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Commentaire de la décision 2012-251 QPC

09/12/2022

Conformité - réserve

 Le Conseil d'État a renvoyé au Conseil constitutionnel, le 26 mars 2012, par une décision n° 351252 du même jour, une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L. 425-1 du code des assurances (issu de l'article 45 de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques).

 

Les requérants sont la Confédération des producteurs de papiers, cartons et celluloses (COPACEL) ainsi que cinq sociétés papetières : la Société ARJOWIGGINS, la Société EMIN LEYDIER, la Société GREENFIELD, la Société INTERNATIONAL PAPER France et la Société NORSKE SKOG GOLBEY.

 

Les dispositions contestées sont relatives au fonds national de garantie des risques liés à l'épandage agricole des boues urbaines et industrielles et, en particulier, à la taxe sur la production de boues destinée à alimenter ce fonds.

 

Dans sa décision n° 2012-251 QPC du 8 juin 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré cet article conforme à la Constitution sous une réserve d'interprétation.

 

 

I. – Les dispositions contestées

 

A. – L'épandage des boues issues du traitement des eaux usées

 

L'épandage des boues fait l'objet d'une réglementation qui relève à la fois de la police des déchets et de la police de l'eau et des milieux aquatiques. Il est réglementé par les articles R. 211-25 et suivants du code de l'environnement. Cette réglementation a été rénovée par le décret no 97-1133 du 8 décembre 1997 relatif à l'épandage des boues issues du traitement des eaux usées. Elle assure notamment la transposition de la directive 86/278/CEE du Conseil des Communautés européennes du 12 juin 1986 modifiée relative à la protection de l'environnement lors de l'utilisation des boues d'épuration en agriculture.

 

L'article 1er du décret du 8 décembre 1997 a donné une nouvelle définition des boues qui figure désormais à l'article R. 211-26 du code de l'environnement : « les sédiments résiduaires des installations de traitement ou de prétraitement biologique, physique ou physicochimique des eaux usées ».

 

Ce même décret a précisé que ces boues ont le caractère de déchets au sens de la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975 modifiée relative aux déchets et à la récupération des matériaux. Cette règle, qui figure désormais à l'article R. 211-27 du code de l'environnement, a mis fin à une réglementation antérieure qui traitait les boues principalement comme une matière fertilisante, soumise à une règlementation sanitaire et à la police de l'eau. Le classement des boues dans la catégorie des déchets a pour effet de rendre leur producteur responsable de leur élimination ou de leur valorisation.

 

Ce classement a été contesté, mais le Conseil d'État a jugé le 3 mars 2000 : « que si les boues d'épuration utilisées en agriculture ne sont pas normalement soumises aux dispositions de la directive du 15 juillet 1975, en tant qu'elles sont utilisées comme matières fertilisantes par épandages sur les sols agricoles, elles n'en répondent pas moins à la définition de la notion de déchets donnée par cette directive ; ce qui entraîne par là même leur soumission, en cas notamment de transfert d'un État membre de la Communauté européenne à un autre, aux dispositions du règlement du 1er février 1993 »1.

 

Il existe techniquement trois filières d'élimination des boues, l'épandage agricole ou forestier pour la fertilisation ou l'amendement des terres, la mise en décharge et, enfin, l'incinération. L'article R. 2224-16 du code général des collectivités territoriales interdit le rejet des boues d'épuration dans le milieu aquatique, par quelque moyen que ce soit.

 

L'épandage permet d'éliminer plus de la moitié des boues produites en France. Il constitue en effet le mode d'élimination le moins onéreux pour les collectivités (à la fin des années 1990, on évaluait à 120 F par tonne de matière sèche le coût de l'épandage, à 250 F par tonne le coût de la mise en décharge et à 700 F par tonne le coût de l'incinération)2.

 

Enfin, il résulte du 1 du I de l'article 266 sexies du code des douanes que sont soumises à la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) les exploitants des installations d'élimination par stockage ou par incinération de déchets ménagers et les exploitants d'installations d'élimination des déchets industriels spéciaux par incinération, coincinération, stockage et traitement physico-chimique ou biologique. A contrario, l'épandage constitue un processus d'élimination des déchets non soumis à la TGAP.

