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Commentaire de la décision 2012-249 QPC

09/12/2022

Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 mars 2012 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la société Cryo-Save France, relative au quatrième alinéa de l'article L. 1241-1 du code de la santé publique (CSP), qui encadre le régime du prélèvement des cellules du sang du cordon ombilical et du placenta et des cellules du cordon ombilical et du placenta.

 

Par sa décision n° 2012-249 QPC du 16 mai 2012, le Conseil a déclaré ce quatrième alinéa de l'article L. 1241-1 du code de la santé publique conforme à la Constitution.

 

 

I. – Dispositions contestées

 

A. – L'encadrement des prélèvements d'éléments et produits du corps humain

 

Le livre II de la première partie du code de la santé publique (CSP) intitulé « Don et utilisation des éléments et produits du corps humain » distingue le « sang humain », les « organes » et les « tissus, cellules, produits du corps humain et leur dérivés ». Dans cette dernière catégorie, il convient encore de distinguer les gamètes, soumis à des dispositions particulières, et les autres tissus, cellules, produits du corps humain et leurs dérivés qui visent, en pratique, à titre principal, les cellules souches hématopoïétiques.

 

L'article L. 1241-1 du CSP a pour objet de définir les conditions dans lesquelles peuvent être consentis des prélèvements de tissus, cellules et produits du corps humain sur une personne vivante.

 

Le premier alinéa de cet article L. 1241-1 prévoit que le prélèvement ne peut résulter que d'un don et doit avoir l'une des finalités suivantes : but thérapeutique ou scientifique ou de réalisation ou de contrôle des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro ; contrôle de qualité des analyses de biologie médicale ; expertises et contrôles techniques réalisés sur les tissus ou sur les cellules ou sur les produits du corps humain par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS).

 

Les deuxième et troisième alinéas de cet article L. 1241-1 prévoient respectivement quels sont les prélèvements devant faire l'objet d'un consentement par écrit du donneur et ceux, plus sensibles, devant faire l'objet d'un consentement reçu par un magistrat (président du TGI ou procureur de la République en cas d'urgence vitale). Alors que le consentement renforcé était réservé au prélèvement de cellules hématopoïetiques issues de la moelle osseuse, le 1° du II de l'article 17 de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique a étendu ce régime au prélèvement de cellules hématopoïétiques recueillies dans le sang périphérique (qui était auparavant soumis au régime du « sang humain »).

 

Le quatrième alinéa de l'article L. 1241-1 du CSP, qui faisait seul l'objet de la question prioritaire de constitutionnalité, a été introduit par le 1° de l'article 18 de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique et n'a connu aucune modification depuis lors. Cet alinéa instaure un troisième régime de don, pour les cellules hématopoïétiques du sang de cordon et du sang placentaire ainsi que pour les cellules du cordon et du placenta. Ce régime exige que le don, anonyme et gratuit, soit réservé à des fins scientifiques ou thérapeutiques. Un consentement écrit de la femme enceinte est nécessaire, précédé d'une information sur les finalités de l'utilisation de ces cellules1. Ce consentement est révocable à tout moment et sans forme particulière. Est enfin prévue une possibilité de don dédié à l'enfant né ou aux frères et sœurs de cet enfant en cas de nécessité thérapeutique avérée et dûment justifiée lors du prélèvement.

 

Le prélèvement est entrepris dans le dernier stade de l'accouchement, après la sortie du nouveau-né et quand le placenta est encore in utero.

 

Il est possible de prélever dans le sang placentaire, au même titre que dans la moelle osseuse et dans le sang dit périphérique (ou « circulant », c'est-à-dire ne se trouvant pas dans les organes participant à la formation du sang), des cellules souches hématopoïétiques, c'est-à-dire des cellules qui ont la capacité de produire l'ensemble des cellules sanguines. Ces cellules souches sont ainsi utilisées pour soigner des pathologies du sang, telles que les leucémies et les déficits immunitaires. Traditionnellement, les prélèvements étaient effectués dans la moelle osseuse ou le sang périphérique. Toutefois, à partir de la fin des années 1980, le sang placentaire a pu servir de substitut au don de moelle, au moins pour l'enfant. Les cellules de sang de cordon présentent l'avantage, en raison de leur caractère immature, de diminuer le risque de rejet immunologique. Aussi, se sont développées depuis les années 1990 des banques de sang de cordon et de sang placentaire.

