle procédure de publication des conventions et accords collectifs s'applique aux accords conclus à compter du 1er septembre 2017.

Parachevant la prise en compte des préconisations de ce rapport, l'article 4 de l'ordonnance n° 2017-1385 vise à encadrer dans le temps les conditions de recours contre les accords collectifs.

En premier lieu, cet article a créé un nouvel article L. 2262-13 disposant qu'« il appartient à celui qui conteste la légalité d'une convention ou d'un accord collectif de démontrer qu'il n'est pas conforme aux conditions légales qui le régissent » , ce qui rejoint le principe de droit commun de la charge de la preuve en matière civile exprimé par l'article 1353 du code civil, selon laquelle celle-ci incombe au demandeur.

En deuxième lieu, il a créé un nouvel article L. 2262-14 limitant à deux mois le délai de recours pour toute action en nullité d'un accord13. Ce délai court :

– pour les organisations disposant d'une section syndicale dans l'entreprise, à compter de la notification de l'accord d'entreprise « prévue à l'article L.2231–5 », ce qui renvoie à une notification « à l'ensemble des organisations représentatives à l'issue de la procédure de signature » ;

– dans tous les autres cas, à compter de la publication de l'accord, cette publication s'entendant de la mention dans la base de données nationale précédemment mentionnée et qui est accessible sur Légifrance depuis novembre dernier14.

Ce délai de deux mois se substitue au délai de droit commun de cinq ans qui valait jusqu'à présent (article 2224 du code civil), ce délai courant à compter du jour où le titulaire du droit avait connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Enfin, l'article 4 de l'ordonnance a créé un nouvel article L. 2262-15 qui permet au juge de moduler dans le temps les effets de ses décisions.

L'article 15 de l'ordonnance a fixé les conditions d'entrée en vigueur des nouvelles dispositions relatives à la contestation d'un accord collectif. Il a ainsi prévu que le nouveau délai s'appliquerait aux conventions et accords conclus postérieurement à la publication de l'ordonnance, autrement dit aux conventions et accords conclus à compter du 23 septembre 2017.

S'agissant des conventions ou accord conclus avant le 23 septembre 2017 :

– si aucune instance n'a été introduite avant cette date, le délai de deux mois a débuté le 23 septembre 2017. Ce délai a donc couru jusqu'au 23 novembre 2017 ;

– si un recours a été formé avant le 23 septembre 2017, l'action est poursuivie conformément au droit antérieur, jusqu'au terme de la procédure, y compris en appel et en cassation.

B. – Analyse de constitutionnalité

La critique des députés requérants portait à la fois sur le point de départ du délai contentieux et sur la durée de ce délai. Ils faisaient principalement valoir, en premier lieu, que le délai était susceptible de commencer à courir à l'égard de certaines parties qui ne pouvaient avoir eu connaissance de l'accord en cause, compte tenu des formes de publication ou de notification retenues. Il en résultait, selon eux, une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif et à la liberté syndicale. En second lieu, ils dénonçaient, au nom du principe de participation des travailleurs, le fait que le délai de deux mois interdisait la contestation, à tout moment, de l'accord collectif, en dépit de son illégalité, ce qui portait atteinte au principe de participation.

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle

* De jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel déduit de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 « qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction »15.

Le Conseil constitutionnel avait déjà contrôlé, à plusieurs reprises, des dispositions législatives limitant les possibilités de recours en nullité ou de recours par voie d'exception dirigés contre certains actes.

Ainsi, dans sa décision n° 2012-288 QPC du 17 janvier 2013, le Conseil était saisi de l'article 414-2 du code civil qui limite les possibilités d'action en nullité, pour insanité d'esprit, lorsqu'elle est exercée par les héritiers à l'encontre d'un acte conclu par le défunt16. Il a jugé que cet article n'était pas contraire au droit à un recours juridictionnel effectif en appuyant son raisonnement sur deux éléments. D'une part, la limitation en cause était justifiée par les objectifs d'intérêt général poursuivis par le législateur, à savoir celui d'assurer un équilibre entre, d'une part, les intérêts des héritiers et, d'autre part, la sécurité juridique des actes passés, en particulier les transactions. Il s'agissait également d'éviter, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, les difficultés relatives à la preuve de l'insanité d'esprit du défunt au moment où il a conclu l'acte critiqué. D'autre part, examinant la portée des restrictions apportées par l'article en cause, le Conseil constitutionnel a relevé que le domaine de l'atteinte au droit d'agir avait été précisément délimité par le législateur, puisque les héritiers peuvent toujours exercer les actions en nullité fondées sur d'autres causes de nullité et, en particulier, sur le droit commun des nullités. Par ailleurs, quant à sa portée, l'action en nullité n'était pas fermée aux héritiers, mais soumise à certaines restrictions sans que le droit au recours ne soit atteint dans sa substance même. Pour l'ensemble de ces motifs, le Conseil a jugé que ces restrictions au droit d'agir en nullité des actes étaient justifiées par les objectifs d'intérêt général poursuivis par le législateur et ne revêtaient pas un caractère disproportionné.

