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Commentaire de la décision 2012-268 QPC

09/12/2022

Non conformité totale - effet différé

 La Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel le 6 juin 2012 (arrêt n° 795 du 6 juin 2012) une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par Mme Annie M. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions de l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles (CASF) relatif au recours contre l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'État.

 

Par sa décision n° 2012-268 QPC du 27 juillet 2012, le Conseil constitutionnel, qui a restreint son examen au seul premier alinéa de l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles, l'a déclaré contraire à la Constitution.

 

I. – Dispositions contestées

 

A. – Les pupilles de l'État

 

1. – Notion de pupilles de l'État

 

Les pupilles de l'État sont des mineurs recueillis par l'aide sociale à l'enfance et qui se trouvent dans une situation d'abandon du fait de la volonté, de la carence ou de l'absence de leurs parents. Ils sont pris en charge par la collectivité publique. La principale conséquence du statut de pupille de l'État est, pour l'enfant, d'être « adoptable », c'est-à-dire de pouvoir à tout moment être placé en vue de l'adoption.

 

L'article 347 du code civil dispose en effet que « peuvent être adoptés :

 

« 1° Les enfants pour lesquels les père et mère ou le conseil de famille ont valablement consenti à l'adoption ;

 

« 2° Les pupilles de l'État ;

 

« 3° Les enfants déclarés abandonnés dans les conditions prévues par l'article 350 ».

 

Le premier alinéa de l'article L. 225-1 du CASF précise même que les pupilles de l'État « doivent faire l'objet d'un projet d'adoption dans les meilleurs délais ».

 

Ces pupilles ne doivent pas être confondus avec les pupilles de la Nation qui sont des mineurs « adoptés » par la France1.

 

La tutelle des pupilles de l'État est assurée par le représentant de l'État dans le département, qui est désigné comme tuteur, ainsi que par le conseil de famille des pupilles de l'État, lequel est composé de représentants du conseil général, de membres d'associations à caractère familial ainsi que de personnalités qualifiées. La loi précise que « la tutelle des pupilles de l'État ne comporte pas de juge de tutelle ni de subrogé tuteur » (art. L. 224-1 du CASF), à la différence du régime de la tutelle mise en place en droit civil qui est judiciaire. Ainsi, le régime des pupilles de l'État se distingue également du régime de la tutelle vacante qui est, en application de l'article 411 du code civil, déférée « à la collectivité publique compétente en matière d'aide sociale à l'enfance » et « ne comporte ni conseil de famille ni subrogé tuteur », mais qui reste placée sous le contrôle du juge des tutelles.

 

L'article L. 224-4 du CASF distingue six catégories de mineurs concernés et dispose ainsi que « sont admis en qualité de pupille de l'État :

 

« 1° Les enfants dont la filiation n'est pas établie ou est inconnue, qui ont été recueillis par le service de l'aide sociale à l'enfance depuis plus de deux mois ;

 

« 2° Les enfants dont la filiation est établie et connue, qui ont expressément été remis au service de l'aide sociale à l'enfance en vue de leur admission comme pupilles de l'État par les personnes qui ont qualité pour consentir à leur adoption, depuis plus de deux mois ;

 

« 3° Les enfants dont la filiation est établie et connue, qui ont expressément été remis au service de l'aide sociale à l'enfance depuis plus de six mois par leur père ou leur mère en vue de leur admission comme pupilles de l'État et dont l'autre parent n'a pas fait connaître au service, pendant ce délai, son intention d'en assumer la charge ; avant l'expiration de ce délai de six mois, le service s'emploie à connaître les intentions de l'autre parent ;

 

« 4° Les enfants orphelins de père et de mère pour lesquels la tutelle n'est pas organisée selon le chapitre II du titre X du livre Ier du code civil et qui ont été recueillis par le service de l'aide sociale à l'enfance depuis plus de deux mois ;

 

