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Commentaire de la décision 2012-240 QPC

09/12/2022

Non conformité totale

La chambre criminelle de la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel le 29 février 2012 (arrêt n° 1365 du même jour) une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Gérard D. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 222-33 du code pénal, qui réprime le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle.

 

Dans sa décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l'article 222-33 du code pénal (CP).

 

 

I. – Historique

 

Le délit de harcèlement sexuel est issu de la loi n° 92-684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes.

 

Dans sa version initiale, le texte prévoyait que « Le fait de harceler autrui en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions, est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende. »

 

Le texte a subi, ensuite, quelques modifications qui ont eu pour objet d'en étendre le champ d'application. Ainsi, la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs a ajouté aux « ordres », « menaces » et « contraintes » susceptibles de réaliser l'infraction, l'existence de « pressions graves ». Le texte punissait d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende « le fait de harceler autrui en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ».

 

Enfin, la loi no 2002-73 du 17 janvier 2002 a finalement retenu une définition épurée du harcèlement sexuel, caractérisé par le seul  « fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle (…) ». Le harcèlement sexuel peut désormais intervenir dans tout rapport humain, en dehors de toute relation hiérarchique. Cette modification n'a guère été débattue et était principalement motivée par la volonté d'harmoniser la définition du harcèlement sexuel avec celle prévue pour le harcèlement moral et, dans le prolongement, d'harmoniser le code pénal avec le code du travail.

 

Ainsi, dans le rapport devant l'Assemblée nationale, cette modification était présentée comme ayant pour but de « mettre en cohérence avec les dispositions relatives au harcèlement moral celles relatives au harcèlement sexuel. Le harcèlement sexuel est actuellement limité aux agissements d'un supérieur hiérarchique. Cette condition restrictive est supprimée. Le Sénat a adopté cet article en complétant de façon tout à fait pertinente la mise en cohérence proposée de l'article L. 122-46 du code du travail par la suppression de la référence à l'abus d'autorité dans le statut général de la fonction publique et le code pénal (…) »1.

 

En fait, le législateur ne s'est pas contenté de supprimer la référence à l'abus d'autorité, mais a également abrogé les précisions relatives aux moyens par lesquels le harcèlement sexuel pouvait être réalisé : la référence aux « ordres », « menaces », « contraintes » ou « pressions graves » a depuis disparu. De tels agissements peuvent pourtant tout à fait être réalisés par des personnes qui ne sont pas en situation de supériorité hiérarchique.

 

Cette modification a fait l'objet de critiques sévères en doctrine, certains auteurs considérant même que : « On reste confondu de ce que cette nouvelle rédaction, issue d'un amendement de la commission des affaires sociales de la chambre haute, ait pu être adoptée et subsister dans la version définitive du texte sans la moindre discussion (…), et on ne peut s'empêcher d'exclure l'hypothèse d'une bévue législative »2.

 

B.- Contexte

 

La disposition contestée figure dans une section du code pénal consacrée aux agressions sexuelles, qui contient un article préliminaire précisant que « Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » (art. 222-22 CP). L'article 222-22-1 du même code prévoit en outre que « La contrainte prévue par le premier alinéa de l'article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ». Au sein de cette section consacrée aux agressions sexuelles, le législateur envisage successivement : le viol (art. 222-23 et s. CP), les autres agressions sexuelles (222-27 et s. CP), l'inceste (222-31-2 CP) – la définition de cette « sur qualification pénale » ayant été déclarée contraire à la Constitution3 –, l'exhibition sexuelle et le harcèlement sexuel (art. 222-32 et s. CP) puis la question de la responsabilité pénale des personnes morales (art. 222-33-1 CP).

 

Au-delà du code pénal, le harcèlement sexuel est défini, de manière comparable, dans le code du travail, où l'article L. 1153-1 retient que « Les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers sont interdits ». Ce texte doit être complété par l'article L. 1155-2, qui dispose que « Les faits de harcèlement moral et sexuel, définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, sont punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 15 000 € ». Si ces dispositions ne sont pas contestées, elles sont nécessairement liées au sort de la QPC puisque leur contenu est proche de celui de la disposition contestée.

