Conseil constitutionnel

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Commentaire de la décision 2010-44 QPC

09/12/2022

Conformité

 

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 juillet 2010 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur les articles 885 A, 885 E et 885 U du code général des impôts (CGI) relatifs à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF).

 

En application de l'article 4 du règlement applicable à la procédure de QPC, M. Michel Charasse a estimé devoir s'abstenir de siéger.

 

Dans sa décision n° 2010-44 QPC du 29 septembre 2010, le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution.

 

 

I. − La disposition contestée

 

Institué en 1981, l'impôt sur les grandes fortunes (IGF)1 avait pour objectif d'imposer les facultés contributives supplémentaires dont bénéficient les contribuables détenteurs de fortune, de réduire les inégalités de patrimoine jugées excessives et de compenser les insuffisances des autres impôts et taxes existants, qui, jusqu'alors, imposaient peu les revenus du capital.

 

Supprimé en 19862, l'impôt sur la fortune est rétabli en 19893 sous la dénomination d'« impôt de solidarité sur la fortune », étant précisé que le nouvel impôt est remis en vigueur dans la rédaction qui résultait du décret n° 86-1086 du 7 octobre 1986. Seuls changent la dénomination et l'objectif, qui est désormais de financer le revenu minimum d'insertion. Les modifications intervenues depuis lors n'ont pas modifié sensiblement le régime général de l'ISF.

 

Le régime de l'impôt sur la fortune ressort notamment des articles 885 A, 885 E et 885 U du CGI.

 

L'article 885 A du CGI est ainsi rédigé :

 

« Sont soumises à l'impôt annuel de solidarité sur la fortune, lorsque la valeur de leurs biens est supérieure à la limite de la première tranche du tarif fixé à l'article 885 U :

 

« 1° Les personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France, à raison de leurs biens situés en France ou hors de France.

 

« Toutefois, les personnes physiques mentionnées au premier alinéa qui n'ont pas été fiscalement domiciliées en France au cours des cinq années civiles précédant celle au cours de laquelle elles ont leur domicile fiscal en France ne sont imposables qu'à raison de leurs biens situés en France.

 

« Cette disposition s'applique au titre de chaque année au cours de laquelle le redevable conserve son domicile fiscal en France, et ce jusqu'au 31 décembre de la cinquième année qui suit celle au cours de laquelle le domicile fiscal a été établi en France ;

 

« 2° Les personnes physiques n'ayant pas leur domicile fiscal en France, à raison de leurs biens situés en France.

 

« Sauf dans les cas prévus aux a et b du 4 de l'article 6, les couples mariés font l'objet d'une imposition commune.

 

« Les conditions d'assujettissement sont appréciées au 1er janvier de chaque année.

 

« Les partenaires liés par un pacte civil de solidarité défini par l'article 515-1 du code civil font l'objet d'une imposition commune.

 

« Les biens professionnels définis aux articles 885 N, 885 O, 885 O bis, 885 O ter, 885 O quater, 885 O quinquies, 885 P et 885 R ne sont pas pris en compte pour l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune ».

 

L'article 885 E du même code, prévoit quant à lui que :

 

« Dans le cas de concubinage notoire, l'assiette de l'impôt est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l'année, de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant à l'un et l'autre concubins et aux enfants mineurs mentionnés au premier alinéa.

 

« L'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l'année, de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant aux personnes visées à l'article 885 A, ainsi qu'à leurs enfants mineurs lorsqu'elles ont l'administration légale des biens de ceux-ci ».

 

Enfin, l'article 885 U du même code fixe, dans un tableau, le tarif de l'ISF en fonction de la fraction de la valeur nette taxable du patrimoine. Il prévoit, en outre, que les limites des tranches du tarif « sont actualisées chaque année dans la même proportion que la limite supérieure de la première tranche du barème de l'impôt sur le revenu et arrondies à la dizaine de milliers d'euros la plus proche ».

 

 

II. − La conformité à la Constitution

 

Les requérants soutenaient que les dispositions des articles 885 A et 885 E méconnaissent les principes d'égalité devant la loi fiscale et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; qu'en outre, l'article 885 U méconnaîtrait le principe d'égalité devant l'impôt. 