« 5° Les enfants dont les parents ont fait l'objet d'un retrait total de l'autorité parentale en vertu des articles 378 et 378-1 du code civil et qui ont été recueillis par le service de l'aide sociale à l'enfance en application de l'article 380 dudit code (le retrait total de l'autorité parentale est prononcé par jugement) ;

 

« 6° Les enfants recueillis par le service de l'aide sociale à l'enfance en application de l'article 350 du code civil (abandon du fait du désintérêt manifeste des parents à l'égard de l'enfant, qui donne lieu à un jugement par lequel le juge délègue, le cas échéant, au service de l'aide sociale à l'enfance les droits d'autorité parentale sur le mineur) ».

 

2. – Modalités de l'admission en qualité de pupille de l'État

 

Les conditions d'accès au statut de pupille de l'État (et donc la possibilité d'une adoption) varient en considération de la situation dans laquelle se trouve l'enfant. Le législateur a introduit deux régimes distincts, l'un rapide, l'autre plus lent, afin d'éviter que l'enfant ne soit prématurément privé des liens noués avec sa famille d'origine. On peut ainsi distinguer, au sein des cas énumérés par l'article L. 224-4 du CASF :

 

– les deux derniers cas mentionnés aux 5° et 6°, dans lesquels l'adoption peut intervenir plus rapidement, puisque la rupture des liens avec les parents est judiciairement prononcée (5°) ou constatée (6°). L'enfant est admis en qualité de pupille de l'État à compter de l'arrêté d'admission émanant du président du conseil général, sous l'autorité duquel l'aide sociale est placée en vertu du premier alinéa de l'article L. 221-2 du CASF ;

 

– les quatre premiers cas prévus par le texte (filiation inconnue, enfant remis par ses parents ou les personnes habilitées, orphelin), pour lesquels le législateur a instauré une période transitoire pendant laquelle l'enfant ne peut être adopté. Cette période débute par l'établissement d'un procès-verbal rédigé le jour où l'enfant est recueilli par le service de l'aide sociale à l'enfance. Le procès-verbal doit comprendre diverses mentions qui permettent de s'assurer que la personne qui remet l'enfant a bien été informée, en substance, des conséquences  découlant de l'admission en qualité de pupille de l'État et des moyens qui lui sont offerts pour revenir sur sa décision. Selon les termes de l'article L. 224-6 du CASF, « L'enfant est déclaré pupille de l'État à titre provisoire à la date à laquelle est établi le procès-verbal prévu à l'article L. 224-5 ». Un délai est alors ouvert pendant lequel l'enfant peut être « repris » par celui de ses père ou mère qui l'avait confié au service. Ce délai est de deux mois lorsque les deux parents ont remis l'enfant et de six mois pour celui des père ou mère qui n'a pas confié l'enfant au service. Une fois ce délai expiré, la restitution peut encore être demandée auprès du tuteur (i.e. le préfet) – et ce jusqu'au placement en vue de l'adoption2 – mais c'est ce dernier qui, en opportunité, prend la décision « avec l'accord du conseil de famille » (art. L. 224-6 du CASF).

 

Une fois ce délai expiré, l'admission provisoire doit normalement céder la place à l'admission définitive en qualité de pupille de l'État, laquelle va permettre de procéder à l'adoption de l'enfant. L'admission définitive intervient par le biais d'un arrêté du président du conseil général.

 

B. – Portée des dispositions contestées

 

Les dispositions contestées ouvrent, devant le juge judiciaire, un recours contre l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'État pris par le président du conseil général qui, en toute hypothèse, est nécessaire pour que ce statut soit conféré à l'enfant.

 

Cette possibilité de recours, présentée comme une « innovation essentielle »3, a été introduite par la loi n° 84-422 du 6 juin 1984. Antérieurement, il était uniquement possible d'exercer un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif, lequel se prononçait exclusivement sur la légalité de l'arrêté sans pouvoir apprécier l'opportunité de confier l'enfant à la personne qui en ferait la demande.

