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Commentaire de la décision 2012-262 QPC

09/12/2022

Non conformité totale - effet différé

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 17 avril 2012 par le Conseil d'État (décision n° 356349 du 17 avril 2012) sur le fondement des dispositions de l'article 61-1 de la Constitution d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par l'association France Nature Environnement (FNE) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de la dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 512-5 du code de l'environnement (C. envir.).

 

Dans sa décision n° 2012-262 QPC du 13 juillet 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré la dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 512-5 du code de l'environnement contraire à la Constitution.

 

I. – Dispositions en cause

 

Aux termes du premier alinéa de l'article L. 512-5 du C. envir. : « Pour la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, le ministre chargé des installations classées peut fixer par arrêté, après consultation des ministres intéressés et du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, les règles générales et prescriptions techniques applicables aux installations soumises aux dispositions de la présente section. Ces règles et prescriptions déterminent les mesures propres à prévenir et à réduire les risques d'accident ou de pollution de toute nature susceptibles d'intervenir ainsi que les conditions d'insertion dans l'environnement de l'installation et de remise en état du site après arrêt de l'exploitation. Les projets de règles et prescriptions techniques font l'objet d'une publication, éventuellement par voie électronique, avant leur transmission au Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques. »

 

A. – Origine des dispositions contestées

 

L'article L. 512-5 du code de l'environnement trouve son origine dans l'article 7 de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, modifié par l'article 4 de la loi n° 93-3 du 4 janvier 1993 relative aux carrières.

 

La dernière phrase du premier alinéa de cet article L. 512-5, sur laquelle portait la QPC, est issue du 2° du I de l'article 97 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit. Cet article 97 a modifié plusieurs dispositions du code de l'environnement, pour tirer les conséquences de l'article 7 de la Charte de l'environnement tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel1 et élever au niveau législatif certaines dispositions réglementaires relatives au droit à l'information en matière d'environnement2.

 

Aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ».

 

Dans sa décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés (OGM), le Conseil constitutionnel a jugé que « ces dispositions, comme l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement, ont valeur constitutionnelle ; qu'il ressort de leurs termes mêmes qu'il n'appartient qu'au législateur de préciser "les conditions et les limites" dans lesquelles doit s'exercer le droit de toute personne à accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques ; que ne relèvent du pouvoir réglementaire que les mesures d'application des conditions et limites fixées par le législateur ».

 

À la suite de cette décision, le législateur a ajouté cette phrase à la fin du premier alinéa de l'article L. 512-5 du C. envir. : « Les projets de règles et prescriptions techniques font l'objet d'une publication, éventuellement par voie électronique, avant leur transmission au Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques »3.

 

Saisi de la loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2011-629 DC du 12 mai 2011, ne s'est pas prononcé sur l'article 97 de cette loi, et donc sur les dispositions contestées.

 

B. – Contexte de la QPC

 

L'association FNE, qui avait saisi le Conseil d'État d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'arrêté du 18 novembre 2011 relatif au recyclage en technique routière des mâchefers d'incinération de déchets non dangereux, soutenait que cet arrêté manquait de base légale pour avoir été pris sur le fondement de l'article L. 512-5 du code de l'environnement qui « élude toute participation du public à l'élaboration de cette décision réglementaire ayant une incidence sur l'environnement en violation de l'article 7 de la Charte de l'environnement ».

 

L'association requérante faisait référence, dans son mémoire, à la décision n° 2011-183/184 QPC rendue par le Conseil constitutionnel le 14 octobre 20114 dans laquelle celui-ci a déclaré contraires à la Constitution le second alinéa de l'article L. 511-2 du C. envir. et le paragraphe III de son article L. 512-7.

 

Les dispositions censurées dans la décision n° 2011-183/184 QPC étaient issues de l'ordonnance n° 2009-663 du 11 juin 20095, ratifiée par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement. Cette ordonnance a créé, pour certaines installations classées, à côté des régimes de l'autorisation et de la déclaration, un régime d'autorisation simplifiée, l'enregistrement.

 

Alors que le premier alinéa de l'article L. 511-2 du code de l'environnement est applicable à l'ensemble des installations classées pour la protection de l'environnement, qu'elles soient soumises au régime de l'autorisation, de l'enregistrement ou de la déclaration, le second alinéa de cet article ne s'appliquait qu'aux installations enregistrées en disposant : « Les projets de décrets de nomenclature concernant les installations enregistrées font l'objet d'une publication, éventuellement par voie électronique, avant transmission pour avis au Conseil supérieur des installations classées ».

 

Quant au III de l'article L 512-7 qui ne s'appliquait qu'aux installations soumises à enregistrement, il précisait : « Les projets de prescriptions générales font l'objet d'une publication, éventuellement par voie électronique, avant transmission pour avis au Conseil supérieur des installations classées. Après avis du Conseil supérieur des installations classées et consultation des ministres intéressés, ces prescriptions générales sont fixées par arrêté du ministre chargé des installations classées ».

