• Commentaire DC

Commentaire de la décision 2016-739 DC

13/06/2023

 

Le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle a été délibéré en conseil des ministres le 31 juillet 2015. Il a été adopté en première lecture par le Sénat puis par l'Assemblée nationale respectivement les 5 novembre 2015 et 24 mai 2016. La commission mixte paritaire (CMP), réunie le 22 juin 2016, n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun. En nouvelle lecture, le projet de loi a été adopté à l'Assemblée nationale le 12 juillet 2016 puis, après modification, par le Sénat le 28 septembre 2016. Le texte a été adopté en lecture définitive par l'Assemblée nationale le 12 octobre 2016 en application du quatrième alinéa de l'article 45 de la Constitution.

 

La loi était déférée au Conseil constitutionnel par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs. Les députés et les sénateurs requérants contestaient la procédure d'adoption de la loi ainsi que ses articles 50, 56, 62, 63 et 109. Les députés requérants critiquaient également son article 48, certaines dispositions de son article 57 et ses articles 93 et 110. Les sénateurs requérants contestaient également certaines dispositions de ses articles 3 et 5, son article 6, certaines dispositions de ses articles 7, 51 et 58 et son article 89.

 

Dans sa décision n° 2016-739 DC du 17 novembre 2016, le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les paragraphes I, II et IV de l'article 3, qui est relatif à l'interopérabilité des réseaux des professions du droit et du chiffre ; le paragraphe V de l'article 5, qui est relatif à l'expérimentation d'une médiation préalable obligatoire pour certains contentieux ; l'article 6 et le 3° de l'article 7, qui sont relatifs à la médiation entre parents séparés en cas de violences intrafamiliales ; l'article 48, qui transfère aux officiers de l'état civil l'enregistrement des pactes civils de solidarité (PACS) ; l'article 50, qui crée une procédure conventionnelle de divorce par consentement mutuel ; l'article 56, dont le paragraphe I transfère aux officiers de l'état civil le traitement des changements de prénom et dont le paragraphe II est relatif au traitement des demandes de changement de sexe à l'état civil ; le 1° du paragraphe I et les 1° et 2° du paragraphe III de l'article 57, qui donnent compétence aux officiers de l'état civil pour autoriser les demandes de changement de nom des personnes inscrites sur le registre de l'état civil d'un autre État ; les articles L. 733-4, L. 741-1 et L. 741-2 du code de la consommation résultant des 15° et 18° du paragraphe I de l'article 58, qui sont relatifs à la procédure de surendettement ; les articles 62, 63, 89 et 93, qui sont relatifs à l'action de groupe ; l'article 108, relatif aux règles régissant le permis de visite et l'autorisation de téléphoner des prévenus incarcérés (moyennant une réserve d'interprétation) ; l'article 109, à l'exception des 6°, 9° et 10° de son paragraphe I, et l'article 110, qui habilitent le Gouvernement à prendre des ordonnances.

 

Il a censuré, comme introduits selon une procédure contraire à la Constitution, le 5° de l'article 51, qui était relatif à la possibilité d'adjoindre le nom de l'un ou l'autre de ses parents à son nom de naissance ; l'article 106, qui donnait compétence au conseil national des barreaux pour délivrer un titre exécutoire à l'encontre des avocats en cas de non paiement de leurs cotisations ; l'article 115, qui était relatif à l'application en Moselle, dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin des règles relatives à la prescription acquisitive ; les 6°, 9° et 10° de l'article 109, qui habilitaient le Gouvernement à prendre des ordonnances pour, respectivement, élaborer la partie législative du code pénitentiaire, modifier les règles d'accès à la profession d'avocat et réformer la législation relative aux ventes volontaires.

 

 

I. – La procédure d'adoption de la loi

 

Les sénateurs requérants contestaient le bien-fondé de l'utilisation de la procédure accélérée : celle-ci a été engagée par le Gouvernement le 31 juillet 2015, mais l'examen du projet de loi en première lecture par l'Assemblée nationale n'a débuté que six mois après son adoption par le Sénat le 5 novembre 2015. Ils critiquaient également l'introduction à l'Assemblée nationale de nombreuses dispositions nouvelles par voie d'amendement du Gouvernement (divorce par consentement mutuel sans juge, changement de sexe à l'état civil, suppression de la collégialité de l'instruction, etc.), permettant à ce dernier de contourner les exigences d'une étude d'impact, d'un examen par le Conseil d'État et d'une délibération en conseil des ministres. Les sénateurs y voyaient « un usage dénaturé » du droit d'amendement du Gouvernement et une atteinte aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, ainsi qu'à « l'équilibre de la navette parlementaire tel qu'il résulte de l'article 45 de la Constitution ».

 

Les députés requérants contestaient, eux aussi, l'introduction de nombreuses dispositions nouvelles par amendement du Gouvernement en première lecture à l'Assemblée nationale, ainsi qu'un « usage détourné » de la procédure accélérée. Première assemblée saisie, le Sénat aurait été privé de la possibilité de délibérer sur des dispositions substantielles introduites à l'Assemblée nationale, du fait de la convocation d'une CMP à l'issue de la première lecture. Les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire auraient ainsi été méconnues. Le rapport de la CMP fait d'ailleurs état de ce que le Sénat avait demandé au Gouvernement, sans succès, à pouvoir procéder à une deuxième lecture du projet de loi1.