 

Lors des travaux parlementaires, ont été précisées les raisons qui justifiaient la création d'un tel recours :

 

« Aux père et mère, il restait la possibilité de s'adresser au tuteur en restitution de l'enfant et, en cas de refus dudit tuteur, de saisir le tribunal de grande instance, juge de l'état des personnes. Toutefois, cette procédure, incertaine par l'absence de délais fixés, ne pouvait plus être engagée dès lors que l'enfant était placé en vue de l'adoption (…). Il est à noter que cette procédure est maintenue par le projet de loi, dès lors qu'elle répond à une exigence de droit commun.

 

« Quant aux autres membres de la famille naturelle ou aux personnes qui avaient ou avaient eu la garde, de droit ou de fait, de l'enfant, aucun recours ne leur était permis, sauf à saisir le juge contre le consentement du conseil de famille.

 

« Cette absence de voie de recours conduisait à priver les intéressés de la faculté de faire valoir sur le fond leur droit à la garde de l'enfant ou, du moins, ne leur permettait d'agir que tardivement, au mépris de leurs liens effectifs avec le mineur et de la stabilité du statut juridique de ce dernier »4.

 

La disposition introduite par la loi du 6 juin 1984, par la suite codifiée à l'article L. 224-8 du CASF, s'attache à préciser les personnes habilitées à exercer un recours devant le juge judiciaire, seul compétent pour se prononcer sur l'arrêté d'admission.

 

S'agissant des personnes ayant qualité pour agir, le rapporteur au Sénat, auteur de l'amendement à l'origine de la rédaction adoptée, a expliqué : « il paraît excessif de vouloir fixer dans la loi le degré de la parenté, compte tenu de la diversité des situations de fait, une telle limitation pourrait porter atteinte à des droits légitimes »5. Il a donc retenu une solution large en admettant l'action :

 

– des parents (sauf déclaration judiciaire d'abandon ou retrait total de l'autorité parentale) ;

 

– des alliés de l'enfant ;

 

– et, plus largement, de « toute personne justifiant d'un lien avec lui, notamment pour avoir assuré sa garde, de droit ou de fait, et qui demandent à en assumer la charge », parmi lesquelles, outre la famille dans laquelle l'enfant est placé, on évoque souvent le cas de l'assistante sociale.

 

S'agissant des délais dans lesquels est enserrée cette action en justice, le législateur a instauré un délai de trente jours. Le projet de loi initial prévoyait un délai de quinze jours. La rédaction finalement retenue, sur proposition du rapporteur au Sénat, a porté ce délai à un mois. Le rapporteur au Sénat a précisé lors des travaux préparatoires que « le recours doit être exercé, selon votre commission, dans le délai de un mois, et non de quinze jours, suivant la date de l'arrêté. En effet, ce dernier ne peut être ni notifié, d'une manière sûre en tout cas, à toutes les personnes intéressées, ni publié en raison de la discrétion qui doit entourer ce genre d'affaires. Il convient donc qu'un délai suffisant à garantir l'information des requérants soit retenu. Le délai d'un mois a paru sage à votre commission »6.

 

Le législateur a souhaité conforter rapidement la situation de l'enfant telle qu'elle résulte de son admission en qualité de pupille de l'État et, ainsi, permettre son adoption dans les meilleures conditions. C'est donc la sécurité de la situation de l'enfant qui a guidé le législateur dans la détermination d'un « délai de trente jours suivant la date de l'arrêté du président du conseil général » (article L. 224-8 du CASF).

 

Le point de départ et la durée de ce délai sont ainsi fixés de manière impérative, sans que le législateur n'ait prévu de causes d'interruption ou de suspension.