 

Dans sa décision n° 2011-183/184 QPC, le Conseil constitutionnel, après avoir cité l'article 7 de la Charte de l'environnement, a jugé que « ces dispositions figurent au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit », avant d'ajouter « qu'il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la mise en œuvre de ces dispositions »6.

 

Retenant que le législateur avait méconnu l'étendue de sa compétence, le Conseil a déclaré les dispositions contestées contraires à la Constitution. Il a tout d'abord constaté que celles-ci « prévoient que les projets de décrets de nomenclature ainsi que les projets de prescriptions générales applicables aux installations enregistrées font l'objet d'une publication, éventuellement par voie électronique ». Puis il a relevé « que, toutefois, dans sa rédaction soumise au Conseil constitutionnel, le second alinéa de l'article L. 511-2 ne prévoit pas la publication du projet de décret de nomenclature pour les installations autorisées ou déclarées ; qu'en outre, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n'assurent la mise en œuvre du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques en cause ; que, par suite, en adoptant les dispositions contestées sans prévoir la participation du public, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence »7.

 

II. – Examen de constitutionnalité des dispositions contestées

 

A. – Griefs

 

1. – Dans son mémoire déposé devant le Conseil d'État, l'association FNE soutenait que les dispositions du 2° du I de l'article 97 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 complétant le premier alinéa de l'article L. 512-5 du code de l'environnement « ne comportent aucune procédure précisant les conditions dans lesquelles les observations du public sont recueillies, ni davantage comment elles font l'objet d'une restitution auprès du public. La consultation du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques du 18 octobre 2011 ne constitue pas une participation directe du public à l'élaboration de ces prescriptions générales. Si le premier pilier de la participation que constitue l'information du public est satisfait, les deux autres piliers, le processus de recueil des observations du public et leur restitution par les pouvoirs publics ne sont pas précisés ».

 

Ainsi, en éludant la participation du public au processus d'élaboration des prescriptions techniques relatives aux installations classées soumises à autorisation, les dispositions contestées seraient « entachées d'inconstitutionnalité du fait de la violation de l'article 7 de la Charte de l'environnement et ensemble l'article 1er de la même Charte ».

 

2. – Dans ses premières observations devant le Conseil constitutionnel, le secrétariat général du Gouvernement (SGG) faisait valoir que les dispositions de l'article L. 512-5 du code de l'environnement devaient être lues en combinaison avec celles de l'article L. 120-1 du même code issu de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement. Selon le SGG, le Conseil constitutionnel n'aurait pas tenu compte de cet article lorsqu'il a rendu sa décision n° 2011-183/184 QPC, car il se serait placé à la date (13 avril 2010) du décret faisant l'objet du recours pour excès de pouvoir ayant donné lieu à la QPC, pour apprécier les dispositions faisant l'objet de la QPC.

 

L'article L. 120-1 du C. envir. « définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions réglementaires de l'État et de ses établissements publics ».

 

Il prévoit notamment : « I. ― Sauf disposition particulière relative à la participation du public prévue par le présent code ou par la législation qui leur est applicable, les décisions réglementaires de l'État et de ses établissements publics sont soumises à participation du public lorsqu'elles ont une incidence directe et significative sur l'environnement. Elles font l'objet soit d'une publication préalable du projet de décision par la voie électronique dans des conditions permettant au public de formuler des observations, selon les modalités fixées par le II, soit d'une publication du projet de décision avant la saisine d'un organisme consultatif comportant des représentants des catégories de personnes concernées par la décision en cause, selon les modalités fixées par le III. »

 

Aux termes du III du même article : « Le projet de décision fait l'objet d'une publication, éventuellement par voie électronique, avant transmission à un organisme consultatif comportant des représentants des catégories de personnes concernées par la décision en cause, dont la consultation est obligatoire en vertu d'une loi ou d'un règlement.

 

« La publication du projet est accompagnée d'une note de présentation. Le projet ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai de quinze jours francs à compter de la date de publication du projet ».

 

3. – En réponse à ces observations du SGG, l'association requérante soutenait qu'aux termes du I de l'article L. 120-1 du code de l'environnement, ce texte s'applique « sauf disposition particulière relative à la participation du public prévue par le présent code ou par la législation qui leur est applicable ». Or, cette disposition particulière au sens de ce I est « justement constituée par le 2° du I de l'article 97 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de sorte qu'en promulguant ce dernier texte, le législateur (…) a entendu évincer l'application de l'article L. 120-1 du code de l'environnement ».

 

En adoptant le 2° du I de l'article 97 de la loi du 17 mai 2011, ajoutait-elle, le législateur a entendu reprendre spécialement les dispositions du III de l'article L. 120-1 du code de l'environnement. Pour autant, la consultation du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques ne peut satisfaire au principe de participation du public énoncé à la Charte de l'environnement.

