Conseil constitutionnel

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Commentaire de la décision 2010-57 QPC

09/12/2022

Conformité - réserve

 

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 19 juillet 2010 par deux arrêts de la Cour de cassation rendus, pour le premier, sur la demande de la société SITA FD SA et de la société K2O SA et, pour le second, sur la demande de la société SITA Sud Ouest SA, d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur des dispositions des articles 266 sexies (1 et 8, a et b, du paragraphe I) et 266 septies (1 et 8, a et b) du code des douanes dans leur rédaction issue de la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999 et de la loi n° 99-1140 du 29 décembre 1999 de financement de la sécurité sociale pour 2000. Ces dispositions sont relatives au champ d'application et au fait générateur de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).

 

En application de l'article 4 du règlement applicable à la procédure de QPC, Mme Jacqueline de Guillenchmidt a estimé devoir s'abstenir de siéger.

 

Dans sa décision n° 2010-57 QPC du 18 octobre 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution sous une réserve.

 

 

I. − La disposition contestée

 

A. − La TGAP

 

La TGAP a été créée, à compter du 1er janvier 1999, par la loi de finances pour 19991. Elle est codifiée dans le code des douanes (articles 266 sexies à 266 duodecies). « Taxe à compartiments »2, elle a regroupé cinq taxes préexistantes : deux taxes parafiscales (sur la pollution atmosphérique et sur les huiles de base), deux taxes sur les déchets (sur les déchets ménagers et assimilés et sur les déchets industriels spéciaux) et la taxe sur le bruit. Sa gestion est confiée à l'administration des douanes.

 

Chaque taxe fait l'objet de règles spécifiques, qu'il s'agisse des redevables (article 266 sexies), du fait générateur (266 septies), de l'assiette (266 octies), du taux (266 nonies), des cas de remboursement ou de réduction (266 decies). Seules les modalités de déclaration et de paiement (266 undecies) ainsi que les modalités de contrôle, de liquidation et de recouvrement (266 duodecies) sont communes aux cinq taxes, à une exception près.

 

En effet, dans un deuxième temps, la TGAP a été élargie à trois nouveaux types de produits polluants – les lessives, les pesticides et les granulats – et a intégré les deux taxes existantes sur les installations classées.

 

Ces dernières, taxe unique et redevance annuelle, ont continué à faire l'objet de règles spécifiques de contrôle, de liquidation et de recouvrement, lesquelles dérogent aux articles 266 undecies et duodecies et sont codifiées à l'article 266 terdecies du code des douanes.

 

À l'origine intégrée dans le budget de l'État, la TGAP a ensuite été affectée au Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC), ce qui justifiait l'insertion de ces mesures dans la loi de financement pour la sécurité sociale pour 2000 précitée. Cette affectation a été validée par le Conseil constitutionnel3. La suppression du FOREC en 2004 a entraîné la réintégration de la TGAP dans le budget de l'État à partir de cette date4.

 

L'objet de la taxe est incitatif, dans la mesure où l'intégration de la taxe dans le coût des produits polluants ou des activités polluantes doit conduire à réduire la consommation des premiers et limiter le développement des secondes.

 

B. − Le régime des déchets inertes

 

Dans le champ des dispositions dont le Conseil constitutionnel a été saisi, trois types d'installations doivent être distingués au regard de la TGAP : les installations de stockage de déchets ménagers, les installations classées et les installations de stockage de déchets inertes. Les deux premières catégories qui sont soumises à la TGAP, la troisième ne l'est pas.

 

De manière plus précise :

 

– le 1 du I de l'article 266 sexies soumet à la taxe les exploitants d'installations de stockage de déchets ménagers et les exploitants d'installations d'élimination des déchets industriels spéciaux par incinération, coincinération, stockage. Le 1 de l'article 266 septies prévoit que le fait générateur de la taxe est constitué par la réception de déchets par ces exploitants. Dès lors que sont concernées ces installations, tous les déchets, qu'ils soient ou non inertes, entraient dans l'assiette de la taxe. Les installations recevant des déchets ménagers étaient donc soumises à la taxe non seulement sur ceux-ci mais aussi sur les déchets inertes destinés à l'aménagement ou à la couverture des déchets ménagers ;

 

– le 8 de l'article 266 sexies soumet quant à lui à la taxe les installations classées soumises à autorisation en application du livre V du titre Ier du code de l'environnement5 ;