 

Afin d'apprécier la situation engendrée par l'admission en qualité de pupille de l'État, le délai ouvert par l'article L. 224-8 du CASF doit cependant être combiné avec celui qu'offre l'article L. 224-6 du CASF aux parents qui, dans les conditions qu'il fixe, peuvent demander la « restitution » de leur enfant. Si ce dernier texte prévoit des délais plus longs (2 ou 6 mois), ils ne sont ouverts qu'aux seuls père et mère. Ce qui illustre l'autre objectif poursuivi par le législateur : permettre aux parents, pendant une durée raisonnable, de reprendre leur enfant afin que celui-ci puisse retrouver sa famille d'origine.

 

Enfin, les deux derniers alinéas de l'article L. 224-8 du CASF prévoient que le tribunal de grande instance saisi d'un recours contre l'arrêté d'admission peut confier la garde de l'enfant au demandeur ou lui déléguer les droits de l'autorité parentale, mais qu'il peut également, tout en rejetant le recours, autoriser le demandeur, dans l'intérêt de l'enfant, à exercer un droit de visite.

 

C. – Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme

 

Si la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) ne s'est pas prononcée sur le délai ouvert par l'article L. 224-8 du CASF, ni a fortiori sur le point de départ de ce délai, on peut toutefois utilement relever que dans l'arrêt Kearns c. France rendu le 10 janvier 20087, elle a jugé que l'instauration d'un délai de rétractation de deux mois ouvert par l'article L. 224-4 du CASF au parent ayant abandonné l'enfant afin d'en obtenir la « restitution » n'était, en dépit de sa brève durée, nullement contraire tant à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CESDH) qu'à l'article 6 § 1 de cette même Convention. Elle a notamment estimé « pertinents à cet égard les arguments avancés par le Gouvernement, résultant des travaux menés par les professionnels de l'enfance, qui ont souligné que l'intérêt de l'enfant était de bénéficier le plus rapidement possible de relations affectives stables dans sa nouvelle famille »8 et considéré que « si le délai de deux mois peut sembler bref, il paraît néanmoins suffisant pour que la mère biologique ait le temps de réfléchir et de remettre en cause le choix d'abandonner l'enfant »9.

 

Elle a par conséquent conclu que : « Eu égard à la marge d'appréciation dont doivent jouir les États face à la diversité des systèmes et traditions juridiques et des pratiques, (Odièvre précité, § 49, et Evans précité, § 77), la Cour estime que le délai prévu par la législation française vise à atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisants entre les intérêts en cause (ibidem ; voir a contrario et mutatis mutandis Mizzi c. Malte, no 26111/02, CEDH 2006–...). »10

 

 

II. – Examen de constitutionnalité des dispositions contestées

 

A. – Grief des requérants et particularités de l'espèce

 

La requérante soutenait qu'en tant qu'elles font courir le délai de recours à compter de la date de l'arrêté sans prévoir sa publicité ou sa notification, les dispositions contestées porteraient atteinte au droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction tel qu'il est garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Plus précisément, elle considérait qu'il ne peut « y avoir de recours effectif pour un individu qui est maintenu dans l'ignorance d'une décision qui pourrait faire l'objet d'un recours », invoquant à cet égard, tant la jurisprudence du Conseil d'État, que celle de la Cour européenne des droits de l'homme.

 

Plus précisément, la Cour de cassation a estimé que la question était sérieuse « en ce qu'elle fait valoir qu'en fixant le point de départ du délai de recours contre l'arrêté d'admission d'un enfant en qualité de pupille de l'État à la date d'adoption de cet arrêté, cette disposition a pour effet, en l'absence de notification ou de publication de celui-ci, de priver les personnes ayant qualité à agir de la possibilité de former leur recours en temps utile ».

 

La question posée ne portait donc pas sur la durée du délai choisi par le législateur mais sur la détermination de son point de départ. L'inconstitutionnalité résiderait dans le fait de faire courir un délai pour exercer un recours contre une décision sans s'assurer que celle-ci a été portée à la connaissance des personnes susceptibles d'exercer le recours envisagé.