Le Conseil constitutionnel s'est également déjà prononcé sur des dispositions privant les justiciables de tout recours passé un certain délai.

 

Ainsi, dans sa décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996 sur la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, confronté à une disposition qui avait pour effet de priver de tout droit au recours devant le juge de l'excès de pouvoir la personne qui entendait contester la légalité d'un acte pris en application d'une délibération de l'assemblée territoriale, plus de quatre mois après la publication de cette délibération, lorsque la question à juger porte sur la répartition des compétences entre l'État, le territoire et les communes, le Conseil constitutionnel a jugé que, « eu égard à l'importance qui s'attache au respect de la répartition des compétences entre ces autorités, le souci du législateur de renforcer la sécurité juridique des décisions de l'assemblée ne saurait justifier que soit portée une atteinte aussi substantielle au droit à un recours juridictionnel »17.

 

Dans sa décision n° 93-335 DC du 21 janvier 1994, le Conseil constitutionnel était saisi d'une disposition qui privait les requérants de la faculté d'invoquer par voie d'exception devant les juridictions administratives l'illégalité pour vice de procédure ou de forme, des schémas directeurs, des plans d'occupation des sols ou des documents d'urbanisme en tenant lieu, après l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de prise d'effet du document en cause. Cette prohibition n'était cependant pas applicable en l'absence de publication des documents en cause, ou en cas de méconnaissance substantielle ou de violation des règles de l'enquête publique ou en cas d'absence du rapport de présentation ou des documents graphiques. Pour écarter le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, le Conseil constitutionnel a relevé successivement que « la restriction apportée par les dispositions contestées est limitée à certains actes relevant du seul droit de l'urbanisme ; qu'elle a été justifiée par le législateur eu égard à la multiplicité des contestations de la légalité externe de ces actes ; qu'en effet, le législateur a entendu prendre en compte le risque d'instabilité juridique en résultant, qui est particulièrement marqué en matière d'urbanisme, s'agissant des décisions prises sur la base de ces actes ; qu'il a fait réserve des vices de forme ou de procédure qu'il a considérés comme substantiels ; qu'il a maintenu un délai de six mois au cours duquel toute exception d'illégalité peut être invoquée ; que les dispositions qu'il a prises n'ont ni pour objet ni pour effet de limiter la possibilité ouverte à tout requérant de demander l'abrogation d'actes réglementaires illégaux ou devenus illégaux et de former des recours pour excès de pouvoir contre d'éventuelles décisions de refus explicites ou implicites »18

 

Plusieurs éléments ont donc compté dans son appréciation : la finalité de la restriction, en l'espèce éviter une instabilité juridique grave, de nombreux actes dépendant du document contesté ; le caractère encadré de la restriction, qui se limitait à certains motifs seulement ; le fait qu'il était toujours possible de demander l'abrogation du document illégal.

 

2. – Application à l'espèce

 

Dans la droite ligne de ces décisions précédentes, le Conseil constitutionnel a en premier lieu examiné la justification de la limitation du délai de recours à deux mois : il a souligné que le législateur a ainsi entendu garantir la sécurité juridique des conventions ou accords collectifs, en évitant qu'ils puissent être contestés longtemps après leur conclusion (paragr. 33).

 

Il s'est ensuite attaché au point de départ de ce délai de recours. Les requérants critiquaient le fait que ce délai pouvait être opposable à certaines parties sans que ces dernières aient eu connaissance de l'acte en cause.

 

Le Conseil a tout d'abord levé une difficulté d'interprétation du texte. En effet, le 1° de l'article L. 2262-14 du code du travail prévoit que le point de départ du délai de recours, pour les organisations syndicales disposant dans l'entreprise d'une section syndicale, court à compter de la notification effectuée à l'initiative de l'organisation signataire la plus diligente. Or, cette notification ne s'adresse qu'aux organisations représentatives. Les requérants en tiraient argument pour conclure qu'une organisation syndicale non représentative, mais disposant d'une section syndicale, pouvait se voir opposer ce point de départ, bien qu'elle n'ait pas reçu notification de la convention ou de l'accord collectif. Le Conseil constitutionnel a jugé, à l'inverse, qu'il en résultait que le point de départ du délai de recours n'est pas opposable aux organisations syndicales non représentatives, même si elles disposent d'une section syndicale (paragr. 34).