 

La définition du harcèlement sexuel doit également être rapprochée de celle retenue par le législateur en matière de harcèlement moral, qui est plus précise puisqu'elle suppose en particulier de caractériser des agissements répétés. Ainsi, l'article 222-33-2 du code pénal prévoit : « Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ». De même, au sein du code du travail, le législateur a précisé que « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » (art. L. 1152-1 du code du travail). Au sujet de ces deux dispositions, le Conseil constitutionnel a jugé dans sa décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002 relative à la loi de modernisation sociale qu'il « appartiendra aux autorités juridictionnelles, ainsi, le cas échéant, qu'aux autorités chargées du recouvrement des amendes, de respecter, dans l'application de la loi déférée, le principe de proportionnalité des peines ci-dessus énoncé ; que, sous cette réserve, l'instauration dans le code pénal et dans le code du travail de deux incriminations réprimant les agissements de harcèlement moral au travail, dont la première a d'ailleurs un champ d'application plus large que la seconde, n'est pas, en elle-même, contraire à la Constitution »4.

 

Il faut encore ajouter, depuis la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010, l'article 222-33-2-1 du code pénal, qui prévoit : « Le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ont entraîné aucune incapacité de travail et de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende lorsqu'ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours. (…) ».

 

Enfin, la directive du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail5 définit le harcèlement et le harcèlement sexuel en ces termes :

 

« c)  "harcèlement" : la situation dans laquelle un comportement non désiré lié au sexe d'une personne survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ;

 

« d)  "harcèlement sexuel" : la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s'exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

 

C. – Portée de la disposition

 

La Cour de cassation a récemment rappelé, conformément à l'intention du législateur, que le harcèlement peut fort bien être le fait du subordonné sur son supérieur voir entre personnes travaillant au même niveau hiérarchique6. Dans une décision rendue en matière de harcèlement moral, mais qui paraît transposable au harcèlement sexuel, la chambre criminelle a cassé un arrêt rendu par une cour d'appel « qui a ajouté à la loi des conditions qu'elle ne comporte pas, d'une part, en retenant que les conséquences de la dégradation des conditions de travail devaient être avérées, alors que la simple possibilité de cette dégradation suffit à consommer le délit de harcèlement moral, et, d'autre part, en subordonnant le délit à l'existence d'un pouvoir hiérarchique, alors que le fait que la personne poursuivie soit le subordonné de la victime est indifférent à la caractérisation de l'infraction »7.

 

La chambre criminelle s'assure toutefois que les juges du fond ont bien caractérisé les éléments constitutifs de l'infraction. Une cour d'appel avait ainsi condamné un prévenu en relevant qu'il avait dit à son élève « qu'il l'aimait, lui avait demandé de réfléchir à sa déclaration et de venir le rejoindre dans son bureau, l'avait prise dans ses bras et l'avait embrassée à trois reprises sur la bouche, un tel comportement se prolongeant pendant un certain temps et traduisant la volonté du prévenu d'obtenir des faveurs de nature sexuelle de la part de sa jeune élève ». La Cour de cassation a jugé que la cour d'appel n'avait pas justifié sa décision puisqu'elle n'avait pas caractérisé « en quoi (le prévenu) avait harcelé la jeune fille dans le but d'obtenir de sa part des faveurs de nature sexuelle, au sens de l'article 222-33 du code pénal et sans rechercher si les faits n'étaient pas susceptibles de revêtir la qualification d'atteinte sexuelle »8. Sur ce point, il faut relever qu'en présence d'un contact physique entre l'auteur et la victime, au harcèlement sexuel se substituent d'autres infractions constitutives d'agression sexuelle (article 222-27 et s. CP) ou de viol (article 222-23 et s. du CP).

 

Dans le prolongement, la Cour de cassation a rejeté un pourvoi qui soutenait notamment « que le harcèlement sexuel n'est punissable que s'il est établi que le prévenu avait pour objectif d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, en exerçant sur la victime une certaine pression ou emprise, objectif qui ne peut être déduit de propos grivois ou même déplacés ou de gestes anodins ; qu'en se bornant à considérer, eu égard aux déclarations de témoins, rapportées dans la décision de première instance, que les propos tenus et rapportés par les témoins s'inscrivaient dans une "démarche de recherche d'obtention de faveurs sexuelles", ce qui ne traduisait aucune pression ou emprise exercées par M. X... sur la jeune femme à cette fin, la cour d'appel a violé l'article 222-33 du code pénal ». Le pourvoi est rejeté, la cour d'appel ayant « caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable »9.

 

II. – Examen des dispositions contestées

 

A. – Griefs

 

Le requérant soutenait que la disposition contestée était contraire au principe de légalité des délits et des peines ainsi qu'aux principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique, en ce qu'elle punit « le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle » sans définir les éléments constitutifs de ce délit.