 

Le sang ainsi recueilli peut être utilisé :

 

– pour des greffes dites allogéniques, qui permettent une utilisation pour autrui ;

 

– pour des greffes allogéniques apparentées (c'est-à-dire en faveur de membres de la famille) ;

 

– pour des greffes dites autologues, qui permettent une utilisation pour la personne elle-même.

 

Par ailleurs, plus récemment, des cellules de la paroi du cordon ombilical ont été identifiées comme des cellules souches mésenchymateuses qui pourraient être utilisées en pathologie cardio-vasculaire2.

 

B. – Les origines et la portée des dispositions contestées

 

L'exposé des motifs du projet à l'origine de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique expliquait que l'objet du quatrième alinéa introduit dans l'article L. 1241-1 du code de la santé publique était de restreindre le don de cellules placentaires au « don anonyme pour un usage allogénique » tandis que « le prélèvement de ces cellules à des fins de dons dédiés ne peut être autorisé que lorsque cette finalité répond à une nécessité thérapeutique médicalement et scientifiquement justifiée au moment du don ».

 

Commentant l'introduction de ce nouvel alinéa dans l'article L. 1241-1 du CSP, le rapporteur à l'Assemblée nationale, M. Jean Leonetti, expliquait : « Ceci revient à interdire la constitution de banques de sang de cordon et de sang placentaire autologues.

 

« Une telle solution a d'ores et déjà été adoptée par la Belgique et par l'Italie. En revanche, aux États-Unis, en Angleterre et en Allemagne coexistent deux systèmes qui n'entretiennent aucun lien : des banques privées autologues et des banques publiques allogéniques. Le rapport de Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, ainsi que la proposition de loi de notre collègue Damien Meslot allaient dans le sens d'une telle cohabitation.

 

« La possibilité avait également été évoquée, au cours des travaux de la mission d'information, de créer un système de banques mixtes solidaires qui donneraient la possibilité aux familles de faire conserver le sang de cordon pour leur descendance, ces cellules pouvant cependant faire, le cas échéant, l'objet d'un usage allogénique en échange d'une indemnisation. Cette solution a été soutenue par le Conseil d'État dans son étude sur la révision de la loi de bioéthique. Cependant, partout où elle a été adoptée, cette solution n'a pas rencontré le succès escompté et les banques de ce type ne stockent à l'heure actuelle que très peu d'unités de sang placentaire.

 

« Sur le fondement des 1° et 2° de l'article 7 du projet de loi [devenu l'article 18], seraient donc interdites les banques autologues de sang de cordon et de sang placentaire. Cette interdiction repose sur le double constat qu'il n'existe à l'heure actuelle aucune indication thérapeutique de ces cellules pour un usage autologue, aucun patient n'ayant été guéri ou n'ayant vu sa santé améliorée de manière scientifiquement mesurable à partir d'un traitement fondé sur l'utilisation autologue de telles cellules et que, d'autre part, une telle utilisation serait susceptible de porter atteinte à l'égal accès aux soins. »3

 

Le législateur a donc fait le choix d'une restriction des usages autologue et allogénique apparenté du sang placentaire, suivant ainsi les avis qui avaient été formulés en 2002 par le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE)4 puis en 2007 par le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine5, et la position qui avait également été exprimée par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la révision des lois de bioéthique6.

 

Il a ainsi rejeté, à l'issue d'un débat parlementaire riche, les solutions qui avaient pu être proposées par un rapport d'information du Sénat en septembre 20087, ou encore par le rapport du Conseil d'État sur la révision des lois bioéthiques, qui proposait que la possibilité d'une conservation de sang de cordon aux frais des demandeurs dans une finalité autologue ne soit pas exclue, « à la condition que l'utilisation allogénique de chaque greffon ait en cas de besoin la priorité sur l'utilisation autologue »8.

 

Le législateur a par ailleurs souhaité appliquer le même traitement à l'ensemble des cellules du cordon et du placenta qu'aux cellules hématopoïétiques du sang de cordon ou du sang placentaire en raison du potentiel thérapeutique nouveau de l'ensemble de ces cellules.

