Conseil constitutionnel

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Commentaire de la décision 2014-386 QPC

09/12/2022

Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 janvier 2014 par le Conseil d'État  (décision n° 373237 du 27 janvier 2014) d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la collectivité de Saint-Barthélemy, portant sur le 3° du paragraphe II de l'article 104 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007, dans sa rédaction issue de l'article 6 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008.

 

Dans sa décision n° 2014-386 QPC du 28 mars 2014, le Conseil constitutionnel a jugé le dernier alinéa du 3° du paragraphe II de l'article 104 de la loi de finances rectificative pour 2007, dans sa rédaction issue de l'article 6 de la loi de finances rectificative pour 2008, conforme à la Constitution.

 

I. – Les dispositions contestées

 

A. – Une dotation créée dans le cadre du transfert de compétences lors de la création de la collectivité de Saint-Barthélemy

 

Le 7 décembre 2003, les électeurs de Saint-Barthélemy ont approuvé à 95,51 % la création à Saint-Barthélemy d'une collectivité d'outre-mer (COM) régie par l'article 74 de la Constitution.

 

La loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, complétée par la loi n° 2007-224 du même jour1, a créé cette COM régie par l'article 74 de la Constitution et dotée de l'autonomie qui s'est substituée, sur le territoire de l'île de Saint-Barthélemy et des îlots qui en dépendent qui sont situés à moins de huit milles marins de ses côtes, à la commune de Saint-Barthélemy, au département de la Guadeloupe et à la région de la Guadeloupe.

 

Cette création de la COM de Saint-Barthélemy, effective depuis le 15 juillet 2007, s'est accompagnée, à compter du 1er janvier 2008, d'une part, d'un transfert complet des compétences du département et de la région de la Guadeloupe et, d'autre part, d'un transfert partiel des compétences de l'État. L'article L.O. 6214-3 du code général des collectivités territoriales (CGCT) énumère les matières dans lesquelles la collectivité fixe les règles applicables. En particulier, le législateur organique a conféré à cette collectivité la compétence de fixer les règles applicables en matière d'impôts, droits et taxes, dans la limite de certaines conditions prévues par l'article L.O. 6214-4 du CGCT. Par exemple, les personnes physiques ne peuvent être considérées comme ayant leur domicile fiscal à Saint-Barthélemy qu'après y avoir résidé pendant cinq ans au moins. De nombreuses autres compétences ont été transférées de l'État, de la région de la Guadeloupe et du département de la Guadeloupe à la collectivité, ce choix du législateur organique étant en cohérence avec l'accession au statut de COM.

 

Les articles L.O. 6271-1 et suivants du CGCT déterminent les modalités financières de ces transferts de compétences.

 

L'article L.O. 6271-4 du CGCT prévoit que « tout accroissement net de charges résultant des transferts de compétences effectués entre l'État, la région ou le département de la Guadeloupe ou la commune de Saint-Barthélemy et la collectivité de Saint-Barthélemy est accompagné du transfert concomitant à la collectivité de Saint-Barthélemy des ressources nécessaires à l'exercice normal de ces compétences ».

 

Pour sa part, l'article L.O. 6271-5 du CGCT a précisé que les charges résultant des transferts des compétences sont compensées « par le transfert d'impôts, la dotation globale de fonctionnement instituée par l'article L. 6264-3, la dotation globale de construction et d'équipement scolaire instituée par l'article L. 6264-5 et, pour le solde, par l'attribution d'une dotation globale de compensation inscrite au budget de l'État. La loi de finances précise chaque année le montant de cette dotation. Dès la première année, elle évolue comme la dotation globale de fonctionnement dans les conditions prévues à l'article L. 1613-1. / Pour l'évaluation du produit des impositions mentionné au précédent alinéa, est retenu le montant total des produits fiscaux recouvrés au titre d'impositions établies sur le territoire de la commune de Saint-Barthélemy, au profit de la commune, du département, de la région et de l'État, la pénultième année précédant celle de l'entrée en vigueur de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer ».

 

Lors de son contrôle de la loi organique du 21 février 2007, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d'interprétation relative à ces deux articles L.O. 6271-4 et L.O. 6271-5 du CGCT : « le calcul de la compensation résultant des transferts de compétences devra nécessairement prendre en compte le montant des recettes qu'aurait dû percevoir l'État la pénultième année précédant celle de l'entrée en vigueur de la loi organique »2. Ce faisant, le Conseil constitutionnel a précisé l'une des règles devant présider au calcul de la compensation financière des compétences transférées à la nouvelle collectivité de Saint-Barthélemy. Les ressources fiscales perçues en 2005 et transférées à la collectivité doivent être prises en compte pour leur niveau potentiel théorique, et non pour les montants effectivement recouvrés en 2005.

