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Commentaire de la décision 2015-468/469/472 QPC

09/12/2022

Non conformité partielle - réserve

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 13 mars 2015 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 376 du 13 mars 2015), d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) n° 2015-468 posée par les sociétés UBER France SAS et UBER BV, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe III de l'article L. 3120-2 du code des transports.

 

Le même jour, il a été également saisi par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 375 du 13 mars 2015) d'une QPC n° 2015-469 posée par les mêmes sociétés, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 3122-2 du même code.

 

Enfin, il a été saisi le 3 avril 2015 par le Conseil d'État (décision n° 388213 du 3 avril 2015) d'une QPC n° 2015-472 posée par les mêmes sociétés, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe III de l'article L. 3120-2 et des articles L. 3122-2 et L. 3122-9 du même code.

 

Dans sa décision du 22 mai 2015 commentée, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution le 1° du paragraphe III de l'article L. 3120-2 et, sous une réserve d'interprétation, l'article L. 3122-9 du code des transports.

 

En revanche, il a déclaré contraire à la Constitution l'article L. 3122-2 du code des transports.

 

 

 

I. – Les dispositions contestées

 

A.  – Historique et contexte des dispositions contestées

 

1.  – L'activité de transport particulier de personnes à titre onéreux

 

Le secteur du transport particulier de personnes à titre onéreux est composé de deux marchés : le marché de la maraude et celui de la réservation préalable.

 

Le premier est réservé aux taxis, tandis que le second est ouvert à la concurrence.

 

La différence entre ces deux marchés correspond, historiquement, à deux types de véhicules : d'une part, la voiture « de place », autorisée à stationner sur les places publiques et à circuler sur la voie publique à la recherche de clients et, d'autre part, la voiture « de remise », remisée dans l'attente de l'appel d'un client et fonctionnant sur réservation préalable.

 

a. - Le marché de la maraude

 

Les taxis, anciennement voitures « de place », sont seuls autorisés à pratiquer la maraude, c'est-à-dire à s'arrêter, stationner ou circuler sur la voie ouverte à la circulation publique en quête de clients. En France, la première réglementation du marché de la maraude date de la seconde moitié du XVIIe siècle, lorsque Louis XIV limita le nombre de fiacres en circulation dans Paris.

 

Ce monopole est justifié par un motif d'intérêt général lié à l'ordre public qui implique d'assurer la police de la circulation et du stationnement sur la voie publique.

 

En contrepartie du monopole du marché de la maraude, les taxis sont soumis à un régime d'autorisation administrative et à des tarifs réglementés.

 

Depuis la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995 relative à l'accès à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi, complétée par le décret n° 95-935 du 17 août 1995, l'accès à la profession de taxi est subordonné à l'obtention d'un certificat de capacité professionnelle, matérialisé par la carte professionnelle. Le certificat s'obtient après une formation sanctionnée par un examen.

 

Les chauffeurs de taxi doivent également disposer d'une autorisation de stationnement (ADS), également appelée licence, mentionnée à l'article L. 3121-1 du code des transports. Initialement délivrée à titre gratuit par le maire ou le préfet de police à Paris, son obtention est soumise à l'inscription sur une liste d'attente en mairie ou en préfecture et à un avis consultatif de la commission des taxis et véhicules de petite remise (le délai d'attente est actuellement estimé entre 15 et 20 ans à Paris).

 

À ce régime d'autorisation est adossé un « droit de présentation », qui revêt un caractère patrimonial, permettant au titulaire de l'autorisation de présenter son successeur à l'autorité administrative. L'article L. 3121-2 du code des transports donne ainsi au titulaire d'une ADS, même délivrée gratuitement, la faculté de présenter à titre onéreux son successeur à l'autorité administrative, sous condition du respect d'un délai minimal d'exploitation. Dans sa rédaction résultant de l'article 6 de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, l'article L. 3121-2 distingue entre les ADS selon qu'elles ont été délivrées antérieurement ou postérieurement à la promulgation de cette loi : les ADS délivrées antérieurement le sont pour une durée indéterminée et demeurent cessibles à titre onéreux, sous réserve d'une exploitation effective et continue  de quinze ans à compter de la date de délivrance ou de cinq ans à compter de la date de la première mutation ; les ADS délivrées postérieurement ont une durée de validité de cinq ans (renouvelable dans des conditions fixées par décret) et ne sont pas cessibles à titre onéreux.

Le prix de la licence est de 230 000 euros à Paris et atteindrait 400 000 euros dans des villes telles qu'Orly ou Nice.

 

En outre, l'exercice de la profession est territorialement réglementé et le tarif est également réglementé (décret n° 87-238 du 6 avril 1987 réglementant les tarifs des courses de taxi) : il dépend de la zone de circulation, de l'horaire et des conditions de circulation et, quel que soit le montant affiché au compteur, le montant de la course ne peut être inférieur à 6,86 €.

 

Le rapport remis au Premier ministre par le député Thomas Thévenoud en avril 2014 dénombrait 57 371 licences de taxis en juillet 2013, contre 44 190 en 2001. Selon ce rapport, le nombre de licences a augmenté de 30 % au cours de cette période. Ce chiffre masque des évolutions contrastées en province et à Paris : ainsi, à Paris, où l'on comptait 17 636 taxis en 2013, la progression n'a été que de 18 %, tandis qu'en province le nombre de taxis croissait de 36 %. S'agissant plus particulièrement du décalage entre l'évolution de l'offre et la demande de taxis à Paris, Pierre Chassigneux relevait en 2008 « qu'entre 1990 et 2002 aucune licence nouvelle n'a été attribuée, alors que le PIB de la Région Île-de-France augmentait dans le même temps de 16, 9 %, le nombre des passagers d'ADP de 49 % et le nombre de passagers première classe SNCF à Paris de 36 % »1.

 

Selon le rapport Thévenoud, « on recense 32 000 entreprises de taxi en France, dont 80 % sont exploitées par des artisans, 11 % par des locataires (un statut intermédiaire entre salarié et artisan), 6 % par des sociétés et 3 % par des salariés. Dans la zone des taxis parisiens, le paysage est différent, avec 9 300 artisans (adhérents pour la plupart à une centrale radio), 600 sociétés (gérant 6 000 ADS), 1 000 salariés et 6 000 locataires »2.

 

b. - Le marché de la réservation préalable

 

Contrairement au marché de la maraude, le marché de la prise en charge après réservation préalable n'est pas le monopole des taxis. Sur ce marché, les taxis sont en concurrence, notamment, avec les voitures de transport avec chauffeur (VTC).

 

« La généralisation du téléphone, au début des années 1970, a modifié les pratiques, apportant à l'activité de réservation un attrait nouveau. Il a profité en France aux taxis, qui se sont emparés de ce marché faute de concurrence (…) Le marché de la réservation, hors monopole donc, est devenu dominant dans l'activité des taxis »3. Pierre Chassigneux relevait qu'en 2007 40 % des clients prenaient leur taxi en station, 16 % le prenaient sur la voie publique, 36 % le prenaient par un central radio et 7 % le prenaient par téléphone à une borne d'appel (en 1991, ces ratio s'établissaient respectivement à 54 %, 21 %, 14 % et 9 %) 4.

 

Ainsi, une part significative de l'activité des taxis s'est progressivement déplacée du marché de la maraude vers le marché de la réservation préalable. Néanmoins, jusqu'en 2009, les taxis ne faisaient face, sur le marché de la réservation préalable, qu'à la concurrence des voitures de grande et de petite remise, lesquelles intervenaient sur des segments de marché très spécifiques.

 

L'ouverture du marché de la réservation préalable aux VTC résulte de l'article 4 de la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques qui a supprimé le régime dit de la « grande remise » au profit d'un régime d' exploitation des VTC : le régime d'autorisation qui reposait sur une licence a été remplacé par un simple régime de déclaration ; l'accès à l'activité de chauffeur de VTC ne nécessite pas la délivrance d'une carte professionnelle ; les tarifs ne sont pas réglementés.

 

La création du régime des VTC combinée avec le développement des smartphones et des applications de mise en relation a bouleversé le marché du transport particulier de personnes à titre onéreux et permis un développement très rapide de l'activité des VTC sur le marché de la réservation préalable.

 

« Au 21 novembre 2014, selon les chiffres communiqués par ATOUT France, on dénombrait 10 315 exploitants de VTC en France, dont 4 150 ont été enregistrés en 2014. En 2011, on ne comptait, en France, que 102 exploitants de VTC… 63, 2 % des exploitants de VTC sont situés en région Île-de-France »5.