 

– les installations de stockage de déchets inertes, qui peuvent réceptionner les terres et gravats inertes issus du bâtiment et des travaux publics ou des déchets industriels inertes, ne sont ni des installations de stockage de déchets ménagers ou industriels spéciaux, ni des installations classées au sens du livre V du titre Ier du code de l'environnement. En conséquence, les installations de stockage des déchets inertes ne sont pas incluses dans l'assiette de la TGAP. En effet, ces installations ne relèvent pas du champ du 1 du I dans la mesure où elles n'entrent pas dans la catégorie définie au 1 du I de l'article 266 sexies, bien que, par définition, elles reçoivent des déchets. Autrement dit, pour ces installations, le fait générateur est sans portée, puisqu'elles n'entrent pas dans le champ des redevables. Elles n'entrent pas non plus dans le champ du 8 du I.

 

En revanche, rien, dans la lettre de la loi, n'exclut de l'assiette de la taxe les déchets inertes stockés dans les installations de stockage des déchets ménagers. Cette interprétation a été confirmée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence par quatre arrêts rendus en janvier et février 2010. La cour a relevé, en effet, que la loi du 30 décembre 1998 précitée assujettit à la TGAP les matériaux inertes perçus pour les besoins de l'exploitation par l'exploitant d'un centre de stockage de déchets ménagers6.

 

Par la suite, le législateur, dans un premier temps, a réduit la différence de traitement « fiscal » des déchets inertes selon l'installation qui les reçoit. Ainsi, l'article 266 sexies a été modifié par la loi de finances rectificative pour 20027 qui a inséré un paragraphe III qui dispose :

 

« III. - Sont exonérées de la taxe mentionnée au I, dans la limite de 20 % de la quantité annuelle totale de déchets reçus par installation, les réceptions de matériaux ou déchets inertes. Sont considérés comme déchets inertes les déchets qui ne se décomposent pas, ne brûlent pas et ne produisent aucune autre réaction physique ou chimique, ne sont pas biodégradables et ne détériorent pas d'autres matières avec lesquelles ils entrent en contact, d'une manière susceptible d'entraîner une pollution de l'environnement ou de nuire à la santé humaine. »

 

L'administration a tiré argument de ces dispositions pour en inférer que les matériaux inertes stockés dans les installations de stockage des déchets ménagers étaient a contrario, avant cette disposition qui les sort de l'assiette de la taxe applicable à ces installations, soumis à cette taxe.

 

Le législateur, dans un deuxième temps et sous l'influence du droit européen, a procédé à une clarification des régimes juridiques applicables aux installations industrielles. Aussi a-t-il mieux distingué :

 

− les centres de stockage de déchets non dangereux (CSDND), anciennement centres d'enfouissement technique (CET) de classe II, régis par l'arrêté ministériel du 9 septembre 1997 modifié8 ; ils correspondent aux installations de stockage de déchets ménagers et aux exploitants d'installations d'élimination des déchets industriels spéciaux, soumis à la TGAP ;

 

− et les installations de stockage de déchets inertes (ISDI), anciennement CET de classe III, prévus par l'article L. 541-30-1 du code de l'environnement, inséré en 2005 pour transposer la directive 1999/31/CE du Conseil du 26 avril 1999 concernant la mise en décharge des déchets9 ; elles correspondent aux installations non soumises à la TGAP.

 

Mais l'ensemble de ces modifications sont intervenues après les faits étant à l'origine du litige.

 

 

II. − La conformité sous réserve à la Constitution

 

Les dispositions transmises étaient contestées, au regard des exigences du principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles visaient des règles d'assujettissement différentes à la TGAP selon que les déchets inertes, de même nature :

 

− sont mis en dépôt dans des installations de stockage de déchets inertes (CET de classe III) ;

 

− ou qu'ils sont déstockés et utilisés comme matériaux de couverture, dans des installations de déchets ménagers et assimilés (CET de classe II).

 

Selon les sociétés requérantes, les installations CET III n'étaient pas taxées en raison du caractère peu polluant des déchets inertes qu'elles reçoivent. Or, les installations CET de classe II recevant principalement des déchets ménagers sont taxées lorsqu'elles utilisent des déchets inertes, alors même que cette utilisation des déchets inertes est soit neutre (aménagements), soit en conformité avec la réglementation qui oblige à les utiliser en couverture des déchets polluants aux fins de diminution du risque de pollution.