 

Sur la base de ces principes de calcul de la compensation financière, l'article 104 de la loi de finances rectificative (LFR) pour 2007 a défini les modalités de détermination de la dotation globale de compensation à compter du 1er janvier 2008.

 

Le 3° du paragraphe II de l'article 104 de la LFR pour 2007, pris pour l'application de l'article L.O. 6271-5, a énuméré les différents abondements à apporter à la dotation globale de compensation et a prévu que « le montant de la dotation globale de compensation, après abondements, est à la charge de l'État ».

 

Par la suite, le 4° du paragraphe I de l'article 6 de la loi  de finances rectificative pour 2008 a inséré dans le 3° du paragraphe II de l'article 104 de la LFR pour 2007 un nouvel alinéa ainsi rédigé : « Le montant de la dotation globale de compensation, après abondements, fait l'objet d'un titre de perception émis chaque année par le préfet de la région Guadeloupe durant le mois de janvier de l'année considérée, pour paiement au plus tard six mois après son émission. Par exception, pour la récupération du trop-versé en 2008, il est émis deux titres de perception, l'un en 2009, l'autre en 2010, portant chacun sur un montant de 2 814 129 € ». 

 

Cette modification était rendue nécessaire parce que les travaux de la commission consultative d'évaluation des charges avaient fait apparaître que « la fiscalité transférée (au) profit (de la COM de Saint-Barthélemy) excède les charges transférées de 5,6 millions d'euros, au détriment de l'État, à hauteur de 2,7 millions d'euros, et du département de Guadeloupe, à hauteur de 2,9 millions d'euros »3. Par conséquent, la modification introduite par la loi de finances rectificative pour 2008 permettait à l'État de percevoir « chaque année l'ensemble du trop-versé à Saint-Barthélemy. Si un versement annuel de la collectivité de Saint-Barthélemy est rendu nécessaire c'est parce qu'il n'est pas possible de rééquilibrer le solde entre les charges et les ressources transférées, du fait de l'autonomie fiscale accordée à cette collectivité, qui implique qu'elle ait des pouvoirs étendus en matière de fiscalité »4.

 

On peut relever qu'un même dispositif permettant à l'État de récupérer l'excédent de ressources transférées sur les charges transférées a également été prévu par le législateur pour Saint-Martin, qui a accédé au statut de COM en même temps que Saint-Barthélemy et dans des conditions similaires.

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

Bien que le niveau du prélèvement négatif à opérer au titre de la dotation globale de compensation pour l'année 2008 ait été prévu expressément par le législateur dès la LFR pour 2008, les autorités de l'État ont tardé à émettre les titres de perception. Ce n'est finalement que le 20 décembre 2012 que les premiers titres de perception, pour les années 2008 et 2009, ont été émis, et notifiés le 16 janvier 2013.

 

La COM de Saint-Barthélemy, qui a contesté le bien-fondé de ces titres, a saisi le tribunal administratif (TA) de Basse-Terre et, à l'occasion de ce litige, a posé la présente QPC, laquelle a été transmise au Conseil d'État5, qui l'a renvoyée au Conseil constitutionnel.

 

Selon la collectivité requérante, en permettant à l'État « la récupération du trop-versé » lorsque le calcul de la dotation globale de compensation fait apparaître un excédent des ressources de la collectivité de Saint-Barthélemy sur les charges transférées, les dispositions du 3° de l'article 104 de la LFR pour 2007, telles que modifiées par l'article 6 de la LFR pour 2008, méconnaissent les exigences qui résultent des articles 72, 72-2 et 74 de la Constitution et portent atteinte au droit au respect des situations légalement acquises.

 

Dans sa décision n° 2008-574 DC du 29 décembre 20086, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions du paragraphe VII de l'article 6 de la LFR pour 2008 ainsi que ses articles 53, 80, 124, 144 et 147, comme étant étrangers au domaine des lois de finances. En revanche, les dispositions du 4° du paragraphe I de l'article 6 de la LFR pour 2008 n'ont jamais été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Elles pouvaient donc faire l'objet de la présente QPC.