 

On peut enfin signaler que le CCNE a émis le 19 avril 2012 un nouvel avis sur l'utilisation des cellules souches issues du sang de cordon ombilical, du cordon lui-même et du placenta et leur conservation en biobanques9. Sa position a quelque peu évolué par rapport à celle exprimée en 2002. S'il maintient sa position défavorable aux biobanques d'unités de sang de cordon à visée autologue, en revanche, le CCNE se montre désormais enclin à un élargissement des possibilités de prélèvement et de conservation des produits du cordon et du placenta, via des biobanques à caractère familial et solidaire, dans les familles dont les enfants sont exposés au risque d'hémopathies congénitales génétiquement transmises. Le CCNE fonde cette évolution de sa position sur le fait que, depuis 2002, les greffes allogéniques familiales permettraient de traiter certaines hémoglobinophaties congénitales génétiquement transmises.

 

 

II. – Examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

La société requérante faisait valoir que les dispositions contestées portaient une atteinte injustifiée à la liberté individuelle, à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et au principe d'égalité.

 

Le Conseil constitutionnel a cependant estimé qu'aucun de ces griefs n'était fondé.

 

A. – La liberté personnelle

 

La société requérante contestait d'abord le fait que la disposition législative interdise la conservation du sang de cordon ou placentaire en vue d'une utilisation ultérieure au sein de la famille. En privant ainsi les personnes d'une possibilité de conservation à des fins d'utilisation intrafamiliale ultérieure, alors que les éléments prélevés et conservés ne portent pas atteinte à l'intégrité physique du donneur, le législateur aurait ainsi porté une atteinte excessive à la liberté individuelle.

 

Au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui retient une conception restrictive de la liberté individuelle, limitée, en lien avec la réserve de compétence du juge judiciaire, au contrôle des mesures de privation de liberté (détention, rétention ou internement), le grief de la société requérante était fondé sur la liberté personnelle.

 

La liberté personnelle est un principe constitutionnel que le Conseil constitutionnel déduit des articles 1er, 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Elle doit être conciliée avec les autres principes de valeur constitutionnelle, de telle sorte que le législateur peut lui apporter des limitations10.

 

La société requérante contestait la restriction qui est apportée par le quatrième alinéa de l'article L. 1241-1 du CSP aux possibilités de prélèvement du sang du cordon et placentaire, alors même que la femme enceinte souhaiterait un tel prélèvement.

 

Dans son mémoire en défense, le Gouvernement ne niait pas le fait que le quatrième alinéa de l'article L. 1241-1 du CSP apporte des limites à la possibilité pour la femme enceinte de disposer du sang du cordon et placentaire, mais il faisait valoir que ces limites sont justifiées par la nécessité d'assurer la protection de la santé du plus grand nombre et l'égalité d'accès aux soins. En l'absence d'une telle limitation, le risque d'un usage familial des prélèvements de sang du cordon et placentaire pourrait faire obstacle à des prélèvements anonymes destinés au plus grand nombre et pourrait, par voie de conséquence, priver des personnes ayant un besoin de greffe de cellules souches de cette possibilité.

 

Par ailleurs, le mémoire du Gouvernement faisait valoir que le législateur, en prévoyant des possibilités dérogatoires de prélèvements au profit d'un usage du sang de cordon et placentaire dans le cadre familial dans certaines hypothèses, aurait encadré l'atteinte à la liberté personnelle, qui aurait dès lors été proportionnée au but poursuivi.

 

Les principes de protection de la santé et d'égalité devant les soins avaient été mis en avant, lors des débats législatifs, au soutien de la solution retenue par le Parlement. De manière aussi significative, des arguments d'ordre éthique ou philosophique avaient été avancés par de nombreux parlementaires pour justifier le choix d'une interdiction d'un hypothétique usage familial futur du sang de cordon et placentaire et des autres cellules du cordon et du placenta. À l'Assemblée nationale, M. Jean-Sébastien Vialatte avait déclaré, à propos d'un amendement destiné à lever cette interdiction : « Je suis également défavorable à cet amendement qui sort du cadre de la philosophie du don telle que nous l'avons jusqu'à présent développée »11. Pour sa part, M. Jean-Louis Touraine considérait qu'« une telle pratique reviendrait à rompre avec la philosophie du don altruiste »12. Mme Jacqueline Fraysse déclarait pour sa part : « Nous devons veiller à la sauvegarde des principes éthiques du don anonyme et gratuit et résister à la demande de certains de conserver ces cellules pour une éventuelle utilisation personnelle »13. M. Philippe Gosselin considérait de même : « J'estime qu'il faut à tout prix promouvoir le modèle français selon lequel le corps et ses dérivés ne sont pas à vendre. […] Il ne doit pas être possible de conserver le sang du cordon pour un usage personnel : on doit pouvoir donner. Ce geste de solidarité est le fondement de la mutualisation ; dans notre pays, il constitue l'essence du don »14.