 

c. - L'innovation apportée par les smartphones et les applications a brouillé les frontières entre les deux marchés

 

Même avant le développement des smartphones et de leurs applications, l'étanchéité des marchés de la maraude et de la réservation préalable n'était pas absolue, pour deux raisons :

 

– d'une part, du côté de l'offre, la séparation des marchés a toujours été asymétrique : les taxis ont toujours eu accès au marché de la réservation préalable, alors que les VTC n'ont jamais eu accès au marché de la maraude ;

 

– d'autre part, du côté de la demande, le besoin des consommateurs à satisfaire est équivalent et n'est pas, dans certaines zones géographiques, satisfait par la seule offre de taxis.

 

L'innovation apportée par les smartphones a permis un développement très rapide des VTC, compte tenu du bénéfice apporté aux consommateurs par les applications disponibles sur le marché (offrant le service de réservation préalable ainsi que la possibilité de fournir des informations relatives notamment à la disponibilité et la géolocalisation).

 

L'irruption de cette innovation a posé à la réglementation une question de même nature que celle du développement du téléphone, mais de manière nettement plus sensible, en brouillant la frontière qui sépare le marché de la maraude de celui de la réservation préalable.

 

Les taxis ont dès lors protesté en particulier contre ce qui a été qualifié de « maraude électronique », les applications des VTC et des intermédiaires constituant, à leurs yeux, un moyen déloyal d'empiéter sur leur monopole légal.

 

Cette critique a progressivement conduit le législateur à intervenir.

 

2. – Les évolutions législatives de l'année 2014

 

a. - La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation a d'abord renforcé les obligations des VTC

 

La loi du 17 mars 2014 a ainsi prévu :

 

– l'obligation pour les entreprises de VTC de déclarer sur le registre mentionné au b de l'article L. 141-3 du code du tourisme (registre d'immatriculation des exploitants de voitures de tourisme avec chauffeur) les voitures qu'elles utilisent6 ;

 

– l'interdiction pour les VTC de prendre en charge un client si le conducteur ne peut justifier d'une réservation préalable. Dans cette loi, le législateur avait également prévu que les VTC ne peuvent ni stationner, ni circuler sur la voie publique en quête de clients. Elles ne pouvaient stationner à l'abord des gares et aérogares, dans le respect des règles du code de la route ou des règlements édictés par l'autorité compétente, que si leur conducteur pouvait justifier d'une réservation préalable. Sous la même condition de réservation préalable, elles ne pouvaient stationner à l'abord des gares et des aérogares ou, le cas échéant, dans l'enceinte de celles-ci au-delà d'une durée précédant la prise en charge de leur clientèle. La durée de ce stationnement était fixée par décret7 ;

 

– la subordination de l'exercice de l'activité de chauffeur de voiture de tourisme à la délivrance d'une carte professionnelle par l'autorité administrative8 ;

 

– des sanctions en cas d'infraction à la règlementation de la profession.

 

Par un décret en Conseil d'État n° 2013-1251 du 27 décembre 2013, le pouvoir réglementaire a également imposé un délai minimum de quinze minutes entre la réservation et la prise en charge du client par les VTC, les transporteurs à moto et les taxis travaillant en dehors de leur zone de rattachement. Ce décret a été supsendu peu avant l'adoption de la loi du 17 mars 2014, par le juge des référés du Conseil d'État.

 

C'est à la suite de cette décision que le Premier ministre a demandé au député Thomas Thévenoud de mener une mission de concertation avec les acteurs du transport particulier de personnes, laquelle a abouti à la remise du rapport Thévenoud.

 

b.- La loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur

 

Une proposition de loi relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur a été déposée par MM. Bruno Le Roux et Thomas Thévenoud le 18 juin 2014 sur le bureau de l'Assemblée nationale. Elle est devenue la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur (le terme « transport » a remplacé le terme « tourisme » dans l'acronyme VTC), de laquelle sont issues les dispositions contestées par les QPC à l'origine de la décision n° 2015-468/469/472 QPC commentée.

 

Cette loi rappelle l'interdiction de la maraude sur la voie publique, y compris dans les gares et les aéroports, à tous les transporteurs particuliers de personnes à titre onéreux, à l'exception des taxis circulant dans leur zone de rattachement. Elle prévoit l'interdiction pour tous les transporteurs autres que les taxis de recourir à la « maraude électronique », par l'intermédiaire de smartphones, ainsi que l'interdiction du démarchage de clients en vue de leur prise en charge sans réservation préalable (ce qui vise les « racoleurs »), que ce démarchage ait lieu sur la voie publique ou par voie de communications électroniques. Le fait de méconnaître l'interdiction de la maraude, traditionnelle ou électronique, est puni d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Parallèlement, la loi prévoit la mise à la disposition des clients d'un « registre national recensant les informations relatives à l'identification, à la disponibilité et la géolocalisation des taxis ».

 

La France n'est pas le seul pays dans lequel le marché du transport particulier de personnes à titre onéreux est partagé, notamment, entre taxis et VTC. On observe que dans la plupart des pays, le marché de la maraude est réservé aux taxis. En revanche, les modalités de partage du marché de la réservation préalable sont très variables d'un pays à l'autre (cf. tableau ci-après).

 

On doit enfin relever qu'à ce jour aucun autre pays que la France n'a limité l'usage de la géolocalisation par les VTC sur le marché de la réservation préalable.

 

Pays, région ou ville

Modalités de partage du marché

Dispositions relatives aux VTC

 

Maraude

Réservation préalable

Modalités de tarification

Retour à la base

Bruxelles - Wallonie

Réservée aux taxis

Partagée, les VTC sont réservées pour 3 heures minimun

Horokilométrage interdit.

Tarif minimum de
90 €

Obligatoire (ou parking appartenant à l'entreprise)

Londres

Réservée aux taxis

Partagée

Horokilométrage interdit.

Obligatoire

New York

Réservée aux taxis

Partagée

Horokilométrage interdit.

Obligatoire

Californie

Réservée aux taxis

Partagée

Horokilométrage interdit.

Sans précisions

Irlande

Réservée aux taxis

Partagée

Horokilométrage interdit.

Sans précisions

 

 

3. – Le paragraphe III de l'article L. 3120-2 du code des transports : l'interdiction de la « maraude électronique »

 

Les dispositions du paragraphe III de l'article L. 3120-2 du code des transports sont issues de l'article 10 de la loi du 1er octobre 2014. L'article L. 3120-2 figure dans le chapitre préliminaire « Dispositions générales » du titre II « Les transports publics particuliers » du livre Ier « Le transport routier de personnes » de la troisième partie « Transports routiers » du code des transports.

 

Les dispositions de ce chapitre préliminaire s'appliquent à l'ensemble des opérateurs du transport routier léger de personnes que sont les taxis, les VTC (auparavant régies par le code du tourisme), les véhicules motorisés à deux ou à trois roues et les véhicules de transport léger de groupe dits « LOTI »9.

 

L'article L. 3120-2 comprend trois paragraphes qui prévoient, chacun, des catégories d'interdictions visant tout ou partie des transporteurs.

 

Le 1° de son paragraphe III interdit aux transporteurs autres que les taxis ainsi qu'à leurs intermédiaires d'informer un client, avant la réservation mentionnée au 1° du paragraphe II du même article (c'est-à-dire la réservation préalable), à la fois de la localisation d'un véhicule et de sa disponibilité, lorsque ce véhicule est situé sur la voie ouverte à la circulation publique.

 

En vertu du nouvel article L. 3121-11 du code des transports, cette interdiction est applicable aux taxis lorsqu'ils sont situés en dehors du ressort de leur ADS.

 

L'adoption de ces dispositions a constitué l'épilogue d'un long débat sur la « maraude électronique ».

 

D'un point de vue économique, les applications des VTC s'appuient sur la technologie des téléphones ou tablettes ainsi que sur la vitesse croissante de la bande passante des réseaux pour offrir des services de plus en plus performants et rapides aux consommateurs. L'activité des sociétés UBER prend, par ailleurs, la forme d'une plateforme qui met en relation, d'une part, des consommateurs qui souhaitent être transportés et, d'autre part, des chauffeurs (de la même façon que Google met en contact les internautes qui cherchent avec des annonceurs, eBay des vendeurs et des acheteurs, rBnB des touristes qui cherchent une chambre et des personnes qui disposent d'une chambre disponible …).