 

On distingue habituellement les boues « urbaines » issues des stations d'épuration des eaux usées et les boues « industrielles » directement produites par les installations d'assainissement des eaux usées de certaines installations industrielles. La distinction n'est toutefois pas toujours nette dans la mesure où certaines industries déversent leurs eaux usées dans le réseau urbain. Un peu plus d'un million de tonnes de boues aurait été produit en 2006.

 

Les boues urbaines et les boues industrielles produites par l'industrie agro-alimentaire paraissent relativement propices à l'épandage compte tenu de leur teneur en matière organique. Il n'en va pas de même de certaines boues industrielles moins aptes à la fertilisation des terres.

 

L'épandage des boues présente toutefois un risque environnemental, compte tenu notamment de la présence de certaines substances chimiques et de métaux lourds.

 

Le décret précité de 1997 précise dans son article 6 (devenu l'article R. 211-31 du code de l'environnement), que « La nature, les caractéristiques et les quantités de boues épandues ainsi que leur utilisation doivent être telles que leur usage et leur manipulation ne portent pas atteinte, directe ou indirecte, à la santé de l'homme et des animaux, à l'état phytosanitaire des cultures, à la qualité des sols et des milieux aquatiques.

 

« L'épandage des boues ne peut être pratiqué que si celles-ci présentent un intérêt pour les sols ou pour la nutrition des cultures et des plantations. Il est interdit de pratiquer des épandages à titre de simple décharge ».

 

Ce même décret a encore précisé que l'épandage agricole est soumis à autorisation ou à déclaration, selon une nomenclature établie en application de l'article 10 de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau, désormais codifié aux articles L. 214-1 à L. 214-6 du code de l'environnement.

 

Le tableau annexé à l'article R. 214-1 du même code soumet l'épandage à autorisation lorsque la quantité de boue épandue dans l'année, produites dans l'unité de traitement considérée, excède 800 tonnes par an (ou 40 tonnes d'azote) et à déclaration lorsque cette quantité est comprise entre 3 et 800 tonnes par an (ou comprise entre 0,15 et 40 tonnes d'azote).

 

Le producteur de boues est soumis à l'obligation de réaliser à ses frais une étude systématique préalable et de tenir à jour un registre de surveillance.

 

Le contrôle, la surveillance et l'autorisation de l'épandage relèvent de la compétence du préfet qui peut notamment fixer dans le département des conditions spécifiques d'emploi.

 

Enfin, l'épandage est soumis à des conditions techniques qui le limitent en fonction de la capacité d'absorption des sols et d'autres paramètres (interdiction pendant les périodes de gel, de forte pluviosité, sur des terrains en forte pente…)

 

B. – La création d'un fonds national de garantie

 

Le développement de l'épandage des boues se heurte à la réticence du monde agricole en raison, d'une part, du risque pour les terres arables et, d'autre part, du risque commercial résultant d'un certain discrédit attaché aux productions issues des cultures sur des terres où il a été procédé à l'épandage de boues d'épuration.

 

C'est principalement pour tenter d'apporter une réponse à cette réticence que l'article 45 de la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques a inséré dans le code des assurances l'article L. 425-1 instituant un fonds de garantie chargé d'indemniser les dommages causés par l'épandage de boues d'épuration urbaines et industrielles dès lors que la responsabilité de ces dommages ne peut être imputée ni au producteur de boues ni à l'agriculteur. Il s'agit d'indemniser : « les préjudices subis par les exploitants agricoles et les propriétaires des terres agricoles et forestières dans les cas où ces terres, ayant reçu des épandages de boues d'épuration urbaines ou industrielles, deviendraient totalement ou partiellement impropres à la culture en raison de la réalisation d'un risque sanitaire ou de la survenance d'un dommage écologique lié à l'épandage, dès lors que, du fait de l'état des connaissances scientifiques et techniques, ce risque ou ce dommage ne pouvait être connu au moment de l'épandage et dans la mesure où ce risque ou ce dommage n'est pas assurable par les contrats d'assurance de responsabilité civile du maître d'ouvrage des systèmes de traitement collectif des eaux usées domestiques ou, le cas échéant, de son ou ses délégataires, de l'entreprise de vidange, ou du maître d'ouvrage des systèmes de traitement des eaux usées industrielles, ci-après désignés par l'expression : "producteurs de boues", ou par les contrats d'assurance relatifs à la production et à l'élimination des boues ». Il s'agit donc d'un dispositif d'indemnisation subsidiaire.