 

Le Conseil constitutionnel n'a toutefois pas considéré que le principe de la liberté personnelle était applicable aux prélèvements et aux utilisations des cellules du sang de cordon ou placentaire et de cellules du cordon ou du placenta.

 

Le législateur avait estimé, jusqu'à l'été 2011, que les prélèvements des cellules du sang de cordon ou placentaire ou des cellules du cordon ou du placenta étaient soumis au régime des résidus opératoires, c'est-à-dire de déchets hospitaliers. Dans le cadre d'une telle législation, de tels éléments détachables du corps humain n'entraient à l'évidence pas dans le champ d'application des libertés de la personne.

 

La loi du 7 juillet 2011 a modifié ce régime pour soumettre le traitement de tels prélèvements à de nouvelles règles, instaurant un régime strict de prélèvement. Si cet encadrement a notamment rendu nécessaire le consentement écrit de la femme, on ne saurait en déduire ni que le législateur a reconnu aux femmes qui accouchent des droits personnels sur ces cellules ni, a fortiori, qu'il existe une liberté constitutionnellement protégée garantissant le libre choix de l'usage de ces cellules. Comme l'a considéré le Conseil constitutionnel : « le choix du législateur de conditionner le prélèvement de ces cellules au recueil préalable du consentement écrit de la femme n'a pas eu pour objet ni pour effet de conférer des droits sur ces cellules » (cons. 7).

 

Dans aucun de ces choix successifs, le Parlement ne se heurtait à un droit constitutionnel de la mère ou de l'enfant sur les cellules du sang de cordon ou placentaire ou des cellules du cordon ou du placenta. En fait, la liberté personnelle des individus n'était pas en jeu.

 

Le Conseil constitutionnel a toujours veillé, sur ces questions de société très évolutives, à marquer la différence entre son rôle et celui du Parlement. Il en a bien sûr été ainsi dans sa décision sur les lois bioéthiques de 1994, où le Conseil n'a pas constitutionnalisé les principes énoncés par le législateur15. Il en a, par exemple, encore été récemment ainsi à l'occasion d'une QPC sur les conditions de réalisation des expertises génétiques sur une personne décédée à des fins d'actions en matière de filiation16.

 

De la même manière, dans la décision n° 2012-249 QPC du 16 mai 2012, il a jugé « qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conditions dans lesquelles de telles cellules peuvent être prélevées et les utilisations auxquelles elles sont destinées » (cons. 7).

 

Le grief tiré de la méconnaissance de la liberté personnelle a donc été écarté, le régime juridique du prélèvement et de l'utilisation des cellules du sang de cordon ou placentaire et des cellules du cordon ou du placenta ne portant pas atteinte à ce principe constitutionnel.

 

B. – La protection de la santé

 

La société requérante considérait que le quatrième alinéa de l'article L. 1241-1 du CSP méconnaissait le principe de protection de la santé consacré par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, dans la mesure où il avait pour effet de réduire les chances de protection individuelle de la santé en faisant obstacle à des prélèvements pour une greffe dans le cadre familial permettant d'obtenir une probabilité de disposer de cellules souches compatibles plus élevée que dans un cas de greffe allogène.

 

Le Conseil constitutionnel reconnaît la protection de la santé comme une exigence constitutionnelle, découlant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 194617.

 

Il admet que législateur apporte des limitations à un autre droit constitutionnel au nom de la protection de la santé. Il considère par exemple que les dispositions relatives à la prohibition de la publicité et de la propagande en faveur du tabac « trouvent leur fondement dans le principe constitutionnel de protection de la santé publique »18 et qu'il était loisible au législateur de porter ainsi une atteinte à la liberté d'entreprendre ainsi qu'à certaines modalités d'exercice du droit de propriété. Saisi de dispositions relatives à l'hospitalisation sans consentement, le Conseil constitutionnel contrôle la conciliation opérée par le législateur « entre la protection de la santé et la protection de l'ordre public, d'une part, et la liberté personnelle, protégée par l'article 2 de la Déclaration de 1789, d'autre part »19.