 

Il en résulte deux conséquences : d'une part, grâce à la rapidité croissante des réseaux combinée à la mobilité des téléphones, la frontière entre la maraude et la réservation préalable se réduit, la technologie permettant de raccourcir substantiellement le temps qui sépare la réservation du véhicule de la prise en charge effective du client ; d'autre part, la nature de plateforme d'entreprises telles que UBER accélère le processus en rendant accessible à des nombreux « chauffeurs » une activité qu'ils ne pouvaient exercer précédemment de manière profitable.

 

De manière significative, la première proposition du rapport Thévenoud s'intitule « La maraude électronique, un nouveau marché pour les taxis ». Cette proposition prévoyait de « Mettre à disposition gratuitement les informations relatives à la localisation, à la disponibilité et au tarif des taxis, afin que tout éditeur d'application puisse mettre en relation clients et chauffeurs en temps réel ». Elle a été reprise à l'article 1er de la loi du 1er octobre 2014, qui a inséré l'article L. 3121-11-1 dans le code des transports.

 

En complément, la proposition n° 19 de ce rapport prévoyait d'« Interdire la maraude électronique des VTC en l'assimilant à un stationnement en attente de clientèle ».

 

Pour justifier cette proposition, M. Thévenoud faisait valoir que « Les applications de mise en relation entre clients et chauffeurs proposent actuellement de visualiser les véhicules à proximité sur une carte interactive. Cette carte permet au client de voir les véhicules autour de lui sans pour autant qu'il puisse choisir le véhicule qui lui sera attribué. Cette pratique brouille la frontière entre maraude et réservation préalable car il est difficile de justifier que ces véhicules, sur la voie publique et rendus visibles aux consommateurs, ne sont pas en attente de clientèle. Afin de mieux distinguer les activités, il est nécessaire de réserver la maraude électronique aux taxis »10.

 

Cette proposition a été reprise par la loi du 1er octobre 2014, qui a institué les dispositions contestées du 1° du paragraphe III de l'article L. 3120-2 du code des transports.

 

L'exposé des motifs de la proposition de loi indique que celle-ci a vocation à mettre en place : « un dispositif anti-maraude renforcé et ambitieux ... Ce nouveau dispositif visera l'ensemble des transporteurs de manière identique (également aux taxis en dehors de leur zone de rattachement) ainsi que les éventuels racoleurs, y compris quand ces derniers procèdent par voie de communications électroniques. Toutes les formes de maraude seront ainsi strictement proscrites, quelle que soit la technologie utilisée ».

 

Lors des débats devant l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, M. Alain Vidalies, secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche, expliquait que « La maraude, c'est-à-dire la possibilité pour le client de héler un véhicule sur la voie publique, est une spécificité propre aux taxis. Elle pourra désormais se pratiquer électroniquement. Un client en recherche immédiate d'un taxi pourra ainsi voir les véhicules libres à proximité »11.

 

Lors de cette même séance, M. Gilles Savary indiquait « Les VTC peuvent entrer sur le marché mais ils ne peuvent y marauder, ni physiquement, ni virtuellement par la maraude électronique. La géolocalisation ne leur est pas pour autant interdite, ni même la possibilité s'enchaîner plusieurs courses, mais elle n'est pas accessible aux usagers (…) Les taxis conservent le monopole de la maraude sur la chaussée et accèdent à celui de la maraude électronique, c'est-à-dire des réservations instantanées par les clients à partir de leur géolocalisation »12.

 

Le 2° du paragraphe III interdit le fait de démarcher un client en utilisant les informations de géolocalisation et de disponibilité précitées et le 3° du même paragraphe de proposer à la vente ou de promouvoir une offre de prise en charge utilisant les informations précitées.

 

4. – L'article L. 3122-2 du code des transports : les restrictions apportées aux modalités de tarification des services de VTC

 

Le nouvel article L. 3122-2 du code des transports encadre la tarification des services de VTC, pour inscrire dans la loi un double principe applicable aux exploitants et aux intermédiaires :

 

– le prix de la prestation est en principe déterminé avant que celle-ci ait lieu, lors de la réservation préalable (solution du forfait) ;

 

– il peut toutefois être en partie calculé après la réalisation de la prestation, s'il dépend uniquement de la durée de celle-ci (solution de la location à la durée) et si l'entreprise a communiqué au client le mode de calcul du prix et des éventuels frais supplémentaires, en application de l'article L. 113-3-1 du code de la consommation. Cet article du code de la consommation dispose en son paragraphe I : « Lorsque le prix ne peut être raisonnablement calculé à l'avance du fait de la nature du bien ou du service, le professionnel fournit le mode de calcul du prix et, s'il y a lieu, tous les frais supplémentaires de transport, de livraison ou d'affranchissement et tous les autres frais éventuels. Lorsque les frais supplémentaires ne peuvent raisonnablement être calculés à l'avance, le professionnel mentionne qu'ils peuvent être exigibles ».

 

Ainsi, toute tarification purement kilométrique, de même que toute tarification horokilométrique (combinant la durée de la location et le nombre de kilomètres parcourus) sont désormais interdites pour les VTC. En revanche, la liberté des VTC n'est pas entravée pour déterminer le montant de leurs prestations.

 

Les dispositions réglementaires d'application prévoient notamment, à l'article R. 3122-7 du code des transports, une interdiction pour les voitures de transport avec chauffeur d'être munies « de tout ou partie des équipements spéciaux définis au I de l'article R. 3121-1 de nature à créer une confusion avec un véhicule de taxi ». Au titre de ces équipements figure le compteur horokilométrique ou l'appareil horodateur.

 

Les travaux parlementaires font apparaître que cette restriction des possibilités de tarification pour les VTC a été voulue à la fois pour assurer une meilleure protection des consommateurs et pour éviter toute forme d'assimilation des VTC aux taxis dans l'esprit des consommateurs. Dans son rapport en première lecture à l'Assemblée nationale, M.  Thévenoud expliquait que l'absence de cadre juridique pour la tarification des prestations de VTC « n'assure pas au consommateur une tarification claire et prévisible des prestations »13. Lors de l'examen en séance publique, il précisait : « L'introduction d'une tarification horokilométrique, aujourd'hui utilisée par les taxis, ne me semble pas souhaitable car elle serait source de confusion. Dans mon esprit, le VTC est avant tout un véhicule que l'on réserve pour se rendre d'un point A à un point B, selon un prix déterminé à l'avance. Nous voulons ouvrir la possibilité de recourir à une tarification à la durée, mais pas aller jusqu'à la tarification horokilométrique »14. Lors de l'examen en séance publique au Sénat, M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur, s'opposant à des amendements relatifs à cette disposition, expliquait : « La tarification kilométrique est un des éléments centraux de l'activité de taxi, avec le compteur horo-kilométrique. Dans le droit en vigueur, les VTC peuvent facturer au kilomètre parcouru. Ce n'est pas normal (…) Il est important de bien différencier les activités de taxis et de VTC »15.

 

Parallèlement, la loi du 1er octobre 2014 a introduit des sanctions administratives et pénales pour assurer le respect des nouvelles obligations.

 

L'article L. 3124-6 du code du tourisme prévoit que les conducteurs de VTC violant la réglementation qui leur est applicable sont passibles de sanctions telles que le retrait, temporaire ou définitif, de leur carte professionnelle (c'est également la sanction applicable aux conducteurs de taxi, actuellement).

 

Enfin, on relève que la tarification horo-kilométrique demeure autorisée pour les mototaxis.

 

5. – L'article L. 3122-9 du code des transports : l'obligation de retour au lieu d'établissement de l'exploitant ou dans un lieu hors de la chaussée où le stationnement est autorisé

 

Le nouvel article L. 3122-9 du code des transports réglemente le déplacement et le stationnement des VTC lorsqu'ils n'ont pas fait l'objet d'une réservation préalable. Dans cette hypothèse, l'article précité impose au conducteur dans l'exercice de ses missions de se diriger vers le lieu d'établissement de l'exploitant de la voiture ou dans un lieu, hors de la chaussée où le stationnement est autorisé. Cette obligation a été qualifiée lors des débats de parlementaire d'obligation de « retour à la base ».