 

Le caractère polluant du déchet ne dépendant pas de la catégorie de l'installation qui le reçoit, aucune différence de traitement fiscal n'était, selon les requérantes, justifiée.

 

Pour sa part, l'administration des douanes invoquait la différence de situation des centres de traitement justifiant une différence dans leur régime fiscal, ainsi que l'absence de rupture d'égalité à l'époque des faits car le régime des CET III n'a été fixé qu'en 200610.

 

Concernant l'égalité devant les charges publiques, le Conseil constitutionnel considère que, si l'article 13 de la Déclaration de 1789 n'interdit pas de faire supporter à certaines catégories de personnes, pour un motif d'intérêt général, des charges particulières, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Ainsi, la différence de traitement qui résulte d'une rupture d'égalité doit être en rapport direct avec l'objet de la loi11. Les régimes d'exemption fiscale ne doivent pas être tels qu'ils seraient contraire à l'objectif visé12.

 

À propos de la TGAP, le Conseil constitutionnel a déjà jugé que les différences de traitement liées à son extension à l'électricité et aux produits énergétiques fossiles ne sont pas en rapport avec l'objectif de « lutte contre l'effet de serre » que s'est fixé le législateur, dans la mesure où, d'une part, la taxe peut toucher plus fortement une entreprise moins polluante et, d'autre part, s'applique à l'électricité, peu concernée par le rejet de gaz carbonique.

 

Le Conseil constitutionnel a également déjà eu à examiner l'une des dispositions de l'article 266 sexies du code des douanes : il a ainsi sanctionné un traitement différencié injustifié entre des distributeurs de publicité :

 

« 6. Considérant que le I de l'article 20 de la loi déférée insère dans le code de l'environnement un article L. 541-10-1 ; qu'en vertu du premier alinéa de ce nouvel article : " À compter du 1er janvier 2005, toute personne physique ou morale qui, gratuitement, met pour son propre compte à disposition des particuliers sans que ceux-ci en aient fait préalablement la demande, leur fait mettre à disposition, leur distribue pour son propre compte ou leur fait distribuer des imprimés non nominatifs, dans les boîtes aux lettres, dans les parties communes des habitations collectives, dans les locaux commerciaux, dans les lieux publics ou sur la voie publique, est tenue de contribuer à la collecte, la valorisation et l'élimination des déchets ainsi produits " ; (…) que le II de l'article 20 de la loi déférée complète en ce sens les articles 266 sexies et suivants du code des douanes relatifs à l'assiette, aux taux et aux modalités de recouvrement de ladite taxe ; que celle-ci sera due pour la première fois, ainsi que le prévoit le III de l'article 20, au titre de l'année 2005 ;

 

(…)

 

« 8. Considérant qu'il est loisible au législateur, dans le but d'intérêt général qui s'attache à la protection de l'environnement, de faire prendre en charge par certaines personnes mettant des imprimés à la disposition du public le coût de collecte et de recyclage desdits imprimés ;

 

« 9. Considérant que, conformément à l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être assujettis les contribuables ; que le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que soient établies des impositions spécifiques ayant pour objet d'inciter les redevables à adopter des comportements conformes à des objectifs d'intérêt général, pourvu que les règles qu'il fixe à cet effet soient justifiées au regard desdits objectifs ;

 

« 10. Considérant que la prolifération d'imprimés gratuits distribués aux particuliers ou mis à leur disposition en dehors de toute demande préalable de leur part est une cause importante de dégradation de l'environnement ; que, dans ces conditions, le législateur pouvait, sans porter atteinte au principe d'égalité, limiter aux seuls producteurs et distributeurs de tels imprimés le champ d'application du dispositif institué ; que la différence de traitement qui en résulte, fondée sur des critères objectifs et rationnels, est en rapport direct avec la finalité poursuivie par la loi en matière de collecte et de recyclage des imprimés ;

 

« 11. Considérant, en revanche, qu'en soumettant à ce dispositif les imprimés gratuits et non demandés distribués dans les boîtes aux lettres de façon non nominative, tout en exemptant les mêmes imprimés lorsqu'ils font l'objet d'une distribution nominative, le législateur a instauré une différence de traitement injustifiée au regard de l'objectif poursuivi. »13

 

Dans sa décision du 18 octobre 2010, le Conseil constitutionnel a appliqué sa jurisprudence sur le principe d'égalité devant les charges publiques comme il a déjà eu l'occasion de le faire à de nombreuses reprises dans une période récente : décisions nos 2010-11 QPC, 2010-16 QPC, 2010-24 QPC, 2010–28 QPC et
2010-44 QPC14.