 

Ce fonds, géré par la Caisse centrale de réassurance (société anonyme détenue à 100 % par l'État), est alimenté par une taxe annuelle sur les « producteurs de boues » assise sur la quantité de matière sèche produite. Le montant de la taxe est fixé par décret dans la limite d'un plafond de 0,5 euros par tonne de matière sèche produite. La taxe est recouvrée et contrôlée comme en matière de TVA.

 

L'article R. 424-4 du code des assurances, issu de l'article 1er du décret n° 2009-550 du 18 mai 2009 relatif à l'indemnisation des risques liés à l'épandage agricole des boues d'épuration urbaines ou industrielles, fixe le montant de la taxe à 0,5 euros par tonne de matière sèche produite.

 

C'est à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir contre la décision implicite de rejet de la demande d'abroger l'article R. 424-4 du code des assurances ainsi que l'instruction fiscale n° 3 P-1-10 du 20 avril 2010 relative à la taxe sur les boues d'épuration que les requérants ont déposé une QPC.

 

II.– Examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

A. – Le grief

 

Le grief des requérants était fondé exclusivement sur la violation du principe d'égalité devant les charges publiques.

 

Ils soutenaient qu'en choisissant d'asseoir la taxe sur la quantité de boue produite et non sur la quantité de boue épandue, l'article L. 425-1 du code des assurances instituait une assiette qui n'est pas en adéquation avec l'objet de la taxe qui est de promouvoir l'épandage des boues et d'assurer l'indemnisation de certains préjudices résultant de l'épandage.

 

Le grief était développé en deux branches. En premier lieu, les requérants faisaient valoir que certaines industries, notamment papetières, sont dans l'impossibilité tant juridique que technique de procéder à l'épandage de la totalité des boues qu'elles produisent de sorte que l'assiette de la taxe excédait son objet.

 

En second lieu, ils contestaient tout à la fois le principe même de l'incitation à l'épandage de toutes les boues et la nature incitative de cette taxe qui avait, en réalité, une finalité plus orientée vers le rendement que vers l'incitation environnementale. Cette seconde branche du grief, un peu contradictoire avec la première, tendait à remettre en cause des orientations de politique environnementale : les requérants soutenaient que l'incinération des boues papetières constitue un mode d'élimination alternatif à l'épandage qui poursuit un but environnemental au titre de la valorisation énergétique de la biomasse et qu'un tel mode d'élimination mériterait d'être encouragé au même titre que l'épandage.

 

Toutefois, même si le requérant était parvenu à démontrer que la combustion des boues papetières permet à la France de satisfaire ses engagements en termes de production d'énergies renouvelables, il n'en demeurerait pas moins qu'il n'entre pas dans l'office du juge constitutionnel de remettre en cause un choix du législateur de privilégier l'élimination des boues par la voie de l'épandage. Cette seconde branche du grief, pourtant largement développée dans les dernières écritures, a été rapidement écartée par le Conseil constitutionnel, qui a considéré « qu'il ne lui appartient pas de remettre en cause le choix du législateur de favoriser l'élimination des boues d'épuration au moyen de l'épandage » (cons. 5). La première branche du grief fondée sur l'inadéquation de la taxe à son objet a, pour sa part, fondé la réserve d'interprétation du Conseil.

 

B. – Les dispositions constitutionnelles de référence

 

Le Conseil constitutionnel juge de façon constate que, si l'article 13 de la Déclaration de 1789 n'interdit pas de faire supporter pour un motif d'intérêt général à certaines catégories de personnes des charges particulières, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

 

Ainsi, la différence de traitement qui résulte d'une rupture d'égalité doit être en rapport direct avec l'objet de la loi3. Les régimes d'exemption fiscale ne doivent pas être tels qu'ils seraient contraires à l'objectif visé4.