 

Cette disposition ne figurait pas dans la proposition de loi initiale relative aux taxis et aux VTC. Elle est issue d'un amendement (n° 116) déposé par le rapporteur, M. Thévenoud, lors de l'examen en séance en première lecture devant l'Assemblée nationale. Cet amendement, adopté par l'Assemblée nationale, prévoyait que : « Dès l'achèvement de la prestation commandée au moyen d'une réservation préalable, le conducteur d'une voiture de transport avec chauffeur dans l'exercice de ses missions est tenu de retourner au lieu d'établissement de l'exploitant de cette voiture ou dans un lieu, hors de la chaussée où le stationnement est autorisé ». Son exposé sommaire justifiait de plusieurs manières cette disposition.

 

Il liait tout d'abord celle-ci à la nécessité de faire respecter par l'interdiction de marauder par les VTC en indiquant : « Les constats des forces de l'ordre lors des opérations de contrôle ont montré la nécessité de réglementer les VTC qui, de fait, une fois leur course sur réservation terminée, ont tendance, notamment dans les aéroports ou aux abords des gares, à rester stationnés sur la voie publique dans l'attente de réservation. Les dispositions prévues au II de l'article L. 3120-2 seront difficilement contrôlables si elles ne s'accompagnent pas d'une obligation de retour au siège de l'entreprise ou dans un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé (un parking par exemple) ».

 

Mais était également mise en avant la police de la circulation et du stationnement sur la voie publique : « En matière de circulation routière dans les zones urbaines, le fait de ne pas prévoir un retour dans un lieu où le stationnement est autorisé permet aux VTC en attente de réservation de stationner souvent dans des endroits qui peuvent gêner la circulation ou d'occuper des places de stationnement sur la chaussée. Dans le centre de Paris c'est de fait permettre une circulation ou un stationnement de plusieurs milliers de véhicules supplémentaires sur la voie publique. Les politiques urbaines de déplacement et de mobilité visent le plus souvent à diminuer l'occupation de l'espace public par des "véhicules-ventouses ". Cette disposition d'un retour dans l'entreprise ou en un dans un lieu où le stationnement est autorisé, hors la chaussée, contribue à ces objectifs de diminution de l'occupation de l'espace public ».

 

Lors de la discussion au Sénat, le texte a été complété avec l'adoption à l'unanimité d'un amendement présenté par M. Capo-Canellas et d'autres membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants – UC indiquant que cette obligation de retour «  à la base ou dans un parking » s'applique sauf si le VTC « justifie d'une réservation préalable ou d'un contrat avec le client final ». L'objet de cet amendement était, selon ses auteurs, de permettre aux VTC d'exercer leur activité en ne les empêchant pas de prendre deux courses successives si elles ont été réservées préalablement.

 

Le texte n'a plus ensuite été modifié.

 

B. – Origine des QPC et questions posées

 

1. – En ce qui concerne les QPC nos 2015-468 et 2015-469

 

Les sociétés Voxtur, Greentomatocars et Transdev Shuttle France, qui exercent une activité de VTC, ont saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Paris afin de faire constater que la société UBER France SAS et la société de droit néerlandais UBER BV se livrent, par le biais du service UBERPOP à des activités de transport routier de personnes constitutives à leur égard de concurrence déloyale.

 

À l'occasion de cette instance, les sociétés UBER France SAS et UBER BV ont soulevé trois questions prioritaires de constitutionnalité portant respectivement sur le paragraphe III de l'article L. 3120-2, sur l'article L. 3122-2 et sur le 1er alinéa de l'article L. 3124-13 du code des transports.

 

Le président du tribunal de commerce a transmis à la Cour de cassation la QPC portant sur les dispositions du paragraphe III de l'article L. 3120-2 du code des transports. Dans son arrêt de renvoi au Conseil constitutionnel, la Cour de cassation a relevé que « la question posée présente un caractère sérieux en ce que, d'abord, s'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations  liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, c'est à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ; que la disposition contestée, qui interdit d'informer un client sur la localisation et la disponibilité d'un véhicule, portant atteinte à la liberté d'exercice de l'activité des entreprises de voitures avec chauffeur, il est permis de s'interroger sur son caractère proportionné ; qu'ensuite, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que l'activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable pouvant être exercée non seulement par les taxis mais également par d'autres professions, notamment celle de voitures de tourisme avec chauffeur, la disposition contestée, qui déroge au principe d'égalité, pourrait ne pas répondre à ces exigences constitutionnelles ».

 

De la même manière, a été renvoyée la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L. 3122-2 du code des transports transmise à la Cour de cassation : « Les dispositions de l'article L. 3122-2 du code des transports, qui disposent que les conditions mentionnées à l'avance à l'article L. 3122-1 incluent le prix total de la prestation, qui est déterminé lors de la réservation préalable ou, par exception, après la réalisation de la prestation su le prix est calculé exclusivement en fonction de la durée, portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit et plus précisément à la liberté d'entreprendre et au principe d'égalité ? ». La Cour de cassation a renvoyé la question au Conseil constitutionnel, en considérant qu'il était « permis de s'interroger sur [le] caractère proportionné »  de cette limitation apportée à la liberté de fixation des prix des entreprises de VTC, ainsi que sur l'atteinte au principe d'égalité, dès lors « que l'activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable peut être exercée non seulement par les taxis mais également par d'autres professions, notamment celle de voitures de tourisme avec chauffeur ».

 

2. – En ce qui concerne la QPC n° 2015-472

 

Les sociétés UBER France et UBER BV ont saisi le Conseil d'État d'un recours en excès de pouvoir à l'encontre du décret n° 2014-1275 du 30 décembre 2014 relatif au transport public particulier de personnes. À l'occasion de ce recours, elles ont soulevé une QPC portant sur le paragraphe III de l'article L. 3120-2 et les articles L. 3122-2 et L. 3122-9 du code des transports.

 

Dans son arrêt du 3 avril 2015, le Conseil d'État a renvoyé l'ensemble de ces dispositions en relevant que « la question de savoir si elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment à la liberté d'entreprendre et au principe d'égalité, présente un caractère sérieux ».

 

 

II. – Examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

A. – La délimitation de la QPC en tant qu'elle porte sur l'article L. 3120-2 du code des transports

 

Dans les QPC n° 2015-468 et n° 2015-472, les deux cours suprêmes avaient renvoyé l'entier paragraphe III de l'article L. 3120-2 du code des transports.

 

Toutefois, au regard des griefs formulés par les sociétés requérantes, le Conseil constitutionnel a jugé que « la question prioritaire de constitutionnalité porte ainsi sur les dispositions du 1° du paragraphe III de l'article L. 3120-2 du code des transports » (cons. 12).

 

B. – Les normes de référence mobilisées

 

Les sociétés requérantes invoquaient, au soutien de l'inconstitutionnalité de l'une ou l'autre des dispositions déférées, à la méconnaissance de la liberté d'aller et de venir, du droit de propriété, de la liberté d'entreprendre, du principe d'égalité, du principe de nécessité des délits et du principe de présomption d'innocence.

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle relative à la liberté d'aller et de venir

 

Initialement, le Conseil constitutionnel avait retenu une conception assez extensive de la liberté individuelle, rattachée à l'article 66 de la Constitution, en y incluant les libertés fondamentales de la personne, telles la liberté d'aller et de venir, l'inviolabilité du domicile, la liberté du mariage ou le respect de la vie privée.

 

Depuis sa décision n° 99-411 DC du 16 juin 199916, le Conseil a stabilisé sa jurisprudence autour d'une définition plus étroite de la liberté individuelle, en ne se référant à l'article 66 de la Constitution que dans le domaine des privations de liberté (garde à vue, détention, rétention, hospitalisation sans consentement). Dans le même temps, le Conseil a rattaché la liberté d'aller et de venir17 à la « liberté personnelle » garantie par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

 

Lors de cette décision du 16 juin 1999, il a jugé que la procédure de l'article L. 11-1 du code de la route prévoyant la réduction de plein droit du nombre de points affecté au permis de conduire en cas de commission de certaines infractions ne portait pas d'atteinte à la liberté d'aller et venir eu égard à son objet et compte tenu des garanties dont était assortie sa mise en œuvre.

 

2. – La jurisprudence constitutionnelle relative au droit de propriété

 

La jurisprudence du Conseil constitutionnel distingue la privation du droit de propriété, au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789, et l'atteinte aux conditions d'exercice de ce droit, qui s'apprécie au regard de la protection reconnue par son article 218. Dans le premier cas, la privation ne peut intervenir que « lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». Dans le second cas, le Conseil examine principalement si l'atteinte portée aux conditions d'exercice du droit de propriété est proportionnée aux buts d'intérêt général poursuivis19.