 

Le Conseil constitutionnel n'a toutefois jamais été conduit jusqu'à présent à censurer une disposition législative qui aurait méconnu cette exigence constitutionnelle, comme le proposait la société requérante.

 

Le problème particulier était l'existence d'un débat sur les vertus thérapeutiques de la greffe autologue ou allogénique apparentée à partir du sang de cordon ou placentaire, ce débat donnant lieu à des divergences des vues scientifiques exposées par les parties à la QPC.

 

Alors que la société requérante faisait valoir que les greffes de cellules provenant d'un membre de la fratrie apportent une efficacité thérapeutique supérieure, le Gouvernement, reprenant des arguments qui avaient été développés au cours du débat parlementaire, soutenait que les greffes intrafamiliales présentaient des inconvénients particuliers sans que leurs avantages thérapeutiques par rapport aux autres greffes soient avérés.

 

Au soutien de la première thèse, la société requérante mettait en avant une étude publiée dans Nature Reviews Cancer en juillet 2008 évoquant une probabilité de disposer de cellules souches compatibles de 25 % dans le cadre familial contre seulement 0,0025 % dans les autres cas, et, une fois les cellules compatibles trouvées, un taux de survie à 5 ans de 86 % dans le cadre familial contre 46 % dans les autres cas. Elle citait également le dernier avis du CCNE : « les hémoglobinopathies congénitales très invalidantes comme la thalassémie ou la drépanocytose […] entraînent une anémie et de nombreuses complications. La destruction de la moelle osseuse dès le jeune âge puis sa substitution par des unités d'UCB [unités de sang de cordon] HLA compatibles, provenant d'un donneur apparenté indemne de la maladie, permettent de guérir l'hémopathie. Des banques d'unités d'UCB provenant des frères et sœurs du patient sont, de fait, devenues raisonnablement souhaitables et souhaitées par de nombreux hématologues »20.

 

Au soutien de la seconde thèse, le Gouvernement rappelait les analyses de l'Académie nationale de médecine21 ainsi que de l'Agence de biomédecine et de la Société française de greffe de moelle et de thérapie cellulaire.

 

Sans chercher à apprécier l'existence ou non d'un consensus scientifique en la matière, le Conseil constitutionnel a apporté la même réponse que celle qu'il avait formulée à plusieurs reprises dans des cas similaires d'appréciation scientifique problématique.

 

Lorsqu'avait été contestée l'interdiction, pour les enfants conçus par fécondation in vitro faisant intervenir un tiers donneur, de connaître leur identité génétique et leurs parents naturels, au motif que cette interdiction porterait atteinte au droit à la santé de l'enfant, le Conseil constitutionnel avait considéré : « qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne détient pas un pouvoir d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l'état des connaissances et des techniques, les dispositions ainsi prises par le législateur » et « que l'interdiction de donner les moyens aux enfants ainsi conçus de connaître l'identité des donneurs ne saurait être regardée comme portant atteinte à la protection de la santé telle qu'elle est garantie par (le Préambule de 1946) »22.

 

Lorsqu'avaient été invoqués devant lui les risques médicaux accrus liés à l'augmentation de la période pendant laquelle peut être pratiquée une interruption volontaire de grossesse lorsque la femme enceinte se trouve dans une situation de détresse, il avait alors considéré : « qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l'état des connaissances et des techniques, les dispositions ainsi prises par le législateur ; qu'il est à tout moment loisible à celui-ci, dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que l'exercice de ce pouvoir ne doit cependant pas aboutir à priver de garanties légales des exigences de valeur constitutionnelle »23.

 

De la même façon, dans la décision n° 2012-249 QPC du 16 mai 2012, le Conseil a considéré qu'il ne lui appartenait pas « de remettre en cause, au regard de l'état des connaissances et des techniques, les dispositions ainsi prises par le législateur » et que « l'impossibilité de procéder à un prélèvement de cellules du sang de cordon ou placentaire ou de cellules du cordon ou du placenta aux seules fins de conservation par la personne pour un éventuel usage ultérieur notamment dans le cadre familial sans qu'une nécessité thérapeutique actuelle ne le justifie ne saurait être regardée comme portant atteinte à la protection de la santé telle qu'elle est garantie par le Préambule de 1946 » (cons. 8).