 

Puis, le Conseil a examiné le cas des parties de conventions ou d'accords collectifs non publiés en raison d'une décision des signataires. Il a formulé à ce titre une réserve d'interprétation, jugeant que le délai de recours contre ces parties d'accord non publiées ne saurait, sans méconnaître le droit à un recours juridictionnel effectif, courir à l'encontre des autres personnes qu'à compter du moment où elles en ont valablement eu connaissance (paragr. 35).

 

Enfin, le Conseil a relevé que l'article L. 2262-14 du code du travail ne prive pas les salariés de la possibilité de contester, sans condition de délai, par la voie de l'exception, l'illégalité d'une clause d'un accord collectif, à l'occasion d'un litige individuel la mettant en œuvre (paragr. 36). Or, la persistance, en dépit de la restriction prévue par le législateur, de voies de recours permettant de garantir la protection des droits est un des éléments que le Conseil constitutionnel prend en compte dans la pesée de la proportionnalité de ces restrictions des possibilités de recours.

 

À l'issue de cet examen, le Conseil constitutionnel a jugé, que, sous la réserve précédemment énoncée, l'article L. 2262-14 du code du travail ne méconnaît pas le droit à un recours juridictionnel effectif et l'a déclaré conforme à la Constitution (paragr. 37).

 

IV. – Sur les conséquences de l'annulation des élections au comité social et économique en cas de méconnaissance des règles relatives à la représentation équilibrée des femmes et des hommes (9° de l'article 6 de la loi déférée)

 

A. – Présentation des dispositions contestées

 

* Afin d'« améliorer la représentation équilibrée des femmes et hommes dans les institutions représentatives du personnel »19, l'article 7 de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, dite « loi Rebsamen », a introduit un nouvel article L. 2324-22-1 dans le code du travail, prévoyant l'obligation de présenter, pour les élections professionnelles au comité d'entreprise, des listes reflétant la proportion des femmes et des hommes dans chaque collège électoral et composées alternativement d'un candidat de chaque sexe.

 

Le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur certaines de ces dispositions dans sa décision n° 2017-686 QPC, dans laquelle il a jugé que leur application « ne saurait, sans porter une atteinte manifestement disproportionnée au droit d'éligibilité aux institutions représentatives du personnel résultant du principe de participation, faire obstacle à ce que les listes de candidats puissent comporter un candidat du sexe sous-représenté dans le collège électoral » (paragr. 9)20.

 

* L'article L. 2314-30 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l'article 1er de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 201721, transpose ces dispositions à l'élection du comité social et économique (CSE), nouvelle institution représentative du personnel fusionnant le comité d'entreprise, les délégués du personnel et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail :

 

« Pour chaque collège électoral, les listes mentionnées à l'article L. 2314-29 qui comportent plusieurs candidats sont composées d'un nombre de femmes et d'hommes correspondant à la part de femmes et d'hommes inscrits sur la liste électorale. Les listes sont composées alternativement d'un candidat de chaque sexe jusqu'à épuisement des candidats d'un des sexes.

 

« Lorsque l'application du premier alinéa n'aboutit pas à un nombre entier de candidats à désigner pour chacun des deux sexes, il est procédé à l'arrondi arithmétique suivant :

 

« 1° Arrondi à l'entier supérieur en cas de décimale supérieure ou égale à 5 ;

 

« 2° Arrondi à l'entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à 5.

 

« En cas de nombre impair de sièges à pourvoir et de stricte égalité entre les femmes et les hommes inscrits sur les listes électorales, la liste comprend indifféremment un homme ou une femme supplémentaire.

 

« Lorsque l'application de ces règles conduit à exclure totalement la représentation de l'un ou l'autre sexe, les listes de candidats pourront comporter un candidat du sexe qui, à défaut ne serait pas représenté. Ce candidat ne peut être en première position sur la liste.

 

« Le présent article s'applique à la liste des membres titulaires du comité social et économique et à la liste de ses membres suppléants »22.