 

La Cour de cassation a transmis la présente QPC en retenant « qu'elle est sérieuse au regard du principe de légalité des délits et des peines, en ce que la définition du harcèlement sexuel pourrait être considérée comme insuffisamment claire et précise, dès lors que le législateur s'est abstenu de définir le ou les actes qui doivent être regardés, au sens de cette qualification, comme constitutifs du harcèlement sexuel ».

 

Dans son avis, l'avocat général relevait que la Cour de cassation pourrait elle-même, dans son arrêt, décider de ne pas renvoyer la question au Conseil, « en donnant dans sa décision les éléments propres à remédier aux insuffisances de la loi », tout en relevant cependant qu'en opérant ainsi la Cour de cassation ferait œuvre législative – ce qui ne relève pas de son office.

 

Saisi de cette disposition, le Conseil constitutionnel a estimé qu'elle méconnaissait le principe de légalité des délits et des peines.

 

B.- Le principe de légalité des délits et des peines

 

Reprenant un principe bien acquis, le Conseil constitutionnel a rappelé que « le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis » (cons. 3).

 

Le Conseil a prononcé, sur le fondement de la méconnaissance de ces exigences, plusieurs censures :

 

– par sa décision n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000 concernant la loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dont une disposition subordonnait la mise en œuvre de la responsabilité pénale des « hébergeurs », d'une part, à leur saisine par un tiers estimant que le contenu hébergé « est illicite ou lui cause un préjudice », d'autre part, à ce que, à la suite de cette saisine, les hébergeurs n'aient pas procédé aux « diligences appropriées », le Conseil a estimé qu'en omettant de préciser les conditions de forme d'une telle saisine et en ne déterminant pas les caractéristiques essentielles du comportement fautif de nature à engager, le cas échéant, la responsabilité pénale des intéressés, le législateur a méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution (cons. 58, 60 à 62) ;

 

– par sa décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 concernant la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, le Conseil constitutionnel avait jugé que le législateur ayant fait de l'« interopérabilité » un élément qui conditionne le champ d'application de la loi pénale, il devait définir en des termes clairs et précis le sens qu'il attribuait à cette notion dans ce contexte particulier et qu'en s'abstenant de le faire, il avait porté atteinte au principe de légalité des délits et des peines (cons. 59 à 61) ;

 

– par la même décision, le Conseil a examiné la réforme de l'article L. 335-2-1 du code de la propriété intellectuelle qui punit le fait d'éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'œuvres ou d'objets protégés et d'inciter sciemment à l'usage d'un tel logiciel et précisé que ces dispositions « ne sont pas applicables aux logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l'échange de fichiers ou d'objets non soumis à la rémunération du droit d'auteur ». Il a estimé que la notion de « travail collaboratif » n'était pas suffisamment claire et précise pour satisfaire au principe de légalité des délits et des peines (cons. 54, 56 et 57).

 

– dans la décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011, M. Claude N., c'est l'imprécision découlant de l'emploi du terme « famille » qui a justifié la censure de l'article 222-31-1 du code pénal relatif aux viols et agressions sexuels incestueux, aux motifs que « s'il était loisible au législateur d'instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux, il ne pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, s'abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, la disposition contestée doit être déclarée contraire à la Constitution »10.

 

Ainsi, le Conseil constitutionnel ne censure pas seulement des notions nouvelles et méconnues qu'il appartiendrait au législateur de définir, sa jurisprudence vise également des notions courantes mais trop imprécises pour pouvoir fonder, sans précisions adéquates, le champ d'application de la loi pénale.

 

En revanche, il a rejeté le grief tiré de l'absence de définition claire et précise des délits et des peines dans les cas suivants :

 

– par sa décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002 relative à la loi de modernisation sociale, le Conseil a retenu, précisément au sujet de la disposition instaurant le délit de harcèlement moral, tant au sein du code du travail que du code pénal, que « si l'article L. 122-49 nouveau du code du travail n'a pas précisé les "droits" du salarié auxquels les agissements incriminés sont susceptibles de porter atteinte, il doit être regardé comme ayant visé les droits de la personne au travail, tels qu'ils sont énoncés à l'article L. 120-2 du code du travail ; que, sous cette réserve, doivent être rejetés les griefs tirés tant du défaut de clarté de la loi que de la méconnaissance du principe de légalité des délits » (cons. 83) ;

 