 

À propos de la TGAP, le Conseil constitutionnel a déjà jugé que les différences de traitement liées à son extension à l'électricité et aux produits énergétiques fossiles ne sont pas en rapport avec l'objectif de « lutte contre l'effet de serre » que s'est fixé le législateur, dans la mesure où d'une part la taxe peut toucher plus fortement une entreprise moins polluante et où, d'autre part, elle s'applique à l'électricité, peu concernée par le rejet de gaz carbonique5.

 

Le Conseil constitutionnel a également déjà sanctionné une taxe sur les imprimés publicitaires qui exonérait un grand nombre de personnes et de documents en raison d'un traitement différencié sans rapport direct avec l'objectif que le législateur s'était assigné6. Saisi à nouveau de l'instauration de cette taxe par le législateur, il l'a une nouvelle fois censurée en raison d'une différence de traitement injustifiée au regard de l'objectif poursuivi, dans la mesure où elle s'appliquait aux imprimés gratuits et non demandés lorsqu'ils n'étaient pas nominatifs tout en exemptant les mêmes imprimés lorsqu'ils faisaient l'objet d'une distribution nominative7.

 

Enfin, dans sa décision n° 2010-57 QPC du 18 octobre 2010, le Conseil a de nouveau examiné des dispositions relatives à l'assiette de la TGAP, en matière de stockage des déchets inertes. Il a jugé « qu'en instituant une taxe générale sur les activités polluantes, le législateur a entendu en intégrer la charge dans le coût des produits polluants ou des activités polluantes, afin de réduire la consommation des premiers et limiter le développement des secondes ; qu'il a, en conséquence, soumis à cette taxe les exploitants d'installations de stockage de déchets ménagers et d'installations d'élimination des déchets industriels spéciaux ; qu'en revanche, il n'a pas assujetti à la taxe générale sur les activités polluantes, au titre du stockage de déchets inertes, les exploitants des installations spécialement destinées à recevoir ces déchets ; que, par suite, les dispositions du 1 du paragraphe I de l'article 266 sexies et du 1 de l'article 266 septies du code des douanes dans leur rédaction résultant de la loi du 29 décembre 1999 susvisée ne sauraient, sans méconnaître le principe d'égalité devant les charges publiques, être interprétées comme s'appliquant à l'ensemble des quantités de déchets inertes visés par ces dispositions »8.

 

Il ressort de cette jurisprudence qu'en matière de fiscalité dite « incitative », le contrôle du Conseil constitutionnel est plus approfondi qu'en matière de fiscalité à finalité de simple rendement. En effet, lorsque les différences de traitement imposées résultant des différences d'assiette ou de taux de l'impôt sont fondées sur la volonté du législateur de susciter des comportements favorables à des buts d'intérêt général que le législateur a définis, le Conseil procède à un contrôle de l'adéquation entre la définition de l'assiette ou du taux et l'objet ainsi poursuivi par la loi.

 

C. – Application à l'espèce

 

En soumettant à la taxe toutes les boues produites et non pas toutes les boues épandues, le législateur a-t-il méconnu l'égalité devant les charges publiques ?

 

Il incombait en premier lieu au Conseil constitutionnel d'identifier l'objet et la finalité de cette taxe. Pour ce faire, le Conseil s'est référé aux travaux parlementaires de la loi du 30 décembre 2006.

 

Le projet de loi prévoyait que la taxe serait prélevée sur le produit des primes ou cotisations annuelles afférentes aux conventions d'assurance de responsabilité civile des producteurs de boues. À l'Assemblée nationale, en première lecture, il est apparu que ce mode de prélèvement serait insuffisant pour alimenter les besoins du fonds. Pour augmenter le rendement de la taxe, il a été décidé qu'elle serait prélevée directement chez les producteurs de boues selon des règles calquées sur celles de la TVA.

 

Malgré ce changement, ainsi que des variations du taux de la taxe en cours de débats, celle-ci n'a cessé d'être assise sur la tonne de matière sèche de boues produites.

 

Des amendements ont été déposés pour substituer la tonne de matière sèche de boues « épandues » à la tonne de matière sèche de boues produites.

 

Ces amendements ont notamment été rejetés au Sénat après que M. Serge Lepeltier, ministre de l'environnement, s'y est opposé en ces termes : « Je comprends bien l'idée qui a guidé les auteurs de ces amendements, mais, en l'occurrence, comme le disait le rapporteur, notre objectif est écologique. Au demeurant, le système de l'épandage des boues a un intérêt à la fois écologique et économique puisque, sur les deux plans, c'est pratiquement la meilleure voie.