 

A. – Sur le droit d'amendement du Gouvernement

 

Le Gouvernement peut exercer son droit d'initiative législative par le dépôt, soit de projets de loi (article 39 de la Constitution), soit d'amendements (article 44 de la Constitution). Son droit d'amendement – comme celui des membres du Parlement – doit pouvoir s'exercer sans aucune autre condition que celles prévues dans la Constitution.

 

Ainsi, en 2006, le Conseil constitutionnel a jugé que « le droit d'amendement, qui appartient aux membres du Parlement et au Gouvernement, doit pouvoir s'exercer pleinement au cours de la première lecture des projets et des propositions de loi par chacune des deux assemblées ; qu'il ne saurait être limité, à ce stade de la procédure et dans le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité ainsi que par la nécessité pour un amendement, quelle qu'en soit la portée, de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie ;

 

« Considérant, dès lors, que ne peut être utilement invoqué le grief tiré de ce que les dispositions de l'article 8 de la loi déférée, issues d'un amendement adopté au cours de l'unique lecture ayant précédé la réunion de la commission mixte paritaire, auraient dû figurer, du fait de leur portée, dans le projet de loi initial ; que cet amendement n'était pas dépourvu de tout lien avec un projet de loi qui, lors de son dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale, première assemblée saisie, comportait déjà des dispositions destinées à favoriser l'accès à l'emploi des jeunes ;

 

« Considérant, par ailleurs, que le deuxième alinéa de l'article 39 de la Constitution n'impose la consultation du Conseil d'État et la délibération en conseil des ministres que pour les projets de loi avant leur dépôt sur le bureau de la première assemblée saisie et non pour les amendements ;

« Considérant (…) que la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution aient été utilisées cumulativement pour accélérer l'examen de la loi déférée n'est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l'ensemble de la procédure législative ayant conduit à son adoption »2.

 

Cette jurisprudence n'a pas changé après la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

 

En 2010, alors que les requérants estimaient que certains articles de la loi déférée avaient été adoptés « à la suite d'un détournement de procédure en méconnaissance, d'une part, des exigences fixées à l'article 39 de la Constitution qui imposent la consultation du Conseil d'État, le dépôt par priorité sur le bureau du Sénat des projets de loi relatifs à l'organisation des collectivités territoriales et la présentation d'une étude d'impact et, d'autre part, des principes de clarté et de sincérité des débats », le Conseil constitutionnel a jugé :

 

« Considérant, d'une part, que ces articles, qui présentent un lien direct avec les dispositions qui figuraient dans le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, ont été insérés en première lecture par l'Assemblée nationale ; que, dès lors, sont inopérants les griefs tirés de la méconnaissance des exigences relatives aux projets de loi concernant leur examen obligatoire par le Conseil d'État, leur dépôt par priorité sur le bureau du Sénat et leur présentation ;

« Considérant, d'autre part, qu'il ressort des travaux parlementaires que la procédure d'adoption de ces articles n'a pas eu pour effet d'altérer la clarté et la sincérité des débats et n'a porté atteinte à aucune autre exigence de valeur constitutionnelle ; que le grief tiré de la méconnaissance des exigences de clarté et de sincérité des débats doit être rejeté »3.

 

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a rappelé sa jurisprudence de principe en la matière4 : « Il résulte de la combinaison de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, du premier alinéa des articles 34 et 39 de la Constitution, ainsi que de ses articles 40, 41, 44, 45, 47 et 47-1, que le droit d'amendement qui appartient aux membres du Parlement et au Gouvernement doit pouvoir s'exercer pleinement au cours de la première lecture des projets et des propositions de loi par chacune des deux assemblées. Il ne saurait être limité, à ce stade de la procédure et sous réserve du respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité, notamment par la nécessité, pour un amendement, de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis » (paragr. 4).

 

Il a ensuite jugé, d'une part, que « ni ces dispositions constitutionnelles ni aucune autre ne font obstacle à ce que des amendements puissent, comme en l'espèce, être déposés devant la seconde assemblée saisie, y compris immédiatement avant la réunion de la commission mixte paritaire, dès lors qu'ils respectent les règles de recevabilité mentionnées ci-dessus » et que « les dispositions nouvelles introduites à l'Assemblée nationale par voie d'amendement du Gouvernement n'ont, ni en raison de leur nombre, ni en raison de leur objet, porté atteinte au respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire » (paragr. 5).

 

Le Conseil constitutionnel a ainsi rappelé que le droit d'amendement en première lecture ne peut être limité que par les règles de recevabilité (notamment celle prohibant les « cavaliers »5) et sous réserve que son exercice respecte les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire. En mentionnant que l'introduction des amendements du Gouvernement n'avait « ni en raison de leur nombre, ni en raison de leur objet » porté atteinte à ces exigences, le Conseil constitutionnel a toutefois implicitement signifié qu'il pourrait en aller différemment dans d'autres espèces.

 

Le Conseil constitutionnel a, d'autre part, relevé que « l'article 39 de la Constitution et la loi organique du 15 avril 2009 (…) n'imposent la présentation d'une étude d'impact, la consultation du Conseil d'État et une délibération en conseil des ministres que pour les projets de loi avant leur dépôt sur le bureau de la première assemblée saisie et non pour les amendements » (paragr. 6). Il a donc déclaré inopérant le grief selon lequel le Gouvernement aurait contourné ces exigences procédurales en exerçant le droit d'amendement qu'il tient du premier alinéa de l'article 44 de la Constitution.