 

Compte tenu des griefs formulés par la collectivité requérante, le Conseil constitutionnel, comme il a déjà eu l'occasion de le faire à de nombreuses reprises7, a restreint le champ de la QPC et considéré qu'elle ne portait que sur le dernier alinéa du 3° du paragraphe II de l'article 104 de la LFR pour 2007, dans sa rédaction résultant de l'article 6 de la LFR pour 2008 (cons. 3).

 

II. – L'examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

A. – Les griefs tirés de la méconnaissance des exigences des articles 72, 72-2 et 74 de la Constitution

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle

 

Le principe de la libre administration des collectivités territoriales a été consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 79-104 DC du 23 mai 19798. Il découle des dispositions de l'article 34 de la Constitution aux termes duquel : « La loi détermine les principes fondamentaux (…) de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources », ainsi que de l'inscription, renforcée depuis la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, du principe au troisième alinéa de l'article 72 : « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences ».

 

Le principe de la libre administration des collectivités territoriales figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit dont la méconnaissance peut être sanctionnée dans le cadre de la procédure de la QPC9.

 

Les contours de la libre administration des collectivités territoriales ont été définis par la jurisprudence du Conseil, principalement autour de quelques grandes conditions :

 

– l'existence d'un conseil élu (décision n° 85-196 DC du 8 août 198510) ;

 

– l'existence d'attributions effectives (décision n° 82-149 DC du 28 décembre 198211) ;

 

− la liberté contractuelle (décision n° 2006-543 DC du 30 novembre 200612).

 

– l'autonomie financière (décision n° 2004-500 DC du 29 juillet 200413, et déjà auparavant décision n° 90-277 DC du 25 juillet 199014).

 

Concernant l'autonomie financière, le Conseil constitutionnel, saisi de la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales, avait jugé : « Considérant qu'aux termes des trois premiers alinéas de l'article 72-2 de la Constitution : "Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi. - Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine. - Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources..." ;

« Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que les recettes fiscales qui entrent dans la catégorie des ressources propres des collectivités territoriales s'entendent, au sens de l'article 72-2 de la Constitution, du produit des impositions de toutes natures non seulement lorsque la loi autorise ces collectivités à en fixer l'assiette, le taux ou le tarif, mais encore lorsqu'elle en détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette (…) »15.

 

Par la suite, dans sa décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, le Conseil constitutionnel a complété ce considérant de principe : « Considérant qu'aux termes des trois premiers alinéas de l'article 72-2 de la Constitution : "Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi. - Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine. - Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources..." ; que l'article L.O. 1114-2 du code général des collectivités territoriales définit, au sens du troisième alinéa de l'article 72–2 de la Constitution, la notion de "ressources propres des collectivités territoriales" ; qu'il prévoit que ces ressources "sont constituées du produit des impositions de toutes natures dont la loi les autorise à fixer l'assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette..." ; qu'il ressort de la combinaison de ces dispositions que les recettes fiscales qui entrent dans la catégorie des ressources propres des collectivités territoriales s'entendent, au sens de l'article 72-2 de la Constitution, du produit des impositions de toutes natures non seulement lorsque la loi autorise ces collectivités à en fixer l'assiette, le taux ou le tarif, mais encore lorsqu'elle en détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette »16.

 

Dans cette même décision, le Conseil constitutionnel a pris soin de souligner « qu'il ne résulte ni de l'article 72-2 de la Constitution ni d'aucune autre disposition constitutionnelle que les collectivités territoriales bénéficient d'une autonomie fiscale »17.

 

Conduit à appliquer ce principe de libre administration des collectivités territoriales aux questions de ressources fiscales de celles-ci, le Conseil constitutionnel a jugé que « les règles posées par la loi, sur le fondement [des articles 34 et 72 de la Constitution], ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration »18, ou encore que « les règles fixées par la loi sur le fondement [du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, relatif aux compensations des transferts de compétences,] ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources des collectivités territoriales au point de dénaturer le principe de libre administration de ces collectivités »19.

 

Dans sa décision n° 2013-355 QPC du 22 novembre 2013, le Conseil constitutionnel a examiné le grief tiré de ce qu'un dispositif de compensation méconnaîtrait le principe de libre administration des collectivités territoriales. En contrepartie du transfert du produit de la TASCOM du budget de l'État aux budgets des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, ce dispositif prévoyait pour l'année 2011 le maintien du niveau de ressources perçu par l'État en 2010 au titre de la TASCOM. Le Conseil a considéré que « les dispositions contestées, qui déterminent une règle de compensation financière de ce transfert d'une ressource fiscale, ne portent, en elles-mêmes, aucune atteinte à la libre administration des communes ». Il a jugé « que cette règle de compensation, qui peut dans certains cas conduire à une diminution des ressources pour les budgets des communes ou de leurs groupements, et dans d'autres cas à une augmentation de ces ressources, en fonction de l'évolution de l'assiette locale de la taxe transférée, n'a pas pour effet de réduire les ressources propres de certaines communes dans des proportions telles que serait méconnue leur autonomie financière »20. Par suite, le Conseil a écarté le grief tiré de la méconnaissance des principes constitutionnels de la libre administration et de l'autonomie financière des collectivités territoriales.