 

« La modification d'assiette proposée conduirait en fait à inciter les collectivités à ne pas épandre leurs boues et à privilégier d'autres voies d'élimination. Adopter ces deux amendements, ce serait, en vérité, donner un signal négatif. Il est important d'afficher ce principe de solidarité entre les villes et les campagnes. »9.

 

À l'Assemblée nationale, le même amendement a été rejeté après que le rapporteur, M. André Flajolet, s'y est opposé par l'argumentation suivante : « Nous avons maintenu la notion de boue produite, et non adopté la référence restrictive des boues épandues, car nous ne voulions pas donner l'impression qu'il existait une différence de nature entre la production des boues, d'une part, et la technique d'épandage, d'autre part. Lorsque des boues sont produites, chacun doit payer son écot sur la tonne de matière sèche, qui représente l'assiette du fonds de garantie

 

« Je comprends que certains puissent objecter le renchérissement des coûts. Mais il faut appréhender la question dans sa globalité. Le contrat passé avec le monde agricole, que j'évoquais tout à l'heure, ne doit pas être un contrat où l'on va essayer de grappiller ici ou là »10.

 

En deuxième lecture, la Commission des affaires économiques du Sénat a mentionné dans son rapport qu'elle « se satisfait par ailleurs pleinement de ce que l'ensemble des boues produites, et non simplement les boues épandues, soient soumises à ce prélèvement : la solution inverse risquait en effet de dissuader les producteurs à épandre, alors que l'objet du dispositif est au contraire de les y inciter »11.

 

L'objet de la taxe est de financer un fonds d'indemnisation des dommages causés par l'épandage des boues tout en évitant de dissuader les producteurs de s'orienter vers l'épandage. Il y a là une double finalité qui, si elle n'est pas directement « incitative », est à tout le moins « non dissuasive ».

 

Certes, d'une part, la taxe sur la production de boues ne constitue pas une redevance, de sorte que son assiette n'a pas à être définie en fonction du service rendu par le fonds auquel elle est affectée. D'autre part, le choix de ne pas taxer les seules boues que le producteur fait le choix d'épandre est effectivement en lien direct avec l'objectif de ne pas décourager l'épandage des boues d'épuration.

 

En revanche, cette seconde finalité rend plus délicate la question touchant à l'inclusion dans l'assiette de la taxe des boues qui ne peuvent pas être épandues.

 

Il est constant, et cela ressort d'ailleurs clairement des travaux parlementaires, que toutes les boues ne peuvent être épandues. Au Sénat, le ministre avait insisté sur cette question au cours de la séance précitée pour s'opposer à d'autres amendements tendant à limiter l'assiette de la taxe aux seules boues « urbaines » à l'exclusion des boues industrielles qu'on sait moins propres à l'épandage agricole : « Ainsi que je l'ai indiqué précédemment, l'épandage n'est visé par le présent projet de loi que dans le strict contexte de la réglementation en vigueur, qui interdit tout épandage de boues d'origine industrielle si celles-ci n'ont pas de réelle valeur agronomique »12.

 

Dans cette mesure, l'argumentation des requérants, tendant à démontrer l'inadéquation de l'assiette de la taxe à son objet en raison de l'assujettissement de toutes les boues produites et non de toutes les boues qui peuvent être épandues, était fondée.

 

En effet, au regard de la finalité incitative en faveur de l'épandage, les boues qui ne sont pas susceptibles d'être épandues, ne sont pas distinctes des autres déchets produits par les industries, qui ne peuvent pas être épandus et qui ne sont pas soumis à la taxe. Au regard d'un tel objet de la loi, les boues qui ne peuvent être épandues doivent être exclues de l'assiette de la taxe.

 

Un raisonnement similaire à celui retenu par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-57 QPC précitée a ainsi conduit le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2012-251 QPC, à formuler une réserve d'interprétation interdisant que soient soumises à la taxe les boues que le producteur n'a pas l'autorisation d'épandre (soit parce que ces boues ne répondent pas aux conditions réglementaires pour l'épandage, soit parce que le contrôle administratif a localement limité la possibilité d'épandage à une certaine proportion).