 

B. – Sur la procédure accélérée

 

L'engagement de la procédure accélérée par le Gouvernement permet, d'une part, d'écarter les délais minimaux d'examen prévus au troisième alinéa de l'article 42 de la Constitution6 et, d'autre part, de convoquer une CMP après une seule lecture dans chaque chambre. Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les deux Conférences des présidents peuvent, avant le début de l'examen du texte en première lecture, conjointement s'opposer à l'engagement de la procédure accélérée. Le Conseil constitutionnel veille à ce qu'elles puissent exercer cette prérogative7. Une fois que la procédure accélérée a été engagée de façon régulière, la jurisprudence constitutionnelle n'impose pas de contraintes particulières au Gouvernement.

En 2012, les députés et sénateurs requérants faisaient valoir qu'en engageant la procédure accélérée, le Gouvernement « aurait privé le Parlement, sans que cela soit justifié par aucune urgence, de la possibilité de procéder à plusieurs lectures » d'une proposition de loi et qu' « aurait ainsi été méconnue l'exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires ». Le Conseil constitutionnel a alors jugé que le deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution « permet au Gouvernement, postérieurement au dépôt d'un projet ou d'une proposition de loi, de faire part à tout moment de sa décision d'engager la procédure accélérée, dès lors que les Conférences des présidents des deux assemblées sont en mesure, avant le début de l'examen du texte en première lecture, d'exercer la prérogative qui leur est accordée de s'y opposer conjointement ; (…) aucune disposition constitutionnelle n'impose au Gouvernement de justifier l'engagement de la procédure accélérée ; (…) en l'espèce, cette procédure a été régulièrement engagée ; que son engagement n'a pas eu pour effet d'altérer la clarté et la sincérité du débat parlementaire ; (…) les exigences constitutionnelles précitées ont été respectées »8.

 

En particulier, le fait qu'un long délai puisse éventuellement s'être écoulé entre l'engagement de la procédure accélérée et la discussion du texte dans l'une ou l'autre chambre – argument avancé en l'espèce par les sénateurs requérants – n'emporte pas de conséquence au plan constitutionnel.

 

Le Conseil constitutionnel avait, par ailleurs, déjà eu à se prononcer sur un grief tiré de ce que la convocation d'une CMP après une seule lecture dans chaque chambre (convocation permise par la procédure accélérée) aurait privé l'une des chambres du pouvoir de délibérer sur les dispositions introduites en première lecture par la seconde assemblée saisie.

 

En 2006, les requérants reprochaient au Gouvernement d'avoir demandé, par voie d'amendement, une habilitation à légiférer par ordonnances. Ils soutenaient « que cet amendement ayant été déposé au Sénat, seconde assemblée saisie, l'Assemblée nationale a été privée, en raison de la procédure d'urgence, de tout droit d'amendement ». Le Conseil constitutionnel a jugé qu' « il ne résulte ni de l'article 38 de la Constitution ni d'aucune autre de ses dispositions qu'un amendement autorisant le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnances des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ne puisse être déposé devant la seconde assemblée saisie, fût-ce immédiatement avant la réunion de la commission mixte paritaire »9.

 

La situation critiquée en l'espèce – le fait que la première assemblée saisie ne statue pas sur le texte adopté par la seconde avant la convocation d'une CMP – se présente d'ailleurs à chaque fois qu'un texte ne fait l'objet que d'une seule lecture. Par exemple, en matière de projets de loi de finances, pour lesquels l'engagement de la procédure accélérée est de droit, l'Assemblée nationale ne délibère jamais directement sur les dispositions introduites par le Sénat en première lecture : seuls en connaissent les députés présents en CMP (avant, selon le cas, la lecture sur le texte élaboré par la CMP ou, en cas d'échec de cette dernière, la nouvelle lecture).

 

Il n'y a, de ce point de vue, qu'une seule différence entre le Sénat et l'Assemblée nationale. En nouvelle lecture, en application du dernier alinéa de l'article 45 de la Constitution, l'Assemblée nationale est toujours la première à statuer. Si elle s'est prononcée après le Sénat en première lecture, elle repart donc de son propre texte en nouvelle lecture, et non d'un texte modifié par le Sénat. Mais ceci est la conséquence du fait que la nouvelle lecture est conçue comme une voie d'achèvement de la navette parlementaire.

 

Après avoir rappelé les règles régissant cette phase de la procédure parlementaire (paragr. 7), le Conseil constitutionnel a jugé : « En l'espèce, la procédure accélérée a été régulièrement engagée et n'a pas eu pour effet de priver les sénateurs de leurs prérogatives, dès lors qu'ils ont pu, après l'échec de la commission mixte paritaire, délibérer et exercer leur droit d'amendement en nouvelle lecture. Ni le droit d'amendement, ni l'article 45 de la Constitution n'ont ainsi été méconnus. L'engagement de la procédure accélérée n'a pas eu non plus pour effet de porter atteinte aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire » (paragr. 8).

 

En définitive, le Conseil a jugé qu' « en dépit du cumul de l'engagement de la procédure accélérée et de l'introduction de nombreuses dispositions par voie d'amendement, la loi déférée n'a pas, en l'espèce,s été adoptée selon une procédure contraire à la Constitution » (paragr. 9).