 

 

B. – Le droit à un recours juridictionnel effectif

 

Le droit à un recours juridictionnel effectif a été consacré dans plusieurs décisions du Conseil, en particulier depuis la décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999 aux termes de laquelle il a jugé que ce droit découlait de l'article 16 de la Déclaration de 1789 et qu'il ne devait pas « être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction ». Ce principe a été régulièrement rappelé depuis11.

 

Le Conseil a déjà examiné des règles de prescription au regard de l'atteinte qui pourrait en résulter au droit à un recours juridictionnel effectif. Ainsi, dans sa décision n° 2012-256 QPC du 18 juin 201212, sur des dispositions relatives à la prescription des créances contre les personnes publiques qui ne prévoient pas de suspension de la prescription contre les mineurs non émancipés, le Conseil constitutionnel a jugé « qu'il résulte des dispositions contestées qu'il appartient au représentant légal du mineur d'agir pour préserver les droits de ce dernier ; que ces dispositions réservent le cas où le représentant légal est lui-même dans l'impossibilité d'agir ainsi que les hypothèses dans lesquelles il ignore légitimement l'existence de la créance ; que, par suite, les dispositions contestées n'ont pas méconnu le droit à un recours juridictionnel effectif qui résulte de l'article 16 de la Déclaration de 1789 »13.

 

Le Conseil a, en outre, jugé, dans une décision du 10 juin 201014, que la disposition relative à la déclaration d'affectation du patrimoine de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée, qui a pour effet de soustraire le patrimoine affecté du gage des créanciers personnels de l'entrepreneur, ne peut être rendue opposable aux créanciers dont les droits sont nés antérieurement au dépôt de la déclaration d'affectation que si ces créanciers ont été personnellement informés de cette déclaration et de leur droit de former opposition. Si cette décision est rendue au nom du respect du droit de propriété, elle est liée à la question du droit à un recours puisqu'il s'agissait en réalité de la possibilité, pour les créanciers, d'agir en justice pour s'opposer à la déclaration d'affectation du patrimoine.

 

La publicité ou la notification qui ouvre le délai pour agir constitue en effet une garantie de l'exercice du droit au recours.

 

C. – Mise en œuvre du principe

 

Afin d'apprécier la constitutionnalité des dispositions contestées, le Conseil constitutionnel a rappelé le dispositif organisant les conditions d'admission en qualité de pupille de l'État et, en particulier, les différents régimes institués par l'article L. 224-4 du CASF.

 

La question de la combinaison de ces différents délais prévus par les articles L. 224-6 (deux mois ou six mois avant l'admission en qualité de pupille de l'État) et L. 224-8 du CASF (trente jours pour contester l'arrêté) était toutefois discutée. Le cas d'espèce illustrait la tendance à une lecture des dispositions contestées consistant (notamment lorsque les parents sont décédés) à faire partir le délai de recours à compter de l'arrêté d'admission provisoire de l'enfant en qualité de pupille de l'État et non de l'arrêté définitif. Une autre interprétation de ces dispositions consiste à dresser, lors de l'admission de l'enfant, deux arrêtés, l'un provisoire et l'autre définitif, ce dernier ne prenant effet qu'à l'expiration du délai d'admission provisoire mais faisant courir le délai de recours dès son adoption. La difficulté est connue et décrite en doctrine : « certains services départementaux rédigent l'arrêté dès l'admission provisoire », hypothèse dans laquelle une « incertitude demeure cependant sur le point de départ exact du délai »15 : date de la déclaration prononçant l'admission provisoire ou date de l'arrêté l'admission définitive ? Ainsi, dans l'affaire en cause, selon la cour d'appel, c'est à la date de l'arrêté emportant déclaration à titre provisoire que le délai de trente jours a commencé à courir… Or, « cette question sur le point de départ du délai de recours n'a pas été tranchée en jurisprudence »16, au point qu'il y règne « la plus extrême confusion », « tant sur l'acte qui ouvre le délai que sur la nature de ce délai »17.