– dans la même décision, il a estimé que ne méconnaissait pas le principe de légalité des délits et des peines la disposition selon laquelle le chef d'entreprise ne peut procéder à une annonce publique dont les mesures de mise en œuvre sont de nature à affecter « de façon importante » les conditions de travail ou d'emploi des salariés, qu'après avoir informé le comité d'entreprise, l'inobservation de ces prescriptions étant punie des peines prévues aux articles L. 483-1, L. 483-1-1 et L. 483-1-2 du code du travail relatifs au délit d'entrave au fonctionnement des comités d'entreprise (cons. 62 à 67) ; l'emploi des termes « de façon importante » laisse une certaine marge d'appréciation au juge pour apprécier une situation qu'il est difficile au législateur de quantifier a priori ;

 

– par sa décision n° 2003- 467 DC du 13 mars 2003 relative à la loi pour la sécurité intérieure, le Conseil a considéré que le principe de légalité des peines n'est pas méconnu par les dispositions critiquées, dès lors que celles-ci définissent en termes clairs et précis le délit de « racolage public » (cons. 60 à 62) ; l'article 225-10-1 du code pénal alors contesté ne se contente pas, en effet, de réprimer le fait de se livrer au « racolage » mais il désigne « Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération » ;

 

– dans sa décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 concernant la loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, le Conseil a énoncé que les dispositions qui prohibaient et réprimaient, d'une part, le fait de contracter un mariage « aux seules fins d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour, ou aux seules fins d'acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française » et, d'autre part, l'organisation d'un mariage aux mêmes fins, définissaient les faits incriminés de manière suffisamment claire et précise, sans porter atteinte au principe de la légalité des délits et des peines (cons. 43) ;

 

– par sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 relative à la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le Conseil constitutionnel a considéré comme suffisamment claires et précises des dispositions nouvelles concernant des infractions commises en « bandes organisées » en relevant, d'une part, que cette notion existait dans le code pénal depuis 1810 et avait été reprise depuis par plusieurs réformes, d'autre part, que « la jurisprudence dégagée par les juridictions pénales a apporté les précisions complémentaires utiles pour caractériser la circonstance aggravante de bande organisée, laquelle suppose la préméditation des infractions et une organisation structurée de leurs auteurs », enfin, que « la convention (...) des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, ratifiée par la France, a adopté une définition voisine en invitant les États adhérents à prendre les mesures adéquates pour lutter efficacement contre tout "groupe structuré de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves ou infractions établies conformément à la présente Convention, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel" » (cons. 13) ; ces motifs ont été repris dans la décision n° 2010-604 DC du 25 février 2010 relative à la loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public (cons. 9) ;

 

– par la décision n° 2006-540 DC précitée, le Conseil a jugé que les termes « manifestement destinés » et « sciemment » (termes utilisés pour définir l'infraction d'édition, de mise à disposition du public ou de communication au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, d'un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'œuvres ou objets protégés, et d'inciter sciemment à l'usage d'un tel logiciel) sont suffisamment clairs et précis pour que les dispositions de caractère pénal qui s'y réfèrent ne méconnaissent pas le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines (cons. 56) ;

 

– par sa décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011 sur les sanctions civiles réprimant le « déséquilibre significatif » dans les relations commerciales, le Conseil constitutionnel a écarté le grief d'imprécision de la loi au motif que le législateur s'est référé à une notion qui figure déjà dans le code de la consommation, reprenant les termes d'une directive communautaire, que la jurisprudence en a déjà précisé la portée, que la juridiction saisie peut consulter une commission composée des représentants des secteurs économiques intéressés et qu'en outre la sanction encourue est seulement pécuniaire (cons. 4).

 

En somme, il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu'une « infraction » qui ne serait pas définie dans un texte de manière claire et précise, ou ne serait pas explicitée, peut ne pas entraîner d'inconstitutionnalité, si d'autres textes du même domaine ou la jurisprudence ont apporté les éclaircissements permettant de pallier les lacunes du texte contesté.

 

C. – Application à l'espèce

 

Au cas présent, le Conseil constitutionnel a d'abord retracé l'évolution de la définition du harcèlement sexuel au sein du code pénal.

 

Il a ainsi rappelé que, « dans sa rédaction résultant de la loi du 22 juillet 1992 susvisée, le harcèlement sexuel, prévu et réprimé par l'article 222-33 du nouveau code pénal, était défini comme " Le fait de harceler autrui en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions " ». Or, ajoute le Conseil, « l'article 11 de la loi du 17 juin 1998 susvisée a donné une nouvelle définition de ce délit en substituant aux mots " en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes ", les mots : en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves " ». Enfin, « l'article 179 de la loi du 17 janvier 2002 susvisée a de nouveau modifié la définition du délit de harcèlement sexuel en conférant à l'article 222-33 du code pénal la rédaction contestée », dont il résulte que « Le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».