 

3. – La jurisprudence constitutionnelle relative à la liberté d'entreprendre

 

Deux décisions du Conseil constitutionnel sont particulièrement topiques à propos de la question relative aux restrictions d'accès au marché du transport particulier deux personnes :

 

– Dans sa décision n° 2013-318 QPC du 7 juin 201320, le Conseil constitutionnel a statué sur le grief de la violation portée à la liberté d'entreprendre des moto-taxis. Il a jugé « que la liberté d'entreprendre découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789 ; qu'il est loisible au législateur d'apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ; que, d'autre part, la liberté d'aller et de venir est une composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 ;

 

« 13. Considérant, d'une part, qu'en prévoyant, à l'article L. 3123-1 du code des transports, que les véhicules motorisés à deux ou trois roues affectés à l'activité de transport de personnes doivent « disposer, dans des conditions fixées par voie réglementaire, de chauffeurs qualifiés et de véhicules adaptés », le législateur a entendu qu'une réglementation assure en particulier la sécurité des passagers de ces véhicules ; qu'en elle-même, l'existence d'une telle réglementation ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel d'examiner les mesures réglementaires prises à cette fin ;

 

« 14. Considérant, d'autre part, que le législateur a entendu que l'activité des véhicules motorisés à deux ou trois roues ne soit soumise ni à autorisation préalable ni à déclaration, qu'elle ne soit pas contingentée, que son exercice ne soit pas soumis à un tarif réglementé et ne soit pas davantage soumis à un examen d'aptitude professionnelle mais soit ouvert à tout chauffeur qualifié ; qu'au regard de ces règles, il a entendu que les véhicules de transport à deux ou trois roues ne puissent circuler ou stationner sur la voie publique en quête de clients en vue de leur transport, cette dernière activité ne pouvant s'exercer que dans le cadre réglementé de l'activité de taxi ; qu'eu égard aux objectifs d'ordre public poursuivis, notamment de police de la circulation et du stationnement sur la voie publique, les dispositions contestées apportent à la liberté d'entreprendre des restrictions qui ne sont pas manifestement disproportionnées ;

 

« 15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre doivent être écartés ; qu'il en va de même des griefs tirés de l'atteinte à la liberté d'aller et de venir ».

 

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel s'est ainsi interdit de substituer son appréciation à celle du législateur quant à la fixation de l'intérêt général poursuivi. En l'espèce, le législateur avait entendu définir, comme il le fait très classiquement en droit économique, des activités réglementées ou non. Le critère retenu pour distinguer entre ces activités est celui du stationnement sur la voie publique ou de la réservation obligatoire préalable. Il reste opérant et se présente comme la contrepartie de contraintes particulières afférentes à l'activité réglementée de taxi.

 

Le Conseil constitutionnel a donc en premier lieu relevé le but d'intérêt général poursuivi. Il s'agit d'un objectif d'ordre public et « notamment de police de la circulation et du stationnement sur la voie publique ». Il a estimé que ne portait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre des moto-taxis une réglementation de l'activité de transport des personnes consistant à distinguer, d'une part, un régime très réglementé quant à l'accès à la profession et aux tarifs (celui des taxis) mais dont l'accès à la clientèle est plus ouvert et, d'autre part, des régimes plus libéraux dans l'accès à la profession et les tarifs mais dont l'accès à la clientèle est restreint par l'exigence d'une réservation préalable (les régimes des voitures de tourisme avec chauffeur, voitures de petite remise et transport de personnes à moto).

 

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a justifié l'interdiction faite aux moto-taxis d'accéder au marché de la maraude « eu égard aux objectifs d'ordre public poursuivis, notamment de police de la circulation et du stationnement sur la voie publique »21 : il a ainsi constitutionnellement souligné la différence entre, d'une part, une activité qui met en jeu des impératifs d'ordre public particuliers (occupation du domaine public routier particulier, encombrement de la circulation autours des gares et aérogares…) justifiant une régime d'accès à l'activité encadré et réservé et, d'autre part, un marché de la réservation qui ne met pas en jeu ces problématiques d'ordre public. Non seulement le Conseil a distingué clairement les deux marchés, mais il a implicitement considéré que des dispositions qui restreindraient l'accès des motos-taxis (et par conséquent des VTC) au marché de la réservation, porteraient une atteinte non justifiée à la liberté d'entreprendre.

 

– Dans sa décision n° 2014-422 QPC du 17 octobre 2014, le Conseil constitutionnel a jugé que le monopole des taxis sur le marché de la maraude ne porte pas atteinte à la liberté d'entreprendre des VTC, en considérant « qu'en réservant aux taxis le droit de stationner et de circuler sur la voie publique "en quête de clients", le législateur n'a pas porté à la liberté d'entreprendre ou à la liberté d'aller et venir des voitures de tourisme avec chauffeur une atteinte disproportionnée au regard des objectifs d'ordre public poursuivis »22.

 

Dans cette même décision, il a jugé que l'ouverture à la concurrence du marché de la réservation préalable ne porte pas davantage atteinte à la liberté d'entreprendre des taxis, en considérant que « le droit reconnu par les dispositions contestées aux voitures de tourisme avec chauffeur d'exercer l'activité de transport public de personnes sur réservation préalable ne porte aucune atteinte à la liberté d'entreprendre des taxis »23.

 

À propos de la question relative aux modalités de fixation du prix, on relève que le Conseil constitutionnel considère que des règles encadrant les prix sur un marché ou restreignant les conditions de fixation de ces prix portent atteinte à la liberté d'entreprendre. Par exemple, dans sa décision n° 2013-670 DC du 23 mai 201324, le Conseil constitutionnel a confronté la législation imposant une majoration du prix de la prestation de transport pour compte d'autrui à la liberté d'entreprendre. Il a considéré « qu'en l'espèce, la majoration forfaitaire du prix de la prestation de transport routier de marchandises apporte à la liberté de fixation des prix de cette activité une atteinte qui ne revêt pas un caractère disproportionné au regard de l'objectif de politique économique poursuivi par le législateur à l'égard du secteur du transport routier de marchandises ; que, par suite, le grief tiré de l'atteinte à la liberté d'entreprendre doit être écarté »25.

 

De manière générale, le contrôle opéré par le Conseil se limite le plus souvent à un contrôle de la disproportion manifeste26 qui conduit rarement à la censure.

 

Ce contrôle se renforce lorsque la conciliation met en cause non un principe constitutionnel mais un motif d'intérêt général.

 

4. – La jurisprudence constitutionnelle en matière d'égalité

 

La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le principe d'égalité est constante et bien connue : « Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit »27.

 

Dans la décision n° 2013-318 QPC du 7 juin 2013 précitée, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la différence de régime existant entre les taxis ou les véhicules de petite remise et l'activité de transport public à motocyclette ou tricycle à moteur. Il a jugé « que ni le principe d'égalité, ni aucune autre exigence constitutionnelle n'impose que l'activité de transport public de particuliers au moyen de véhicules motorisés à deux ou trois roues soit soumise à la même réglementation que celle qui s'applique à l'activité de transport public de particuliers au moyen de véhicules automobiles ; que, par suite, le grief tiré de l'atteinte au principe d'égalité devant la loi doit être écarté ».

 

Dans sa décision n° 2014-422 QPC du 17 octobre 2014 précitée, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la conformité au principe d'égalité de l'ouverture du marché de la réservation préalable aux VTC. Alors que ce marché de la réservation préalable est l'objet d'une concurrence directe entre les taxis et les VTC, était invoquée une rupture d'égalité entre acteurs économiques, car les dispositions législatives antérieures à la loi du 1er octobre 2014 ne faisaient pas peser sur les VTC des contraintes d'accès et d'exercice de la profession comparables à celles imposées aux taxis.  Le Conseil a jugé « le législateur a distingué, d'une part, l'activité consistant à stationner et à circuler sur la voie publique en quête de clients en vue de leur transport et, d'autre part, l'activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable ; que, poursuivant des objectifs d'ordre public, notamment de police de la circulation et du stationnement sur la voie publique, le législateur a réservé la première activité aux taxis qui l'exercent dans un cadre réglementé particulier ; que la seconde activité peut être exercée non seulement par les taxis mais également par d'autres professions, notamment celle de voitures de tourisme avec chauffeur ; que le principe d'égalité n'imposait pas que les taxis et les voitures de tourisme avec chauffeur soient traités différemment au regard de cette seconde activité ; que le droit reconnu par les dispositions contestées aux voitures de tourisme avec chauffeur d'exercer l'activité de transport public de personnes sur réservation préalable ne porte aucune atteinte au principe d'égalité devant la loi »28.

