Conseil constitutionnel

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Commentaire de la décision 2010-79 QPC

09/12/2022

Non lieu à statuer

 

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 8 octobre 2010, par une décision du Conseil d'État, d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Kamel D. et relative à l'article L. 712-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), qui définit les motifs d'exclusion de la protection subsidiaire, protection applicable aux personnes qui ne remplissent pas les conditions pour obtenir le statut de réfugié et reconnue en France par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA).

 

Dans sa décision n° 2010-79 QPC du 17 décembre 2010, le Conseil constitutionnel s'est déclaré incompétent pour répondre à cette QPC qui portait sur des dispositions qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive de l'Union européenne.

 

 

I. − La disposition contestée

 

La QPC renvoyée par le Conseil d'État présentait trois particularités : elle portait sur une disposition qui transpose une directive européenne ; elle a donné lieu, devant le Conseil d'État, au rejet d'une demande de question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE)1 ; le renvoi était fondé sur le caractère nouveau de la question, dans la mesure où la disposition est contestée sur le fondement d'un article de la Constitution, l'article 66–1 relatif à l'interdiction de la peine de mort2, qui a été adopté après la loi dont la disposition est issue.

 

Issues de l'article 1er de la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile, adoptées par anticipation d'une directive en date du 29 avril 20043, les dispositions contestées, relatives aux causes d'exclusion de la « protection subsidiaire » avaient été soumises au Conseil constitutionnel qui les avait alors déclarées conformes à la Constitution. Leur codification ultérieure dans le CESEDA, en novembre 2004, leur a conféré le caractère de dispositions de transposition d'une directive.

 

A. − Les motifs d'exclusion de la protection subsidiaire

 

La protection subsidiaire est définie aux articles L. 712-1 à L. 712-3 du CESEDA.

 

Le bénéfice de cette protection est accordé aux personnes ne pouvant se prévaloir de la qualité de réfugié au sens du 2 du A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relatif au statut des réfugiés, repris in extenso par l'article L. 711-1 du CESEDA.

 

L'article L. 712-1 du même code dispose : « Sous réserve des dispositions de l'article L. 712-2, le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mentionnées à l'article L. 711-1 et qui établit qu'elle est exposée dans son pays à l'une des menaces graves suivantes :

 

« a) La peine de mort ;

 

« b) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ;

 

« c) S'agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international. »

 

L'article 712-2, dont les dispositions étaient contestées, prévoit : « La protection subsidiaire n'est pas accordée à une personne s'il existe des raisons sérieuses de penser :

 

« a) Qu'elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité ;

 

« b) Qu'elle a commis un crime grave de droit commun ;

 

« c) Qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ;

 

« d) Que son activité sur le territoire constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'État. »

 

Le Conseil d'État a jugé que l'invocation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'encontre de ces dispositions était inopérante. La décision qui se prononce sur le droit au bénéfice du statut de réfugié et à la protection subsidiaire n'a par elle-même ni pour objet ni pour effet de conférer ou de retirer au demandeur le droit de séjourner en France, ni de fixer le pays de destination où il devrait le cas échéant être reconduit4.

 

 

B. − Des dispositions déclarées conformes par le Conseil constitutionnel

 

Ces articles du CESEDA relatifs à la protection subsidiaire sont issus de l'article 1er de la loi du 10 décembre 2003 précitée, article qui a été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2003-485 DC du 4 décembre 20035.

 

Les griefs invoqués par les auteurs de la saisine ne concernaient pas l'exception prévue par le c) de l'article en cause, relatif aux agissements contraires aux buts et objectifs des Nations unies, mais les exceptions posées par les b) et d), qui permettent respectivement d'exclure de la protection subsidiaire les personnes ayant commis un « crime grave de droit commun » et celles pouvant représenter une « menace grave pour l'ordre public ».

 

Dans sa décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009 sur la loi organique relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a jugé que, lorsqu'il avait écarté dans les motifs d'une décision de conformité un grief invoqué contre une disposition législative, celle-ci était bien déclarée conforme à la Constitution dans son intégralité. Dans sa décision n° 2010-9 QPC du 2 juillet 20106, il a confirmé cette position en faisant référence à la validation des dispositions « spécialement » examinées.

 

En l'espèce, les dispositions du paragraphe IV de l'article 2 de la loi du 25 juillet 1952, aujourd'hui codifiées à l'article L. 712-2, avaient donc bien déjà fait l'objet d'une déclaration de conformité, puisqu'elles ont été spécialement examinées par le Conseil constitutionnel7 et déclarées conformes dans le dispositif de sa décision.