 

Ainsi, au regard du texte dont il était saisi, la définition du harcèlement sexuel était réduite à sa plus simple expression, consistant dans le « fait de harceler », sans qu'aucune précision ne soit donnée par le législateur sur ces agissements.

 

Le Premier ministre faisait valoir que « les dispositions de l'article 222-33-2 définissant le harcèlement moral, issues de l'article 170 de la loi de modernisation sociale qui a été déclaré conforme à la Constitution par la décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 200211, n'énumèrent pas non plus les moyens de harcèlement ».

 

Toutefois, si l'incrimination de harcèlement moral ne limite pas les « moyens » par lesquelles une personne peut harceler, elle donne deux précisions qui conduisent à ce que l'infraction se distingue doublement de celle soumise au Conseil constitutionnel dans la présente QPC : d'une part, les faits commis doivent avoir un caractère répété, d'autre part, ils ne sont punissables que si, pour la victime de ces faits, ils ont eu « pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » (article L. 1152-1 du code du travail).

 

Dans sa décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel a jugé « que l'article 222-33 du code pénal permet que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l'infraction soient suffisamment définis ; qu'ainsi, ces dispositions méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et doivent être déclarées contraires à la Constitution » (cons. 5). 

 

La définition du délit de harcèlement sexuel n'est pas subordonnée à l'insertion de précisions relatives à la fois à la nature, aux modalités et aux circonstances des agissements réprimés. Mais, à tout le moins, une de ces précisions serait nécessaire pour que la définition de ce délit satisfasse à l'exigence de précision de la loi pénale. Le Conseil n'a ainsi pas imposé un retour à la définition du harcèlement sexuel résultant de la loi du 29 juillet 1992.

 

Le Conseil a donc déclaré contraire à la Constitution l'article 222-33 du code pénal. Suivant la règle selon laquelle la déclaration d'inconstitutionnalité doit en principe bénéficier à l'auteur de la QPC, le Conseil a jugé que cette censure est applicable immédiatement, à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date (cons. 7).

_______________________________________

1  MM. Philippe Nauche et Gérard Terrier, Rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le projet de loi de modernisation sociale, Assemblée nationale, XIe législature, n° 3385, 14 novembre 2001.

2  Cyrille Duvert, J.-Cl., Harcèlement sexuel.

3  Décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011, M. Claude N. (Définition des délits et crimes incestueux).

4  Décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, cons. 86.

5  Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail, article 2.1. Pour sa transposition, cf. l'art. 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, où les définitions de harcèlement et de harcèlement sexuel n'ont pas été reprises.

6   Cass. soc., 19 octobre 2011, publié, n° 09-72672 (la chambre sociale de la Cour de cassation a cassé un arrêt d'appel qui avait refusé d'admettre l'existence d'actes de harcèlement sexuel dans le fait, pour un salarié, de tenir « des propos à caractère sexuel à deux de ses collègues féminines lors de l'envoi de messages électroniques hors du temps et du lieu de travail » et d'avoir, sur son lieu de travail, « fait des réflexions déplacées à une autre salariée sur son physique et suivi une troisième dans les toilettes ». La cour d'appel avait estimé « que les premiers faits, relevant de la vie personnelle du salarié, ne pouvaient constituer une faute dans l'exécution du contrat de travail tandis que les seconds ne suffisaient pas à caractériser des agissements de harcèlement sexuel ». L'arrêt est cassé, aux motifs que « les propos à caractère sexuel et les attitudes déplacées du salarié à l'égard de personnes avec lesquelles l'intéressé était en contact en raison de son travail ne relevaient pas de sa vie personnelle »). 

7  Cass. crim., 6 décembre 2011, publié, n° 10-82266.

8  Cass. crim., 10 novembre 2004, n° 03-87986, Bull. crim,. no 280. C'est bien le texte tel qu'il résulte de la loi du 17 janvier 2002 qui a été appliquée dans cette affaire, compte tenu de la date des faits litigieux.

9  Cass. crim., 31 janvier 2012, inédit,  11-82985.

10 Décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011, M. Claude N. (Définition des délits et crimes incestueux), cons. 4.

11 Décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi relative à la loi de modernisation sociale, cons. 83.