 

II. – Le transfert aux officiers de l'état civil de l'enregistrement des pactes civils de solidarité et du traitement des demandes de changement de prénom et de nom (article 48)

 

L'article 48 de la loi déférée procède au transfert aux officiers de l'état civil de l'enregistrement des conclusions, modifications et dissolutions de PACS, compétence actuellement dévolue aux greffes des tribunaux d'instance. L'enregistrement en mairie, hypothèse évoquée dès la création du PACS en 1999 mais finalement non retenue, résulte des modifications apportées aux articles 461, 462, 515-3, 515-7 et 2499 du code civil et à l'article 14-1 de la loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité.

 

Les députés requérants faisaient grief à ces dispositions d'avoir opéré des transferts de compétences de l'État vers les communes, en faisant peser sur elles de nouvelles charges, sans les avoir accompagnées de ressources correspondantes, en méconnaissance du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution. Ils faisaient également valoir que législateur avait méconnu le principe de libre administration des collectivités territoriales, ainsi que l'article 40 de la Constitution.

 

Les mêmes griefs étaient adressés à deux autres séries de dispositions :

 

– celles transférant aux officiers de l'état civil le traitement des demandes de changement de prénom, qui relève aujourd'hui du juge aux affaires familiales (paragraphe I de l'article 56 et 1° du paragraphe III de l'article 57) ;

 

– celles donnant compétence aux officiers de l'état civil pour autoriser les demandes de changement de nom des personnes inscrites sur le registre de l'état civil d'un autre État, par dérogation à la procédure de changement de nom par décret (1° du paragraphe I et 2° du paragraphe III de l'article 57).

 

Depuis la révision constitutionnelle de 2003, le contrôle des compensations financières aux collectivités territoriales trouve un fondement particulier dans le quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, aux termes duquel « tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ». La jurisprudence du Conseil constitutionnel distingue entre les transferts de compétences, d'une part, et les créations et les extensions de compétences, d'autre part.

 

En l'espèce, s'agissant de pouvoirs attribués au maire agissant, en tant qu'officier d'état civil, au nom de l'État10, l'invocation par les députés requérants des dispositions de l'article 72-2 n'était pas fondée.

 

Dans sa décision n° 2010-29/37 QPC du 22 septembre 201011, le Conseil constitutionnel a déjà jugé que l'attribution de nouvelles missions aux maires, pris en leur qualité d'agents de l'État, ne s'analyse pas comme un transfert de compétences au profit des communes. Ces compétences ne sont pas décentralisées et demeurent exercées par l'État : « les compétences confiées aux maires au titre de la délivrance de cartes nationales d'identité et de passeports sont exercées au nom de l'État ; (…) par suite, est inopérant le grief tiré de la violation des dispositions précitées de l'article 72-2 de la Constitution qui ne sont relatives qu'aux compétences exercées par les collectivités territoriales ».

 

Si le quatrième alinéa de l'article 72-2 ne s'applique pas, le Conseil constitutionnel veille néanmoins à ce que le principe de libre administration des collectivités territoriales ne soit pas dénaturé : « si le législateur peut, sur le fondement des dispositions des articles 34 et 72 de la Constitution, assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations et à des charges, c'est à la condition que celles-ci répondent à des exigences constitutionnelles ou concourent à des fins d'intérêt général, qu'elles ne méconnaissent pas la compétence propre des collectivités concernées, qu'elles n'entravent pas leur libre administration et qu'elles soient définies de façon suffisamment précise quant à leur objet et à leur portée »12. Selon la jurisprudence constitutionnelle, la libre administration des collectivités territoriales n'est pas dénaturée lorsque les charges en cause sont d'un faible montant13.

 

Le Conseil constitutionnel a appliqué cette jurisprudence à l'espèce, en jugeant d'abord : « les compétences confiées aux officiers de l'état civil en matière d'enregistrement des pactes civils de solidarité et de changement de prénom ou de nom sont exercées au nom de l'État. Par conséquent, est inopérant le grief tiré de la méconnaissance du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, dont les dispositions ne sont relatives qu'aux compétences exercées par les collectivités territoriales » (paragr. 30).

 

Il a ensuite relevé : « si les dispositions contestées sont susceptibles d'entraîner un accroissement de charges pour les communes, elles n'ont, eu égard au montant des sommes en jeu, pas pour effet de dénaturer la libre administration de ces collectivités. Le grief tiré de la violation de l'article 72 de la Constitution doit donc être écarté » (paragr. 31). Dans ses observations, le Gouvernement évaluait à 2,5 millions d'euros les charges financières liées au transfert de l'enregistrement des PACS. La dépense au titre de l'enregistrement des changements de prénom (qui représentent moins de 3 000 demandes par an) et aux changements de nom pour tenir compte d'un nom acquis à l'étranger, quant à elle, était qualifiée de « marginale ». Au total, la charge financière résultant de l'exercice de ces nouvelles missions devrait, selon le Gouvernement, représenter moins de 0,01 % des dépenses de fonctionnement des communes.

 

Enfin, le Conseil constitutionnel a déclaré inopérant le grief tiré de la méconnaissance de l'article 40 de la Constitution. Les députés requérants estimaient, à tort, que cet article imposait une règle de compensation financière au bénéfice des collectivités territoriales. Ce grief avait d'autant moins de pertinence que toutes les dispositions contestées étaient d'initiative gouvernementale (paragr. 32).