 

On peut également citer la décision n° 2013-670 DC, dans laquelle était contestée, au regard du principe d'égalité, une disposition législative imposant une majoration forfaitaire du prix des prestations de transport pour compte d'autrui, alors qu'en étaient dispensés les transports pour compte propre. Le Conseil a considéré  que « si le montant de la majoration du prix de la prestation de transport peut être différent du montant de la taxe acquittée le cas échéant pour cette prestation, les différences de traitement qui en résultent sont en rapport direct avec l'objectif d'assurer, par un mécanisme forfaitaire reposant sur une évaluation moyenne du coût de la taxe, la participation effective des bénéficiaires de la prestation de transport au coût supplémentaire susceptible de résulter, en application des dispositions précitées du code des douanes, de l'utilisation du réseau routier ; qu'au regard de la prise en charge du coût du transport, les transporteurs en compte propre ne sont pas dans la même situation que les transporteurs pour compte d'autrui ; que, de même, les chargeurs en compte propre ne sont pas dans une situation identique à celle des chargeurs pour compte d'autrui ; que, par suite, les griefs tirés de l'atteinte au principe d'égalité doivent être écartés ».

 

5. – La jurisprudence constitutionnelle en matière de nécessité des délits et des peines et en matière de présomption d'innocence

 

L'exigence de la nécessité des délits et des peines procède de l'article 8 de la Déclaration de 1789, selon lequel la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires. La jurisprudence constitutionnelle reconnaît l'unité du contrôle de la nécessité des peines pour tout le droit répressif, qu'il soit pénal ou non pénal (sanctions disciplinaires, sanctions administratives).

 

En ce qui concerne le cumul de poursuites, le Conseil constitutionnel juge « que le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction ; que, si l'éventualité que soient engagées deux procédures peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues »29.

 

Le principe de la présomption d'innocence résulte de l'article 9 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Dans le domaine répressif, s'agissant des présomptions de culpabilité, le Conseil juge qu'elles sont en principe interdites en matière répressive, tout en ménageant l'exception à ce principe30.

 

C. – L'application à l'espèce

 

En tête de la décision commentée, avant de se prononcer sur la valeur des griefs soulevés, le Conseil constitutionnel a rappelé « que le législateur a distingué, d'une part, l'activité consistant à stationner et à circuler sur la voie publique en quête de clients en vue de leur transport et, d'autre part, l'activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable ; que, poursuivant des objectifs d'ordre public, notamment de police de la circulation et du stationnement sur la voie publique, le législateur a réservé la première activité aux taxis, qui l'exercent dans un cadre réglementaire particulier et sont titulaires, dans leur commune ou leur service commun de rattachement, d'une autorisation administrative de stationnement ; que la seconde activité peut être exercée non seulement par les taxis mais également par d'autres professions, notamment celle d'exploitant de voiture de transport avec chauffeur ».

 

Cet énoncé, qui résulte de la jurisprudence antérieure du Conseil constitutionnel, constitue en effet son cadre général d'analyse.

 

1. – La conformité à la Constitution des dispositions du 1° du paragraphe III de l'article L. 3120-2 du code des transports

 

Les sociétés UBER France SAS et UBER BV reprochaient aux dispositions du 1° du paragraphe III de l'article L. 3120-2 du code des transports de porter atteinte à la liberté d'entreprendre, au principe d'égalité devant la loi, et au droit de propriété.

 

a. – Le grief tiré de la violation de la liberté d'entreprendre

 

Les sociétés requérantes soutenaient que les dispositions contestées privent les VTC « de la faculté d'utiliser les applications qu'elles ont conçues et développées pour communiquer à leurs clients des informations sur la localisation et la disponibilité des voitures » dans le cadre de leur activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable.

 

En défense, il était avancé que le fait, pour un VTC, ne faisant pas l'objet d'une réservation préalable, de stationner ou de circuler sur une voie ouverte à la circulation publique, et de fournir au client la double information sur la localisation et sa disponibilité constitue une forme de maraude appelée « maraude électronique », et que les dispositions contestées ont pour objet de garantir la distinction entre les marchés de la maraude et de la réservation préalable. Il était, par suite, soutenu que ces dispositions ne peuvent être regardées comme élargissant la portée des dispositions réservant aux taxis le droit de circuler et de stationner sur la voie publique au point de caractériser une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre des VTC.

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a, tout d'abord rappelé l'objectif poursuivi par le législateur, qui « a estimé que la possibilité, pour l'exploitant d'un véhicule dépourvu d'une autorisation de stationnement, d'informer à la fois de sa localisation et de sa disponibilité lorsqu'il est situé sur la voie ouverte à la circulation publique a pour effet de porter atteinte à l'exercice par les seuls taxis de l'activité, qui leur est légalement réservée, consistant à stationner et à circuler sur la voie publique en quête de clients en vue de leur transport ; qu'en adoptant les dispositions contestées qui prohibent, pour les personnes qu'elles visent, de fournir aux clients cette double information, le législateur, poursuivant des objectifs d'ordre public, notamment de police de la circulation et du stationnement sur la voie publique, a ainsi entendu garantir le monopole légal des taxis qui en découle » (cons. 13).

Le Conseil constitutionnel a rappelé que l'interdiction énoncée par les dispositions contestées s'applique non seulement aux véhicules dépourvus d'une ADS mais aussi aux taxis lorsqu'ils sont situés en dehors du ressort de leur autorisation de stationnement en vertu de l'article L. 3121-11 du code des transports, est cependant limitée (cons. 13).

Il s'est ensuite attaché à déterminer l'exacte portée des dispositions contestées. Il a ainsi relevé que « d'une part, ces dispositions n'interdisent pas aux personnes entrant dans leur champ d'application d'informer le client à la fois de la localisation et de la disponibilité d'un véhicule lorsque celui-ci ne se trouve pas sur une voie ouverte à la circulation publique ; qu'elles ne leur interdisent pas, d'autre part, d'informer le client soit de la seule localisation soit de la seule disponibilité d'un véhicule lorsqu'il se trouve sur une voie ouverte à la circulation publique ; qu'enfin, elles n'apportent aucune restriction à la possibilité pour les personnes exerçant une activité de transport public particulier de personnes et pour leurs intermédiaires d'informer le client du temps d'attente susceptible de séparer la réservation préalable de l'arrivée d'un véhicule » et en a déduit que l'interdiction instituée a une « portée limitée » (cons. 13).

En conséquence, le Conseil constitutionnel a jugé « eu égard, d'une part, à la portée limitée de l'interdiction instituée par les dispositions contestées et, d'autre part, à l'objectif qu'il s'est assigné, le législateur n'a pas porté une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d'entreprendre des  personnes, autres que les exploitants de taxis situés dans le ressort de leur autorisation de stationnement, exerçant l'activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable, et de leurs intermédiaires » (cons. 13). Il a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre.

La portée limitée des dispositions critiquées, rappelée par la décision commentée, résulte de la volonté du législateur de protéger, pour des motifs d'ordre public, la seule maraude, soit le fait pour un client en recherche immédiate d'un taxi de le héler sur la voie publique. Compte tenu de cette portée limitée et du contrôle de disproportion manifeste auquel procède le Conseil constitutionnel lorsque la limitation de la liberté d'entreprendre est justifiée par un impératif constitutionnel, le grief a été rejeté.

 

b. – Le grief tiré de la violation du principe d'égalité

 

Les sociétés requérantes soutenaient que les dispositions contestées instaurent une différence de traitement entre les taxis et les VTC, ainsi que leurs intermédiaires, qui n'est justifiée ni par une différence de situation, les deux catégories de transporteurs se trouvant dans une situation identique sur le marché de la réservation préalable, ni par un motif d'intérêt général.

 

En défense, était également avancée l'argumentation relative au contournement du monopole de la maraude par la « maraude électronique ». Il était ensuite soutenu que la différence de traitement instituée entre les taxis et les VTC répond à une différence de situation qui est en rapport direct avec l'objet de la loi.

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a admis l'existence d'une identité de situation, sur le marché de la réservation préalable, entre les exploitants de taxis situés dans le ressort de leur autorisation de stationnement et les autres personnes exerçant l'activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable.