 

 

C. − Des dispositions de transposition d'une directive communautaire

 

Ainsi qu'il ressort de l'exposé des motifs du projet de loi déposé à l'Assemblée nationale le 15 avril 20038, la loi du 10 décembre 2003 avait anticipé l'adoption de la directive du 29 avril 2004 en reproduisant les clauses de la proposition de la Commission européenne qui avaient déjà fait l'objet d'un accord politique au sein du Conseil de l'Union européenne à la fin de l'année 2002.

 

En effet, les dispositions contestées de la loi du 10 décembre 2003 ont été abrogées, après la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 20049, par l'ordonnance n° 2004-1248 du 24 novembre 2004 relative à la partie législative du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui a repris les dispositions contestées pour les inscrire à l'article L. 712-2 de ce code. L'ordonnance du 24 novembre 2004 a fait partie des textes qui ont été notifiés à la Commission européenne au titre des mesures de transposition de la directive. Ladite ordonnance a été ratifiée par l'article 120 de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration.

 

Les dispositions transmises au Conseil constitutionnel, nonobstant le fait qu'elles sont issues de la loi du 10 décembre 2003, sont donc devenues des dispositions de transposition des termes précis et inconditionnels d'une directive : le tableau ci-après le souligne.

 

Article 17 de la directive n° 2004/83/CE
du Conseil du 29 avril 2004

Article L. 712-2 du CESEDA

1. Un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride est exclu des personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire s'il existe des motifs sérieux de considérer :

La protection subsidiaire n'est pas accordée à une personne s'il existe des raisons sérieuses de penser :

a) qu'il a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ;

a) Qu'elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité ;

b) qu'il a commis un crime grave de droit commun ;

b) Qu'elle a commis un crime grave de droit commun ;

c) qu'il s'est rendu coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies tels qu'ils sont énoncés dans le préambule et aux articles 1 et 2 de la charte des Nations unies ;

c) Qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ;

d) qu'il représente une menace pour la société ou la sécurité de l'État membre dans lequel il se trouve.

d) Que son activité sur le territoire constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'État.

2. Le paragraphe 1 s'applique aux personnes qui sont les instigatrices des crimes ou des actes visés par ledit paragraphe, ou qui y participent de quelque autre manière.

 

3. Les États membres peuvent exclure tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride des personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire si, avant son admission dans l'État membre, il a commis un ou plusieurs crimes qui ne relèvent pas du champ d'application du paragraphe 1 et qui seraient passibles d'une peine de prison s'ils avaient été commis dans l'État membre concerné, et s'il n'a quitté son pays d'origine que dans le but d'échapper à des sanctions résultant de ces crimes.

 

 

 

II. – L'incompétence du Conseil constitutionnel

 

Le requérant faisait grief à l'article L. 712-2 du CESEDA de méconnaître le principe de dignité humaine et l'article 66-1 de la Constitution.

 

Mais le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2010-79 QPC du 17 décembre 2010, a décliné sa compétence pour répondre à cette question.

 

Dans le cadre de la procédure de l'article 61 de la Constitution, le Conseil a déduit de l'article 88-1 de la Constitution, aux termes duquel « la République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 », une exigence constitutionnelle de transposition en droit interne des directives de l'Union européenne.

 

Cette exigence constitutionnelle issue de l'article 88-1 conduit le Conseil constitutionnel à exclure par principe de son contrôle de constitutionnalité les dispositions législatives qui assurent la transposition des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive en se bornant à en tirer des conséquences nécessaires10. Ainsi, expressément depuis 2004, le Conseil constitutionnel considère qu'un moyen critiquant la constitutionnalité d'une loi portant transposition d'une directive n'est recevable que si elle s'avère contraire à une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle française, sauf à ce que le pouvoir constituant y ait consenti.

 

Dans sa décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010, Loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, le Conseil a rappelé :

 

« 17. Considérant qu'aux termes de l'article 88-1 de la Constitution : " La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 " ; qu'ainsi, la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle ;

 

« 18. Considérant qu'il appartient au Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prévues par l'article 61 de la Constitution d'une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire, de veiller au respect de cette exigence ; que, toutefois, le contrôle qu'il exerce à cet effet est soumis à une double limite ; qu'en premier lieu, la transposition d'une directive ne saurait aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ; qu'en second lieu, devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai prévu par l'article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne sur le fondement de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; qu'en conséquence, il ne saurait déclarer non conforme à l'article 88-1 de la Constitution qu'une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu'elle a pour objet de transposer ; qu'en tout état de cause, il appartient aux juridictions administratives et judiciaires d'exercer le contrôle de compatibilité de la loi au regard des engagements européens de la France et, le cas échéant, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel. »

 

Dans la même décision, le Conseil a également souligné que « que le respect de l'exigence constitutionnelle de transposition des directives ne relève pas des " droits et libertés que la Constitution garantit " et ne saurait, par suite, être invoqué dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité ».