 

Ce point de droit ainsi jugé par la cour d'appel fait l'objet d'un des moyens du pourvoi devant la Cour de cassation à l'occasion duquel la QPC a été posée.

 

Dans la description des dispositions législatives applicables qui constitue la première partie de sa motivation, le Conseil constitutionnel a rappelé que « l'article L. 224-6 du code de l'action sociale et des familles prévoit que l'enfant est déclaré pupille de l'État à titre provisoire à la date à laquelle est établi le procès-verbal qui constate son recueil par le service de l'aide sociale à l'enfance ; que l'article L. 224-4 prévoit que l'admission de l'enfant en qualité de pupille de l'État à titre définitif n'intervient par arrêté du président du Conseil général qu'à l'issue des délais précités ; qu'en adoptant les dispositions contestées par la loi du 6 juin 1984 susvisée, le législateur a institué une voie de recours devant le tribunal de grande instance contre cet arrêté d'admission en qualité de pupille de l'État à titre définitif ; qu'à cette fin, il a conféré la qualité pour agir aux parents, en l'absence d'une déclaration judiciaire d'abandon ou d'un retrait total de l'autorité parentale, ainsi qu'aux alliés de l'enfant et, plus largement, à toute personne justifiant d'un lien avec lui, notamment pour avoir assuré sa garde, de droit ou de fait, et qui demandent à en assumer la charge ». Il a ainsi retenu que « le point de départ du délai de trente jours pour saisir le tribunal d'une contestation court à compter de l'admission de l'enfant en qualité de pupille de l'État à titre définitif » (cons. 7).

 

Même ainsi précisé, ce dispositif ne permettait toutefois nullement d'assurer la constitutionnalité du premier alinéa de l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles. Pour contrôler les dispositions contestées, le Conseil constitutionnel a ainsi apprécié si les circonstances pouvaient justifier que l'arrêté portant admission définitive de l'enfant en qualité de pupille de l'État ne soit ni publié, ni notifié.

 

Dans un premier temps, le Conseil a rappelé le caractère restreint de son contrôle sur le choix politique que constitue la définition des conditions dans lesquelles un enfant en situation d'abandon et remis à l'aide sociale à l'enfance acquiert le statut de pupille de l'État. Il s'agit en effet d'opérer une conciliation « entre les droits des personnes qui entendent se prévaloir d'une relation antérieure avec lui et l'objectif de favoriser son adoption » (cons. 8). Le Conseil constitutionnel rappelle ainsi qu'il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur la façon dont cette conciliation doit s'opérer dans l'intérêt de l'enfant.

 

Le caractère restreint de ce contrôle conduit le Conseil constitutionnel à s'interdire de remettre en cause les choix par lesquels « le législateur a, d'une part, estimé qu'il serait contraire à l'intérêt de l'enfant de publier l'arrêté de son admission en qualité de pupille de l'État et, d'autre part, prévu que toute personne justifiant d'un lien avec l'enfant peut former une contestation pendant un délai de trente jours à compter de cet arrêté » (cons. 8).

 

Dans un second temps, il a jugé « toutefois, que, si le législateur a pu choisir de donner qualité pour agir à des personnes dont la liste n'est pas limitativement établie et qui ne sauraient, par conséquent, recevoir toutes individuellement la notification de l'arrêté en cause, il ne pouvait, sans priver de garanties légales le droit d'exercer un recours juridictionnel effectif, s'abstenir de définir les cas et conditions dans lesquels celles des personnes qui présentent un lien plus étroit avec l'enfant sont effectivement mises à même d'exercer ce recours ; que, par suite, les dispositions du premier alinéa de l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles méconnaissent les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 et doivent être déclarées contraires à la Constitution » (cons. 9).

 

Ainsi, le législateur ayant fait le choix de donner qualité à agir à des personnes dont la liste n'est pas limitativement définie, le conseil général peut légitimement ignorer l'existence de certaines d'entre elles. Par suite, le choix du législateur de ne pas imposer que l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'État soit notifié à toutes les personnes qui ont qualité à agir est cohérent.