Il a considéré que la différence de traitement instituée par les dispositions contestées « est, eu égard à la  prise en compte par le législateur d'une possible atteinte à l'exercice par les seuls taxis de l'activité consistant à stationner et à circuler sur la voie publique en quête de clients en vue de leur transport,  justifiée par des objectifs d'ordre public, notamment de police de la circulation et du stationnement  sur la voie publique »  et qu'elle « est en rapport avec l'objectif poursuivi » (cons. 14). Il a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi.

 

c. – Le grief tiré de la violation du droit de propriété

 

Les sociétés requérantes soutenaient que les dispositions contestées privent les VTC et leurs intermédiaires du droit d'utiliser les outils et les technologies qu'ils ont eux-mêmes conçus et développés pour communiquer avec leurs clients.

Le Conseil constitutionnel n'a pas fait droit à cette argumentation. Il a considéré que « si les dispositions contestées peuvent avoir pour conséquence de limiter l'usage susceptible d'être fait de technologies permettant d'informer le client, avant la réservation préalable, à la fois de la localisation et de la disponibilité d'un véhicule par les personnes, autres que les exploitants de taxis situés dans le ressort de leur autorisation de stationnement, exerçant l'activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de priver de leurs droits les personnes titulaires de droits de propriété sur ces technologies ni de porter une atteinte injustifiée aux conditions d'exercice de leurs droits » (cons. 15). Il a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi.

Le Conseil a donc déclaré les dispositions du 1° de l'article L. 3120-2 du code des transports conformes à la Constitution.

 

 

2. – La censure des dispositions de l'article L. 3122-2 du code des transports

 

Les sociétés requérantes reprochaient aux dispositions de l'article L. 3122-2 du code des transports de porter atteinte, d'une part, à la liberté d'entreprendre et, d'autre, part, au principe d'égalité devant la loi, en imposant aux VTC des restrictions relatives à leurs modalités de tarification excessives et sans équivalent pour leurs concurrents.

 

Les sociétés requérantes faisaient valoir qu'en interdisant la tarification horokilométrique aux VTC, le législateur porte atteinte à la liberté d'entreprendre, et que cette atteinte n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général. D'une part, il ne saurait être question d'assurer effectivement la protection du consommateur par le biais de cette interdiction, car cette prévisibilité ne saurait être faussée par le recours à des modes de tarification horokilométriques. D'autre part, la volonté d'éviter la confusion entre taxis et VTC opérant dans le champ de la réservation préalable ne correspondrait à aucun motif d'intérêt général.

 

En défense, il était avancé que de telles restrictions à la liberté de tarification des VTC sont, d'une part, limitées (les VTC fixent librement le montant de leurs prestations, dans la limite des modes de tarification autorisés) et, d'autre part, justifiées par un objectif d'intérêt général de protection des consommateurs. Sans que cela ait été aucunement évoqué dans les travaux préparatoires, était également allégué un objectif de préservation de la sécurité routière, qui serait mieux assuré en évitant que s'engage une négociation tarifaire entre le conducteur et le client lors de la prise en charge ou au cours du trajet.

 

Le Conseil constitutionnel admet que le législateur apporte à la liberté de fixation des prix d'une activité un certain nombre de limites. Dans sa décision n° 2013-670 DC précitée, il a admis une majoration forfaitaire des tarifs de transport qui n'affectait que partiellement la liberté de fixation des tarifs.

 

En l'espèce, en encadrant les modes de fixation des prix des VTC, le législateur portait atteinte à la liberté d'entreprendre des VTC. La question que posait la disposition était celle de savoir si une telle atteinte était justifiée par un motif d'intérêt général.

 

Si le Conseil constitutionnel a déjà considéré que plusieurs dispositions législatives restreignant l'activité des véhicules de transport de personnes étaient justifiées par un objectif d'ordre public, et en particulier de circulation et de stationnement sur la voie publique, il n'a pas retenu un tel motif pour les dispositions contestées. En effet, d'une part, ce motif n'avait jamais été avancé lors des travaux préparatoires et, d'autre part, il n'apparaît pas que certains modes de tarification soient davantage susceptibles de donner lieu à négociation lors de la course, alors même que les VTC sont dans l'obligation d'annoncer au préalable leurs conditions tarifaires à leurs clients.

 

Le Conseil constitutionnel n'a pas non plus retenu l'autre motif d'intérêt général avancé, de protection du consommateur. L'exclusion de certains systèmes de rémunération n'avait au cas présent aucune portée en matière de protection du consommateur. Ce motif avancé en défense présentait au demeurant un caractère très paradoxal : il conduisait à admettre que certains modes de tarification, et notamment ceux pratiqués par les taxis, sont à l'inverse moins protecteurs pour le consommateur.

 

Le Conseil constitutionnel a donc considéré « qu'en interdisant certains modes de tarification pour la détermination du prix des prestations que les entreprises qui mettent à la disposition de leur clientèle une ou plusieurs voitures avec chauffeur proposent aux consommateurs lors de la réservation préalable, les dispositions contestées ont porté à la liberté d'entreprendre une atteinte qui n'est pas justifiée par un motif d'intérêt général en lien direct avec l'objectif poursuivi » (cons. 20).

 

Le Conseil constitutionnel a en conséquence déclaré les dispositions de l'article L. 3122-2 du code des transports contraires à la Constitution (cons. 20), et a prévu une entrée en vigueur immédiate de cette déclaration d'inconstitutionnalité (cons. 30).

 

Pour autant, si cette censure supprime l'encadrement qui résultait des dispositions contestées quant au choix du mode de tarification pratiqué par les VTC, elle ne remet pas en cause l'application des exigences générales résultant des articles L. 3122-1 du code des transports et L. 113-3-1 du code de la consommation, qui imposent aux VTC de faire connaître à leurs clients les conditions tarifaires de leurs prestations à l'avance.

 

 

3. – La conformité sous réserve des dispositions de l'article L. 3122-9 du code des transports

 

Les sociétés requérantes soutenaient que l'article L. 3122-9 du code des transports méconnait la liberté d'entreprendre ainsi que la liberté d'aller et venir dès lors que l'atteinte qui en résulte n'est motivée par aucune considération d'intérêt général et qu'elle est d'une particulière gravité. Selon elles, étaient également méconnus le principe d'égalité, le principe de nécessité des délits et des peines et le principe de la présomption d'innocence.

 

a. – Le grief tiré de violation de la liberté d'entreprendre et de la liberté d'aller et de venir

 

Les dispositions de l'article L. 3122-9 limitent la liberté d'entreprendre des VTC en soumettant à des conditions plus rigoureuses l'exercice de leur activité. Sur un plan économique, ces dispositions peuvent conduire à une multiplication de trajets à vide. Ainsi, un VTC déposant un client en centre-ville sera contraint de se diriger immédiatement vers le lieu d'établissement de l'exploitation, éventuellement excentré, ou d'utiliser un parking privé, onéreux, alors même qu'il est susceptible de faire l'objet dans un temps limité d'une réservation émanant d'une personne se trouvant dans ce quartier. Le Conseil constitutionnel a donc retenu l'existence d'une limitation à la liberté d'entreprendre (cons. 23).

 

Toutefois, en ce qui concerne l'interdiction faite aux véhicules de transport autres que les taxis de circuler « en quête de clients », le Conseil constitutionnel a déjà reconnu dans sa décision n° 2013-318 QPC qu'elle ne méconnaissait pas la liberté d'entreprendre dans la mesure où les restrictions apportées à celle-ci étaient justifiées par des objectifs d'ordre public liés à la police de la circulation et du stationnement et n'étaient pas manifestement disproportionnées. S'il ne paraît pas possible d'assimiler l'interdiction de circuler « en quête de clients » et l'interdiction de circuler « en l'attente d'une réservation préalable », il est certain que ces interdictions peuvent se revendiquer du même intérêt général d'une bonne gestion des conditions de circulation et de stationnement.

 

Cette justification figurait clairement dans l'exposé sommaire de l'amendement à l'origine des dispositions contestées. Les VTC auraient, en l'absence d'une obligation de « retour à la base », tendance à stationner ou à circuler à proximité des lieux où ils font l'objet de réservations préalables, c'est-à-dire, outre les gares ou aéroports, les grands hôtels, les quartiers commerçants. Cette concentration pourrait être de nature à priver les automobilistes de la possibilité de stationner sur des emplacements publics ou de nature à entraîner une congestion de la circulation.