 

2. – L'application à l'espèce

 

Le Conseil constitutionnel était appelé à opérer un contrôle du respect des exigences constitutionnelles résultant des articles 72 et 72-2 de la Constitution pour une collectivité régie par l'article 74 de la Constitution. Aussi, il a, dans les normes de référence citées, non seulement repris le considérant de principe habituel relatif à la libre administration et à l'autonomie financière des collectivités territoriales (cons. 6), auquel il a ajouté la mention des exigences constitutionnelles en matière de transfert de compétences à des collectivités territoriales, mais également rappelé que son contrôle se place, dans ce cas particulier, sous les dispositions des deux premiers alinéas de l'article 74 de la Constitution aux termes desquels : « Les collectivités d'outre-mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d'elles au sein de la République. –  Ce statut est défini par une loi organique, adoptée après avis de l'assemblée délibérante… » (cons. 7).

 

Le Conseil a examiné successivement le grief tiré de l'atteinte au domaine réservé par la Constitution à la loi organique et ceux tirés de la méconnaissance des principes de la libre administration et de l'autonomie des collectivités régies par l'article 74 de la Constitution.

a) L'atteinte au domaine réservé par la Constitution à la loi organique

 

La collectivité requérante faisait valoir que les dispositions contestées empiétaient sur le domaine de compétence du législateur organique pour fixer les règles en matière de répartition des compétences et des ressources entre l'État et une collectivité territoriale régie par l'article 74 de la Constitution. Consciente que les règles de compétence ne sont pas en elles-mêmes susceptibles d'être considérées comme des droits ou libertés que la Constitution garantit, invocables en QPC, la collectivité requérante invitait le Conseil constitutionnel à transposer le raisonnement retenu dans sa jurisprudence sur l'incompétence négative du législateur en QPC (invocable en tant qu'elle affecte, par elle-même, un droit ou une liberté que la Constitution garantit) à l'empiètement du législateur sur le domaine de compétence de la loi organique lorsque cet empiètement porte atteinte au statut d'autonomie d'une collectivité de l'article 74.

 

Dans sa décision n° 2012-241 QPC du 4 mai 201221, le Conseil constitutionnel avait jugé que « la méconnaissance, par le législateur, du domaine que la Constitution a réservé à la loi organique, ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution ». Il s'agissait alors d'une question d'empiètement sur le domaine organique relatif au statut des magistrats.

 

Le Conseil constitutionnel a considéré que le fait que le domaine organique en cause était celui des collectivités de l'article 74 de la Constitution était sans incidence sur le sort à réserver à ce type de grief. Il a donc jugé que le grief tiré de la méconnaissance du domaine du législateur organique pour fixer le statut d'une collectivité de l'article 74 de la Constitution ne peut être invoqué à l'appui d'une QPC et que, par suite, le grief doit, en tout état de cause, être écarté (cons. 8).

 

b) Les principes de la libre administration et de l'autonomie des collectivités régies par l'article 74 de la Constitution

 

Le Conseil constitutionnel a rappelé, tout d'abord, que la création de la COM de Saint-Barthélemy s'est accompagnée d'un transfert de compétences, dont les modalités financières ont été déterminées par le législateur organique, sous le contrôle du Conseil constitutionnel.

 

En premier lieu, le Conseil a relevé qu'il résulte des dispositions organiques relatives à la collectivité de Saint-Barthélemy que, d'une part, les charges transférées à cette collectivité lors de sa création sont compensées par le transfert, à titre principal, de ressources fiscales et à titre subsidiaire, de dotations et que, d'autre part, le solde de cette compensation est assuré par la dotation globale de compensation.

 

Même si la question différait quelque peu de celle relative à la compensation du transfert de la TASCOM aux communes et EPCI, la problématique au regard de la libre administration des collectivités était du même ordre : l'État n'est pas privé de la faculté de prévoir une compensation lorsqu'il opère un transfert de ressources fiscales à une collectivité, et une telle compensation ne porte en elle-même aucune atteinte à la libre administration des collectivités bénéficiant du transfert.