 

Toutefois, le Conseil a jugé que ce choix ne pouvait justifier que « celles des personnes qui présentent un lien plus étroit avec l'enfant » ne soient pas effectivement mises à même d'exercer le droit de recours qui leur est ouvert. En s'abstenant de le faire, le législateur a privé de garanties légales le droit à un recours juridictionnel effectif.

 

C'est au législateur qu'il appartient, sous le contrôle du juge constitutionnel, de définir tant la nature de ce lien « plus étroit » (degré de parenté, intérêt manifesté pour l'enfant auprès des services de l'aide sociale à l'enfance…) que les modalités selon lesquelles ces personnes sont mises à même d'exercer leur recours (notification, report du point de départ du délai de recours…). Il paraît qu'à tout le moins, lorsque le lien de filiation est établi et connu, et que le père ou la mère est vivant, il ou elle doit être personnellement informé d'une décision dont la conséquence est de préparer la rupture définitive de l'enfant avec sa famille d'origine (laquelle rupture intervient dès le placement en vue de l'adoption). Toutefois, la décision du Conseil constitutionnel manifeste, par sa rédaction, le soin de respecter la compétence du législateur pour arbitrer entre les différentes solutions possibles afin de remédier à l'inconstitutionnalité constatée.

 

Enfin, le Conseil constitutionnel, en application de l'article 62 de la Constitution, a estimé « que l'abrogation immédiate des dispositions critiquées aurait pour effet de supprimer le droit de contester l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'État et aurait des conséquences manifestement excessives ; qu'afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2014 la date de cette abrogation ; qu'elle n'est applicable qu'à la contestation des arrêtés d'admission en qualité de pupille de l'État pris après cette date » (cons. 11).

_______________________________________

1  La qualité de pupille de la Nation, par laquelle « la France adopte » un orphelin, est reconnue aux enfants dont le père, la mère ou le soutien de famille est décédé du fait de la guerre (cf. art. L. 461 et suivants du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre).

2  Lequel constitue un « obstacle définitif à toute demande de restitution (art. 352, al. 1er C. civ.) » (V. Larribau-Terneyre, M. Azavant, v° Adoption, Rép. pr. civ., Dalloz, 2010, n° 76).

3  Exposé des motifs, Projet de loi n° 194 déposé au Sénat le 26 janvier 2984.

4  Séance du 11 avril 1984, Journal officiel des débats Sénat, 12 avril 1984, p. 272.

5  Ibid. p. 273.

6  Ibid.  p. 272.

7  CEDH, 3ème section, 10 janvier 2008, Kearns c. France, n° 35991/04.

8  Ibid. § 80.

9  Ibid. § 81.

10 Ibid. § 83.

11 Décision n° 2011-198 QPC du 25 novembre 2011, M. Albin R. (Droits de plaidoirie), cons. 3. V. encore : Décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, cons. 11 ; n° 2010-38 QPC du 29 septembre 2010, M. Jean-Yves G. (Amende forfaitaire et droit au recours), cons. 3 ; n° 2010-19/27 QPC du 30 juillet 2010, Époux P. et autres (Perquisitions fiscales), cons. 9 ; n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Mlle Danielle S. (Hospitalisation sans consentement), cons. 33.

12 Décision n° 2012-256 QPC du 18 juin 2012, M. Boualem M. (Suspension de la prescription des créances contre les personnes publiques).

13 Ibid. cons. 6.

14 Décision n° 2010-607 DC du 10 juin 2012, Loi relative à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée, cons. 7 à 9.

15 V. Larribau-Terneyre, M. Azavant, v° « Adoption », Rép. pr civ., Dalloz, 2010, n° 65 et 66.

16 Ibid.

17 P. Salvage-Gerest, « Contestation de l'admission d'un enfant en qualité de pupille de l'État », Dr. Famille, juillet 2010, comm. 114.