 

Dans la mesure où il était saisi de dispositions qui se bornaient à tirer les conséquences nécessaires de transposition des termes à la fois précis et inconditionnels d'une directive, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 17 décembre 2010, a vérifié que cette directive n'était susceptible de porter atteinte à aucune règle ni à aucun principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France et a jugé qu'il n'y avait pas lieu pour lui à statuer sur la QPC.

 

Un tel non-lieu traduit la spécificité du contentieux constitutionnel dirigé contre une disposition législative tirant les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive.

 

Dans une hypothèse très particulière, le juge a quo, le Conseil d'État ou la Cour de cassation peuvent, simultanément, renvoyer une QPC au Conseil constitutionnel et poser une question préjudicielle à la CJUE. On sait que la Cour de Luxembourg a, dans son arrêt Melki du 22 juin 2010, posé le principe selon lequel, dans cette hypothèse, le juge saisi de la question de la constitutionnalité d'une loi transposant correctement une directive doit, préalablement au contrôle de constitutionnalité, saisir la Cour de justice à titre préjudiciel de la question de la validité de la directive au regard du « droit primaire ». Il ressort de cette décision que ce qui doit être « préalable » est, aux yeux de la Cour, non seulement la « question » de la validité de la directive mais aussi sa propre réponse.

 

Dans cette hypothèse de double question, le Conseil constitutionnel pourrait, dans un premier temps, attendre que la CJUE se soit prononcée sur la question préjudicielle avant, au besoin en ayant sursis à statuer, de le faire sur la QPC. Dans un second temps, il statuerait au fond au vu de l'arrêt de la Cour.

 

Une telle orientation finaliserait le « dialogue des juges » noué entre la Cour de Luxembourg et le Conseil constitutionnel. Elle interdit toutefois au Conseil de juger une disposition législative transposant des dispositions inconditionnelles et précises d'une directive comme conformes à la Constitution. Le Conseil doit alors se borner, comme il l'a fait dans l'espèce jugée le 17 décembre, à constater que lesdites dispositions législatives ne portent atteinte à aucune règle ni aucun principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France. Ce n'est ni un cas d'incompétence, ni un cas d'irrecevabilité. C'est un non-lieu pour réserver l'hypothèse où la Cour de justice censurerait la directive dont est issue la disposition législative contestée.

_______________________________________

1 Dans sa décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010, Loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, le Conseil constitutionnel a rappelé que la transmission d'une QPC ne privait pas les cours suprêmes de leur faculté de saisir la CJUE en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, interprétation confirmée par le Conseil d'État dans sa décision du 14 mai 2010, Rujovic, n° 312305. En écartant une demande de question préjudicielle, en l'espèce, le Conseil d'État a jugé que cette faculté valait aussi pour ne pas saisir le juge européen.

2  Loi constitutionnelle n° 2007-239 du 23 février 2007 relative à l'interdiction de la peine de mort.

3 Directive dite « qualification » 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts.

4  Conseil d'État, 10e et 9e sous-sections, 16 octobre 2009, Mme Habyarimana, n° 311793.

5  Décision n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003, Loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile, cons. 3 à 27, article 1er.

6  Décision n° 2010-9 QPC du 2 juillet 2010, Section française de l'Observatoire international des prisons (Article 706-53-21 du code de procédure pénale), cons. 4.

7 Décision n° 2003-485 DC précitée, cons. 3 à 27.

8  Projet de loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile, Assemblée nationale, XIIe législature, n° 810, p. 5.

9  Directive dite « qualification » du 29 avril 2004 précitée , notamment articles 2 e) et 15 à 17.

10 Décisions nos 2004-496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique, cons. 8 et 9 ; 2004-497 DC du 1er juillet 2004, Loi relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, cons. 18 et 19 ; 2004-498 DC du  29 juillet 2004, Loi relative à la bioéthique, cons. 4 ; 2004-499 DC du 29 juillet 2004, Loi relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, cons. 7 ; 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, cons. 17 à 19 ; 2006-543 DC du 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l'énergie, cons. 4 à 6 ; 2008-564 DC du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, cons. 42 à 44.