 

Dans sa décision du 28 mars 2014 commentée, le Conseil a jugé que les dispositions contestées ont pour seul objet d'assurer l'équilibre financier de la compensation des transferts de compétences à la collectivité de Saint-Barthélemy et qu'elles ne portent, en elles-mêmes, aucune atteinte à la libre administration de cette collectivité (cons. 10).

 

En deuxième lieu, le Conseil a rappelé que les dispositions contestées sont prises en application des dispositions organiques relatives à la compensation financière des compétences transférées à la collectivité de Saint-Barthélemy. Il a souligné le fait que, pour le calcul de cette compensation, les ressources fiscales transférées sont prises en compte pour leur produit potentiel en 2005 (conformément à ce que prévoyait la réserve d'interprétation de sa décision du 15 février 2007), et que l'évolution ultérieure de ces ressources est sans incidence sur le calcul de cette compensation et sur le montant de la dotation globale de compensation. Il en a déduit que « les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de modifier l'étendue de la compétence de la collectivité de Saint-Barthélemy en matière de fiscalité », laquelle a toute latitude, depuis le transfert de compétences en matière fiscale, pour établir les impôts qu'elle souhaite et faire varier les règles d'assiette et de taux des impôts existants. Même si le montant de la dotation globale de compensation représente une fraction non négligeable du budget global de la collectivité de Saint-Barthélemy, ce montant doit être mis en regard de l'ensemble des recettes fiscales de la collectivité. Le Conseil a donc jugé que les dispositions contestées « n'ont pas non plus pour effet de réduire les ressources propres de cette collectivité dans des proportions telles que serait méconnue son autonomie financière » (cons. 11).

 

Le Conseil a donc écarté les griefs tirés de la méconnaissance des principes de la libre administration et de l'autonomie des collectivités territoriales régies par l'article 74 de la Constitution (cons. 12).

 

B. – Le grief tiré de l'atteinte aux situations légalement acquises

 

La collectivité requérante soutenait par ailleurs qu'il résultait des dispositions législatives organiques et ordinaires en vigueur au 31 décembre 2008 qu'elle pouvait légitimement attendre des effets de ces dispositions que le transfert de compétences résultant de la loi organique du 21 février 2007 ne ferait naître aucune créance au profit de l'État. Par conséquent, elle faisait grief aux dispositions contestées de méconnaître les exigences de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle

 

La protection des situations légalement acquises découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».

 

Par exemple, dans sa décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, le Conseil juge : « qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant »22.

 

Le considérant de principe a été complété dans la décision sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 afin de reconnaître une protection constitutionnelle à l'espérance légitime. Désormais, le Conseil constitutionnel considère : « qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations »23.

 

2. – L'application à l'espèce

 

Le Conseil a examiné les dispositions des articles L.O. 6271-4 et L.O. 6271-5 du CGCT et du 3° du paragraphe II de l'article 104 de la loi de finances rectificative pour 2007, qui étaient en vigueur au 31 décembre 2008, avant qu'elles ne soient complétées par les dispositions contestées (lesquelles sont entrées en vigueur le 1er janvier 2009), au regard de leurs effets et des situations légalement acquises qu'elles étaient susceptibles de faire naître.

 

Il apparaissait que le législateur organique avait entendu poser le principe d'une compensation financière intégrale des compétences transférées, sans entrer dans le détail des modalités de calcul de cette compensation. Il avait entendu retenir la dotation globale pour assurer le solde de cette opération de compensation. Par la suite, la première intervention du législateur ordinaire, avant même que la commission consultative d'évaluation des charges n'ait achevé ses travaux, était provisoire et ne préjugeait pas le calcul définitif de la dotation globale de compensation. Les travaux préparatoires sur le projet de LFR pour 2007 faisaient ressortir cet aspect : « les montants calculés pour 2008 restant provisionnels, ils devront faire l'objet de l'examen des CCEC locales, créées à cet effet. Cet examen pourra donner lieu à une révision des montants initialement retenus à titre provisoire. Il conviendra alors, en tant que de besoin, d'ajuster le dispositif proposé par le présent article, en vue de faire respecter un principe de stricte équivalence entre les ressources et les charges transférées aux deux COM (de Saint-Barthélemy et de Saint Martin) »24.