 

B. – Non-conformité des dispositions contestées à l'article 7 de la Charte de l'environnement

 

– Prises isolément, les dispositions de la dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 512-5 du code de l'environnement : « Les projets de règles et prescriptions techniques font l'objet d'une publication, éventuellement par voie électronique, avant leur transmission au Conseil supérieur de la prévention des risques technologique » ne pouvaient qu'être déclarées contraires à la Constitution. Elles étaient en effet la réplique de celles figurant au III de l'article L. 512-7 du même code que le Conseil constitutionnel a censurées dans sa décision n° 2011-183/184 QPC.

 

– Mais le Conseil constitutionnel fait une lecture globale des dispositions applicables à un domaine avant de déclarer une disposition législative contraire à la Constitution. C'est d'ailleurs bien ce qui ressort notamment de la décision n° 2011-183/184 QPC dans laquelle il a jugé que l'article contesté était contraire à la Constitution car « ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n'assurent la mise en œuvre du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques en cause ». Si une autre disposition législative avait permis la mise en œuvre du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques en cause, le Conseil aurait pu rappeler que celles qui étaient contestées devaient être appliquées compte tenu de celle-ci.

 

– Toutefois, pour qu'une « autre disposition législative » assure le respect d'une exigence constitutionnelle pour l'application de la disposition contestée, encore faut-il que cette autre disposition, d'une part, intervienne dans le champ d'application de la disposition contestée et, d'autre part, assure effectivement le respect de l'exigence constitutionnelle en cause.

 

Dans sa décision n° 2012-262 QPC, le Conseil, après avoir rappelé la teneur de l'article L. 120-1 du C. envir., a relevé que les dispositions de cet article s'appliquent « sauf disposition particulière relative à la participation du public ». Or, en adoptant la dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 512-5 du C. envir. contestée, le législateur a entendu introduire, par le 2° du I de l'article 97 de la loi du 17 mai 2011, une telle « disposition particulière applicable aux installations classées soumises à autorisation » (cons. 7). Le Conseil a tenu compte de la circonstance que le législateur a inséré les dispositions contestées par une loi du 17 mai 2011, alors que les dispositions de l'article L. 120-1 étaient déjà en vigueur depuis le 14 juillet 2010.

 

– L'application de l'article L. 120-1 étant ainsi écartée, le Conseil a jugé, comme il l'avait fait dans sa décision n° 2011-183/184 QPC, que ni les dispositions de la dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 512-5 du C. envir. « ni aucune autre disposition législative n'assurent la mise en œuvre du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques en cause ; que, par suite, en adoptant les dispositions contestées sans prévoir la participation du public, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence » (cons. 8). Le Conseil a statué sur ce point « en tout état de cause », c'est-à-dire sans se prononcer expressément sur la question de savoir si l'article L. 120-1 assure effectivement la mise en œuvre du principe de participation. On ne peut toutefois s'empêcher de relever que la disposition déclarée contraire à la Constitution comporte des dispositions à certains égards analogues à certaines modalités de participation du public prévues par l'article L. 120-1.

 

Les dispositions de la dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 512-5 du C. envir. ont, par suite, été déclarées contraires à la Constitution.

 

Le Conseil constitutionnel a souligné que « l'abrogation immédiate des dispositions déclarées contraires à la Constitution aurait pour seul effet de faire disparaître les dispositions permettant l'information du public sans satisfaire aux exigences du principe de participation de ce dernier » (cons. 9). Par souci de cohérence avec la décision n° 2011-183/184 QPC, le Conseil a retenu la même date de report de l'abrogation (1er janvier 2013), ce qui devrait amener le législateur à modifier, dans un seul texte, l'ensemble des dispositions relatives à la participation du public dans le domaine des installations classées.

 

_______________________________________

1  Décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés (OGM), cons. 48 à 50.

2  Ainsi qu'il résulte des travaux parlementaires : M. Étienne Blanc, Rapport sur la proposition de loi, modifiée par le Sénat, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, Assemblée nationale, XIIIe législature, n° 3112, 26 janvier 2011, article 54 octies ; M. Hervé Maurey, Avis sur la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, Sénat, session 2010-2011, n° 334, 8 mars 2011.

3  Ce principe de la publication de projets avait déjà été inséré par l'ordonnance n° 2009-663 du 11 juin 2009 relative à l'enregistrement de certaines installations classées pour la protection de l'environnement, dans les articles L. 511-2 du code de l'environnement pour les décrets de nomenclature des installations enregistrées (article 2) et L. 512-7 du même code pour les projets de prescriptions générales relatives à ces mêmes installations (article 5).

4  Décision n° 2011-183/184 QPC du 14 octobre 2011, Association France Nature Environnement (Projets de nomenclature et de prescriptions générales relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement).

5  Ordonnance n° 2009-663 du 11 juin 2009 relative à l'enregistrement de certaines installations classées pour la protection de l'environnement, voir note n° 3.

6  Cons. n° 6. Voir aussi la décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, précitée.

7  Cons. n° 8.