 

C. – Le principe d'égalité

 

La société requérante faisait valoir que les dispositions contestées étaient à l'origine d'une inégalité de traitement entre les membres d'une même fratrie, puisqu'elles avaient pour conséquence de priver les enfants nés sains et les enfants à naître de la possibilité de bénéficier d'une greffe des cellules souches du sang de cordon ou placentaire, tandis que cette possibilité était ouverte aux enfants nés malades ou malades lors de la naissance de leur cadet.

 

Le Conseil constitutionnel juge de manière constante que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que soient traitées différemment des situations différentes, dès lors que cette différence de traitement est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

 

Les dispositions contestées introduisaient une différence de traitement qui était la conséquence directe de l'objectif qui était posé par le législateur : encadrer l'usage de cellules de sang de cordon ou placentaires ou de cellules du cordon ou du placenta en s'assurant de la finalité thérapeutique de leur prélèvement. Il n'était pas possible de prévoir cette exigence sans traiter de façon différente les membres d'une même fratrie du fait de leur date de naissance ou de l'apparition de leur maladie. Cette différence de traitement ne faisait pour autant que refléter une différence de situation entre frères et sœurs, selon leur état de santé ainsi que leur date de naissance.

 

Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité a également été écarté par le Conseil constitutionnel, qui a jugé que n'étaient pas soumises à des règles différentes des personnes placées dans une situation identique (cons. 9).

 

Le Conseil constitutionnel a donc jugé le quatrième alinéa de l'article L. 1241-1 du CSP conforme à la Constitution.

_______________________________________

1  Jusqu'à l'introduction de ce quatrième alinéa dans l'article L. 1241-1 du CSP, le recueil des cellules du sang de cordon et placentaire et des cellules du cordon et du placenta était régi par les dispositions de l'article L. 1245-2 du CSP relatives aux résidus opératoires, qui permettent leur recueil en l'absence d'opposition de la personne. Aucun consentement exprès ne devait donc être recueilli.

2  Sur ces différents types de cellules, voir MM. Alain Claeys et Jean-Sébastien Viallatte, Rapport sur la recherche sur les cellules souches au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, 8 juillet 2010.

3  Rapport sur le projet de loi relatif à la bioéthique, Assemblée nationale, XIIIe législature, n° 3111, 26 janvier 2011, pp. 326-327.

4  Avis n° 74 du 12 décembre 2002.

5  Avis du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine sur la perspective de création de sociétés commerciales proposant la conservation de sang placentaire à des fins autologues, 9 novembre 2007.

6  M. Jean Leonetti, Rapport d'information sur la révision des lois de bioéthique, Assemblée nationale, XIIIe législature, n° 2235, 20 janvier 2010, pp. 413 à 416.

7  Mme Marie-Thérèse Hermange, Rapport d'information sur le potentiel thérapeutique des cellules souches extraites du sang de cordon ombilical, Sénat, session ordinaire 2008-2009, n° 79, 4 novembre 2008.

8 Conseil d'État, La révision des lois de bioéthique, La Documentation française, 2009, p. 83.

9  Avis n° 117 du 19 avril 2012.

10 Décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Mlle Danielle S. (Hospitalisation sans consentement), cons. 32.

11 Compte rendu intégral des débats, 1ère séance du 10 février 2011, J.O. Débats, Assemblée nationale, 11 février 2011.

12 Ibid.

13 Compte rendu intégral des débats, 2ème séance du 24 mai 2011, J.O. Débats, Assemblée nationale, 25 mai 2011.

14 Ibid.

15 Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, cons. 10 et 11.

16 Décision n° 2011-173 QPC du 30 septembre 2011, M. Louis C. et autres (Conditions de réalisation des expertises génétiques sur une personne décédée à des fins d'action en matière de filiation), cons. 3 et 6.

17 Décision n° 2004-504 DC du 12 août 2004, Loi relative à l'assurance maladie, cons. 4.

18 Décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991, Loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, cons. 11.

19 Décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010 précitée, cons. 32. Voir également décision n° 2012-235 QPC du 20 avril 2012, Association Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie (Dispositions relatives aux soins psychiatriques sans consentement), cons. 13.

20 Avis n° 117 précité, p. 13.

21 Rapport du 26 janvier 2010 relatif aux cellules souches du cordon et du placenta.

22 Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, cons. 10 et 11.

23 Décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001, Loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, cons. 4.