 

En l'espèce, le législateur, lorsqu'il a créé la TGAP, a souhaité, par ce biais, réduire la consommation des produits polluants et limiter le développement des activités polluantes en en renchérissant le coût. C'est pourquoi il a soumis à cette taxe les exploitants d'installations de stockage de déchets ménagers et d'installations d'élimination des déchets industriels spéciaux. C'est pourquoi également il a exclu de cette taxe les simples installations de stockage de déchets inertes.

 

Dès lors, par une réserve, le Conseil constitutionnel a relevé que le législateur n'avait pu admettre, sans créer une différence de situation injustifiée entre les catégories d'installations, que l'ensemble des déchets inertes reçus par les exploitants d'installation de stockage des déchets ménagers fussent soumis à la taxe. Sinon, le législateur aurait créé une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

 

Dès lors, les sociétés requérantes, pour les années durant lesquelles les dispositions contestées se sont appliquées et sous réserve des règles de prescription applicables15, peuvent revendiquer à bon droit l'application de cette réserve.

_______________________________________

1  Article 45 de la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999.

2  Robert Hertzog, « La taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) : un revirement dans la fiscalité de l'environnement », Droit et Ville, n° 47, 1999, p. 115.

3  Décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, cons. 20.

4  L'article 34 de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004 prévoit ainsi que « les biens, droits et obligations de l'établissement public dénommé Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale sont transférés à l'État le 1er janvier 2004 ».

5  Ces installations ne sont soumises à autorisation que depuis le décret n° 2006-302 du 15 mars 2006 (cf. infra).

6  Cf. notamment cour d'appel d'Aix-en-Provence, 22 janvier 2010, Société Ortec Industries c/ Administration des douanes et droits indirects, n° 2010/46.

7  Article 24 de la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002.

8  Voir également décret n° 2005-635 du 30 mai 2005 relatif au contrôle des circuits de traitement des déchets et arrêté du 19 janvier 2006 modifiant l'arrêté du 9 septembre 1997 modifié relatif aux installations de stockage de déchets ménagers et assimilés.

9  Article introduit par l'article 5 de la loi n° 2005-1319 du 26 octobre 2005 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'environnement ; décret n° 2006-302 du 15 mars 2006 pris pour l'application de l'article L. 541-30-1 du code de l'environnement relatif aux installations de stockage de déchets inertes, codifié par le décret n° 2007-1467 du 12 octobre 2007 relatif au livre V de la partie réglementaire du code de l'environnement et modifiant certaines autres dispositions de ce code.

10 Décret du 15 mars 2006 précité.

11 Décision n° 2000-441 DC du 38 décembre 2000, Loi de finances rectificative pour 2000.

12 Décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010.

13 Décision n° 2003–488 DC du 29 décembre 2003, Loi de finances rectificative pour 2003.

14 Décisions nos 2010-11 QPC du 9 juillet 2010, Mme Virginie M. (Carte du combattant), cons. 4 ; 2010-16 QPC du 23 juillet 2010, M. Philippe E. (Organismes de gestion agréés), cons. 4 ; 2010-24 QPC du 6 août 2010, Association nationale des sociétés d'exercice libéral et autres (Cotisations sociales des sociétés d'exercice libéral), cons. 6 ; 2010-28 QPC du 17 septembre 2010, Association sportive Football Club de Metz (Taxe sur les salaires), cons. 4 ; 2010-44 QPC du 29 septembre 2010, Époux M. (Impôt de solidarité sur la fortune), cons. 6.

15 L'article 352 du code des douanes limite la possibilité pour une personne de former, contre l'administration, des demandes en restitution de droits trois ans après le paiement des droits. L'action contre la décision de l'administration doit être introduite dans les trois mois. Pour sa part, sur le fondement de l'article 354, l'administration dispose d'un délai de trois ans à compter du fait générateur pour faire jouer son droit de reprise. Ces délais de prescription sont écartés au profit d'un délai trentenaire, lorsque, avant le terme des premiers délais, il y a une demande formée en justice ou une condamnation relative à l'objet qui est répété (article 355).