 

Le Conseil a donc considéré que les dispositions organiques et ordinaires antérieures aux dispositions contestées « n'avaient ni pour objet ni pour effet de garantir légalement que la dotation globale de compensation assurant le "solde" de la compensation financière du transfert de compétences ne puisse être mise à la charge de la collectivité de Saint-Barthélemy » (cons. 16). Par suite, le Conseil a jugé que « le dernier alinéa du 3° du paragraphe II de l'article 104 de la loi du 25 décembre 2007 susvisée, dans sa rédaction issue de l'article 6 de la loi du 30 décembre 2008 susvisée, qui précise les modalités de versement de cette dotation de compensation par la collectivité de Saint-Barthélemy à l'État, ne porte pas atteinte  à une situation légalement acquise et ne remet pas en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus d'une telle situation ». En conséquence, il a écarté le grief tiré de l'atteinte aux exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 (cons. 16).

 

En définitive, le Conseil constitutionnel a jugé que le dernier alinéa du 3° du paragraphe II de l'article 104 de la loi de finances rectificative pour 2007, dans sa rédaction issue de l'article 6 de la loi de finances rectificative pour 2008, n'est contraire à « aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit » et l'a déclaré conforme à la Constitution (cons. 17).

 

_______________________________________

1  Loi n° 2007-224 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer.

2  Décision n° 2007-547 DC du 15 février 2007, Loi organique portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, cons. 25.

3  M. Philippe Marini, Rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 2008 adopté par l'Assemblée nationale, Sénat, n° 135, Tome I (session ordinaire 2008-2009), 16 décembre 2008, p. 90.

4  Ibid., p. 90-91.

5  TA Basse-Terre, 5 novembre 2013, n° 1301509.

6  Décision n° 2008-574 DC du 29 décembre 2008, Loi de finances rectificative pour 2008.

7  Décisions nos 2013-369 QPC du 28 février 2014, Société Madag (Droit de vote dans les sociétés cotées), cons. 3 ; 2013-368 QPC du 7 mars 2014, Société Nouvelle d'exploitation Sthrau Hôtel (Saisine d'office du tribunal pour l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire), cons. 3 ; 2013-372 QPC du 7 mars 2014, M. Marc V. (Saisine d'office du tribunal pour la résolution d'un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire), cons. 3.

8  Décision n° 79-104 DC du 23 mai 1979, Loi modifiant les modes d'élection de l'Assemblée territoriale et du Conseil de gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances et définissant les règles générales de l'aide technique et financière contractuelle de l'État, cons. 9.

9  Décision n° 2010-29/37 QPC du 22 septembre 2010, Commune de Besançon et autre (Instruction CNI et passeports), cons. 6, 7 et 8.

10 Décision n° 85-196 DC du 8 août 1985, Loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie (dite aussi : Évolution de la Nouvelle-Calédonie 1), cons. 10.

11 Décision n° 82-149 DC du 28 décembre 1982, Loi relative à l'organisation administrative de Paris, Marseille, Lyon et des établissements publics de coopération intercommunale, cons. 2.

12 Décision n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l'énergie (GDF-Suez), cons. 28 à 31.

13 Décision n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004, Loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales, cons. 19 et 20.

14 Décision n° 90-277 DC du 25 juillet 1990, Loi relative à la révision générale des évaluations des immeubles retenus pour la détermination des bases des impôts directs locaux, cons. 7 à 15.

15 Décision n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004, précitée, cons. 9 et 10.

16 Décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010, cons. 61.

17 Ibid., cons. 64.

18 Voir, par exemple, les décisions nos 91-298 DC du 24 juillet 1991, Loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, cons. 38, et 98-405 DC du 29 décembre 1998, Loi de finances pour 1999, cons. 50.

19 Décisions nos 2011-142/145 QPC du 30 juin 2011, Départements de la Seine-Saint-Denis et autres (Concours de l'État au financement par les départements du RMI, du RMA et du RSA), cons. 14, 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010, cons. 105, et 2012-255/265 QPC du 29 juin 2012, Départements de la Seine-Saint-Denis et du Var (Fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux perçus par les départements), cons. 7.

20 Décision n°2013-355 QPC du 22 novembre 2013, Communauté de communes du Val de Sèvre (Compensation du transfert de la taxe sur les surfaces commerciales aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre), cons. 6.

21 Décision n° 2012-241 QPC du 4 mai 2012, EURL David Ramirez (Mandat et discipline des juges consulaires), cons. 20.

22 Décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2006, cons. 45.

23 Décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, cons. 14.

24 M. Philippe Marini, Rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 2007, Sénat, n° 127 (session ordinaire 2007-2008), 12 décembre 2007, p. 231.