 

Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel a rappelé :

 

– d'une part que le principe d'égalité devant l'impôt, qui découle de l'article 6 de la Déclaration de 17894, « ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qu'il établit » et que « pour son application, la situation des redevables s'apprécie au regard de chaque imposition prise isolément »5 ;

 

– d'autre part, que s'agissant du principe d'égalité devant les charges publiques, qui résulte, quant à lui, de l'article 13 de la Déclaration de 17896, il appartient au législateur, en vertu de l'article 34 de la Constitution, « de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques »7.

 

Le Conseil constitutionnel a ensuite répondu aux trois griefs en les écartant.

 

Les requérants faisaient valoir en premier lieu que les articles 885A et 885 E du CGI sont contraires au principe d'égalité devant la loi fiscale compte tenu de la différence de traitement qu'ils prévoient entre, d'une part, les contribuables mariés et les concubins notoires, qui sont soumis à une imposition commune et, d'autre part, les personnes ne vivant pas en concubinage notoire, qui sont imposées séparément.

 

Le Conseil constitutionnel a rappelé que la disposition contestée avait déjà été jugée et déclarée conforme à la Constitution.

 

L'assimilation, au regard de l'impôt de la solidarité sur la fortune, de la situation des personnes vivant en concubinage notoire à celle des couples mariés résulte du second alinéa de l'article 885 E du CGI. Ce second alinéa prévoit que « dans le cas de concubinage notoire, l'assiette de l'impôt est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l'année, de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant à l'un et l'autre concubins et aux enfants mineurs mentionnés au premier alinéa ». Cette rédaction est identique à celle du deuxième alinéa de l'article 3 de la loi de finances pour 1982, disposition qui a été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision n° 81-133 DC8.

 

Cette décision concernait certes l'impôt sur les grandes fortunes, ancêtre de l'ISF. Mais le second alinéa de l'article 3 a été codifié dans le CGI, à compter du 1er septembre 1982, dans le second alinéa de l'article 885 E du CGI9, sans aucune modification. Le rétablissement de l'impôt sur les grandes fortunes sous la forme de l'ISF a été fait dans les termes mêmes des dispositions en vigueur avant l'abrogation de l'impôt sur les grandes fortunes à la seule exception de la dénomination de l'imposition.

Ainsi les dispositions de l'article 3 relatives au régime des « concubins notoires », jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel en 1981, sont restées les mêmes. Depuis, la loi du 15 novembre 199910 a certes modifié l'article 885 A du CGI pour soumettre les partenaires liés par un pacte civil de solidarité à une imposition commune de l'ISF à l'instar des couples mariés et des concubins notoires, mais cette modification n'apporte aucune évolution sur le principe d'imposition par foyer fiscal et sur le traitement des concubins notoires par rapport aux concubins « non notoires ». Le traitement de ces derniers reste le même et continue de s'appliquer pour l'ISF comme il s'appliquait auparavant pour l'impôt sur les grandes fortunes.

Dès lors, en l'absence de changement des circonstances, le grief de la différence de traitement entre les assujettis à l'ISF selon leur situation familiale est inopérant. En effet, il résulte du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que ce dernier est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

 

Les requérants soutenaient ensuite que le premier alinéa de l'article 885 E du CGI, relatif à l'assiette générale de l'ISF, méconnaît les principes de l'égale répartition des charges de la Nation entre tous les citoyens à raison de leurs facultés contributives, dès lors qu'il n'exclut pas de cette assiette les biens du foyer fiscal non productifs de revenus.

 

Pour répondre à ce grief, il était nécessaire de rappeler que l'ISF figure au nombre des « impositions de toutes natures » mentionnées à l'article 34 de la Constitution et que le législateur est donc compétent pour fixer les règles concernant l'assiette de cette imposition sous réserve de respecter les principes et règles de valeur constitutionnelle. Cette assiette, dont le régime est fixé au premier alinéa de l'article  885 E, est composée de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables du foyer fiscal, qu'ils soient productifs ou non productifs de revenus.