Dès lors qu'ils ne méconnaissaient aucune autre exigence constitutionnelle, l'article 48, le paragraphe I de l'article 56, le 1° du paragraphe I et les 1° et 2° du paragraphe III de l'article 57 ont donc été déclarés conformes à la Constitution (paragr. 33).

 

III. – La procédure conventionnelle de divorce par consentement mutuel (article 50)

 

A. – La disposition contestée

 

L'article 50 procède à une déjudiciarisation de la procédure de divorce par consentement mutuel. Jusqu'à présent, les quatre cas de divorce (par consentement mutuel, sur acceptation du principe de la rupture du mariage, pour altération définitive du lien conjugal et pour faute) impliquaient tous l'intervention d'un juge, chargé de trancher l'éventuel conflit entre les époux et de veiller au respect des intérêts de chacun et de leurs enfants.

 

L'article déféré instaure une procédure non judiciaire de divorce par consentement mutuel, intitulée « divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresignée par avocats, déposé au rang des minutes d'un notaire », qui se substitue à l'actuelle procédure judiciaire.

 

Il introduit dans le code civil quatre nouveaux articles 229-1 à 229-4 qui définissent le principe et le régime juridique de cette nouvelle procédure. En vertu de l'article 229-1, s'ils s'entendent sur la rupture de leur mariage et ses effets, les époux peuvent, à la condition d'être chacun assisté d'un avocat, constater leur accord, par acte sous seing privé, dans une convention contresignée par chacun de ces avocats. Cette obligation d'un avocat par partie a été présentée, au cours des débats parlementaires, comme une garantie destinée à suppléer celle que constitue le juge dans le cadre de la procédure judiciaire. En apposant son contreseing sur la convention des époux, chaque avocat atteste ainsi, conformément à l'article 66-3-1 de la loi du 31 décembre 197114, « avoir éclairé pleinement la ou les parties qu'il conseille sur les conséquences juridiques de cet acte ».

 

La convention conclue entre les deux époux est ensuite déposée au rang des minutes d'un notaire, chargé de s'assurer du respect de certaines exigences formelles énoncées à l'article 229-315. Au nombre de celles-ci compte la mention, au sein de la convention, que les enfants mineurs des époux, capables de discernement, ont été avertis, par leurs parents, de leur droit à être entendus par un juge, conformément à l'article 388-1, et qu'ils y ont renoncés. L'article 229-2 interdit en effet le recours à cette nouvelle procédure de divorce si l'un des enfants a sollicité cette audition. Il l'interdit aussi si l'un des époux se trouve placé sous une mesure de protection juridique des majeurs. L'article 229-4 impose à chaque époux un délai de réflexion de quinze jours avant de signer la convention, à compter du moment où le projet lui a été adressé par son avocat. Cet article reconnaît force exécutoire à cette convention au jour où elle acquiert date certaine.

 

L'article 50 modifie aussi les articles 229, 230 et 247 du code civil, afin de prévoir la substitution de la nouvelle procédure conventionnelle de divorce par consentement mutuel à l'ancienne procédure judiciaire. Cette dernière n'aura plus vocation à jouer que dans un seul cas : lorsqu'un des enfants mineurs du couple demande à être entendu par un juge. Retrouvant alors droit de cité, la procédure judiciaire s'applique dans tous ses effets, non seulement à l'égard du mineur à l'origine de la demande d'audition, mais aussi à l'égard de chacun des époux et de ses frères ou sœurs, et à l'égard des conséquences patrimoniales du divorce. En particulier, il appartient alors au juge, conformément à l'article 232 du code civil, non modifié par la loi déférée, d'homologuer la convention et de prononcer le divorce « s'il a acquis la conviction que la volonté de chacun des époux est réelle et que leur consentement est libre et éclairé » ou de « refuser l'homologation et ne pas prononcer le divorce s'il constate que la convention préserve insuffisamment les intérêts des enfants ou de l'un des époux ».

 

L'article 50 déféré modifie également plusieurs articles du code civil afin de faire produire à cette nouvelle procédure de divorce non judiciaire les mêmes effets que l'actuelle procédure judiciaire de divorce par consentement mutuel. Il procède de même au sein du code des procédures civiles d'exécution, du code de la sécurité sociale, du code général des impôts, du code pénal et de la loi du 11 juillet 1975 relative au recouvrement public des pensions alimentaires.

 

Enfin, l'article 50 modifie la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, pour autoriser la prise en charge, au titre de l'aide juridictionnelle, des frais d'avocats des époux s'engageant dans la voie d'un divorce par consentement mutuel conventionnel.

 

B. – Analyse de constitutionnalité

 

Les députés et les sénateurs requérants développaient plusieurs griefs à l'encontre de la nouvelle procédure conventionnelle de divorce ainsi créée.

 

Le Conseil constitutionnel en a écarté plusieurs, insusceptibles de prospérer dans le cadre du contrôle de constitutionnalité. Ce fut ainsi le cas des griefs tirés de la méconnaissance d'un texte international (la convention internationale des droits de l'enfant) ou de la méconnaissance d'autres dispositions ou principes législatifs (paragr. 53). Le Conseil a aussi écarté le grief des députés tirés de la méconnaissance du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (paragr. 54), relatif aux politiques de solidarité mises en œuvre par la Nation.

 

En revanche il a examiné plus longuement les griefs tirés de la méconnaissance du principe d'égalité, ainsi que ceux relatifs à l'incompétence négative du législateur, qui n'aurait pas prévu de garanties suffisantes, ou à l'atteinte portée, de ce fait, à la protection due aux enfants et à la famille en vertu du dixième alinéa du Préambule de 1946.