 

La sanction de la méconnaissance de ces règles est prévue à l'article L. 2314-32 du code du travail, résultant de la même ordonnance n° 2017-1386 :

 

– selon le troisième alinéa de cet article, la constatation par le juge, après l'élection, de la méconnaissance, par une liste de candidats aux élections des représentants du personnel au sein du CSE, des prescriptions imposant à chaque liste de comporter un nombre de femmes et d'hommes proportionnel à leur part respective au sein du collège électoral entraîne l'annulation de l'élection « d'un nombre d'élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d'hommes que celle-ci devait respecter » ;

 

– selon l'avant-dernier alinéa du même article, la constatation par le juge, après l'élection, de la méconnaissance par une liste des prescriptions imposant l'alternance d'un candidat de chaque sexe entraîne l'annulation de l'élection des élus dont le positionnement sur la liste de candidats ne respecte pas ces prescriptions.

 

Avant l'intervention de la loi déférée, les conséquences de telles annulations sur la composition du CSE étaient régies par le premier alinéa de l'article L. 2314–10 qui, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1386 précitée, impose la tenue d'élections partielles si un collège électoral au sein du comité n'est plus représenté ou si le nombre des membres titulaires de la délégation du personnel est réduit au moins de moitié, sauf si ces événements interviennent moins de six mois avant la fin du mandat.

 

Introduites à l'initiative du Sénat23, les dispositions du 9° de l'article 6 de la loi déférée instituaient une dérogation à ces règles. Complétant le premier alinéa de l'article L. 2314-10 par les mot « ou s'ils sont la conséquence de l'annulation de l'élection de membres du comité social et économique prononcée par le juge en application des troisième et avant-dernier alinéas de l'article L. 2314–32 », elles dispensaient l'employeur de l'obligation d'organiser des élections partielles dans le cas où l'absence de représentation d'un collège électoral ou la vacance d'au moins la moitié des sièges au sein du CSE est la conséquence de l'annulation de l'élection de membres de ce comité pour méconnaissance des règles précitées tendant à une représentation équilibrée des femmes et des hommes. Les sièges devenus vacants à la suite de l'annulation par le juge devaient donc demeurer non pourvus jusqu'au prochain renouvellement général du comité social et économique.

 

B. – Analyse de constitutionnalité

 

* Les députés requérants reprochaient aux dispositions du 9° de l'article 6 de la loi déférée, complétant le premier alinéa de l'article L. 2314-10 du code du travail, de priver durablement de leurs sièges au sein du CSE les organisations syndicales n'ayant pas respecté les règles visant à assurer la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein de la délégation du personnel. Ils leurs reprochaient également de diminuer le nombre des représentants des salariés pour toute la durée du mandat restant à courir. Ils en concluaient qu'en n'ayant pas prévu que les sièges ainsi devenus vacants soient pourvus par des élections partielles, le législateur avait méconnu l'étendue de sa compétence et contrevenu au principe de participation des travailleurs.

 

* Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a relevé qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur avait entendu, d'une part, éviter que l'employeur soit contraint d'organiser de nouvelles élections professionnelles alors que l'établissement des listes de candidats relève des organisations syndicales et, d'autre part, inciter ces dernières à respecter les règles contribuant à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein du CSE.

 

Toutefois, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions « peuvent aboutir à ce que plusieurs sièges demeurent vacants au sein de la délégation du personnel du comité social et économique, pour une période pouvant durer jusqu'à quatre ans, y compris dans les cas où un collège électoral n'est plus représenté au sein de ce comité et où le nombre des élus titulaires a été réduit de moitié ou plus. Ces dispositions peuvent ainsi conduire à ce que le fonctionnement normal du comité social et économique soit affecté dans des conditions remettant en cause le principe de participation des travailleurs » (paragr. 61).

 

S'il est en effet loisible au législateur d'aménager des règles, telles que celles prévues à l'article L. 2314-10 du code du travail dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2017-1386 et antérieure à la loi déférée, visant à éviter l'organisation systématique d'une élection partielle lors de chaque vacance de siège au sein d'une institution représentative du personnel, il convient qu'un tel aménagement ne porte pas une atteinte disproportionnée au principe de participation garanti par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, selon lequel « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises »24.

 

Le Conseil constitutionnel en a donc conclu que, « même si les dispositions contestées visent à garantir, parmi les membres élus, une représentation équilibrée des femmes et des hommes, l'atteinte portée par le législateur au principe de participation des travailleurs est manifestement disproportionnée.» (paragr. 62).

 

Le juge constitutionnel n'a ainsi pas eu à trancher la question de savoir si ces dispositions incitaient effectivement au respect de règles favorisant « l'égal accès des femmes et des hommes (…) aux responsabilités professionnelles et sociales », au sens du second alinéa de l'article 1er de la Constitution. Un tel objectif, qui habilite le législateur à déroger au principe d'égalité, ne le dispense pas, en tout état de cause, du respect des autres règles et principes de valeur constitutionnelle25.