 

Le Conseil constitutionnel a ensuite souligné que l'ISF ne figure pas au nombre des impositions sur le revenu. En effet, en instituant l'ISF, le législateur a entendu frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et droits11.

 

Dès lors qu'il s'agit d'un impôt sur le patrimoine, la prise en compte de cette capacité contributive n'implique pas que seuls les biens productifs de revenus soient inscrits dans l'assiette de l'ISF. Le grief tiré de ce que l'assiette de cet impôt méconnaîtrait l'article 13 de la Déclaration de 1789 a donc été écarté.

 

Enfin, les requérants faisaient valoir qu'en ne prévoyant aucun système de quotient familial pour le calcul du montant de l'ISF, contrairement à ce qui est prévu dans l'imposition des revenus, l'article 885 U n'assureraient pas la prise en compte des capacités contributives des redevables de l'impôt sur le revenu et de l'ISF dans les mêmes conditions. Dès lors, ils considéraient que la disposition en question méconnaît le principe d'égalité devant l'impôt.

 

Contrairement à ce qu'affirmaient les requérants, « l'exigence résultant de l'article 13 de la Déclaration de 1789 ne suppose pas l'existence d'un quotient familial dès lors que les capacités contributives sont prises en compte selon d'autres modalités ». À défaut, se poserait la constitutionnalité de l'ensemble des impôts qui ne sont pas calculés à partir du quotient familial (contribution sociale généralisée, contribution pour le remboursement de la dette sociale…).

 

Lors de l'établissement de l'ISF, le législateur a retenu le principe d'une imposition par foyer fiscal sans prendre en considération un mécanisme de quotient familial. Il n'a pas considéré que la composition du foyer fiscal avait, pour la détermination de la capacité contributive de celui-ci, la même incidence qu'en matière d'impôt sur le revenu.

 

En ce sens, le Conseil constitutionnel a rappelé que l'ISF constitue une imposition progressive. Elle repose, en effet, aujourd'hui, sur un barème de sept tranches allant de 0 % pour un patrimoine n'excédant pas 790 000 euros à 1,80 % pour un patrimoine supérieur à 16 540 000 euros. Par ailleurs, le législateur a prévu plusieurs mécanismes d'abattement, d'exonération ou de réduction d'impôt concernant, notamment, la résidence principale. Ces différents mécanismes participent à la prise en compte de la capacité contributive des contribuables.

 

Le grief tiré de l'absence de quotient familial dans le calcul de l'ISF a été écarté.

 

Après avoir considéré que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel a déclaré les articles 885A, 885 E et 885 U du CGI conformes à la Constitution.

_______________________________________

1  Loi n° 81-1160 du 30 décembre 1981 de finances pour 1982.

2  Loi n° 86-824 du 11 juillet 1986 de finances rectificative pour 1986.

3  Loi n° 88-1149 du 23 décembre 1988 de finances pour 1989.

4  Cet article prévoit que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ».

5  Dans le même sens, décisions n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, Loi de finances pour 1991, cons. 28 ; n° 97-390 DC du 19 novembre 1997, Loi organique relative à la fiscalité applicable en Polynésie française ; n° 97-393 DC du 18 décembre 1997, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, n° 2010-28 QPC du 17 septembre 2010, Association Sportive Football Club de Metz.

6  Cet article dispose : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

7  Dans le même sens, cf. notamment les décisions n° 2003–488 DC du 29 décembre 2003, Loi de finances rectificative pour 2003, et n° 2010-28 QPC du 17 septembre 2010, Association Sportive Football Club de Metz.

8  Décision n° 81-133 DC du 30 décembre 1981, Loi de finances pour 1982, cons. 4 à 9.

9  Article 1er du décret n° 82-881 du 15 octobre 1982 portant incorporation dans le code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code, JORF du 17 octobre 1982, p. 3125.

10 Article 6 de la loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité.

11 Dans le même sens, décisions n° 81-133 DC (préc.) et n° 98-405 DC du 29 décembre 1998, Loi de finances pour 1999.