 

1. – La jurisprudence du Conseil constitutionnel

 

a) La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au mariage et au divorce

 

Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013 relative à la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, en matière d'état des personnes, le législateur bénéficie d'une large marge d'appréciation :

 

« Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant "l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités" ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ; que l'article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen ».

 

Le Conseil constitutionnel juge que la liberté du mariage est une composante de la liberté personnelle, laquelle résulte des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 178916. Il considère toutefois qu'il est loisible au législateur « d'apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif » 17.

 

Le Conseil constitutionnel s'est récemment prononcé sur le divorce18. Il a jugé que « la liberté de mettre fin aux liens du mariage » se déduit des mêmes dispositions que « la liberté pour chacun de se marier », et qu'elle est, elle aussi, une composante de la liberté personnelle. Logiquement, il en a conclu qu'il était à cet égard loisible au législateur « d'apporter à la liberté de mettre fin aux liens du mariage des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ».

 

b) L'intérêt de l'enfant dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel

 

Selon le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».

 

Dans sa décision n° 99-419 DC du 9 novembre 199919, le Conseil constitutionnel a examiné, au regard cet alinéa, une contestation de dispositions législatives fondée sur l'insuffisante prise en considération de la situation de l'enfant. Cependant, cette décision n'éclaire pas sur la portée donnée par le Conseil constitutionnel au dixième alinéa s'agissant de la protection de l'enfant dès lors que, dans cette espèce, il a écarté le grief qui lui était soumis comme manquant en fait20.

 

Le Conseil constitutionnel a toutefois eu l'occasion, par la suite, de préciser sa jurisprudence dans sa décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013 relative à la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe précitée.

 

Il était saisi d'un grief selon lequel l'adoption par deux personnes de même sexe porte atteinte au droit de l'enfant de mener une vie familiale normale ainsi qu'à la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant.

 

Le Conseil a d'abord rappelé, parmi les normes de contrôle, que le droit de mener une vie familiale normale se déduit du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 194621. Il a ensuite pris en compte l'intérêt de l'enfant en jugeant :

 

« Considérant, d'autre part, que les dispositions contestées ne dérogent pas aux dispositions de l'article 353 du code civil, selon lesquelles l'adoption est prononcée par le tribunal de grande instance à la requête de l'adoptant si les conditions de la loi sont remplies "et si l'adoption est conforme à l'intérêt de l'enfant" ; que ces dispositions, applicables que les adoptants soient de même sexe ou de sexe différent, mettent en œuvre l'exigence résultant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 selon laquelle l'adoption ne peut être prononcée que si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant »22.

 

2. – Application à l'espèce

 

a) Les griefs tirés de la méconnaissance du principe d'égalité

 

Les députés requérants reprochaient à la procédure conventionnelle de divorce de porter atteinte à l'égalité entre les couples, sous deux aspects. En premier lieu, le surcoût engendré par l'obligation de rémunérer deux avocats et un notaire créait, selon eux, une inégalité entre les couples selon leur fortune. En second lieu, ils estimaient que le texte instaurait une différence traitement inconstitutionnelle entre les parents dont les enfants demanderaient à être entendus par le juge et les autres, puisque la nature, judiciaire ou non, de la procédure qui s'ensuivrait dépendait de cette demande.

 

Les sénateurs requérants s'attachaient, quant à eux, aux différences de traitement établies par le texte entre les enfants des couples souhaitant divorcer. Ils estimaient ainsi qu'en liant indissolublement audition de l'enfant et déclenchement de la procédure judiciaire, le législateur avait exclu du bénéfice de la protection particulière qu'apporte cette procédure les enfants qui, faute d'être capables de discernement, ne peuvent demander à être entendus par un juge ainsi que ceux qui ne le demanderont pas, afin de ne pas s'opposer au souhait de leurs parents de privilégier un règlement non judiciaire du divorce. Les sénateurs requérants ajoutaient que, selon eux, l'article 50 introduisait une seconde rupture d'égalité injustifiée entre les enfants dont les parents divorceront par consentement mutuel selon la procédure conventionnelle et ceux dont les parents divorceront selon une autre procédure, puisque seuls ces derniers verront leurs intérêts protégés par un juge.

 

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a tout d'abord rappelé, comme il l'avait fait dans sa décision précitée sur la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, la compétence du législateur pour fixer les règles applicables au divorce et le pouvoir général d'appréciation dont ce dernier dispose en la matière (paragr. 38)

 

Conformément à sa jurisprudence bien connue sur le principe d'égalité, le Conseil constitutionnel s'est ensuite attaché à vérifier l'existence des différences de traitement alléguées, puis il a examiné si ces dernières sont en rapport avec l'objet de la loi qui les instaure et justifiées par une différence de situation ou un objectif d'intérêt général.

 

* Il a considéré que le texte n'établissait pas, entre les couples souhaitant divorcer, les différences de traitement alléguées par les députés requérants. En effet, le seul fait que le législateur impose à chacun des époux d'être assisté d'un avocat ne crée pas de différence de traitement juridique entre les couples (paragr. 40). Il s'agit là moins d'une question d'égalité, tous les couples étant traités identiquement, que d'une question d'accès à la nouvelle procédure. D'ailleurs, sur ce dernier point, le législateur a veillé, comme le Conseil constitutionnel l'a signalé dans sa réponse sur le grief de rupture d'égalité, à ouvrir aux couples recourant à cette procédure, le bénéfice de l'aide juridictionnelle.