 

Le Conseil constitutionnel a donc déclaré contraire à la Constitution le 9° de l'article 6 de la loi déférée. Il résulte de cette censure que l'article L. 2314-10 du code du travail demeure en vigueur dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2017-1386 précitée.

 

 

 

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1 Cf., par exemple, en matière de droit du travail, la décision n° 2007-561 DC du 17 janvier 2008, Loi ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative).

2 Décision n° 84-170 DC du 4 juin 1984, Loi portant ratification des ordonnances prises en application de la loi n° 83-332 du 22 avril 1983 autorisant le Gouvernement à prendre, par application de l'article 38 de la Constitution, diverses mesures financières, cons. 6.

3 Décision n° 2007-561 DC du 17 janvier 2008, Loi ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative).

4 Décision n° 2004-506 DC du 2 décembre 2004, Loi de simplification du droit, cons. 16 à 19.

5 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007, Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique, cons. 6.

6 Décision n° 2011-640 DC du 4 août 2011, Loi modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, cons. 26 à 31.

7 Cf. déjà : décision n° 96-383 DC du 6 novembre 1996, Loi relative à l'information et à la consultation des salariés dans les entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire, ainsi qu'au développement de la négociation collective, cons. 8 et 9 et décision n° 2017-751 DC du 7 septembre 2017, Loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, paragr. 19.

8 « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale ... ».

9 « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ».

10 Décision n° 96-383 DC du 6 novembre 1996 précitée, cons. 8.

11 Dont le premier alinéa, dans sa rédaction résultant de la loi déférée, prévoit : « Dans les entreprises dont l'effectif habituel est au moins égal à cinquante salariés, en l'absence de délégués syndicaux dans l'entreprise ou l'établissement, les membres titulaires de la délégation du personnel du comité social et économique peuvent négocier, conclure, réviser ou dénoncer des accords collectifs de travail s'ils sont expressément mandatés à cet effet par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche dont relève l'entreprise ou, à défaut, par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel. Une même organisation ne peut mandater qu'un seul salarié ».

12 Jean-Denis Combrexelle, La négociation collective, le travail et l'emploi, rapport au Premier ministre, 9 septembre 2015.

13 Le code du travail prévoit également certains délais de recours spécifiques, comme le délai de trois mois pour les accords de méthode (L. 1233-24 du code du travail).

14 https://www.legifrance.gouv.fr/initRechAccordsEntreprise.do

15 Cf., récemment, décision n° 2018-763 DC du 8 mars 2018, Loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants, paragr.  16.

16 Cf., récemment, Décision n° 2012-288 QPC du 17 janvier 2013, Consorts M. (Qualité pour agir en nullité d'un acte pour insanité d'esprit).

17Décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996, Loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, cons. 85.

18Décision n° 93-335 DC du 21 janvier 1994, Loi portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction, cons. 4.

19 Exposé des motifs du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi, n° 2739, déposé le 22 avril 2015 à l'Assemblée nationale.

20 Décision n° 2017-686 QPC du 19 janvier 2018, Confédération générale du travail - Force ouvrière et autres (Proportion d'hommes et de femmes sur les listes de candidats aux élections du comité d'entreprise).

21 Ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales, ratifiée par l'article 3 de la loi déférée.

22 Cet article ne présente pas le même vice d'inconstitutionnalité que l'article L. 2324-22-1 précité, dès lors que la première phrase de son avant-dernier alinéa dispose : « Lorsque l'application de ces règles conduit à exclure totalement la représentation de l'un ou l'autre sexe, les listes de candidats pourront comporter un candidat du sexe qui, à défaut ne serait pas représenté ».

23 Amendement n° 185 de M. Alain Milon au nom de la commission des affaires sociales, adopté le 24 janvier 2018 en première lecture au Sénat. L'ajout de ces dispositions visait à maintenir l'état du droit antérieur à l'ordonnance précitée, pour l'élection des délégués du personnel et le comité d'entreprise (second alinéa de l'article L. 2314-7 et article L. 2324-10 du code du travail, dans leur rédaction résultant de la loi du 17 août 2015 précitée).

24 Cf. le raisonnement tenu, mutatis mutandis, dans la décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013, Loi relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, cons. 19 à 21, dans laquelle le Conseil constitutionnel a censuré des dispositions limitant à l'excès l'obligation de procéder à des élections partielles pour pourvoir des sièges devenus vacants au sein d'un conseil départemental.

25 Voir notamment la décision n° 2017-686 QPC, paragr. 5.