 

En réalité, une telle réserve se trouve d'ores et déjà partiellement satisfaite par le droit positif. En effet le décret du 18 mai 2009 a inséré dans le code des assurances un article R. 424-1 qui a pour objet de préciser la liste des boues dont l'épandage agricole donne lieu à l'intervention du fonds d'indemnisation. Il s'agit des boues suivantes :

 

« 1° Boues issues des stations de traitement des eaux usées domestiques, déclarées ou autorisées au titre de la rubrique 2. 1. 1. 0 de la nomenclature prévue à l'article R. 214-1 du code de l'environnement ;

 

« 2° Boues issues du traitement des eaux industrielles, produites par des installations classées pour la protection de l'environnement appartenant aux branches répertoriées C10 (industrie alimentaire) et C17 (industrie du papier et de la cartonnerie) de la nomenclature des activités françaises établie en application du décret n° 92-1129 du 2 octobre 1992. La liste des rubriques de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement, relevant de ces branches, est fixée par un arrêté pris par le ministre chargé de l'environnement ;

 

« 3° Matières assimilables à des boues domestiques, non issues d'installations visées aux 1° et 2°, dont l'épandage est déclaré ou autorisé au titre de la rubrique 2. 1. 3. 0 de la nomenclature prévue à l'article R. 214-1 du code de l'environnement. »

 

En outre, ce même décret a prévu à la première phrase de l'article R. 424-4 que « La matière sèche, dont le poids est l'assiette de la taxe prévue au II de l'article L. 425-1, est constituée à partir des boues ou matières assimilables mentionnées à l'article R. 424-1, dont sont déduits les réactifs incorporés pour la production et le traitement. »

 

Ainsi le décret a réduit le champ d'intervention du fonds d'indemnisation à des boues qui sont jugées « épandables » et le champ des assujettis à la taxe aux seuls producteurs de ces boues.

 

La réserve du Conseil constitutionnel va toutefois au-delà de la restriction opérée par le décret, puisqu'elle interdit que les boues « épandables » au sens de la règlementation nationale mais que le producteur n'a pas l'autorisation d'épandre au titre du plan départemental d'épandage, soient soumises à la taxe. Ainsi, le producteur de 20 000 tonnes de boues « épandables », mais qui n'a été autorisé par arrêté du préfet à n'en épandre que 10 000 ne peut être taxé que sur ces 10 000 tonnes (qu'il soit parvenu, ou non, à trouver les surfaces d'épandage nécessaires).

 

Dès lors, les sociétés requérantes, pour les années durant lesquelles les dispositions contestées se sont appliquées et sous réserve des règles de prescription applicables13, peuvent revendiquer à bon droit l'application de cette réserve.

 

Sous cette réserve, le Conseil constitutionnel a déclaré l'article L. 425-1 du code des assurances conforme à la Constitution.

 

_______________________________________

1  CE, 3 mars 2000, Société Wastec-Strobel GMBH, n° 195680.

2  J-Y Faberon, « Le régime de l'épandage des boues des stations d'épuration urbaines en agriculture », Les Petites affiches, n° 87, 2 mai 2000, p. 4.

3  Décision n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000, Loi de finances rectificative pour 2000, cons. 26.

4  Décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010, cons. 82.

5  Décision n° 2000–441 DC du 28 décembre 2000, précitée, cons. 35 à 38.

6 Décision n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002, Loi de finances pour 2003, cons. 55 à 57.

7  Décision n° 2003–488 DC du 29 décembre 2003, Loi de finances rectificative pour 2003 cons. 11.

8  Décision n° 2010-57 QPC du 18 octobre 2010, Société SITA FD et autres (Taxe générale sur les activités polluantes), cons. 5.

9  Sénat, séance du 7 avril 2005.

10 Assemblée nationale, 1ère séance du 17 mai 2006.

11 Sénat, Rapport n° 461 de M. Bruno Sido fait au nom de la commission des affaires économiques.

12 Sénat, séance du 7 avril 2005.

13 En vertu de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, les réclamations relatives à la TVA (et aux impôts recouvrés selon les mêmes règles) doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle du versement de l'impôt contesté.