 

De la même manière, le Conseil constitutionnel a jugé que la seule circonstance qu'en fonction du choix de l'enfant d'être entendu ou pas, ses parents pourront ou non divorcer par la voie conventionnelle, n'est pas constitutive d'une différence de traitement (paragr. 41).

 

* Le Conseil constitutionnel a en revanche considéré que le texte déféré instaurait bien, entre les enfants susceptibles de demander à être entendu par un juge et les autres une différence de traitement (paragr. 43). Cette dernière résulte de trois éléments. En premier lieu, seuls les mineurs capables de discernement peuvent demander, conformément à l'article 388-1 du code civil, auquel renvoient les dispositions déférées, à être entendu par un juge. En deuxième lieu, dès lors que cette audition est demandée, leurs parents ne peuvent plus poursuivre leur divorce selon la voie conventionnelle : ils ne peuvent plus alors divorcer par consentement mutuel qu'en empruntant la voie judiciaire. En dernier lieu, dans le cadre de cette procédure judiciaire, il appartient au juge aux affaires familiales de s'assurer que la convention qui règle les effets du divorce préserve suffisamment les intérêts des enfants et ceux de chacun des époux. Ainsi, les dispositions déférées confèrent bien aux mineurs concernés « une protection spécifique » (même paragr.) dont peuvent d'ailleurs aussi bénéficier, par ricochet, leurs frères et sœurs, et dont sont privés, en revanche, les mineurs non capables de discernement.

 

Cette protection s'ajoute à celle que l'article 371-1 du code civil reconnaît à tous les enfants et que le Conseil constitutionnel a citée au début du paragraphe 42 de la décision commentée. En effet, en vertu de cet article, « l'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant » et elle impose aux parents d'associer « l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ». Les parents sont, au regard du droit civil, les premiers protecteurs des intérêts de leur enfant. La différence de traitement ainsi établie n'est donc pas une différence entre l'absence de toute protection et une protection judiciaire, mais entre la protection de droit commun fondée sur le principe de l'autorité parentale et la protection supplémentaire conférée par l'audition du mineur et l'examen, par le juge de la conformité de la convention de divorce aux intérêts du mineur.

 

Pour autant, le Conseil constitutionnel n'a pas jugé cette différence de traitement contraire au principe d'égalité devant loi. En effet, il a considéré qu'elle était fondée sur une différence de situation entre les mineurs capables de discernement et les autres : « cette différence de traitement repose sur une différence de situation entre les mineurs capables de discernement, qui sont en mesure de s'exprimer sur la situation résultant pour eux du choix de leurs parents, et les autres » (paragr. 43). L'audition d'un mineur doit en effet offrir à ce dernier la possibilité de faire connaître au juge ses intérêts ou ses préoccupations sur les conséquences, en ce qui le concerne, de la décision de ses parents. Elle suppose donc que l'intéressé dispose d'un discernement suffisant pour que cette audition soit envisageable et puisse avoir une utilité. En outre, sauf à la priver d'effet, cette audition n'a de pertinence que si le juge est ensuite en mesure d'y apporter une réponse ou de la prendre en compte. Ceci justifie alors le basculement vers la procédure judiciaire.

 

Après avoir rappelé qu'en tout état de cause, qu'ils soient ou non capables de discernement, les mineurs « bénéficient (…) de la protection qui découle des exigences de l'autorité parentale », le Conseil constitutionnel a considéré que la différence de traitement ainsi établie entre les uns et les autres est justifiée par une différence de situation et qu'elle est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'instaure. Ce faisant, elle « n'entraîne pas de rupture d'égalité contraire à la Constitution » (même paragr.).

 

* Le Conseil constitutionnel n'a pas non plus jugé contraire au principe d'égalité la seconde différence de traitement contestée par les sénateurs requérants. Certes, les enfants dont les parents choisiront de divorcer par consentement mutuel seront bien traités différemment de ceux dont les parents choisiront de divorcer selon un autre fondement que le consentement mutuel, dès lors que dans le premier cas, la procédure conventionnelle s'appliquera, tandis que dans le second, la procédure sera nécessairement judiciaire. Mais le Conseil a considéré que cette différence de traitement est justifiée par une différence de situation : « L'intervention judiciaire systématique dans le second cas est justifiée par le fait que les époux n'ont pas trouvé un accord sur le principe ou les effets de leur divorce » (paragr. 44). 

 

Dès lors, le Conseil a jugé que la nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel établie par l'article 50 ne méconnaît pas le principe d'égalité.

 

b) Les griefs tirés de la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence ainsi que de la méconnaissance du dixième alinéa du Préambule de 1946

 

Les députés requérants reprochaient aussi à la procédure conventionnelle de divorce créée par l'article 50 de ne pas assurer convenablement la protection du conjoint le plus faible ni celle du mineur. S'agissant de ce dernier, ils estimaient notamment que l'information du mineur de son droit à être entendu par un juge était insuffisamment garantie. Ils dénonçaient également la responsabilité que les dispositions contestées faisaient peser sur lui, puisque de sa décision dépendait l'abandon ou non par ses parents de la procédure conventionnelle qu'ils avaient choisie.

 

Les sénateurs requérants reprochaient quant à eux au législateur d'avoir méconnu sa compétence, faute d'avoir prévu, pour tous les enfants des couples concernés, un niveau de protection suffisant.