 

Le Conseil constitutionnel a jugé, dans la décision commentée, que l'atteinte à la liberté d'entreprendre résultant de l'article L. 3122-9 était justifiée par la police de la circulation et du stationnement (cons. 23).

 

Pour apprécier la proportionnalité de l'atteinte portée à la liberté, le Conseil constitutionnel a relevé que « l'obligation énoncée ne s'applique, d'une part, que si le conducteur ne peut justifier d'une réservation préalable, quel que soit le moment où elle est intervenue, ou d'un contrat avec le client final et, d'autre part, que s'il se trouve dans l'exercice de ses missions » et en a conclu qu'« eu égard aux objectifs d'ordre public poursuivis, les dispositions contestées apportent à la liberté d'entreprendre une restriction qui n'est pas manifestement disproportionnée » (cons. 23).

 

Par ailleurs, l'atteinte à la liberté d'aller et de venir invoquée par les sociétés requérantes s'inscrivant uniquement dans le cadre de l'exercice de l'activité professionnelle de conducteur d'un VTC, le Conseil constitutionnel a, comme il l'avait fait dans les décisions n° 2013-318 QPC du 7 juin 2013 et n° 2014-422 QPC du 17 octobre 2014, écarté également ce grief (cons. 23).

 

b. – Le grief tiré de la violation du principe d'égalité

 

Les sociétés requérantes estimaient les dispositions de l'article L. 3122-9 également contraires au principe d'égalité dès lors que, sur le marché de la réservation préalable, les VTC sont dans la même situation que les taxis et les autres véhicules autorisés à transporter des personnes et que la différence de traitement qui en résulte n'est pas justifiée par un intérêt général.

 

En ce qui concerne les véhicules à deux ou trois roues se livrant à l'activité de transport public de particuliers, non soumis à une obligation de « retour à la base », le Conseil constitutionnel a, pour écarter le grief, une nouvelle fois repris le raisonnement suivi dans sa décision n° 2013-318 QPC.

 

En revanche, en ce qui concerne la différence de traitement instituée par cette disposition entre les exploitants de VTC et les taxis, le Conseil constitutionnel a jugé que « la disposition contestée est justifiée par des objectifs d'ordre public, notamment de police de la circulation et du stationnement sur la voie publique ; qu'en ne l'appliquant pas aux taxis dès lors que ceux-ci se trouvent dans le ressort de leur autorisation de stationnement leur permettant d'arrêter leur véhicule, de le stationner ou de le faire circuler sur la voie ouverte à la circulation publique en quête de clients dans les conditions prévues à l'article L. 3121-11, le législateur n'a pas méconnu le principe d'égalité devant la loi » (cons. 26).

 

Toutefois, demeurait une difficulté liée au champ d'application de l'article L. 3122-9. En effet, en application de l'article L. 3121-11, l'autorisation de stationnement délivrée aux taxis permet à ceux-ci de pratiquer la maraude « dans leur commune de rattachement, dans une commune faisant partie d'un service commun de taxis comprenant leur commune de rattachement ou dans le ressort de l'autorisation de stationnement délivrée dans les conditions prévues à l'article L. 3642-2 du code général des collectivités territoriales ou à l'article L. 5211-9-2 du même code ». En revanche, comme le précise ce même article L. 3121-11 : « En dehors du ressort de l'autorisation de stationnement, les conducteurs de taxis sont soumis à l'article L. 3120-2 du présent code, notamment s'agissant de la prise en charge de la clientèle sur la voie ouverte à la circulation publique sous réserve de justification d'une réservation préalable. ». Or, si l'article L. 3120-2 prévoit l'interdiction de la maraude ou l'utilisation d'un logiciel informant à la fois de la localisation et de la disponibilité du taxi situé hors du ressort de son autorisation de stationnement, il ne comporte pas de mention de l'obligation de « retour à la base » prévue par l'article L. 3122-9.

 

Ainsi, hors de sa zone de « maraude », un taxi ne fait plus partie des véhicules autorisés par l'autorité publique à utiliser la voie publique. Aussi, le Conseil constitutionnel a estimé que « les dispositions contestées ne sauraient, sans porter atteinte au principe d'égalité devant la loi, exonérer un taxi de l'obligation prévue par l'article L. 3122-9 dès lors qu'il se trouve en dehors du ressort de son autorisation de stationnement » (cons. 26). Sous cette réserve, il a écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité.

 

c. – Le grief tiré de la violation des principes de nécessité des délits et de la présomption d'innocence

 

Les sociétés requérantes estimaient enfin que l'article L. 3122-9 portait atteinte aux principes de nécessité des délits et de la présomption d'innocence, en ce qu'elles instituent un délit non nécessaire et instaurent une présomption de culpabilité.

 

Toutefois, contrairement à ce qui était soutenu, l'obligation édictée par l'article L. 3122-9 n'est pas sanctionnée pénalement. Par ailleurs, l'existence d'une sanction administrative résulterait en tout état de cause uniquement des dispositions de l'article L. 3124-6 du code des transports, dont le Conseil constitutionnel n'était pas saisi. En soi, l'article L. 3122-9 ne fait qu'édicter une obligation.

 

De la même manière, il ne résultait nullement de la disposition contestée une présomption de culpabilité. Aussi, le Conseil constitutionnel a écarté ces griefs comme inopérants (cons. 27).

 

En définitive, le Conseil a déclaré les dispositions de l'article L. 3122-9 du code des transports conformes à la Constitution, sous la réserve énoncée au considérant 26 de la décision commentée.

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1 P. Chassigneux, « Proposition de réforme de la profession de taxi », mars 2008, La Documentation française, p.16.

2 T. Thévenoud, « Un taxi pour l'avenir, des emplois pour la France », avril 2014, p. 17.

3 X. de Lesquen, concl. sous CE, 23 juill. 2014, nos 375869 et 375896, Chambre syndicale des cochers chauffeurs CGT-Taxis

4 P. Chassigneux, préc., p. 20.

5 Autorité de la concurrence, Avis n° 14-A-17 du 9 décembre 2014 concernant un projet de décret relatif au transport particulier de personnes, n° 19.

6 Art. L. 231-2 du code du tourisme.

7 Art. L 231-3 du code du tourisme.

8 Art. L. 231-4 du même code.

9 Il s'agit des véhicules de groupe régis par la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs.

10 M. Thomas Thévenoud,  Un taxi pour l'avenir des emplois pour la France, avril 2014, p. 47.

11 Assemblée nationale, deuxième séance du jeudi 18 septembre 2014.

12 Assemblée nationale, deuxième séance du jeudi 18 septembre 2014.

13 M. Thomas Thévenoud, Rapport sur la proposition de loi relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, Assemblée nationale, XIVème législature, n° 2046, 18 juin 2014.

14 Assemblée nationale, première séance du 10 juillet 2014.

15 Sénat, séance du 23 juillet 2014.

16 Décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999, Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, cons. 20.

17 Ibid.

18 Décisions n° 2010-607 DC du 10 juin 2010, Loi relative à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée, cons. 9 ; décision n° 2010-5 QPC du 18 juin 2010, SNC Kimberly Clark, cons. 5.

19 Décision n° 90-287 DC du 16 janvier 1991, Loi portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales, cons. 22.

20 Décision n° 2013-318 QPC du 7 juin 2013, M. Mohamed T. (Activité de transport public de personnes à motocyclette ou tricycle à moteur).

21  Décision n° 2013-318 QPC précitée, cons. 14.

22 Décision n° 2014-422 QPC du 17 octobre 2014, Chambre syndicale des cochers chauffeurs CGT-taxis (Voitures de tourisme avec chauffeurs), cons. 10.

23 Ibidem, cons. 9.

24 Décision n° 2013-670 DC du 23 mai 2013, Loi portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de transport.

25 Décision n° 2013-670 DC précitée, cons. 14.

26 Décisions no 99-423 DC du 13 janvier 2000, Loi relative à la réduction négociée du temps de travail, cons. 24 à 36  et n° 2001-455 DC précitée, cons. 43 à 50.

27  Voir par exemple la décision n° 2010-3 QPC du 28 mai 2010, Union des familles en Europe (Associations familiales).

28 Décision n° 2014-422 QPC du 17 octobre 2014 précitée, cons. 7

29 Décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015 ; cons. 19.

30  Voir, en derniers lieux, décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, cons. 17 ; décision n° 2010-604 DC du 25 février 2010, Loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public, cons. 11.