 

En réponse à ces griefs, le Conseil constitutionnel a tout d'abord rappelé sa formulation de principe relative au droit de mener une vie familiale normale, qui résulte du dixième alinéa du Préambule de 1946 (paragr. 48). Ce faisant, il a confirmé que la protection de l'intérêt de l'enfant est une exigence constitutionnelle qui se déduit du droit de mener une vie familiale normale. Il a d'ailleurs examiné les dispositions contestées à cette aune (paragr. 51).

 

Ensuite, il a rappelé, conformément au large pouvoir d'appréciation dont dispose le législateur pour fixer les règles du divorce, qu'il lui était loisible « de substituer à la procédure judiciaire de divorce par consentement mutuel une procédure conventionnelle » (paragr. 49).

 

Puis, il a souligné que « le législateur a veillé à assortir cette nouvelle procédure de divorce de garanties destinées à assurer la protection des époux » (paragr. 50) et il a relevé l'ensemble de ces garanties : l'interdiction de recourir à cette procédure si l'un des époux bénéficie d'une régime de protection ; l'assistance par chaque époux de son propre avocat ; l'existence d'un délai de réflexion de quinze jours avant la signature de la convention ; et le contrôle formelle exercé par le notaire.

 

Le Conseil a procédé de même en ce qui concerne la protection de l'intérêt de l'enfant (paragr. 51). Le Conseil a alors retenu les garanties suivantes : l'information du mineur capable de discernement sur son droit à être entendu par un juge ; l'obligation de faire état, sous le contrôle du notaire, de la délivrance de cette information et de la réponse de l'intéressé ; le basculement vers une procédure judiciaire en cas de demande d'audition, avec pour conséquence un contrôle du juge sur la conformité de la convention de divorce aux intérêts du mineurs. Le Conseil a par ailleurs relevé que, même après le divorce, les parties pourront demander une modification des dispositions de la convention relatives à l'exercice de l'autorité parentale.

 

À l'issue de cet examen des garanties apportées par le législateur à la procédure créée par l'article 50 de la loi déférée, le Conseil constitutionnel a conclu que le législateur n'avait méconnu ni le droit de mener une vie familiale normale ni l'étendue de sa compétence.

 

Il a donc jugé que l'article 50, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, était conforme à la Constitution.

 

 

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1 Rapport n° 3871(XIVe législature) par MM. Jean-Michel Clément et Jean-Yves Le Bouillonnec à l'Assemblée nationale et n° 717 (2015-2016) par M. Yves Détraigne au Sénat.

2 Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi pour l'égalité des chances, cons. 6 à 9.

3 Décision n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010, Loi de réforme des collectivités territoriales, cons. 2, 8 et 9.

4 Voir par exemple les décisions n° 2006-534 DC du 16 mars 2006, Loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux, cons. 6 et 7 et n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, cons. 9.

5 Règle fixée, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, à la seconde phrase du premier alinéa de l'article 45 de la Constitution.

6 « La discussion en séance, en première lecture, d'un projet ou d'une proposition de loi ne peut intervenir, devant la première assemblée saisie, qu'à l'expiration d'un délai de six semaines après son dépôt. Elle ne peut intervenir, devant la seconde assemblée saisie, qu'à l'expiration d'un délai de quatre semaines à compter de sa transmission ».

7 Décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009, Résolution tendant à modifier le règlement du Sénat pour mettre en œuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme sénatorial et rénover les méthodes de travail du Sénat ; décision n° 2014-705 DC du 11décembre 2014, Résolution tendant à modifier le règlement de l'Assemblée nationale.

8 Décision n° 2012-649 DC du 15 mars 2012, Loi relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives, cons. 2, 6 et 8.

9 Décision n° 2006-534 DC précitée, cons. 3 et 8.

10 Au sens des articles L. 2122-27 et suivants du code général des collectivités territoriales.

11 Décision n° 2010-29/37 QPC du 22 septembre 2010, Commune de Besançon et autre (Instruction CNI et passeports). La jurisprudence du Conseil d'État est dans le même sens : CE, 27 juillet 2001, Commune de Maisons-Laffitte, n° 215999.

12 Décision n° 2000-436 du 7 décembre 2000, Loi sur la solidarité et le renouvellement urbains, cons. 12.

13 Décision n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002, Loi de finances pour 2003, cons. 45.

14 Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

15 La convention  doit ainsi comporter, peine de nullité, des renseignements relatifs aux époux, à leurs enfants et à leurs avocats, des mentions relatives à l'accord des époux pour le divorce, les modalités de son règlement, pour tous ses effets, patrimoniaux et extra-patrimoniaux, ainsi qu'à l'état liquidatif éventuel du régime matrimonial.

16 Décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011, Mme Corinne C. et autre (Interdiction du mariage entre personnes de même sexe), cons. 6 ; décision n° 2012-260 QPC du 29 juin 2012, M. Roger D. (Mariage d'une personne en curatelle), cons. 4.

17 Décision n° 2012-260 QPC préc., cons. 4.

18 Décision n° 2016-557 QPC du 29 juillet 2016, M. Bruno B. (Prononcé du divorce subordonné à la constitution d'une garantie par l'époux débiteur d'une prestation compensatoire en capital), paragr. 5.

19 Loi relative au pacte civil de solidarité

20 Cons. 78.

21 Cons. 16.

22 Cons. 54.